GABRIEL.
Tout cela est l'effet de l'excitation du souper. La morale fait bien de
réprouver ces sortes de divertissements. Tu vois qu'ils peuvent allumer
en nous des feux impurs, et dont la seule idée nous eût fait frémir de
sang-froid. Ce jeu a duré trop longtemps, Astolphe; je vais me retirer
et dépouiller ce dangereux travestissement pour ne jamais le reprendre.
ASTOLPHE.
Tu as raison, mon Gabriel. Va, je te rejoindrai bientôt.
GABRIEL.
Je ne m'en irai pourtant pas sans que tu me promettes de renoncer à
celle folle querelle et de faire la paix avec Antonio. J'ai chargé la
Faustina de le détromper. Tu vois qu'il ne vient pas au rendez-vous, et
qu'il se tient pour satisfait.
ASTOLPHE.
Eh bien, j'en suis fâché; j'éprouvais le besoin de me battre avec lui!
Il m'a enlevé la Faustina: je n'en ai pas regret; mais il l'a fait pour
m'humilier, et tout prétexte m'eût été bon pour le châtier.
GABRIEL.
Celui-là serait ridicule. Et, qui sait? de méchants esprits pourraient y
trouver matière à d'odieuses interprétations.
ASTOLPHE.
C'est vrai! Périsse mon ressentiment, périssent mon honneur et ma
bravoure, plutôt que cette fleur d'innocence qui revêt ton nom... Je te
promets de tourner l'affaire en plaisanterie.
GABRIEL.
Tu m'en donnes la parole?
ASTOLPHE.
Je te le jure!
_(Ils se serrent la main.)_
GABRIEL.
Les voici qui viennent en riant aux éclats. Je m'esquive. _(A part.)_
Il est bien temps, mon Dieu! Je suis plus troublé, plus éperdu que lui.
_(Il s'enveloppe dans sa mantille, Astolphe l'aide à s'arranger.)_
ASTOLPHE, _le serrant dans ses bras_.
Ah! c'est pourtant dommage que tu sois un garçon! Allons, va-t'en. Tu
trouveras ta voiture au bas du perron, par ici?...
_(Gabriel disparaît sous les arbres, Astolphe le suit des yeux et reste
absorbé quelques instants. Au bruit des rires d'Antonio et de Faustina,
il passe la main sur son front comme au sortir d'un rêve.)_
SCÈNE VIII.
ASTOLPHE, ANTONIO, FAUSTINA, MENRIQUE; GROUPES DE JEUNES GENS ET DE
COURTISANES.
ANTONIO.
Ah! la bonne histoire! J'ai été dupe au delà de la permission; mais, ce
qui me console, c'est que je ne suis pas le seul.
MENRIQUE.
Ah! je crois bien, j'ai soupiré tout le temps du souper, et, en ôtant sa
robe ce soir, il trouvera un billet doux de moi dans sa poche.
FAUSTINA.
Le bel espiègle rira bien de vous tous.
ANTONIO.
Et de vous toutes!
FAUSTINA.
Excepté de moi. Je l'ai reconnu tout de suite.
ASTOLPHE, _à Antonio_.
Tu ne m'en veux pas trop?
ANTONIO, _lui serrant la main_.
Allons donc! je te dois mille louanges. Tu as joué ton rôle comme un
comédien de profession. Othello ne fut jamais mieux rendu.
MENRIQUE.
Mais où est donc passé ce beau garçon? A présent nous pourrons bien
l'embrasser sans façon sur les deux joues.
ASTOLPHE.
Il a été se déshabiller, et je ne crois pas qu'il revienne; mais demain
je vous invite tous à déjeuner chez moi avec lui.
FAUSTINA.
Nous en sommes?
ASTOLPHE.
Non, au diable les femmes!
SCÈNE IX.
_La chambre de Gabriel dans la maison d'Astolphe.--Gabriel, vêtu en
femme et enveloppé de son manteau et de son voile, entre et réveille
Marc qui dort sur une chaise._
MARC, GABRIEL.
MARC.
Ah, mille pardons!... Madame demande le seigneur Astolphe. Il n'est pas
rentré... C'est ici la chambre du seigneur Gabriel.
GABRIEL, _jetant son voile et son manteau sur une chaise_.
Tu ne me reconnais donc pas, vieux Marc?
MARC, _se frottant les yeux_.
Bon Dieu! que vois-je?... En femme, monseigneur, en femme!
GABRIEL.
Sois tranquille, mon vieux, ce n'est pas pour longtemps.
_(Il arrache sa couronne et dérange avec empressement la symétrie de sa
chevelure.)_
MARC.
En femme! J'en suis tout consterné! Que dirait son altesse?...
GABRIEL.
Ah! pour le coup, son altesse trouverait que je ne me conduis pas en
homme. Allons, va te coucher, Marc. Tu me retrouveras demain plus garçon
que jamais, je t'en réponds! Bonsoir, mon brave. _(Marc sort.)_
Ôtons vite la robe de Déjanire, elle me brûle la poitrine, elle
m'enivre, elle m'oppresse! Oh! quel trouble, quel égarement, mon
Dieu!... Mais comment m'y prendrai-je?... Tous ces lacets, toutes
ces épingles... _(Il déchire son fichu de dentelle et l'arrache par
lambeaux.)_ Astolphe, Astolphe, ton trouble va cesser avec ton illusion.
Quand j'aurai quitté ce déguisement pour reprendre l'autre, tu seras
désenchanté. Mais moi, retrouverai-je sous mon pourpoint le calme de mon
sang et l'innocence de mes pensées?... Sa dernière étreinte me dévorait!
Ah! je ne puis défaire ce corsage! Hâtons-nous!..._(Il prend son
poignard sur la table et coupe les lacets.)_ Maintenant, où ce vieux
Marc a-t-il caché mon pourpoint? Mon Dieu! j'entends monter l'escalier,
je crois! _(Il court fermer la porte au verrou.)_ Il a emporté mon
manteau et le voile!... Vieux dormeur! Il ne savait ce qu'il faisait...
Et les clefs de mes coffres sont restées dans sa poche, je gage...
Rien! pas un vêlement, et Astolphe qui va vouloir causer avec moi en
rentrant... Si je ne lui ouvre pas, j'éveillerai ses soupçons! Maudite
folie! Ah!...avant qu'il entre ici, je trouverai un manteau dans sa
chambre... _(Il prend un flambeau, ouvre une petite porte de côté et
entre dans la chambre voisine. Un instant de silence, puis un cri.)_
ASTOLPHE, _dans la chambre voisine_.
Gabriel, tu es une femme! O mon Dieu!
_(On entend tomber le flambeau. La lumière disparaît. Gabriel rentre
éperdu. Astolphe le suit dans les ténèbres et s'arrête au seuil de la
porte.)_
ASTOLPHE.
Ne crains rien, ne crains rien! Maintenant je ne franchirai plus cette
porte sans ta permission. _(Tombant à genoux.)_ O mon Dieu, je vous
remercie!
TROISIÈME PARTIE.
_Dans un vieux petit castel pauvre et délabré, appartenant à Astolphe et
situé au fond des bois; une pièce sombre avec des meubles antiques et
fanés._
SCÈNE PREMIÈRE.
SETTIMIA, BARBE, GABRIELLE, FRÈRE COME.
_(Settimia et Barbe travaillent près d'une fenêtre; Gabrielle brode au
métier, près de l'autre fenêtre; frère Côme va de l'une à l'autre, en se
traînant lourdement, et s'arrêtant toujours près de Gabrielle.)_
FRÈRE COME, _à Gabrielle, à demi-voix_.
Eh bien, signora, irez-vous encore à la chasse demain?
GABRIELLE, _de même, d'un ton froid et brusque_.
Pourquoi pas, frère Côme, si mon mari le trouve bon?
FRÈRE COME.
Oh! vous répondez toujours de manière à couper court à toute
conversation!
GABRIELLE.
C'est que je n'aime guère les paroles inutiles.
FRÈRE COME.
Eh bien, vous ne me rebuterez pas si aisément, et je trouverai matière à
une réflexion sur votre réponse.
_(Gabrielle garde le silence, Côme reprend.)_
C'est qu'à la place d'Astolphe je ne vous verrais pas volontiers
galoper, sur un cheval ardent, parmi les marais et les broussailles.
_(Gabrielle garde toujours le silence, Côme reprend en baissant la voix
de plus en plus.)_
Oui! si j'avais le bonheur de posséder une femme jeune et belle, je ne
voudrais pas qu'elle s'exposât ainsi...
_(Gabrielle se lève.)_
SETTIMIA, _d'une voix sèche et aigre_.
Vous êtes déjà lasse de notre compagnie?
GABRIELLE.
J'ai aperçu Astolphe dans l'allée de marronniers; il m'a fait signe, et
je vais le rejoindre.
FRÈRE COME, _bas_.
Vous accompagnerai-je jusque là?
GABRIELLE, _haut_.
Je veux aller seule.
_(Elle sort. Frère Côme revient vers les autres en ricanant.)_
FRÈRE COME.
Vous l'avez entendue? Vous voyez comme elle me reçoit? Il faudra,
Madame, que votre seigneurie me dispense de travailler à l'oeuvre de son
salut: je suis découragé de ses rebuffades: c'est un petit esprit fort,
rempli d'orgueil, je vous l'ai toujours dit.
SETTIMIA.
Votre devoir, mon père, est de ne point vous décourager quand il s'agit
de ramener une âme égarée; je n'ai pas besoin de vous le dire.
BARBE _se lève, met ses lunettes sur son nez, et va examiner le métier
de Gabrielle_.
J'en étais sûre! pas un point depuis hier! Vous croyez qu'elle
travaille? elle ne fait que casser des fils, perdre des aiguilles et
gaspiller de la soie. Voyez comme ses écheveaux sont embrouillés!
FRÈRE CÔME, _regardant le métier_.
Elle n'est pourtant pas maladroite! Voilà une fleur tout à fait jolie et
qui ferait bien sur un devant d'autel. Regardez cette fleur, ma soeur
Barbe! vous n'en feriez pas autant peut-être.
BARBE, _aigrement_.
J'en serais bien fâchée. A quoi cela sert-il, toutes ces belles
fleurs-là?
FRÈRE CÔME.
Elle dit que c'est pour faire une doublure de manteau à son mari.
SETTIMIA.
Belle sottise! son mari a bien besoin d'une doublure brodée en soie
quand il n'a pas seulement le moyen d'avoir le manteau! Elle ferait
mieux de raccommoder le linge de la maison avec nous.
BARBE.
Nous n'y suffisons pas. A quoi nous aide-t-elle? à rien!
SETTIMIA.
Et à quoi est-elle bonne? à rien d'utile. Ah! c'est un grand malheur
pour moi qu'une bru semblable! Mais mon fils ne m'a jamais causé que des
chagrins.
FRÈRE CÔME.
Elle paraît du moins aimer beaucoup son mari!... _(Un silence.)_
Croyez-vous qu'elle aime beaucoup son mari? _(Silence)_. Dites, ma soeur
Barbe?
BARBE.
Ne me demandez rien là-dessus. Je ne m'occupe pas de leurs affaires.
SETTIMIA.
Si elle aimait son mari, comme il convient à une femme pieuse et sage,
elle s'occuperait un peu plus de ses intérêts, au lieu d'encourager
toutes ses fantaisies et de l'aider à faire de la dépense.
FRÈRE CÔME.
Ils font beaucoup de dépense?
SETTIMIA.
Ils font toute celle qu'ils peuvent faire. A quoi leur servent ces deux
chevaux lins qui mangent jour et nuit à l'écurie, et qui n'ont pas la
force de labourer ou de traîner le chariot?
BARBE, _ironiquement_.
A chasser! C'est un si beau plaisir que la chasse!
SETTIMIA.
Oui, un plaisir de prince! Mais quand on est ruiné, on ne doit plus se
permettre un pareil train.
FRÈRE CÔME.
Elle monte à cheval comme saint Georges.
BARBE.
Fi! frère Côme! ne comparez pas aux saints du paradis une personne qui
ne se confesse pas, et qui lit toute sorte de livres.
SETTIMIA, _laissant tomber son ouvrage_.
Comment! toute sorte de livres! Est-ce qu'elle aurait introduit de
mauvais livres dans ma maison.
BARBE.
Des livres grecs, des livres latins. Quand ces livres-là ne sont ni les
Heures du diocèse, ni le saint Évangile, ni les Pères de l'Église, ce ne
peuvent être que des livres païens ou hérétiques! Tenez, en voici un des
moins gros que j'ai mis dans ma poche pour vous le montrer.
FRÈRE CÔME, _ouvrant le livre_.
Thucydide! Oh! nous permettons cela dans les collèges... Avec des
coupures, on peut lire les auteurs profanes sans danger.
SETTIMIA.
C'est très-bien; mais quand on ne lit que ceux-là, on est bien près de
ne pas croire en Dieu. Et n'a-t-elle pas osé soutenir hier à souper que
Dante n'était pas un auteur impie?
BARBE.
Elle a fait mieux, elle a osé dire qu'elle ne croyait pas à la damnation
des hérétiques.
FRÈRE CÔME, _d'un ton cafard et dogmatique_.
Elle a dit cela? Ah! c'est fort grave! très-grave!
BARBE.
D'ailleurs, est-ce le fait d'une personne modeste de faire sauter un
cheval par-dessus les barrières?
SETTIMIA.
Dans ma jeunesse, on montait à cheval, mais avec pudeur, et sans passer
la jambe sur l'arçon. On suivait la chasse avec un oiseau sur le poing;
mais on allait d'un train prudent et mesuré, et on avait un valet qui
courait à pied tenant le cheval par la bride. C'était noble, c'était
décent; on ne rentrait pas échevelée, et on ne déchirait point ses
dentelles à toutes les branches pour faire assaut de course avec les
hommes.
FRÈRE CÔME.
Ah! dans ce temps-là votre seigneurie avait une belle suite et de riches
équipages!
SETTIMIA.
Et je me faisais honneur de ma fortune sans permettre la moindre
prodigalité. Mais le ciel m'a donné un fils dissipateur, inconsidéré,
méprisant les bons conseils, cédant à tous les mauvais exemples, jetant
l'or à pleines mains; et, pour comble de malheur, quand je le croyais
corrigé, quand il semblait plus respectueux et plus tendre pour moi,
voici qu'il m'amène une bru que je ne connais pas, que personne ne
connaît, qui sort on ne sait d'où, qui n'a aucune fortune, et peut-être
encore moins de famille.
FRÈRE CÔME.
Elle se dit orpheline et fille d'un honnête gentilhomme?
BARBE.
Qui le sait? On ne l'entend jamais parler de ses parents ni de la maison
de son père.
FRÈRE CÔME.
D'après ses habitudes, elle semblerait avoir été élevée dans l'opulence.
C'est quelque fille de grande maison qui a épousé votre fils en secret
contre le gré de ses parents. Peut-être elle sera riche un jour.
SETTIMIA.
C'est ce qu'il voulut me faire croire lorsqu'il m'annonça ses projets,
et je n'y ai pas apporté d'obstacle; car la fausseté n'était pas
au nombre de ses défauts. Mais je vois bien maintenant que cette
aventurière l'a entraîné dans la voie du mensonge, car rien ne vient à
l'appui de ce qu'il avait annoncé; et, quoique je vive depuis longues
années retirée du monde, il me paraît très-difficile que la société ait
assez changé pour qu'une pareille aventure se passe sans faire aucun
bruit.
FRÈRE CÔME.
Il m'a semblé souvent qu'elle disait des choses contradictoires. Quand
on lui fait des questions, elle se trouble, se coupe dans ses réponses,
et finit par s'impatienter, en disant qu'elle n'est pas au tribunal de
l'inquisition.
SETTIMIA.
Tout cela finira mal! J'ai eu du malheur toute ma vie, frère Côme! Un
époux imprudent, fantasque (Dieu veuille avoir pitié de son âme!) et qui
m'a été bien funeste. Il avait bien peu de chose à faire pour rester
dans les bonnes grâces de son père. En flattant un peu son orgueil et
ne le contrecarrant pas à tout propos, il eût pu l'engager à payer ses
dettes et à faire quelque chose pour Astolphe. Mais c'était un caractère
bouillant et impétueux comme son fils. Il prit à tâche de se fermer la
maison paternelle, el nous portons aujourd'hui la peine de sa folie.
FRÈRE CÔME, _d'un air cafard et méchant_.
Le cas était grave... très-grave!...
SETTIMIA.
De quel cas voulez-vous parler?
FRÈRE CÔME.
Ah! votre seigneurie doit savoir à quoi s'en tenir. Pour moi, je ne sais
que ce qu'on m'en a dit. Je n'avais pas alors l'honneur de confesser
votre seigneurie.
_(Il ricane grossièrement.)_
SETTIMIA.
Frère Côme, vous avez quelquefois une singulière manière de plaisanter;
je me vois forcée de vous le dire.
FRÈRE CÔME.
Moi, je ne vois pas en quoi la plaisanterie pourrait blesser votre
seigneurie. Le prince Jules fut un grand pêcheur, et votre seigneurie
était la plus belle femme de son temps... on voit bien encore que la
renommée n'a rien exagéré à ce sujet; et, quant à la vertu de votre
seigneurie, elle était ce qu'elle a toujours été. Cela dut allumer dans
l'âme vindicative du prince un grand ressentiment, et la conduite de
votre beau-père dut détruire dans l'esprit du comte Octave, votre époux,
tout respect filial. Quand de tels événements se passent dans les
familles, et nous savons, hélas! qu'ils ne s'y passent que trop souvent,
il est difficile qu'elles n'en soient pas bouleversées.
SETTIMIA.
Frère Côme, puisque vous avez ouï parler de cette horrible histoire,
sachez que je n'aurais pas eu besoin de l'aide de mon mari pour
repousser des tentatives aussi détestables. C'était à moi de me défendre
et de m'éloigner. C'est ce que je fis. Mais c'était à lui de paraître
tout ignorer, pour empocher le scandale et pour ne pas amener son père
à le déshériter. Qu'en est-il résulté? Astolphe, élevé dans une noble
aisance, n'a pu s'habituer à la pauvreté. Il a dévoré en peu d'années
son faible patrimoine; et aujourd'hui il vit de privations et d'ennuis
au fond de la province, avec une mère qui ne peut que pleurer sur sa
folie, et une femme qui ne peut pas contribuer à le rendre sage. Tout
cela est triste, fort triste!
FRÈRE CÔME.
Eh bien, tout cela peut devenir très-beau et très-riant! Que le jeune
Gabriel de Bramante meure avant Astolphe, Astolphe hérite du titre et de
la fortune de son grand-père.
SETTIMIA.
Ah! tant que le prince vivra, il trouvera un moyen de l'en empêcher.
Fallût-il se remarier à son âge, il en ferait la folie; fallût-il
supposer un enfant issu de ce mariage, il en aurait l'impudeur.
FRÈRE CÔME.
Qui le croirait?
SETTIMIA.
Nous sommes dans la misère; il est tout-puissant!
FRÈRE CÔME.
Mais, savez-vous ce qu'on dit? Une chose dont j'ose à peine vous parler,
tant je crains de vous donner une folle espérance.
SETTIMIA.
Quoi donc? Dites, frère Côme!
FRÈRE CÔME.
Eh bien, on dit que le jeune Gabriel est mort.
SETTIMIA.
Sainte Vierge! serait-il bien possible! Et Astolphe qui n'en sait
rien!... Il ne s'occupe jamais de ce qui devrait l'intéresser le plus au
monde.
FRÈRE CÔME.
Oh! ne nous réjouissons pas encore! Le vieux prince nie formellement le
fait. Il dit que son petit-fils voyage à l'étranger, et le prouve par
des lettres qu'il en reçoit de temps en temps.
SETTIMIA.
Mais ce sont peut-être des lettres supposées!
FRÈRE CÔME.
Peut-être! Cependant il n'y a pas assez longtemps que le jeune homme a
disparu pour qu'on soit fondé à le soutenir.
BARBE.
Le jeune homme a disparu?
FRÈRE CÔME.
Il avait été élevé à la campagne, caché à tous les yeux. On pouvait
croire qu'étant né d'un père faible et mort prématurément de maladie, il
serait rachitique et destiné à une fin semblable. Cependant, lorsqu'il
parut à Florence l'an passé, on vit un joli garçon bien constitué,
quoique délicat et svelte comme son père, mais frais comme une rose,
allègre, hardi, assez mauvais sujet, courant un peu le guilledou, et
même avec Astolphe, qui s'était lié avec lui d'amitié, et qui ne le
conduisait pas trop maladroitement à encourir la disgrâce du grand-père.
_(Settimia fait un geste d'étonnement.)_ Oh! nous n'avons pas su tout
cela. Astolphe a eu le bon esprit de n'en rien dire, ce qui ferait
croire qu'il n'est pas si fou qu'on le croit.
SETTIMIA, _avec fierté_.
Frère Côme, Astolphe n'aurait pas fait un pareil calcul! Astolphe est la
franchise même.
FRÈRE CÔME.
Cependant son mariage vous laisse bien des doutes sur sa véracité. Mais
passons.
SETTIMIA.
Oui, oui, racontez-moi ce que vous savez. Qui donc vous a dit tout cela?
FRÈRE CÔME.
Un des frères de notre couvent, qui arrive de Toscane, et avec qui j'ai
causé ce matin.
SETTIMIA.
Voyez un peu! Et nous ne savons rien ici de ce qui se passe, nous
autres! Eh bien?
FRÈRE CÔME.
Le jeune prince, ayant donc fait grand train dans la ville, disparut une
belle nuit. Les uns disent qu'il a enlevé une femme; d'autres, qu'il a
été enlevé lui-même par ordre de son grand-père, et mis sous clef dans
quelque château, en attendant qu'il se corrige de son penchant à la
débauche; d'autres enfin pensent que, dans quelque tripot, il aura reçu
une estocade qui l'aura envoyé _ad patres_, et que le vieux Jules cache
sa mort pour ne pas vous réjouir trop tôt et pour retarder autant que
possible le triomphe de la branche cadette. Voilà ce qu'on m'a dit; mais
n'y ajoutez pas trop de foi, car tout cela peut être erroné.
SETTIMIA.
Mais il peut y avoir du vrai dans tout cela, et il faut absolument le
savoir. Ah! mon Dieu! et Astolphe qui ne se remue pas!... Il faut qu'il
parte à l'instant pour Florence.
[Illustration: Et alors ce fat d'Antonio est venu avec son oeil aviné...
(Page 20.)]
SCÈNE II.
ASTOLPHE, LES PRÉCÉDENTS.
FRÈRE CÔME.
Justement, vous arrivez bien à propos; nous parlions de vous.
ASTOLPHE, _seulement_.
Je vous en suis grandement obligé. Ma mère, comment vous portez-vous
aujourd'hui?
SETTIMIA.
Ah! mon fils! je me sens ranimée, et, si je pouvais croire à ce qui a
été rapporté au frère Côme, je serais guérie pour toujours.
ASTOLPHE.
Le frère Côme peut être un grand médecin; mais je l'engagerai à se mêler
fort peu de notre santé à tous, de nos affaires encore moins.
FRÈRE CÔME.
Je ne comprends pas...
ASTOLPHE.
Bien. Je me ferai comprendre; mais pas ici.
SETTIMIA, _toute préoccupée et sans faire attention à ce que dit
Astolphe_.
Astolphe, écoute donc! Il dit que l'héritier de la branche aînée a
disparu, et qu'on le croit mort.
ASTOLPHE.
Cela est faux; il est en Angleterre, où il achève son éducation. J'ai
reçu une lettre de lui dernièrement.
SETTIMIA, _avec abattement_.
En vérité?
BARBE.
Hélas!
FRÈRE CÔME.
Adieu tous nos rêves!
ASTOLPHE.
Pieux sentiments! charitable oraison funèbre! Ma mère, si c'est là la
piété chrétienne comme l'enseigne le frère Côme, vous me permettrez de
faire schisme! Mon cousin est un charmant garçon, plein d'esprit et
de coeur. Il m'a rendu des services; je l'estime, je l'aime; et, s'il
venait à mourir, personne ne le regretterait plus profondément que moi.
FRÈRE CÔME, _d'un air malin_.
Ceci est fort adroit et fort spirituel!
ASTOLPHE.
Gardez vos éloges pour ceux qui en font cas.
SETTIMIA.
Astolphe, est-il possible? Tu étais lié avec ce jeune homme, et tu ne
nous en avais jamais parlé?
ASTOLPHE.
Ma mère, ce n'est pas ma faute si je ne puis pas dire toujours ce que je
pense. Vous avez autour de vous des gens qui me forcent à refouler mes
pensées dans mon sein. Mais aujourd'hui je serai très-franc, et je
commence. Il faut que ce capucin sorte d'ici pour n'y jamais reparaître.
SETTIMIA.
Bonté du ciel! Qu'entends-je? Mon fils parler de la sorte à mon
confesseur!
ASTOLPHE.
Ce n'est pas à lui que je daigne parler, ma mère, c'est à vous... Je
vous prie de le chasser à l'heure même.
SETTIMIA.
Jésus, vous l'entendez. Ce fils impie donne des ordres à sa mère!
ASTOLPHE.
Vous avez raison, je ne devais pas m'adresser à vous, Madame. Vous ne
savez pas et ne pouvez pas savoir... ce que je ne veux pas dire. Mais
cet homme me comprend. (_À frère Côme._) Or donc, je vous parle, puisque
j'y suis forcé. Sortez d'ici.
FRÈRE CÔME.
Je vois que vous êtes dans un accès de démence furieuse. Mon devoir est
de ne pas vous induire au péché en vous résistant.. Je me retire en
toute humilité, et je laisse à Dieu le soin de vous éclairer, au temps
et à l'occasion celui de me disculper de tout ce dont il vous plaira de
m'accuser.
SETTIMIA.
Je ne souffrirai pas que sous mes yeux, dans ma maison, mon confesseur
soit outragé et expulsé de la sorte. C'est vous, Astolphe, qui sortirez
de cet appartement et qui n'y rentrerez que pour me demander pardon de
vos torts.
ASTOLPHE.
Je vous demanderai pardon, ma mère, et à genoux si vous voulez; mais
d'abord je vais jeter ce moine par la fenêtre.
(_Frère Côme, qui avait repris son impudence, pâlit et recule jusqu'à la
porte. Settimia tombe sur une chaise prête à défaillir._)
BARBE, _lui frottant les mains_.
_Ave Maria!_ quel scandale! Seigneur, ayez pitié de nous!...
FRÈRE CÔME.
Jeune homme! que le ciel vous éclaire!
(_Astolphe fait un geste de menace. Frère Côme s'enfuit._)
[Illustration: Vous croyez qu'elle travaille... (Page 21).]
SCÈNE III.
SETTIMIA, BARBE, ASTOLPHE.
ASTOLPHE, _s'approchant de sa mère_.
Pour l'amour de moi, ma mère, reprenez vos sens. J'aurais désiré que
les choses se passassent moins brusquement, et surtout loin de votre
présence. Je me l'étais promis; mais cela n'a pas dépendu de moi: le
maintien cafard et impudent de cet homme m'a fait perdre le peu de
patience que j'ai.
(_Settimia pleure._)
BARBE.
Et que vous a-t-il donc fait, cet homme, pour vous mettre ainsi en
fureur?
ASTOLPHE.
Dame Barbe, ceci ne vous regarde pas. Laissez-moi seul avec ma mère.
BARBE.
Allez-vous donc me chasser de la maison, moi aussi?
ASTOLPHE _lui prend le bras et l'emmène vers la porte._
Allez dire vos prières, ma bonne femme, et n'augmentez pas, par votre
humeur revêche, l'amertume qui règne ici.
(_Barbe sort en grommelant_.)
SCÈNE IV
ASTOLPHE, SETTIMIA.
SETTIMIA, _sanglotant_.
Maintenant, me direz-vous, enfant dénaturé, pourquoi vous agissez de la
sorte?
ASTOLPHE.
Eh bien, ma mère, je vous supplie de ne pas me le demander. Vous savez
que je n'ai que trop d'indulgence dans le caractère, et que ma nature ne
me porte ni au soupçon ni à la haine. Aimez-moi, estimez-moi assez pour
me croire: j'avais des raisons de la plus haute importance pour ne pas
souffrir une heure de plus ce moine ici.
SETTIMIA.
Et il faut que je me soumette à votre jugement intérieur, sans même
savoir pourquoi vous me privez de la compagnie d'un saint homme qui
depuis dix ans a la direction de ma conscience? Astolphe, ceci passe les
limites de la tyrannie.
ASTOLPHE.
Vous voulez que je vous le dise? Eh bien, je vous le dirai pour faire
cesser vos regrets et pour vous montrer entre quelles mains vous aviez
remis les rênes de votre volonté et les secrets de votre âme. Ce
cordelier poursuivait ma femme de ses ignobles supplications.
SETTIMIA.
Votre femme est une impie. Il voulait la ramener au devoir, et c'est moi
qui l'avais invité à le faire.
ASTOLPHE.
O ma mère! vous ne comprenez pas, vous ne pouvez pas comprendre... votre
âme pure se refuse à de pareils soupçons!... Ce misérable brûlait pour
Gabrielle de honteux désirs, et il avait osé le lui dire.
SETTIMIA.
Gabrielle a dit cela? Eh bien, c'est une calomnie. Une pareille chose
est impossible. Je n'y crois pas, je n'y croirai jamais.
ASTOLPHE.
Une calomnie de la part de Gabrielle? Vous ne pensez pas ce que vous
dites, ma mère!
SETTIMIA.
Je le pense! je le pense si bien que je veux la confondre en présence du
frère Côme.
ASTOLPHE.
Vous ne feriez pas une pareille chose, ma mère! non, vous ne le feriez
pas!
SETTIMIA.
Je le ferai! nous verrons si elle soutiendra son imposture en face de ce
saint homme et en ma présence.
ASTOLPHE.
Son imposture? Est-ce un mauvais rêve que je fais? Est-ce de Gabrielle
que ma mère parle ainsi?. Que se passe-t-il donc dans le sein de cette
famille où j'étais revenu, plein de confiance et de piété, chercher
l'estime et le bonheur?
SETTIMIA.
Le bonheur! Pour le goûter, il faut le donner aux autres; et vous et
votre femme ne faites que m'abreuver de chagrins.
ASTOLPHE.
Moi! si vous m'accusez, ma mère, je ne puis que baisser la tête et
pleurer, quoique en vérité je ne me sente pas coupable; mais Gabrielle!
quels peuvent donc être les crimes de cette douce et angélique créature?
SETTIMIA.
Ah! vous voulez que je vous les dise'? Eh bien! je le veux, moi aussi;
car il y a assez longtemps que je souffre en silence, et que je porte
comme une montagne d'ennuis et de dégoûts sur mon coeur. Je la hais,
votre Gabrielle; je la hais pour vous avoir poussé et pour vous aider
tous les jours à me tromper en se faisant passer pour une fille de bonne
maison et une riche héritière, tandis qu'elle n'est qu'une intrigante
sans nom, sans fortune, sans famille, sans aveu, et, qui plus est, sans
religion! Je la hais, parce qu'elle vous ruine en vous entraînant à de
folles dépenses, à la révolte contre moi, à a la haine des personnes
qui m'entourent et qui me sont chères... Je la hais, parce que vous
la préférez à moi; parce qu'entre nous deux, s'il y a la plus légère
dissidence, c'est pour elle que vous vous prononcez, au mépris de
l'amour et du respect que vous me devez. Je la hais...
ASTOLPHE.
Assez, ma mère; de grâce, n'en dites pas davantage! vous la haïssez
parce que je l'aime, c'est en dire assez.
SETTIMIA, _pleurant_.
Eh bien! oui! je la hais parce que vous l'aimez, et vous ne m'aimez plus
parce que je la hais. Voilà où nous en sommes. Comment voulez-vous que
j'accepte une pareille préférence de votre part? Quoi! l'enfant qui me
doit le jour, que j'ai nourri de mon sein et bercé sur mes genoux, le
jeune homme que j'ai péniblement élevé, pour qui j'ai supporté toutes
les privations, à qui j'ai pardonné toutes les fautes; celui qui m'a
condamnée aux insomnies, aux angoisses, aux douleurs de toute espèce, et
qui, au moindre mot de repentir et d'affection, a toujours trouvé en moi
une inépuisable indulgence, une miséricorde infatigable: celui-là me
préfère une inconnue, une fille qui l'excite contre moi, une créature
sans coeur qui accapare toutes ses attentions, toutes ses prévenances,
et qui se tient tout le jour vis-à-vis de moi dans une attitude superbe,
sans daigner apercevoir mes larmes et mes déchirements, sans vouloir
répondre à mes plaintes et à mes reproches, impassible dans son orgueil
hypocrite, et dont le regard insolemment poli semble me dire à toute
heure:--Vous avez beau gronder, vous avez beau gémir, vous avez beau
menacer, c'est moi qu'il aime, c'est moi qu'il respecte, c'est moi qu'il
craint! Un mot de ma bouche, un regard de mes yeux, le feront tomber
à mes genoux et me suivre, fallût-il vous abandonner sur votre lit de
mort, fallût-il marcher sur votre corps pour venir à moi! Mon Dieu, mon
Dieu! et il s'étonne que je la déteste, et il veut que je l'aime! (_Elle
sanglote_). ASTOLPHE, _qui a écouté sa mère dans nu profond silence, les
bras croises sur sa poitrine_.
O jalousie de la femme! soif inextinguible de domination! Est-il
possible que tu viennes mêler ta détestable influence aux sentiments les
plus purs et les plus sacrés de la nature! Je te croyais exclusivement
réservée aux vils tourments des âmes lâches et vindicatives. Je t'avais
vue régner dans le langage impur des courtisanes; et, dans les ardeurs
brutales de la débauche, j'avais lutté moi-même contre les instincts
féroces qui me rabaissaient à mes propres yeux. Quelquefois aussi, ô
jalousie! je t'avais vue de loin avilir la dignité du lien conjugal
et mêler à la joie des saintes amours les discordes honteuses, les
ridicules querelles qui dégradent également celui qui les suscite et
celui qui les supporte. Mais je n'aurais jamais pensé que dans le
sanctuaire auguste de la famille, entre la mère et ses enfants (lien
sacré que la Providence semblé avoir épuré et ennobli jusque chez la
brute), tu osasses venir exercer tes fureurs! O déplorable instinct,
funeste besoin de souffrir et de faire souffrir! est-il possible que je
te rencontre jusque dans le sein de ma mère! (_Il cache son visage dans
ses mains et dévore ses larmes_.)
SETTIMIA _essuie les siennes et se lève_.
Mon fils, la leçon est sévère! Je ne sais pas jusqu'à quel point il
sied à un fils de la donner à sa mère; mais, de quelque part qu'elle me
vienne, je la recevrai comme une épreuve à laquelle Dieu me condamne.
Si je l'ai méritée de vous, elle est assez cruelle pour expier tous les
torts que vous pouvez avoir à me reprocher.
(_Elle veut se retirer_.)
ASTOLPHE, _tâchant de la retenir_. Pas ainsi, ma mère, ne me quittez pas
ainsi. Vous souffrez trop, et moi aussi!
SETTIMIA.
Laissez-moi me retirer dans mon oratoire, Astolphe. J'ai besoin d'être
seule et de demander à Dieu si je dois jouer ici le rôle d'une mère
outragée ou celui d'une esclave craintive et repentante. (_Elle sort_.)
SCÈNE V.
ASTOLPHE, _seul; puis_ GABRIELLE.
ASTOLPHE.
Orgueil! toute femme est ta victime, tout amour est la proie!....
excepté toi, excepté ton amour, ô ma Gabrielle!... ô ma seule joie, ô le
seul être généreux et vraiment grand que j'aie rencontré sur la terre!
GABRIELLE, _se jetant à son cou_.
Mon ami, j'ai tout entendu. J'étais là sous la fenêtre, assise sur le
banc. Je sais tout ce qui se passe maintenant dans la famille à cause de
moi. Je sais que je suis un sujet de scandale, une source de discorde,
un objet de haine.
ASTOLPHE.
O ma soeur! ô ma femme! depuis que je t'aime, je croyais qu'il ne
m'était plus possible d'être malheureux! Et c'est ma mère!...
GABRIELLE.
Ne l'accuse pas, mon bien-aimé, elle est vieille, elle est femme! Elle
no peut vaincre ses préjugés, elle ne peut réprimer ses instincts. Ne
te révolte pas contre des maux inévitables. Je les avais prévus dès le
premier jour, et je ne t'aurais fait pressentir, pour rien au monde, ce
qui t'arrive aujourd'hui. Le mal éclate toujours assez tôt.
ASTOLPHE.
O Gabrielle! tu as entendu ses invectives contre toi!... Si toute autre
que ma mère eût proféré la centième partie...
GABRIELLE.
Calme-toi! tout cela ne peut m'offenser; je saurai le supporter avec
résignation et patience. N'ai-je pas dans ton amour une compensation à
tous les maux? et pourvu que tu trouves dans le mien la force de subir
toutes les misères attachées à notre situation...
ASTOLPHE.
Je puis tout supporter, excepté de te voir avilie et persécutée.
GABRIELLE.
Ces outrages ne m'atteignent pas. Vois-tu, Astolphe, lu m'as fait
redevenir femme, mais je n'ai pas tout à fait renoncé à être homme. Si
j'ai repris les vêtements et les occupations de mon sexe, je n'en ai pas
moins conservé en moi cet instinct de la grandeur morale et ce calme de
la force qu'une éducation mâle a développés et cultivés dans mon sein.
Il me semble toujours que je suis quelque chose de plus qu'une femme, et
aucune femme ne peut m'inspirer ni aversion, ni ressentiment, ni colère.
C'est de l'orgueil peut-être; mais il me semble que je descendrais
au-dessous de moi-même, si je me laissais émouvoir par de misérables
querelles de ménage.
ASTOLPHE.
Oh! garde cet orgueil, il est bien légitime... Être adoré! tu es plus
grand à toi seul que tout ton sexe réuni. Rapportes-en l'honneur à ton
éducation si tu veux; moi, j'en fais honneur à ta nature, et je crois
qu'il n'était pas besoin d'une destinée bizarre et d'une existence en
dehors de toutes les lois pour que tu fusses le chef-d'oeuvre de la
création divine. Tu naquis douée de toutes les facultés, de toutes les
vertus, de toutes les grâces, et l'on te méconnaît! l'on te calomnie!...
GABRIELLE.
Que t'importe? Laisse passer ces orages; nos têtes sont à l'abri sous
l'égide sainte de l'amour. Je m'efforcerai d'ailleurs de les conjurer.
Peut-être ai-je eu des torts. J'aurais pu montrer plus de condescendance
pour des exigences insignifiantes en elles-mêmes. Nos parties de chasse
déplaisent, je puis bien m'en abstenir; on blâme nos idées sur la
tolérance religieuse, nous pouvons garder le silence à propos; on me
trouve trop élégante et trop futile, je puis m'habiller plus simplement
et m'assujettir un peu plus aux travaux du ménage.
ASTOLPHE.
Et voilà ce que je ne souffrirai pas. Je serais un misérable si
j'oubliais quel sacrifice tu m'as fait en reprenant les habits de ton
sexe et en renonçant à cette liberté, à celle vie active, à ces nobles
occupations de l'esprit dont tu avais le goût et l'habitude. Renoncer à
ton cheval? hélas! c'est le seul exercice qui ait préservé la santé
des altérations que ce changement d'habitudes commençait à me faire
craindre. Restreindre ta toilette? elle est déjà si modeste! et un peu
de parure relève tant ta beauté! Jeune homme, tu aimais les riches
habits, et tu donnais à nos modes fantasques une grâce et une poésie
qu'aucun de nous ne pouvait imiter. L'amour du beau, le sentiment de
l'élégance est une des conditions de ta vie, Gabrielle: tu étoufferais
sous le pesant vertugadin et sous le collet empesé de dame Barbe. Les
travaux du ménage gâteraient tes belles mains, dont le contact sur mon
front enlève tous les soucis et dissipe tous les nuages. D'ailleurs
que ferais-tu de tes nobles pensées et des poétiques élans de ton
intelligence au milieu des détails abrutissants et des prévisions
égoïstes d'une étroite parcimonie? Ces pauvres femmes les vantent par
amour-propre, et vingt fois le jour elles laissent percer le dégoût et
l'ennui dont elles sont abreuvées. Quant à renfermer tes sentiments
généreux et à te soumettre aux arrêts de l'intolérance, tu
l'entreprendrais en vain. Jamais ton coeur ne pourra se refroidir,
jamais tu ne pourras abandonner le culte austère de la vérité; et malgré
toi les éclairs d'une courageuse indignation viendraient briller au
milieu des ténèbres que le fanatisme voudrait étendre sur ton âme. Si
d'ailleurs toutes ces épreuves ne sont pas au-dessus de tes forces,
je sens, moi, qu'elles dépassent les miennes; je ne pourrais te voir
opprimée sans me révolter ouvertement. Tu as bien assez souffert déjà,
tu t'es bien assez immolée pour moi.
GABRIELLE.
Je n'ai pas souffert, je n'ai rien immolé; j'ai eu confiance en toi,
voilà tout. Tu sais bien que je n'étais pas assez faible d'esprit pour
ne pas accepter les petites souffrances que ces nouvelles habitudes
dont tu parles pouvaient me causer dans les premiers jours; j'avais des
répugnances mieux motivées, des craintes plus graves. Tu les as toutes
dissipées; je ne suis pas descendue comme femme au-dessous du rang où,
comme homme, ton amitié m'avait placée. Je n'ai pas cessé d'être ton
frère et ton ami en devenant ta compagne et ton amante; ne m'as-tu pas
fait des concessions, toi aussi? n'as-tu pas changé ta vie pour moi?
ASTOLPHE.
Oh! loue-moi de mes sacrifices! J'ai quitté le désordre dont j'étais
harassé, et la débauche qui de plus en plus me faisait horreur, pour un
amour sublime, pour des joies idéales! Et loue-moi aussi pour le respect
et la vénération que je te porte! J'avais en toi le meilleur des amis;
un soir Dieu fit un miracle et te changea en une maîtresse adorable: je
ne t'en aimai que mieux. N'est-ce pas bien charitable et bien méritoire
de ma part?
GABRIELLE.
Cher Astolphe, je vois que tu es calme: va embrasser et rassurer
ta mère, ou laisse-moi lui parler pour nous deux. J'adoucirai son
antipathie contre moi, je détruirai ses préventions; ma sincérité la
touchera, j'en suis sûre; il est impossible qu'elle ne soit pas aimante
et généreuse, elle est ta mère!...
ASTOLPHE.
Cher ange! oui, je suis calme. Quand je passe un instant près de toi,
tout orage s'apaise, et la paix des cieux descend dans mon âme. J'irai
trouver ma mère, je ferai acte de respect et de soumission, c'est tout
ce qu'elle demande; après quoi nous partirons d'ici; car le mal est sans
remède, je le sais, moi! Je connais ma mère, je connais les femmes, et
tu ne les connais pas, toi qui n'es pas à moitié homme et à moitié femme
comme tu le crois, mais un ange sous la forme humaine. Tu ferais ici de
vains efforts de patience et de vertu, on n'y croirait pas; et, si on y
croyait, on te serait d'autant plus hostile qu'on serait plus humilié
de ta supériorité. Tu sais bien que le coupable ne pardonne pas à
l'innocent les torts qu'il a eus envers lui; c'est une loi fatale de
l'orgueil humain, de l'orgueil féminin surtout, qui ne connaît pas les
secours du raisonnement et le frein de la force intelligente. Ma mère
est orgueilleuse avant tout. Elle fut toujours un modèle des vertus
domestiques; tristes vertus, crois-moi, quand elles ne sont inspirées
ni par l'amour ni par le dévouement. Pénétrée depuis longtemps de
l'importance de son rôle dans la famille et du mérite avec lequel
elle s'en est acquittée, elle songe beaucoup plus à maintenir ses
prérogatives qu'à donner du bonheur à ceux qui l'entourent. Elle est
de ces personnes qui passeront volontiers la nuit à raccommoder vos
chausses, et qui d'un mot vous briseront le coeur, pensant que la peine
qu'elles ont prise pour vous rendre un service matériel les autorise à
vous causer toutes les douleurs de l'âme.
GABRIELLE.
Astolphe! tu juges ta mère avec une bien froide sévérité. Hélas! je vois
que les meilleurs d'entre les hommes n'ont pour les femmes ni amour
profond ni estime complète. On avait raison quand on m'enseignait si
soigneusement dans mon enfance que ce sexe joue sur la terre le rôle le
plus abject et le plus malheureux!
ASTOLPHE.
O mon amie! c'est mon amour pour toi qui me donne le courage de juger
ma mère avec cette sévérité. Est-ce à toi de m'en faire un reproche?
T'ai-je donc autorisée à plaindre si douloureusement la condition où je
t'ai rétablie.
GABRIELLE, _l'embrassant avec effusion_.
Oh! non, mon Astolphe, jamais! Aussi je ne pense pas à moi quand je
parle avec cette liberté des choses qui ne me regardent pas. Permets-moi
pourtant d'insister en faveur de ta mère: ne la plonge pas dans le
désespoir, ne la quitte pas à cause de moi.
ASTOLPHE.
Si je ne le fais pas aujourd'hui, elle m'y forcera demain. Tu oublies,
ma chère Gabrielle, que tu es vis-à-vis d'elle dans une position
délicate, et que tu ne pourras jamais la satisfaire sur ce qu'elle a
tant à coeur de connaître: ton passé, ta famille, ton avenir.
GABRIELLE.
Il est vrai. Mon avenir surtout, qui peut le prévoir? dans quel
labyrinthe sans issue t'es-tu engagé avec moi?
ASTOLPHE.
Et quel besoin avons-nous d'en sortir? Errons ainsi toute notre vie,
sans nous soucier d'atteindre le but de la fortune et des honneurs. Ne
faisons-nous pas ensemble ce bizarre et délicieux voyage, qui n'aura
pour terme que la mort? N'es-tu pas à moi pour jamais? Eh bien,
qu'avons-nous besoin l'un ou l'autre d'être riche et de nous appeler
_prince de Bramante_? Mon petit prince, garde ton titre, garde ton
héritage, je n'en veux à aucun prix; et si le vieux Jules trouve dans
sa tortueuse cervelle quelque nouvelle invention cachée pour t'en
dépouiller, console-toi de n'être qu'une femme, pauvre, inconnue au
monde, mais riche de mon amour et glorieuse à mes yeux.
GABRIELLE.
Crains-tu que cela ne me suffise pas?
ASTOLPHE, _la pressant dans ses bras_.
Non, en vérité! je n'ai pas cette crainte. Je sens dans mon coeur comme
tu m'aimes.
QUATRIÈME PARTIE.
Dans une petite maison de campagne, isolée au fond des montagnes. Une
chambre très-simple, arrangée avec goût; des fleurs, des livres, des
instruments de musique.
SCÈNE PREMIÈRE.
GABRIELLE, _seule_.
_(Elle dessine et s'interrompt de temps en temps pour regarder à la
fenêtre.)_
Marc reviendra peut-être aujourd'hui. Je voudrais qu'il arrivât avant
qu'Astolphe fût de retour de sa promenade. J'aimerais à lui parler
seule, à savoir de lui toute la vérité. Notre situation m'inquiète
chaque jour davantage, car il me semble qu'Astolphe commence à s'en
tourmenter étrangement... Je me trompe peut-être. Mais quel serait le
sujet de sa tristesse? Le malheur s'est étendu sur nous insensiblement,
d'abord comme une langueur qui s'emparait de nos âmes, et puis comme une
maladie qui les faisait délirer, et aujourd'hui comme une agonie qui
les consume. Hélas! l'amour est-il donc une flamme si subtile, qu'à la
moindre atteinte portée à sa sainteté il nous quitte et remonte aux
cieux? Astolphe! Astolphe! tu as eu bien des torts envers moi, et tu as
fait bien cruellement saigner ce coeur, qui te fut et qui te se sera
toujours fidèle! Je t'ai tout pardonné, que Dieu te pardonne! Mais
c'est un grand crime d'avoir flétri un tel amour par le soupçon et la
méfiance: et tu en portes la peine; car cet amour s'est affaibli par sa
violence même, et tu sens chaque jour mourir en toi la flamme que tu
as trop attisée par la jalousie. Malheureux ami! c'est en vain que je
t'invite à oublier le mal que tu nous as fait à tous deux; tu ne le
peux plus! Ton âme a perdu la fleur de sa jeunesse magnanime; un secret
remords la contriste sans la préserver de nouvelles fautes. Ah! sans
doute il est dans l'amour un sanctuaire dans lequel on ne peut plus
rentrer quand on a fait un seul pas hors de son enceinte, et la barrière
qui nous séparait du mal ne peut plus être relevée. L'erreur succède à
l'erreur, l'outrage à l'outrage, l'amertume grossit comme un torrent
dont les digues sont rompues... Quel sera le terme de ses ravages? Mon
amour, à moi, peut-il devenir aussi sa proie? Succombera-t-il à la
fatigue, aux larmes, aux soucis rougeurs? Il me semble qu'il est encore
dans toute sa force, et que la souffrance ne lui a rien fait perdre.
Astolphe a été insensé, mais non coupable; ses torts furent presque
involontaires, et toujours le repentir les effaça. Mais s'ils devenaient
plus graves, s'il venait à m'outrager froidement, à m'imposer cette
captivité à laquelle je me dévoue pour accéder à ses prières...
pourrais-je le voir des mêmes yeux? pourrais-je l'aimer de la même
tendresse?... Est-ce que ses égarements n'ont pas déjà enlevé quelque
chose à mon enthousiasme pour lui?... Mais il est impossible
qu'Astolphe se refroidisse ou s'égare à ce point! C'est une âme noble,
désintéressée, généreuse jusqu'à l'héroïsme. Que ses défauts sont peu
de chose au prix de ses vertus!... Hélas! il fut un temps où il n'avait
point de défauts!... O Astolphe! que tu m'as fait de mal en détruisant
en mot l'idée de ta perfection _(On frappe.)_ Qui vient ici? C'est
peut-être Marc.
SCÈNE II.
MARC, GABRIELLE.
MARC, _botté et le fouet en main_.
Me voici de retour, signora, un peu fatigué; mais je n'ai pas voulu
prendre un instant de repos que je ne vous eusse rendu un compte exact
de mon message.
GABRIELLE.
Eh bien, mon vieux ami, comment as-tu laissé mon grand-père?
MARC.
Un peu mieux que je ne l'avais trouvé; mais bien malade encore, et
n'ayant pas, je pense, trois mois à vivre.
GABRIELLE.
A-t-il été bien irrité que je n'allasse point moi-même m'informer de ses
nouvelles?
MARC.
Un peu. Je lui ai dit, ainsi que cela était convenu, que votre
seigneurie s'était démis la cheville à la chasse, et qu'elle était
retenue sur son lit avec grand regret...
GABRIELLE.
Et il a demandé sans doute où j'étais?
MARC.
Sans doute, et j'ai répondu que vous étiez toujours à Cosenza. Sur quoi
il a répliqué: «Il est à Cosenza cette année comme il était l'année
dernière à Palerme, et il était alors à Palerme comme il était l'année
précédente à Gênes.» J'ai fait une figure très-étonnée, et, comme il me
croit parfaitement bête (c'est son expression), il a été complètement
dupe de ma bonne foi. «Comment, m'a-t-il dit, ne sais-tu pas où il va
depuis trois ans?--Votre altesse sait bien, ai-je répondu, que je garde
pendant ce temps le palais que monseigneur Gabriel occupe à Florence.
Aux environs de la Saint-Hubert, sa seigneurie part pour la chasse avec
quelques amis, tantôt les uns, tantôt les autres, et elle n'emmène que
ses piqueurs et son page. Je voudrais bien l'accompagner, mais elle me
dit comme cela: «Tu es trop vieux pour courir le cerf, mon pauvre Marc;
tu n'es plus bon qu'à garder la maison.» Et la vérité est...» Alors
monseigneur m'a interrompu... «Moi, j'ai ouï dire qu'il n'emmenait aucun
de ses domestiques, et qu'il partait toujours seul. Et l'on a remarqué
qu'Astolphe Bramante quittait toujours Florence vers le même temps.»
Quand j'ai vu le prince si bien informé, j'ai failli me déconcerter;
mais il me croit si simple, qu'il n'y a pas pris garde, et il a dit en
se tournant vers M. l'abbé Chiavari, votre précepteur: «L'abbé, tout
cela ne m'effraie guère. Il est bien évident qu'il y a de l'amour sous
jeu; mais ils sont plus embarrassés pour sortir d'affaire que je ne le
suis de les voir embarqués dans cette sotte intrigue.»
GABRIELLE.
Et l'abbé, qu'a-t-il répondu?
MARC.
Il a baissé les yeux en soupirant, et il a dit: _La femme_...
GABRIELLE.
Eh bien?
MARC.
_...Sera toujours femme!_ Son altesse jouait avec votre petit chien, et
semblait rire dans sa barbe blanche, ce qui m'a un peu effrayé; car,
lorsque le prince rumine quelque chose de sinistre, il a coutume de
sourire et de faire crier ce pauvre Mosca en lui tirant les oreilles.
GABRIELLE.
Et que t'a-t-il chargé de me dire?
MARC.
Il a parlé assez durement...
GABRIELLE.
Redis-le-moi sans rien adoucir.
MARC.
«Tu diras à ton seigneur Gabriel que, quelque plaisir qu'il prenne à la
chasse, ou quelque entorse qu'il ait au pied, il ait à venir prendre
mes ordres avant huit jours. Il a peu de temps à perdre, s'il veut me
retrouver vivant, et s'il veut que je lui fasse conférer légalement son
titre et son héritage, qui, après ma mort, pourraient fort bien lui être
contestés avec succès.»
GABRIELLE.
Que voulait-il dire? Pense-t-il qu'Astolphe veuille faire du scandale
pour rentrer dans ses droits?
MARC.
Il pense que le seigneur Astolphe a fortement la chose en tête; et si
j'osais dire à votre seigneurie ce que j'en pense, moi aussi...
GABRIELLE.
Tu n'en penses rien, Marc.
MARC.
Monseigneur veut me fermer la bouche. Il n'en est pas moins de mon
devoir de dire ce que je sais. Le seigneur Astolphe a fait venir l'été
dernier à Florence la nourrice de votre seigneurie, et lui a offert de
l'argent si elle voulait témoigner en justice de ce qu'elle sait et
comment les choses se sont passées à la naissance de votre seigneurie...
GABRIELLE.
On t'a trompé, Marc; cela n'est pas.
MARC.
La nourrice me l'a dit elle-même ces jours-ci au château de Bramante, et
m'a montré une belle bourse, bien ronde, que le seigneur Astolphe lui
a donnée pour se taire du moins sur sa proposition; car elle lui a nié
obstinément qu'elle eût nourri un enfant du sexe féminin.
GABRIELLE.
La trahison de cette femme est au plus offrant; car elle a été raconter
cela à mon grand-père, sans aucun doute?
MARC.
Je le crains.
GABRIELLE.
Qu'importe? Astolphe a fait sans doute cette démarche pour éprouver la
fidélité de mes gens.
MARC.
Quelle que soit l'intention du seigneur Astolphe, je crois qu'il serait
temps que votre seigneurie obéit aux intentions de son grand-père;
d'autant plus qu'au moment où je quittai le château l'abbé s'est
approché de moi furtivement et m'a glissé ceci à l'oreille: «Dis à
Gabriel, de la part d'un véritable ami, qu'il ne fasse pas d'imprudence;
qu'il vienne trouver son grand-père, et lui obéisse ou feigne de lui
obéir aveuglément; ou que, s'il ne se rend point à son ordre, il se
cache si bien, qu'il soit à l'abri d'une embûche. Il doit savoir que
le cas est grave, que l'honneur de la famille serait compromis par la
moindre démarche hasardée, et que dans un cas semblable le prince est
capable de tout.» Voilà, mot pour mot, ce que m'a dit votre précepteur;
et il vous est sincèrement dévoué, monseigneur.