GABRIELLE.
Je le crois. Je ne négligerai pas cet avertissement. Maintenant, va te
reposer, mon bon Marc; tu en as bien besoin.
MARC.
Il est vrai! Peut-être que, quand je me serai reposé, je retrouverai
dans ma mémoire encore quelque chose, quelque parole qui ne me revient
pas dans ce moment-ci. _(Il se retire. Gabrielle le rappelle.)_
GABRIELLE.
Écoute, Marc: si mon mari t'interroge, aie bien soin de ne pas lui
parler de la nourrice...
MARC.
Oh! je n'ai garde, monseigneur!
GABRIELLE.
Perds donc l'habitude de m'appeler ainsi! Quand nous sommes ici et que
je porte ces vêtements de femme, tout ce qui rappelle mon autre sexe
irrite Astolphe au dernier point.
MARC.
Eh! mon Dieu, je ne le sais que trop! Mais comment faire? Aussitôt que
je prends l'habitude d'appeler votre seigneurie _madame_, voilà que nous
partons pour Florence et qu'elle reprend ses habits d'homme. Alors j'ai
toujours le _madame_ sur les lèvres, et je ne commence à ne reprendre
l'habitude du _monseigneur_ que lorsque votre seigneurie reprend sa robe
et ses cornettes. _(Il sort.)_
SCÈNE III.
GABRIELLE.
Cette histoire de la nourrice est une calomnie. C'est une nouvelle ruse
de mon grand-père pour m'indisposer contre Astolphe. Il aura payé cette
femme pour faire à mon pauvre Marc un pareil conte, bien certain que
Marc me le rapporterait. Oh! non, Astolphe, non, ce genre de torts, tu
ne l'auras jamais envers moi! C'est toi qui m'as empêchée de démasquer
la supercherie qui me condamne à te frustrer publiquement des biens que
je te restitue en secret, et du titre auquel tu dédaignes de succéder.
C'est toi qui m'as défendu, avec toute l'autorité que donne un généreux
amour, de proclamer mon sexe et de renoncer aux droits usurpés que
l'erreur des lois me confère. Si tu avais eu le moindre regret de ces
choses, tu aurais eu la franchise de me le dire; car tu sais que, moi,
je n'en aurais eu aucun à te les céder. Dans ce temps-là je ne pensais
pas qu'il te serait jamais possible de me faire souffrir. J'avais une
confiance aveugle, enthousiaste!... A présent, j'avoue qu'il me serait
pénible de renoncer à être homme quand je veux; car je n'ai pas été
longtemps heureuse sous cet autre aspect de ma vie, qui est devenu notre
tourment mutuel. Mais, s'il le fallait pour te satisfaire, hésiterais-je
un moment? Oh! tu ne le crains pas, Astolphe, et tu n'agirais pas en
secret pour me forcer à des actes que ton simple désir peut m'imposer
librement! Toi, me tendre un piège! toi, traîner des complots contre
moi! Oh! non, non, jamais!... Le voici qui revient de la promenade; je
ne lui en parlerai même pas, tant j'ai peu besoin d'être rassurée sur
son désintéressement et sur sa franchise.
SCÈNE IV.
ASTOLPHE, GABRIELLE.
ASTOLPHE.
Eh bien, ma bonne Gabrielle, ton vieux serviteur est revenu. Je viens de
voir son cheval dans la cour. Quelles nouvelles t'a-t-il apportées de
Bramante?
GABRIELLE.
Selon lui, notre grand-père se meurt; mais, selon moi, il en a pour
longtemps encore. Ce n'est point un homme à mourir si aisément. Mais
désirons-nous donc sa mort? Quels que soient ses torts envers nous
deux (et je crois bien que les plus graves ont été envers celui qu'il
semblait favoriser au détriment de l'autre), nous ne hâterons point par
des voeux impies l'instant suprême où il lui faudra rendre un compte
sévère de la destinée de ses enfants. Puisse-t-il trouver là-haut un
juge aussi indulgent que nous, n'est-ce pas, Astolphe? Tu ne m'écoutes
pas?
ASTOLPHE.
Il est vrai; tu deviens chaque jour plus philosophe, Gabrielle; tu
argumentes du soir au matin comme un académicien de la Crusca. Ne
saurais-tu être femme, du moins pendant trois mois de l'année?
GABRIELLE, _souriant_.
C'est qu'il y a bien longtemps que ces trois mois-là sont passés,
Astolphe. Le premier trimestre eut bien trois mois, mais le second en
eut six, et l'an prochain je crains que, malgré nos conventions, le
trimestre n'envahisse toute l'année. Donne-moi le temps de m'habituer à
être aussi femme qu'il me faut l'être à présent pour te plaire. Jadis tu
n'étais pas si difficile avec moi, et je n'ai pas songé assez tôt à me
défaire de mon langage d'écolier. Tu aurais dû m'avertir, dès le premier
jour où tu m'as aimée, qu'un temps viendrait où il serait nécessaire de
me transformer pour conserver ton amour!
ASTOLPHE.
Ce reproche est injuste, Gabrielle! Mais quand il serait vrai, ne me
suis-je pas transformé, moi, pour mériter et conserver l'affection de
ton coeur?
GABRIELLE.
Il est vrai, mon cher ange, et je ne demande pas mieux que d'avoir tort.
J'essaierai de me corriger. ASTOLPHE _marche d'un air soucieux, puis
s'arrête et regarde Gabrielle avec attendrissement._ Pauvre Gabrielle!
Tu me fais bien du mal avec ton éternelle résignation.
GABRIELLE, _lui tendant la main_.
Pourquoi? Elle ne m'est pas aussi pénible que tu le penses.
ASTOLPHE _presse longtemps la main de Gabrielle contre ses lèvres, puis
se promène avec agitation_.
Je le sais! tu es forte, toi! Nul ne peut blesser en toi la
susceptibilité de l'orgueil. Les orages qui bouleversent l'âme d'autrui
ne peuvent ternir l'éclat du beau ciel où ta pensée s'épanouit libre
et fière! On chargerait aisément de fers tes bras dont une éducation
spartiate n'a pu détruire ni la beauté ni la faiblesse; mais ton âme est
indépendante comme les oiseaux de l'air, comme les flots de l'Océan; et
toutes les forces de l'univers réunies ne la pourraient faire plier, je
le sais bien!
GABRIELLE.
Au-dessus de toutes ces forces de la matière, il est une force divine
qui m'a toujours enchaînée à toi, c'est l'amour. Mon orgueil ne s'élève
pas au-dessus de cette puissance. Tu le sais bien aussi.
ASTOLPHE, _l'arrêtant_.
Oh! cela est vrai, ma bien-aimée! Mais n'ai-je rien perdu de cet amour
sublime qui ne se croyait le droit de me rien refuser?
GABRIELLE, _avec tendresse_.
Pourquoi l'aurais-tu perdu?
ASTOLPHE.
Tu ne t'en souviens pas, coeur généreux, ô vrai coeur d'homme! _(Il la
presse dans ses bras.)_
GABRIELLE.
Vois, mon ami, tu ne trouves pas de plus grand éloge à me faire que de
m'attribuer les qualités de ton sexe; et pourtant tu voudrais souvent me
rabaisser à la faiblesse du mien! Sois donc logique!
ASTOLPHE, _l'embrassant_.
Sais-je ce que je veux? Au diable la logique! Je t'aime avec passion!
GABRIELLE.
Cher Astolphe!
ASTOLPHE, _se laissant tomber à ses genoux_.
Tu m'aimes donc toujours?
GABRIELLE.
Tu le sais bien.
ASTOLPHE.
Toujours comme autrefois?
GABRIELLE.
Non plus comme autrefois, mais autant, mais plus peut-être.
ASTOLPHE.
Pourquoi pas comme autrefois? Tu ne me refusais rien alors!
GABRIELLE.
Et qu'est-ce que je te refuse à présent?
ASTOLPHE.
Pourtant il est quelque chose que tu vas me refuser si je me hasarde à
te le demander.
GABRIELLE.
Ah! perfide! tu veux m'entraîner dans un piège?
ASTOLPHE.
Eh bien, oui, je le voudrais.
GABRIELLE.
Je t'en supplie, pas de détours avec moi, Astolphe. Quand je te cède,
est-ce avec prudence, est-ce avec des restrictions et des garanties?
ASTOLPHE.
Oh! je hais les détours, tu le sais. Mon âme était si naïve! Elle était
aussi confiante, aussi découverte que la tienne. Mais, hélas! j'ai été
si coupable! J'ai appris à douter d'autrui en apprenant à douter de
moi-même.
GABRIELLE.
Oublie ce que j'ai oublié, et parle.
ASTOLPHE.
Le moment de retourner à Florence est venu. Consens à n'y point aller.
Tu détournes les yeux! Tu gardes le silence? Tu me refuses?
GABRIELLE, _avec tristesse_.
Non, je cède; mais à une condition: tu me diras le motif de la demande.
ASTOLPHE.
C'est me vendre trop cher la grâce que tu m'accordes; ne me demande pas
ce que je rougis d'avouer.
GABRIELLE.
Dois-je essayer de deviner, Astolphe? est-ce toujours le même motif
qu'autrefois? _(Astolphe fait un signe de tête affirmatif.)_ La
jalousie? _(Même signe d'Astolphe.)_
Eh quoi! encore! toujours! Mon Dieu, nous sommes bien malheureux,
Astolphe!
ASTOLPHE.
Ah! ne me dis pas cela! cache-moi les larmes qui roulent dans tes yeux,
ne me déchire pas le coeur! Je sens que je suis un lâche, et pourtant
je n'ai pas la force de renoncer à ce que tu m'accordes avec des yeux
humides, avec un coeur brisé!--Pourquoi m'aimes-tu encore, Gabrielle?
que ne me méprises-tu! Tant que tu m'aimeras, je serai exigeant, je
serai insensé, car je serai tourmenté de la crainte de te perdre. Je
sens que je finirai par là, car je sens le mal que je te fais. Mais je
suis entraîné sur une pente fatale. J'aime mieux rouler au bas tout
de suite, et, dès que tu me mépriseras, je ne souffrirai plus, je
n'existerai plus.
GABRIELLE.
O amour, tu n'es donc pas une religion? Tu n'as donc ni révélations, ni
lois, ni prophètes? Tu n'as donc pas grandi dans le coeur des hommes
avec la science el la liberté? Tu es donc toujours placé sous l'empire
de l'aveugle destinée sans que nous ayons découvert en nous-mêmes une
force, une volonté, une vertu pour lutter contre tes écueils, pour
échapper à tes naufrages? Nous n'obtiendrons donc pas du ciel un divin
secours pour te purifier en nous-mêmes, pour t'ennoblir, pour t'élever
au-dessus des instincts farouches, pour te préserver de tes propres
fureurs et te faire triompher de tes propres délires? Il faudra donc
qu'éternellement tu succombes dévoré par les flammes que tu exhales, et
que nous changions en poison, par notre orgueil et notre égoïsme, le
baume le plus pur et le plus divin qui nous ait été accordé sur la
terre?
ASTOLPHE.
Ah! mon amie, ton âme exaltée est toujours en proie aux chimères. Tu
rêves un amour idéal comme jadis j'ai rêvé une femme idéale. Mon rêve
s'est réalisé, heureux et criminel que je suis! Mais le tien ne se
réalisera pas, ma pauvre Gabrielle! Tu ne trouveras jamais un coeur
digne du tien; jamais tu n'inspireras un amour qui te satisfasse, car
jamais culte ne fut digne de ta divinité. Si les hommes ne connaissent
point encore le véritable hommage qui plairait à Dieu, comment veux-tu
qu'ils trouvent sur la terre ce grain de pur encens dont le parfum n'est
point encore monté vers le ciel? Descends donc de l'empyrée où tu égares
ton vol audacieux, et prends patience sous le joug de la vie. Élève
tes désirs vers Dieu seul, ou consens à être aimée comme une mortelle.
Jamais tu ne rencontreras un amant qui ne soit pas jaloux de toi,
c'est-à-dire avare de toi, méfiant, tourmenté, injuste, despotique.
GABRIELLE.
Crois-tu que je rêve l'amour dans une autre âme que la tienne?
ASTOLPHE.
Tu le devrais, tu le pourrais; c'est ce qui justifie ma jalousie et la
rend moins outrageante.
GABRIELLE.
Hélas! en effet, l'amour ne raisonne pas; car je ne puis rêver un amour
plus parfait qu'en le plaçant dans ton sein, et je sens que cet amour,
dans le coeur d'un autre, ne me toucherait pas.
ASTOLPHE.
Oh! dis-moi cela, dis-moi cela encore! répète-le-moi toujours! Va,
méconnais la raison, outrage l'équité, repousse la voix du ciel même si
elle s'élève contre moi dans ton âme; pourvu que tu m'aimes, je consens
à porter dans une autre vie toutes les peines que tu auras encourues
pour avoir eu la folie de m'aimer dans celle-ci.
GABRIELLE.
Non, je ne veux pas t'aimer dans l'ivresse et le blasphème. Je veux
t'aimer religieusement et t'associer dans mon âme à l'idée de Dieu, au
désir de la perfection. Je veux te guérir, te fortifier contre lui-même
et t'élever à la hauteur de mes pensées. Promets-moi d'essayer, et je
commence par te céder comme on fait aux enfants malades. Nous n'irons
point à Florence, je serai femme toute cette année, et, si tu veux
entreprendre le grand oeuvre de ta conversion au véritable amour, ma
tristesse se changera en un bonheur incomparable.
ASTOLPHE.
Oui, je le veux, ma femme chérie, et je te remercie à genoux de le
vouloir pour moi. Peux-tu douter qu'en ceci je ne sois pas ton esclave
encore plus que ton disciple?
GABRIELLE.
Tu me l'avais promis déjà bien des fois, et comme, au lieu de tenir ta
parole, tu abandonnais toujours ton âme à de nouveaux orages; comme, au
lieu d'être heureux et tranquille avec moi dans cette retraite ignorée
de tous où tu venais me cacher à tous les regards, mes concessions ne
servaient qu'à augmenter ta jalousie, et la solitude qu'à aggraver ta
tristesse, de mon côté je n'étais point heureuse; car je voyais toutes
mes peines perdues et tous mes sacrifices tourner à ta perte. Alors je
regrettais ces temps de répit où, sous l'habit d'un homme, je puis
du moins, grâce à l'or que me verse mon aïeul, t'entourer de nobles
délassements et de poétiques distractions?...
ASTOLPHE.
Oui, les premiers jours que nous passons à Florence ou à Pise ont
toujours pour moi de grands charmes. Je ne suis pas fait pour la
solitude et l'oisiveté de la campagne; je ne sais pas, comme toi,
m'absorber dans les livres, m'abîmer dans la méditation. Tu le sais
bien, en te ramenant ici chaque année, le tyran se condamne à plus de
maux que sa victime, et mes torts augmentent en raison de ma souffrance
intérieure. Mais, dans le tumulte du monde, quand tu redeviens le beau
Gabriel, recherché, admiré, choyé de tous, c'est encore une autre
souffrance qui s'empare de moi; souffrance moins lente, moins profonde
peut-être, mais violente, mais insupportable. Je ne puis m'habituer à
voir les autres hommes te serrer la main ou passer familièrement leur
bras sous le tien. Je ne veux pas me persuader qu'alors tu es un homme
toi-même, et qu'à l'abri de ta métamorphose tu pourrais dormir sans
danger dans leur chambre, comme tu dormis autrefois sous le même toit
que moi sans que mon sommeil en fût troublé. Je me souviens alors de
l'étrange émotion qui s'empara peu à peu de moi à tes côtés, combien je
regrettai que tu ne fusses pas femme, et comment, à force de désirer
que tu le devinsses par miracle, j'arrivai à deviner que tu l'étais en
réalité. Pourquoi les autres n'auraient-ils pas le même instinct, et
comment n'éprouveraient-ils pas en le voyant ce désordre inexprimable
que ton déguisement d'homme ne pouvait réprimer en moi? Oh! j'éprouve
des tortures inouïes quand Menrique pousse son cheval près du tien, ou
quand le brutal Antonio passe sa lourde main sur tes cheveux en disant
d'un air qu'il croit plaisant: «J'ai pourtant brûlé d'amour tout un soir
pour cette belle chevelure-là!» Alors je m'imagine qu'il a deviné notre
secret, et qu'il se plaît insolemment à me tourmenter par ses plates
allusions; je sens se rallumer en moi la fureur qui me transporta
lorsqu'il voulut t'embrasser à ce souper chez Ludovic; et, si je n'étais
retenu par la crainte de me trahir et de te perdre avec moi, je le
souffletterais.
GABRIELLE.
Comment peux-tu te laisser émouvoir ainsi, quand tu sais que ces
familiarités me déplaisent plus qu'à toi-même, et que je les réprimerais
d'une manière tout aussi masculine si elles dépassaient les bornes de la
plus stricte chasteté?
ASTOLPHE.
Je le sais et n'en souffre pas moins! et quelquefois je t'accuse
d'imprudence; je m'imagine que, pour te venger de mes injustices, tu te
fais un jeu de mes tourments; je t'outrage dans ma pensée... et c'est
beaucoup quand j'ai la force de ne pas te le laisser voir.
[Illustration: Le prince Jules de Bramante]
GABRIELLE.
Alors je vois que ta force est épuisée, que tu es près d'éclater, de te
couvrir de honte et de ridicule, ou de dévoiler ce dangereux secret; et
je me laisse ramener ici, où tu m'aimes pourtant moins, car, dans la
tranquille possession d'un objet tant disputé, il semble que ton amour
s'engourdisse et s'éteigne comme une flamme sans aliment.
ASTOLPHE.
Je ne puis le nier, Dieu me punit alors d'avoir manqué de foi. Je sens
bien que je ne t'aime pas moins: car, au moindre sujet d'inquiétude,
mes fureurs se rallument; puis, dans le calme, je suis saisi même à tes
côtés d'un affreux ennui. Tu me bénis, et il me semble que tu me hais.
La nuit je te serre dans mes bras, et je rêve que c'est un autre qui
te possède. Ah! ma bien-aimée, prends pitié de moi; je te confesse mon
désespoir, ne me méprise pas; écarte de moi cette malédiction, fais que
je t'aime comme tu veux être aimée!
GABRIELLE.
Que ferons-nous donc? Le monde avec moi t'exaspère, la solitude auprès
de moi te consume. Veux-tu te distraire pendant quelques jours? veux-tu
aller à Florence sans moi?
ASTOLPHE.
Il me semble parfois que cela me fera du bien; mais je sais qu'à peine
j'y serai, les plus affreux songes viendront troubler mon sommeil. Le
jour je réussirai à porter saintement ton image dans mon âme, la nuit je
te verrai ici avec un rival.
GABRIELLE.
Quoi! tu me soupçonnes à ce point? Enferme-moi dans quelque souterrain,
charge Marc de me passer mes aliments par un guichet, emporte les clefs,
fais murer la porte; peut-être seras-tu tranquille?
ASTOLPHE.
Non! un homme passera, te regardera par le soupirail, et rien qu'à te
voir il sera plus heureux que moi qui ne te verrai pas.
GABRIELLE.
Tu vois bien que la jalousie est incurable par ces moyens vulgaires.
Plus on lui cède, plus on l'alimente; la volonté seule peut en
guérir. Entreprends cette guérison comme on entreprend l'étude de la
philosophie. Tâche de moraliser ta passion.
ASTOLPHE.
Mais où donc as-tu pris la force de moraliser la tienne et de la
soumettre à ta volonté? Tu n'es pas jalouse de moi; tu ne m'aimes donc
que par un effort de ta raison ou de ta vertu?
[Illustration: Votre Altesse est une femme.... (Page 35.)]
GABRIELLE.
Juste ciel! où en serions-nous si je te rendais les maux que tu me
causes! Pauvre Astolphe! j'ai préservé mon âme de cette tentation, je
l'ai quelquefois ressentie, tu le sais! mais ton exemple m'avait fait
faire de sérieuses réflexions, et je m'étais juré de ne pas t'imiter.
Mais qu'as-tu? comme tu pâlis!
ASTOLPHE, _regardant par la fenêtre_.
Tiens, Gabrielle! qui est-ce qui entre dans la cour? Vois!
GABRIELLE, _avec indifférence_.
J'entends le galop d'un cheval. _(Elle regarde dans la cour.)_ Antonio,
il me semble! Oui, c'est lui. On dirait qu'il a entendu l'éloge que tu
faisais de lui, et il arrive avec l'à-propos qui le caractérise.
ASTOLPHE, _agité_.
Tu plaisantes avec beaucoup d'aisance... Mais que vient-il faire ici? Et
comment a-t-il découvert notre retraite?
GABRIELLE.
Le sais-je plus que toi?
ASTOLPHE, _de plus en plus agité_.
Mon Dieu! que sais-je!...
GABRIELLE, _d'un ton de reproche_.
Oh! Astolphe!....
ASTOLPHE, _avec une fureur concentrée_.
Ne m'engagiez-vous pas tout à l'heure à aller seul à Florence? Peut-être
Antonio est-il arrivé un jour trop tôt. On peut se tromper de jour et
d'heure quand on a peu de mémoire et beaucoup d'impatience...
GABRIELLE.
Encore! Oh! Astolphe! déjà tes promesses oubliées! déjà ma soumission
récompensée par l'outrage!
ASTOLPHE, _avec amertume_.
Se fâcher bien fort, c'est le seul parti à prendre quand on a fait une
gaucherie. Je vous conseille de m'accabler d'injures, je serai peut-être
encore assez sot pour vous demander pardon. Cela m'est arrivé tant de
fois!
GABRIELLE, _levant la main vers le ciel avec véhémence._
Oh! mon Dieu! grand Dieu! faites que je ne me lasse pas de tout ceci!
_(Elle sort, Astolphe la suit et l'enferme dans sa chambre, dont il met
la clef dans sa poche.)_
SCÈNE V.
MARC, ASTOLPHE.
MARC.
Seigneur Astolphe, le seigneur Antonio demande à vous voir. J'ai eu beau
lui dire que vous n'étiez pas ici, que vous n'y étiez jamais venu, que
j'avais quitté le service de mon maître... Quels mensonges ne lui ai-je
pas débités effrontément!... Il a soutenu qu'il vous avait aperçu dans
le parc, que pendant une heure il avait tourné autour des fossés pour
trouver le moyen d'entrer; qu'enfin il était venu chez vous, et qu'il
n'en sortirait pas sans vous voir.
ASTOLPHE.
Je vais à sa rencontre; toi, range ce salon, fais-en disparaître tout
ce qui appartient à ta maîtresse, et tiens-toi là jusqu'à ce que je
t'appelle! _(A part.)_ Allons! du courage! je saurai feindre; mais,
si je découvre ce que je crains d'apprendre, malheur à toi, Antonio!
malheur à nous deux, Gabrielle! _(Il sort.)_
SCÈNE VI.
MARC.
Qu'a-t-il donc? Comme il est agité! Ah! ma pauvre maîtresse n'est point
heureuse!
GABRIELLE, _frappant derrière la porte_.
Marc! ouvre-moi! vite! brise cette porte. Je veux sortir.
MARC.
Mon Dieu! qui a donc enfermé votre seigneurie? Heureusement j'ai la
double clef dans ma poche...
_(Il ouvre.)_
GABRIELLE, _avec un manteau et un chapeau d'homme_.
Tiens! prends cette valise, cours seller mon cheval et le tien. Je veux
partir d'ici à l'instant même.
MARC.
Oui, vous ferez bien! Le seigneur Astolphe est un ingrat, il ne songe
qu'à votre fortune... Oser vous enfermer!... Oh! quoique je suis bien
fatigué, je vous reconduirai avec joie au château de Bramante.
GABRIELLE.
Tais-toi, Marc, pas un mot contre Astolphe; je ne vais pas à Bramante.
Obéis-moi, si tu m'aimes; cours préparer les chevaux.
MARC.
Le mien est encore sellé, et le vôtre l'est déjà. Ne deviez-vous pas
vous promener dans le parc aujourd'hui? Il n'y a plus qu'à leur passer
la bride.
GABRIELLE.
Cours donc! _(Marc sort.)_ Vous savez, mon Dieu! que je n'agis point
ainsi par ressentiment, et que mon coeur a déjà pardonné; mais, à tout
prix, je veux sauver Astolphe de cette maladie furieuse. Je tenterai
tous les moyens pour faire triompher l'amour de la jalousie. Tous les
remèdes déjà tentés se changeraient en poison; une leçon violente,
inattendue, le fera peut-être réfléchir. Plus l'esclave plie, et plus
le joug se fait pesant; plus l'homme fait l'emploi d'une force injuste,
plus l'injustice lui devient nécessaire! Il faut qu'il apprenne l'effet
de la tyrannie sur les âmes fières, et qu'il ne pense pas qu'il est si
facile d'abuser d'un noble amour! Le voici qui monte l'escalier avec
Antonio. Adieu, Astolphe! puissions-nous nous retrouver dans des jours
meilleurs! Tu pleureras durant cette nuit solitaire! Puisse ton bon ange
murmurer à ton oreille que je t'aime toujours!
_(Elle referme la porte de sa chambre et en retire la clef; puis elle
sort par une des portes du salon, pendant qu'Astolphe entre par l'autre
suivi d'Antonio.)_
CINQUIÈME PARTIE.
A Rome, derrière le Colisée. Il commence à faire nuit.
SCÈNE PREMIÈRE.
GABRIEL, _en homme_.
_(Costume noir élégant et sévère, l'épée au côté. Il tient une lettre
ouverte.)_
Le pape m'accorde enfin cette audience, et en secret, comme je la lui
ai demandée! Mon Dieu! protège-moi, et fais qu'Astolphe du moins soit
satisfait de son sort! Je t'abandonne le mien, ô Providence, destinée
mystérieuse! _(Six heures sonnent à une église.)_ Voici l'heure du
rendez-vous avec le saint-père. O Dieu! pardonne-moi cette dernière
tromperie. Tu connais la pureté de mes intentions. Ma vie est une vie
de mensonge; mais ce n'est pas moi qui l'ai faite ainsi, et mon coeur
chérit la vérité!... _(Il agrafe son manteau, enfonce son chapeau sur
ses yeux, et se dirige vers le Colisée. Antonio, qui vient d'en sortir,
lui barre le passage.)_
SCÈNE II.
GABRIEL, ANTONIO.
ANTONIO, _masqué_.
Il y a assez longtemps que je cours après vous, que je vous cherche
et que je vous guette. Je vous tiens enfin; cette fois, vous ne
m'échapperez pas. _(Gabriel veut passer outre; Antonio l'arrête par le
bras.)_
GABRIEL, _se dégageant_.
Laissez-moi, monsieur, je ne suis pas des vôtres.
ANTONIO, _se démasquant_.
Je suis Antonio, votre serviteur et votre ami. J'ai à vous parler;
veuillez m'entendre.
GABRIEL.
Cela m'est tout à fait impossible. Une affaire pressante me réclame. Je
vous souhaite le bonsoir.
_(Il veut continuer; Antonio l'arrête encore.)_
ANTONIO.
Vous ne me quitterez pas sans me donner un rendez-vous et sans
m'apprendre votre demeure. J'ai eu l'honneur de vous dire que je voulais
vous parler en particulier.
GABRIEL.
Arrivé depuis une heure à Rome, j'en repars à l'instant même. Adieu.
ANTONIO.
Arrivé à Rome depuis trois mois, vous ne repartirez pas sans m'avoir
entendu.
GABRIEL.
Veuillez m'excuser; nous n'avons rien de particulier à nous dire, et je
vous répète que je suis pressé de vous quitter.
ANTONIO.
J'ai à vous parler d'Astolphe. Vous m'entendrez.
GABRIEL.
Eh bien, dans un autre moment. Cela ne se peut aujourd'hui.
ANTONIO.
Enseignez-moi donc votre demeure.
GABRIEL.
Je ne le puis.
ANTONIO.
Je la découvrirai.
GABRIEL.
Vous voulez m'entretenir malgré moi?
ANTONIO.
J'y parviendrai. Vous aurez plus tôt fini de m'entendre et ici à
l'instant même. J'aurai dit en deux mots.
GABRIEL.
Eh bien, voyons ces deux mots; je n'en écouterai pas un de plus.
ANTONIO.
Prince de Bramante, votre altesse est une femme. _(A part.)_ C'est cela!
payons d'audace!
GABRIEL, _à part_.
Juste ciel! Astolphe l'a dit! _(Haut.)_ Que signifie cette sottise?
J'espère que c'est une plaisanterie de carnaval?
ANTONIO.
Sottise? le mot est leste! Si vous n'étiez pas une femme, vous n'oseriez
pas le répéter.
GABRIEL.
Il ne sait rien! piège grossier! _(Haut.)_ Vous êtes un sot, aussi vrai
que je suis un homme.
ANTONIO.
Comme je n'en crois rien...
GABRIEL.
Vous ne croyez pas être un sot: je veux vous le prouver. _(Il lui donne
un soufflet.)_
ANTONIO.
Halte-là! mon maître! Si ce soufflet est de la main d'une femme, je le
punirai par un baiser; mais si vous êtes un homme, vous m'en rendrez
raison.
GABRIEL, _mettant l'épée à la main_.
Tout de suite.
ANTONIO _tire son épée_.
Un instant! Je dois vous dire d'abord ce que je pense; il est bon que
vous ne vous y mépreniez pas. En mon âme et conscience, depuis le jour
où pour la première fois je vous vis habillé en femme à un souper chez
Ludovic, je n'ai pas cessé de croire que vous étiez une femme. Votre
taille, votre figure, votre réserve, le son de votre voix, vos actions
et vos démarches, l'amitié ombrageuse d'Astolphe, qui ressemble
évidemment à l'amour et à la jalousie, tout m'a autorisé à penser que
vous n'étiez pas déguisé chez Ludovic et que vous l'êtes maintenant...
GABRIEL.
Monsieur, abrégeons; vous êtes fou. Vos commentaires absurdes
m'importent peu, nous devons nous battre; je vous attends.
ANTONIO.
Oh! un peu de patience, s'il vous plaît. Quoiqu'il n'y ait guère de
chances pour que je succombe, je puis périr dans ce combat; je ne veux
pas que vous emportiez de moi l'idée que j'ai voulu faire la cour à un
garçon, ceci ne me va nullement. De mon côté, je désire, moi, ne pas
conserver l'idée que je me bats avec une femme; car cette idée me
donnerait un trop grand désavantage. Pour remédier au premier cas, je
vous dirai que j'ai appris dernièrement, par hasard, sur votre famille,
des particularités qui expliqueraient fort bien une supposition de sexe
pour conserver l'héritage du majorat.
GABRIEL.
C'est trop, monsieur! Vous m'accusez de mensonge et de fraude. Vous
insultez mes parents! C'est à vous maintenant de me rendre raison.
Défendez-vous.
ANTONIO.
Oui, si vous êtes un homme, je le veux; car, dans ce cas, vous avez en
tout temps trop mal reçu mes avances pour que je ne vous doive pas une
leçon. Mais, comme je suis incertain sur votre sexe _(oui, sur mon
honneur! à l'heure où je parle, je le suis encore!)_, nous nous
battrons, s'il vous plaît, l'un et l'autre à poitrine découverte. _(Il
commence à déboutonner son pourpoint.)_ Veuillez suivre mon exemple.
GABRIEL.
Non, monsieur, il ne me plaît pas d'attraper un rhume pour satisfaire
votre impertinente fantaisie. Chercher à vous ôter de tels soupçons par
une autre voie que celle des armes serait avouer que ces soupçons ont
une sorte de fondement, et vous n'ignorez pas que faire insulte à un
homme parce qu'il n'est ni grand ni robuste est une lâcheté insigne.
Gardez votre incertitude, si bon vous semble, jusqu'à ce que vous ayez
reconnu, à la manière dont je me sers de mon épée, si j'ai le droit de
la porter.
ANTONIO, _à part_.
Ceci est le langage d'un homme pourtant!... _(Haut.)_ Vous savez que
j'ai acquis quelque réputation dans les duels?
GABRIEL.
Le courage fait l'homme, et la réputation ne fait pas le courage.
ANTONIO.
Mais le courage fait la réputation... Êtes-vous bien décidé?... Tenez!
vous m'avez donné un soufflet, et des excuses ne s'acceptent jamais
en pareil cas... pourtant je recevrai les vôtres si vous voulez m'en
faire... car je ne puis m'ôter de l'idée...
GABRIEL.
Des excuses? Prenez garde à ce que vous dites, monsieur, et ne me forcez
pas à vous frapper une seconde fois...
ANTONIO.
Oh! oh! c'est trop d'outrecuidance!... En garde!... Votre épée est plus
courte que la mienne. Voulez-vous que nous changions?
GABRIEL.
J'aime autant la mienne.
ANTONIO.
Eh bien, noua tirerons au sort...
GABRIEL.
Je vous ai dit que j'étais pressé; défendez-vous donc!
_(Il l'attaque.)_
ANTONIO, _à part, mais parlant tout haut_. Si c'est une femme, elle
va prendre la fuite!... _(Il se met en garde.)_ Non... Poussons-lui
quelques bottes légères... Si je lui fais une égratignure, il faudra
bien ôter le pourpoint... _(Le combat s'engage.)_ Mille diables! c'est
là le jeu d'un homme! Il ne s'agit plus de plaisanter, faites attention
à vous, prince! je ne vous ménage plus!
_(Ils se battent quelques instants; Antonio tombe grièvement blessé.)_
GABRIEL, _relevant son épée_.
Êtes-vous content, monsieur?
ANTONIO.
On le serait à moins! et maintenant il ne m'arrivera plus, je pense,
de vous prendre pour une femme!... On vient par ici, sauvez-vous,
prince!...
_(Il essaie de se relever.)_
GABRIEL.
Mais vous êtes très-mal!... Je vous aiderai...
ANTONIO.
Non; ceux qui viennent me porteront secours, et pourraient vous faire
un mauvais parti. Adieu! j'eus les premiers torts, je vous pardonne les
vôtres. Votre main?
GABRIEL.
La voici.
_(Ils se serrent la main. Le bruit des arrivants se rapproche, Antonio
fait signe à Gabriel de s'enfuir. Gabriel hésite un instant et
s'éloigne.)_
ANTONIO.
C'est pourtant bien là la main d'une femme! Femme ou diable, il m'a fort
mal arrangé!... Mais je ne me soucie pas qu'on sache cette aventure, car
le ridicule aussi bien que le dommage est de mon côté. J'aurai assez
de force pour gagner mon logis... Voilà pour moi un carnaval fort
maussade!... _(Il se traîne péniblement, et disparaît sous les arcades
du Colisée.)_
SCÈNE III.
ASTOLPHE, LE PRÉCEPTEUR.
ASTOLPHE, _en domino, le masque à la main_.
Je me fie à vous; Gabrielle m'a dit cent fois que vous étiez un honnête
homme. Si vous me trahissiez... qu'importe? je ne puis pas être plus
malheureux que je ne le suis.
LE PRÉCEPTEUR.
Je me dis à peu près la même chose. Si vous me trahissiez indirectement
en faisant savoir au prince que je m'entends avec vous, je ne pourrais
pas être plus mal avec lui que je ne le suis; car il ne peut pas douter
maintenant qu'au lieu de chercher à faire tomber Gabriel dans ses mains,
je ne songe à le retrouver que pour le soustraire à ses poursuites.
ASTOLPHE.
Hélas! tandis que nous la cherchons ici, Gabrielle est peut-être déjà
tombée en son pouvoir. Vieillard insensé! qu'espère-t-il d'un pareil
enlèvement? Cette captivité ne peut rien changer à notre situation
réciproque; elle ne peut pas non plus être de longue durée. Espère-t-il
donc échapper à la loi commune et vivre au delà du terme assigné par la
nature?
LE PRÉCEPTEUR.
Les médecins l'ont condamné il y a déjà six mois. Mais nous touchons à
la fin de l'hiver; et, s'il résiste aux derniers froids, il pourra bien
encore passer l'été.
ASTOLPHE.
Ce qu'il s'agit de savoir, c'est le lieu où Gabrielle est retirée
ou captive. Si elle est captive, fiez-vous à moi pour la délivrer
promptement.
LE PRÉCEPTEUR.
Dieu vous entende! Vous savez que le prince, si Gabriel n'est pas
retrouvé bientôt, est dans l'intention de vous citer comme assassin
devant le grand conseil?
ASTOLPHE.
Cette menace serait pour moi une preuve certaine que Gabriel est en son
pouvoir. Le lâche!
LE PRÉCEPTEUR.
J'ai des craintes encore plus graves...
ASTOLPHE.
Ne me les dites pas; je suis assez découragé depuis trois mois que je la
cherche en vain.
LE PRÉCEPTEUR.
La cherchez-vous bien consciencieusement, mon cher seigneur Astolphe?
ASTOLPHE, _avec amertume_.
Vous en doutez?
LE PRÉCEPTEUR.
Hélas! je vous rencontre en masque, courant le carnaval, comme si vous
pouviez prendre quelque amusement...
ASTOLPHE.
Vous autres instituteurs d'enfants, vous commencez toujours par le blâme
avant de réfléchir. Ne vous serait-il pas plus naturel de penser que
j'ai pris un masque et que je cours toute la ville pour chercher plus
à l'aise sans qu'on se défie de moi? Le carnaval fut toujours une
circonstance favorable aux amants, aux jaloux et aux voleurs.
LE PRÉCEPTEUR.
Ouvrez-moi votre âme tout entière, seigneur Astolphe; Gabrielle vous
est-elle aussi chère que dans les premiers temps de votre union?
ASTOLPHE.
Mon Dieu! qu'ai-je donc fait pour qu'on en doute? Vous voulez donc
ajouter à mes chagrins?
LE PRÉCEPTEUR.
Dieu m'en préserve! mais il m'a semblé, dans nos fréquents entretiens,
qu'il se mêlait à votre affection pour elle des pensées d'une autre
nature.
ASTOLPHE.
Lesquelles, selon vous?
LE PRÉCEPTEUR.
Ne vous irritez pas contre moi: je suis résolu à tout faire pour vous,
vous le savez; mais je ne puis vous prêter mon ministère ecclésiastique
et légal sans être bien certain que Gabrielle n'aura point à s'en
repentir. Vous voulez engager votre cousine à contracter avec vous, en
secret, un mariage légitime: c'est une résolution que, dans mes idées
religieuses, je ne puis qu'approuver; mais, comme je dois songer à tout
et envisager les choses sous leurs divers aspects, je m'étonne un peu
que, ne croyant pas à la sainteté de l'église catholique, vous ayez
songé à provoquer cet engagement, auquel Gabrielle, dites-vous, n'a
jamais songé, et auquel vous me chargez de la faire consentir.
ASTOLPHE.
Vous savez que je suis sincère, monsieur l'abbé Chiavari; je ne puis
vous cacher la vérité, puisque vous me la demandez. Je suis horriblement
jaloux. J'ai été injuste, emporté, j'ai fait souffrir Gabrielle, et vous
avez reçu ma confession entière à cet égard. Elle m'a quitté pour me
punir d'un soupçon outrageant. Elle m'a pardonné pourtant, et elle
m'aime toujours, puisqu'elle a employé mystérieusement plusieurs moyens
ingénieux pour me conserver l'espoir et la confiance. Ce billet que
j'ai reçu encore la semaine dernière, et qui ne contenait que ce mot:
_«Espère!»_ était bien de sa main, l'encre était encore fraîche.
Gabrielle est donc ici! Oh! oui, j'espère! je la retrouverai bientôt, et
je lui ferai oublier tous mes torts. Mais l'homme est faible, vous le
savez; je pourrai avoir de nouveaux torts par la suite, et je ne veux
pas que Gabrielle puisse me quitter si aisément. Ces épreuves sont trop
cruelles, et je sens qu'un peu d'autorité, légitimée par un
serment solennel de sa part, me mettrait à l'abri de ses réactions
d'indépendance et de fierté.
LE PRÉCEPTEUR.
Ainsi, vous voulez être le maître? Si j'avais un conseil à vous donner,
je vous dissuaderais. Je connais Gabriel: on a voulu que j'en fisse un
homme; je n'ai que trop bien réussi. Jamais il ne souffrira un maître;
et ce que vous n'obtiendrez pas par la persuasion, vous ne l'obtiendrez
jamais. Il était temps que mon préceptorat finit. Croyez-moi, n'essayez
pas de le ressusciter, et surtout ne vous en chargez pas. Gabriel
fuirait encore ce qu'il a déjà fait avec vous et avec moi; il ne vous
ôterait ni son affection ni son estime, mais il partirait un beau matin,
comme un aigle brise la cage à moineaux où on l'a enfermé.
ASTOLPHE.
Quoique Gabrielle ne soit guère plus dévote que moi, un serment serait
pour elle un lien invincible.
LE PRÉCEPTEUR.
Il ne vous en a donc jamais fait aucun?
ASTOLPHE.
Elle m'a juré fidélité à la face du ciel.
LE PRÉCEPTEUR.
S'il a fait ce serment, il l'a tenu, et il le tiendra toujours.
ASTOLPHE.
Mais elle ne m'a pas juré obéissance.
LE PRÉCEPTEUR.
S'il ne l'a pas voulu, il ne le voudra pas, il ne le voudra jamais.
ASTOLPHE.
Il le faudra bien pourtant; je l'y contraindrai.
LE PRÉCEPTEUR.
Je ne le crois pas.
[Illustration: Elle jette la bourse au mendiant... (Page 39.)]
ASTOLPHE.
Vous oubliez que j'en ai tous les moyens. Son secret est en ma
puissance.
LE PRÉCEPTEUR.
Vous n'en abuserez jamais, vous me l'avez dit.
ASTOLPHE.
Je la menacerai.
LE PRÉCEPTEUR.
Vous ne l'effraierez pas. Il sait bien que vous ne voudrez pas
déshonorer le nom que vous portez tous les deux.
ASTOLPHE.
C'est un préjugé de croire que la faute des pères rejaillisse sur les
enfants.
LE PRÉCEPTEUR.
Mais ce préjugé règne sur le monde.
ASTOLPHE.
Nous sommes au-dessus de ce préjugé, Gabrielle et moi...
LE PRÉCEPTEUR.
Votre intention serait donc de dévoiler le mystère de son sexe?
ASTOLPHE.
A moins que Gabrielle ne s'unisse à moi par des liens éternels.
LE PRÉCEPTEUR.
En ce cas il cédera; car ce qu'il redoute le plus au monde, j'en suis
certain, c'est d'être relégué par la force des lois dans le rang des
esclaves..
ASTOLPHE.
C'est vous, monsieur Chiavari, qui lui avez mis en tête toutes ces
folies, et je ne conçois pas que vous ayez dirigé son éducation dans ce
sens. Vous lui avez forgé là un éternel chagrin. Un homme d'esprit et
un honnête homme comme vous eût dû la détromper de bonne heure, et
contrarier les intentions du vieux prince.
LE PRÉCEPTEUR.
C'est un crime dont je me repens, et dont rien n'effacera pour moi le
remords; mais les mesures étaient si bien prises, et l'élève mordait si
bien à l'appât, que j'étais arrivé à me faire illusion à moi-même, et à
croire que cette destinée impossible se réaliserait dans les conditions
prévues par son aïeul.
ASTOLPHE.
Et puis vous preniez peut-être plaisir à faire une expérience
philosophique. Eh bien, qu'avez-vous découvert? Qu'une femme pouvait
acquérir par l'éducation autant de logique, de science et de courage
qu'un homme. Mais vous n'avez pas réussi à empêcher qu'elle eût un coeur
plus tendre, et que l'amour ne l'emportât chez elle sur les chimères
de l'ambition. Le coeur vous a échappé, monsieur l'abbé, vous n'avez
façonné que la tête.
LE PRÉCEPTEUR.
Ah! c'est là ce qui devrait vous rendre cette tête à jamais respectable
et sacrée! Tenez, je vais vous dire une parole imprudente, insensée,
contraire à la foi que je professe, aux devoirs religieux qui me sont
imposés. Ne contractez pas de mariage avec Gabrielle. Qu'elle vive et
qu'elle meure travestie, heureuse et libre à vos côtés. Héritier d'une
grande fortune, il vous y fera participer autant que lui-même. Amante
chaste et fidèle, elle sera enchaînée, au sein de la liberté, par votre
amour et le sien.
ASTOLPHE.
Ah! si vous croyez que j'ai aucun regret à mes droits sur cette fortune,
vous vous trompez et vous me faites injure. J'eus dans ma première
jeunesse des besoins dispendieux; je dépensai en deux ans le peu que mon
père avait possédé, et que la haine du sien n'avait pu lui arracher.
J'avais hâte de me débarrasser de ce misérable débris d'une grandeur
effacée. Je me plaisais dans l'idée de devenir un aventurier, presque un
lazzarone, et d'aller dormir, nu et dépouillé, au seuil des palais qui
portaient le nom illustre de mes ancêtres. Gabriel vint me trouver, il
sauva son honneur et le mien en payant mes dettes. J'acceptai ses dons
sans fausse délicatesse, et jugeant d'après moi-même à quel point son
âme noble devait mépriser l'argent. Mais dès que je le vis satisfaire
à mes dépenses effrénées sans les partager, j'eus la pensée de me
corriger, et je commençai à me dégoûter de la débauche; puis, quand
j'eus découvert dans ce gracieux compagnon une femme ravissante, je
l'adorai et ne songeai plus qu'à elle... Elle était prête alors à me
restituer publiquement tous mes droits. Elle le voulait; car nous
vécûmes chastes comme frère et soeur durant plusieurs mois, et elle
n'avait pas la pensée que je pusse avoir jamais d'autres droits sur
elle que ceux de l'amitié. Mais moi, j'aspirais à son amour. Le mien
absorbait toutes mes facultés. Je ne comprenais plus rien à ces mots de
puissance, de richesse et de gloire qui m'avaient fait faire en secret
parfois de dures réflexions. Je n'éprouvais même plus de ressentiment;
j'étais prêt à bénir le vieux Jules pour avoir formé cette créature si
supérieure à son sexe, qui remplirait mon âme d'un amour sans bornes,
et qui était prête à le partager. Dès que j'eus l'espoir de devenir son
amant, je n'eus plus une pensée, plus un désir pour d'autre que pour
elle; et quand je le fus devenu, mon être s'abîma dans le sentiment d'un
tel bonheur que j'étais insensible à toutes les privations de la misère.
Pendant plusieurs autres mois elle vécut dans ma famille, sans que
nous songeassions l'un ou l'autre à recourir à la fortune de l'aïeul.
Gabrielle passait pour ma femme, nous pensions que cela pourrait durer
toujours ainsi, que le prince nous oublierait, que nous n'aurions jamais
aucun besoin au delà de l'aisance très-bornée à laquelle ma mère nous
associait; et, dans notre ivresse, nous n'apercevions pas que nous
étions à charge et entourés de malveillance. Quand nous fîmes cette
découverte pénible, nous eûmes la pensée de fuir en pays étranger, et
d'y vivre de notre travail à l'abri de toute persécution. Mais Gabrielle
craignit la misère pour moi, et moi je la craignis pour elle. Elle eut
aussi la pensée de me réconcilier avec son grand-père et de m'associer à
ses dons. Elle le tenta à mon insu, et ce fut en vain. Alors elle revint
me trouver, et chaque année, depuis trois ans, vous l'avez vue passer
quelques semaines au château de Bramante, quelques mois à Florence ou à
Pise; mais le reste de l'année s'écoulait au fond de la Calabre, dans
une retraite sûre et charmante, où notre sort eût été digne d'envie si
une jalousie sombre, une inquiétude vague et dévorante, un mal sans nom
que je ne puis m'expliquer à moi-même, ne fût venu s'emparer de moi.
Vous savez le reste, et vous voyez bien que, si je suis malheureux
et coupable, la cupidité n'a aucune part à mes souffrances et à mes
égarements.
LE PRÉCEPTEUR.
Je vous plains, noble Astolphe, et donnerais ma vie pour vous rendre ce
bonheur que vous avez perdu; mais il me semble que vous n'en prenez pas
le chemin en voulant enchaîner le sort de Gabrielle au vôtre. Songez aux
inconvénients de ce mariage, et combien sa solidité sera un lien fictif.
Vous ne pourrez jamais l'invoquer à la face de la société sans trahir le
sexe de Gabrielle, et, dans ce cas-là, Gabrielle pourra s'y soustraire;
car vous êtes proches parents, et, si le pape ne veut point vous
accorder de dispenses, votre mariage sera annulé.
ASTOLPHE.
Il est vrai; mais le prince Jules ne sera plus, et alors quel si grand
inconvénient trouvez-vous à ce que Gabrielle proclame son sexe?
LE PRÉCEPTEUR.
Elle n'y consentira pas volontiers! Vous pourrez l'y contraindre, et
peut-être, par grandeur d'âme, n'invoquera-t-elle pas l'annulation de
ses engagements avec vous. Mais vous, jeune homme, vous qui aurez obtenu
sa main par une sorte de transaction avec elle, sous promesse verbale
ou tacite de ne point dévoiler son sexe, vous vous servirez pour l'y
contraindre de cet engagement même que vous lui aurez fait contracter.
ASTOLPHE.
A Dieu ne plaise, Monsieur! et je regrette que vous me croyiez capable
d'une telle lâcheté. Je puis, dans l'emportement de ma jalousie, songer
à faire connaître Gabrielle pour la forcer à m'appartenir; mais, du
moment qu'elle sera ma femme, je ne la dévoilerai jamais malgré elle.
LE PRÉCEPTEUR.
Et qu'en savez-vous vous-même, pauvre Astolphe? La jalousie est un
égarement funeste dont vous ne prévoyez pas les conséquences. Le titre
d'époux ne vous donnera pas plus de sécurité auprès de Gabrielle que
celui d'amant, et alors, dans un nouvel accès de colère et de méfiance,
vous voudrez la forcer publiquement à cette soumission qu'elle aura
acceptée en secret.
ASTOLPHE.
Si je croyais pouvoir m'égarer à ce point, je renoncerais sur l'heure à
retrouver Gabrielle, et je me bannirais à jamais de sa présence.
LE PRÉCEPTEUR.
Songez à le retrouver, pour le soustraire d'abord aux dangers qui le
menacent, et puis vous songerez à l'aimer d'une affection digne de lui
et de vous.
ASTOLPHE.
Vous avez raison, recommençons nos recherches; séparons-nous. Tandis
que, dans ce jour de fête, je me mêlerai à la foule pour tâcher d'y
découvrir ma fugitive, vous, de votre côté, suivez dans l'ombre les
endroits déserts, où quelquefois les gens qui ont intérêt à se cacher
oublient un peu leurs précautions, et se promènent en liberté.
Qu'avez-vous là sous votre manteau?
LE PRÉCEPTEUR, _posant Mosca sur le pavé_.
Je me suis fait apporter ce petit chien de Florence. Je compte sur lui
pour retrouver celui que nous cherchons. Gabriel l'a élevé; et cet
animal avait un merveilleux instinct pour le découvrir lorsque, pour
échapper à mes leçons, l'espiègle allait lire au fond du parc. Si Mosca
peut rencontrer sa trace, je suis bien sûr qu'il ne la perdra plus.
Tenez, il flaire... il va de ce côté... _(Montrant le Colisée.)_ Je le
suis. Il n'est pas nécessaire d'être aveugle pour se faire conduire par
un chien. _(Ils se séparent.)_
SCÈNE IV.
Devant un cabaret. Onze heures du soir. Des tables sont dressées sous
une tente décorée de guirlandes de feuillages et de lanternes de papier
colorié. On voit passer des groupes de masques dans la rue, et on entend
de temps à autre le son des instruments.
ASTOLPHE, _en domino bleu_; FAUSTINA, _en domino rose_.
_(Ils sont assis à une petite table et prennent des sorbets. Leurs
masques sont posés sur la table.)_
UN PERSONNAGE, _en domino noir, et masqué_.
_(Il est assis à quelque distance à une autre table, et lit un papier.)_
FAUSTINA, _à Astolphe_.
Si ta conservation est toujours aussi enjouée, j'en aurai bientôt assez,
je t'en avertis.
ASTOLPHE.
Reste, j'ai à te parler encore.
FAUSTINA.
Depuis quand suis-je à tes ordres? Sois aux miens si tu veux tirer de
moi un seul mot.
ASTOLPHE.
Tu ne veux pas me dire ce qu'Antonio est venu faire à Rome. C'est que tu
ne le sais pas; car tu aimes assez à médire pour ne pas te faire prier
si tu savais quelque chose.
FAUSTINA.
S'il faut en croire Antonio, ce que je sais t'intéresse
très-particulièrement.
ASTOLPHE.
Mille démons! tu parleras, serpent que tu es! _(Il lui prend
convulsivement le bras.)_
FAUSTINA.
Je te prie de ne pas chiffonner mes manchettes. Elles sont du point le
plus beau. Ah! tout inconstant qu'il est, Antonio est encore l'amant
le plus magnifique que j'aie eu, et ce n'est pas toi qui me ferais un
pareil cadeau. _(Le domino noir commence à écouter.)_
ASTOLPHE, _lui passant un bras autour de la taille._
Ma petite Faustina, si tu veux parler, je t'en donnerai une robe tout
entière; et, comme tu es toujours jolie comme un ange, cela te siéra à
merveille.
FAUSTINA.
Et avec quoi m'achèteras-tu cette belle robe? Avec l'argent de ton
cousin? _(Astolphe frappe du poing sur la table.)_ Sais-tu que c'est
bien commode d'avoir un petit cousin riche à exploiter?
ASTOLPHE.
Tais-toi, rebut des hommes, et va-t'en! tu me fais horreur!
FAUSTINA.
Tu m'injuries? Bon! tu ne sauras rien, et j'allais tout te dire.
ASTOLPHE.
Voyons, à quel prix mets-tu ta délation? _(Il tire une bourse et la pose
sur la table.)_
FAUSTINA.
Combien y a-t-il dans la bourse?
ASTOLPHE.
Deux cents louis... Mais si ce n'est pas assez... _(Un mendiant se
présente.)_
FAUSTINA.
Puisque tu es si généreux, permets-moi de faire une bonne action à tes
dépens! _(Elle jette la bourse au mendiant.)_
ASTOLPHE.
Puisque tu méprises tant cette somme, garde donc ton secret! Je ne suis
pas assez riche pour le payer.
FAUSTINA.
Tu es donc encore une fois ruiné, mon pauvre Astolphe? Eh bien! moi,
j'ai fait fortune. Tiens! _(Elle tire une bourse de sa poche.)_
Je veux te restituer tes deux cents louis. J'ai eu tort de les jeter aux
pauvres. Laisse-moi prendre sur moi cette oeuvre de charité; cela me
portera bonheur, et me ramènera peut-être mon infidèle.
ASTOLPHE, _repoussant la bourse avec horreur_.
C'est donc pour une femme qu'il est ici? Tu en es certaine?
FAUSTINA.
Beaucoup trop certaine!
ASTOLPHE.
Et tu la connais, peut-être?
FAUSTINA.
Ah! voilà le hic! Fais apporter d'autres sorbets, si toutefois il te
reste de quoi les payer. _(A un signe d'Astolphe on apporte un plateau
avec des glaces et des liqueurs.)_
ASTOLPHE.
J'ai encore de quoi payer tes révélations, dussé-je vendre mon corps
aux carabins; parle... _(Il se verse des liqueurs et boit avec
préoccupation.)_
FAUSTINA.
Vendre ton corps pour un secret? Eh bien, soit: l'idée est charmante: je
ne veux de toi qu'une nuit d'amour. Cela t'étonne? Tiens, Astolphe,
je ne suis plus une courtisane; je suis riche, et je suis une femme
galante. N'est-ce pas ainsi que cela s'appelle? Je t'ai toujours aimé,
viens enterrer le carnaval dans mon boudoir.
ASTOLPHE.
Étrange fille! tu te donneras donc pour rien une fois dans ta vie? _(Il
boit.)_
FAUSTINA.
Bien mieux, je me donnerai en payant, car je te dirai le secret
d'Antonio! Viens-tu? _(Elle se lève.)_
ASTOLPHE, _se levant_.
Si je le croyais, je serais capable de te présenter un bouquet et de
chanter une romance sous tes fenêtres.