Tu vas donc chez la reine? c'est fort bien, tu es encore trop jeune
pour que cela tire à conséquence; mais, à mesure que tu grandiras, tu
réfléchiras aux conséquences des liaisons avec les aristocrates. Je
crois bien que tu n'es pas très lié avec Sa Majesté et que tu n'es
invité que comme faisant partie de la classe de Montpensier. Mais, si
tu avais dix ans de plus, tes opinions te défendraient d'accepter ces
invitations.
Dans aucun cas un homme ne doit dissimuler, pour avoir les faveurs de
la puissance, et les amusements que Montpensier t'offre sont déjà des
faveurs. Songes-y! Heureusement elles ne t'engagent à rien; mais, s'il
arrivait qu'on te fît, devant lui, quelque question sur tes opinions,
tu répondrais, j'espère, comme il convient à un enfant, que tu ne peux
pas en avoir encore; tu ajouterais, j'en suis sûre, comme il convient
à un homme, que tu es républicain de race et de nature; c'est-à-dire
qu'on t'a enseigné déjà à désirer l'égalité, et que ton coeur se sent
disposé à ne croire qu'à cette justice-là. La crainte de mécontenter
le prince ne t'arrêterait pas, je pense. Si, pour un dîner ou un bal,
tu étais capable de le flatter, ou seulement si tu craignais de lui
déplaire par ta franchise, ce serait déjà une grande lâcheté.
Il ne faut pourtant jamais d'arrogance déplacée. Si tu allais dire,
devant cet enfant, du mal de son père, ce serait un espèce de crime.
Mais, si, pour être bien vu de lui, tu lui en disais du bien, lorsque
tu sais qu'il n'y a que du mal à en dire, tu serais capable de vendre
un jour ta conscience pour de l'argent, des plaisirs ou des vanités.
Je sais que cela ne sera pas; mais je dois te montrer les
inconvénients des relations avec ceux qui se regardent comme
supérieurs aux autres, et à qui la société donne, en effet, de
l'autorité sur vous.
Garde-toi donc de croire qu'un prince soit, par nature, meilleur et
plus utile à écouter qu'un autre homme. Ce sont, au contraire, nos
ennemis naturels, et, quelque bon que puisse être l'enfant d'un roi,
il est destiné à être tyran. Nous sommes destinés à être avilis,
repoussés ou persécutés par lui.
Ne te laisse donc pas trop éblouir par les bons dîners et par les
fêtes. Sois un _vieux Romain_ de bonne heure, c'est-à-dire, fier,
prudent, sobre, ennemi des plaisirs qui coûtent l'honneur et la
sincérité.
Bonsoir, mon ange; écris-moi. Aime ton vieux George, qui t'aime plus
que sa vie.
CXXXIX
A MADAME D'AGOULT, A GENÈVE
26 février 1836.
Je ne vous écris qu'un mot à la hâte, chère bonne et belle Marie. Je
suis accablée d'affaires, de travail et de courses. Je vous écris
d'une chambre d'auberge, ne sachant quand je retrouverai un quart
d'heure de loisir. Ainsi prenez que ceci n'est rien, qu'un signe et un
regard de tendresse jeté en courant à quelqu'un qu'on voudrait
embrasser, mais dont le galop de votre cheval vous éloigne.
Votre grande lettre est charmante et bonne comme celle d'un ange.
Votre seconde lettre est encore mieux, sauf qu'il s'y trouve un
_madame_, dont je ne veux pas. Vous me parlez de coeur et de bourse.
Non, cela n'est pas inconvenant; l'offrir ou l'accepter est le plus
saint privilège de l'amitié, la plus sûre marque de l'antique loyauté.
Si j'avais besoin de pain, j'en recevrais de vous, et vous seriez
encore la plus obligée de nous deux; car vous êtes capable d'offrir au
premier mendiant venu, et, moi, je ne suis capable d'en accepter que
de bien peu de mains.
Je n'irai pas en Chine avec vous, quoique je le fisse de bien bon
coeur, si je le pouvais. Mais j'ai mes enfants qui m'attachent à ce
sol de France. Je ne pourrai plus m'absenter que pour quelques
semaines.
Grâce à Dieu, j'ai gagné mon procès et j'ai mes deux enfants à moi. Je
ne sais si c'est fini. Mon adversaire peut en appeler et prolonger mes
ennuis. Mais je serai toujours libre au printemps et, si vous n'êtes
pas partie, j'irai vous voir en Suisse.
Écrivez donc sur le sort des femmes et sur leurs droits; écrivez
hardiment et modestement, comme vous sauriez le faire, vous. Madame
Allart vient de faire une brochure où il y a réellement des choses
fortes, belles et vraies. Moi, je suis trop ignare pour écrire autre
chose que des contes, et je n'ai pas la force de m'instruire.
Vous me parlez de Beautin, de Marphyrius et de Jouffroy. Je n'ai
jamais entendu parler de ces gens-là. Je n'ai rien lu de ma vie, je ne
sais que ce que j'ai vu matériellement. En lisant votre lettre, je
m'_étonnais_ (le mot est modeste) de votre incommensurable supériorité
sur moi. Faites-en donc profiter le monde, vous le devez. Franz doit
vous y engager; moi, je vous en supplie.
Bonjour, ma douce et belle cénobite. Je vous écrirai une longue lettre
bien bête, et bien bonne enfant, à la première journée de repos et de
liberté que j'aurai.
Je vous aime tendrement, quoique vous soyez capable de m'empoisonner.
Heureusement que je n'ai pas peur de M. Franz, et que, s'il avait une
pareille idée, je le tuerais d'une chiquenaude. Il est vrai que vous
me tueriez après, et que je n'en serais pas plus avancée. Espérons que
la destinée nous préservera de ces catastrophes étranges, que
Ballanche appellerait... Ah! ma foi, je ne me souviens plus du mot.
Dites à Franz que j'ai lu _Orphée_ ces jours-ci, et que je suis tombée
dans des extases incroyables. C'est le premier ouvrage de Ballanche
que je lis. Je ne comprends pas tout; mais ce que je comprends
m'enchante. On prétend ici que cela me rendra tout à fait imbécile. Je
ne demande pas mieux, pourvu que vous ne m'abandonniez pas dans le
malheur.
Mille tendresses.
CXL
A M. EUGÈNE PELLETAN, A PARIS
Bourges, 28 février 1836.
J'ai reçu votre lettre hier seulement. Je n'habite point Paris, et je
n'habite rien les trois quarts de l'année.
Vous avez prodigieusement d'esprit, d'imagination et de talent. Mais
votre simplicité est plus affectée que réelle.
Travaillez, vous êtes déjà poète, si, pour l'être, il suffit de faire
très bien les vers. S'il y faut quelque chose de plus, vous êtes
capable de l'acquérir.--Faites-vous imprimer quand vous l'aurez
acquis.
La plastique vous manque, vous le savez; cherchez-la en tout. Byron et
Goethe ne s'en sont pas affranchis dans leurs plus fougueuses
compositions.
Ne soyez d'aucune école, n'imitez aucun modèle. Ceux qui posent comme
tels envient presque toujours les qualités du talent qu'ils censurent
et éteignent chez leurs adeptes.
Fuyez Paris, c'est le tombeau des poètes et des artistes. Tout y est
_chic_.
_Le troupeau blanc des flots_ est admirable.
_De l'or avec du fer_ est détestable.
... _Rien faire qui vaille un sou_ n'aura jamais de grâce ni de sens.
... _De tout... de rien, du prix des moutons cette année_ est naïf et
charmant, etc., etc.
Ne soyez pas un composé de noble et de plat, de grand et d'étriqué.
Soyez correct, c'est plus rare que d'être excentrique par le temps qui
court. Plaire par le mauvais goût est devenu plus commun que de
recevoir la croix d'honneur.
Hugo, le plus grand novateur de notre temps, n'a pas triomphé de ces
bons classiques dont il s'est moqué, quoiqu'en mille endroits il ait
été plus grand qu'eux. Les beautés de détail ne sont rien sans
l'ensemble.
Vivant comme je vis, je ne puis vous voir; mais je m'intéresse à vous.
Cela vous est dû. Je vous souhaite et vous prédis de l'avenir, si vous
êtes sévère envers vous-même, et patient. Si je puis vous obliger je
le ferai de bon coeur. Mais soyez sûr que, si vous produisez une bonne
oeuvre, vous n'aurez besoin de personne. Soyez sûr, au contraire, que
toutes les amitiés littéraires ne feront pas un vrai succès à une
production négligée.
Tout à vous.
GEORGE SAND.
CXLI
A M ADOLPHE GUÉROULT, A PARIS
La Châtre, mars 1836.
Mon ami
J'admire beaucoup vos perplexités à propos du titre que vous devez me
donner. Il me semble que je m'appelle George et que je suis votre ami,
ou votre amie, comme vous voudrez. Je n'entends rien aux compliments.
Si je n'avais pas pour vous estime, attachement et confiance, je ne
vous aurais pas témoigné confiance, estime et attachement. Après cela,
je ne sais plus ce qui peut vous gêner, et vous prie de vous souvenir
que je ne suis pas _bégueule_. Ainsi appelez-moi comme il vous plaira;
mais écrivez-moi pour me parler de vous et de mes mioches. Merci mille
fois de l'amitié que vous leur accordez. Ils n'en sentent pas le prix
maintenant; mais j'acquitterai leur dette d'affection et de
reconnaissance tant que je vivrai.
Ils sortiront tous deux aux vacances de Pâques, et vous serez à même
de voir Maurice chez Buloz. Emmenez-le quelquefois promener avec vous
pour décharger Buloz d'un si lourd fardeau, et rendez-moi bon compte
de la conduite de monsieur mon fils. Morigénez-le paternellement;
c'est un bon diable qui vous comprendra si vous lui parlez raison.
Solange est impayable avec son poignard dans le coeur ou dans
l'estomac. Je pense que ce dernier organe est celui qui joue le plus
grand rôle dans sa vie. Elle découchera, je crois, pour les fêtes de
Pâques, et ma tante de l'Élysée-Bourbon[1] se chargera d'elle; car il
faut, par respect pour les moeurs, qu'elle ait son domicile chez des
femmes.
Serez-vous assez bon pour conduire son frère auprès d'elle quand il
voudra et pour le ramener chez Buloz ensuite, ou au moins pour
surveiller ses allées: et venues, de manière qu'il ne soit qu'avec des
personnes sûres, qui ne le perdront pas en chemin. Je compte sur vous,
sur Papet, sur Boucoiran et sur Buloz.
Je ne puis, quelque chagrin que j'éprouverai à vous perdre pour
longtemps peut-être, vous dissuader du voyage en Égypte. Voyager,
c'est apprendre; savoir, c'est exister. Vous n'irez pas en Orient et
vous n'en reviendrez pas sans avoir acquis beaucoup de connaissances
qui vous feront très supérieur à ce que vous êtes déjà. Les gens du
monde et les femmes voyagent sans fruit; il n'en sera pas ainsi de
vous. Vous observerez, vous verrez différentes races d'hommes,
différents modes d'organisation sociale. Vous ne négligerez pas
d'apprendre leur histoire, si vous ne la savez déjà, et d'examiner
leurs penchants, leurs habitudes.
Vous saurez tout cela, et, quelque talent, quelque mérite que je vous
reconnaisse, vous ne changerez pas la face du monde d'une manière bien
importante ou bien utile. J'ai mes idées là-dessus. Je n'espère ni ne
désire vous les faire partager; car ce sont des idées qui font
souffrir ceux qui les ont et qui ne servent à rien pour les autres.
Mais je suis sûre que vous reviendrez plus avancé, plus rempli, par
conséquent plus calme et plus apte aux choses réelles.
Le seul inconvénient que je voie à cette détermination, c'est qu'un
séjour nouveau avec des chefs saint-simoniens augmentera en vous le
sentiment de fanatisme pour des hommes et des noms propres. Je n'aime
pas ce sentiment, je le trouve petit, ravalant et niais. Je l'éprouve
souvent, et il n'y a pas vingt-quatre heures que j'ai eu une forte
lutte à soutenir contre moi-même pour m'en défendre, en présence d'un
homme politique d'un très grand aspect.
Je ne me suis enrôlée sous le drapeau d'aucun meneur, et, tout en
conservant estime, respect et admiration pour tous ceux qui professent
noblement une religion, je reste convaincue qu'il n'y a pas sous le
ciel d'homme qui mérite qu'on plie le genou devant lui. Mettez-vous au
service d'une idée, et non pas au pouvoir d'Enfantin. Les idées se
modifient et s'élargissent en présence de la vérité. Les systèmes
rêvés par des individus sont toujours arrêtés au beau milieu du
progrès par la fantaisie, l'erreur ou l'impuissance du Créateur, qui
ne veut pas de rébellion chez ses créatures. Prenez bien garde à cela.
J'ai causé avec les saint-simoniens, avec les carlistes, avec
Lamennais, avec Coëssin, avec le juste milieu, et, hier, avec
Robespierre en personne. J'ai trouvé chez tous ces hommes de grandes
doses de vertu, de probité, d'intelligence et de raison, et celui qui
m'a le plus agitée, c'est celui dont je hais le plus les idées et dont
j'admire le plus l'individualité. C'est le dernier, ce qui prouve
qu'il est facile d'égarer les hommes et d'abuser des dons de Dieu;
mais je fais serment devant lui que, si l'extrême gauche vient à
régner, ma tête y passera comme bien d'autres, car je dirai mon mot.
Ce que je vois au milieu de ces divergences de sectes rénovatrices,
c'est un gaspillage de sentiments généreux et de pensées élevées;
c'est une tendance à l'amélioration sociale; une impossibilité de
produire pour le moment, faute de tête à ce grand corps aux cent bras,
qui se déchire lui-même, ne sachant à quoi s'attaquer. Ce conflit ne
fait encore que bruit et poussière. Nous ne sommes pas dans l'ère où
il construira des sociétés, et les peuplera d'hommes perfectionnés.
Croyez le contraire si vous voulez. L'espérance est chose bonne et
fortifiante. Mais, plus vous croirez à un prochain succès, plus vous
devez le hâter par des efforts inouïs. Travaillez à élargir vos
cerveaux. Ce qui vous perd tous, c'est leur étroitesse. Vous n'y
pouvez loger qu'un plan de campagne. Quand le terrain change de
nature, vous ne savez pas changer de sentier. Vous avez un drapeau au
bout de votre lance, un nom sur la langue, une formule dans la tête,
et vous vous faites un point d'honneur imbécile et fatal de n'en pas
changer à mesure que vous vous éclairez.
Je voudrais voir un homme d'intelligence et de coeur chercher partout
la vérité et l'arracher par morceaux à chacun de ceux qui l'ont
dépecée et partagée entre eux. Je voudrais le voir passer par toutes
les sectes pour les connaître et les juger. Je voudrais qu'au lieu de
le mépriser et de le railler pour sa mobilité, les hommes
l'écoutassent comme le plus éclairé et le plus zélé des prêtres de
l'avenir.
Mais on fait une vertu de l'obstination,--cela convenant aux passions
des uns, à l'ignorance des autres.--Si vous n'êtes pas d'une
organisation magnifique pour être un chef (et vous êtes d'une nature
cent fois trop élevée pour être un soldat), n'ayez ni présomption
folle ni servilisme d'humilité. Vous n'êtes donc destiné ni à
commander ni à servir. Souvenez-vous de ce que je vous dis: un jour,
vous ne croirez plus à aucune secte religieuse, à aucun parti
politique, à aucun système social. Vous ne verrez pour les hommes
qu'une possibilité d'amélioration soumise à mille vicissitudes. Vous
verrez qu'il faut, pour les abriter, un toit de pierre, de paille ou
de papier suivant la saison, mais qu'ils étoufferaient vite dans vos
palais de diamant, rêves de jeunesse!
Allez toujours, vivez! Aidez à fournir une pierre pour un édifice qui
ne sera jamais ni parfait ni solide, mais auquel travailleront de
mieux en mieux les générations futures. Travaillez pour que ce qui va
mal aille tant soit peu mieux, mais travaillez sans trop d'orgueil. Il
vous arriverait plus tard, en voyant le peu que vous avez pu, de
tomber dans le découragement, comme vous avez déjà fait par moments;
et convenez que, dans ces moments-là, vous êtes sensiblement
au-dessous de vous-même.
Il ne serait pas impossible qu'au milieu de tous mes sermons, je me
misse aussi à labourer le champ avec une épingle noire et un
cure-dent. Ne partez pas trop vite pour l'Égypte. Il est possible que
je m'y fasse envoyer pour tâcher d'opérer une fusion entre cette
nuance et une autre.
Ma vie de femme est finie, et, puisqu'on m'a fait une petite
réputation et une sorte d'influence (que je n'ai ni ambitionnée ni
méritée), il m'arrivera peut-être de faire aussi de mon côté un métier
de jeune homme.
J'ai regret à ces trésors de vertu et de courage qui s'isolent les uns
des autres, et, si je pouvais réussir à fondre ensemble le produit de
cinq paires de bras, je croirais avoir assez fait pour ma part, eu
égard à la force des miens. Ne parlez de cela à personne et
attendez-moi jusqu'au mois de mai. Je vous dirai où j'en suis.
Adieu, mon ami. A vous de tout coeur.
GEORGE SAND.
[1] Madame Maréchal.
CXLII
A M. FRANZ LISZT, A GENÈ
La Châtre, 5 mai 1836.
Mon bon enfant et frère,
Je vous prie de me pardonner mon énorme silence. J'ai été bien agitée
et terriblement occupée depuis que je ne vous ai écrit. Mon procès a
été gagné; puis l'adversaire, après avoir engagé son honneur à ne pas
plaider, s'est mis à manquer de parole et à oublier sa signature et
son serment, comme des bagatelles qui ne sont plus de mode. Si la
possession de mes enfants et la sécurité de ma vie n'étaient en jeu,
vraiment ce ne serait pas la peine de les défendre au prix de tant
d'ennuis. Je combats par devoir plutôt que par nécessité.
Voilà les raisons de mon long silence. J'attendais toujours que mon
sort fût décidé pour vous dire le présent et l'avenir. De lenteur en
lenteur, la chère Thémis m'a conduite jusqu'à ce jour, sans que je
puisse rien fixer pour le lendemain. Je serais depuis longtemps près
de vous, sans tous ces déboires. C'est mon rêve, c'est l'Eldorado que
je me fais quand je puis avoir, entre le procès et le travail, un
quart d'heure de rêvasserie. Pourrai-je entrer dans ce beau château en
Espagne? Serai-je quelque jour assise aux pieds de la belle et bonne
Marie, sous le piano de Votre Excellence, ou sur quelque roche suisse,
avec l'illustre docteur _Ratissimo_?
Hélas! je suis un pauvre diable bien misérable! J'ai toujours vécu le
nez en l'air, le nez dans les étoiles, tandis que le puits était à mes
pieds, et qu'un tas de myrmidons crottés, criards, haineux je ne sais
de quoi, en fureur je ne sais pourquoi, tâchaient de m'y faire rouler.
Espérons!
Si vous ne partez qu'à la fin de juin, peut-être pourrai-je encore
vous aller trouver et passer quelques jours avec vous; après quoi,
vous vous envolerez pour l'Italie, heureux oiseau à qui l'on n'arrache
pas méchamment et cruellement les ailes; et moi, plus éclopée et plus
modeste, j'irai m'asseoir sur la rive de quelque petit lac de poche,
pour y dormir le reste de la saison.
J'ai été à Paris passer un mois, j'y ai vu tous mes amis: Meyerbeer,
sur qui j'écris assez longuement à l'heure qu'il est (j'adore _les
Huguenots_); madame Jal[1], pour qui j'ai eu le bonheur de faire
quelque chose; votre mère, qui a eu la bonté de venir m'embrasser;
Henri Heine, qui tombe dans la monomanie du calembour, etc., etc. Je
n'ai pas vu Jules Janin et je ne sais pas s'il a écrit contre moi.
C'est vous qui me l'apprenez; je n'irai pas aux informations. J'ai le
bonheur de ne pas lire de journaux et de ne pas en entendre parler.
Je ne comprends rien à Sainte-Beuve. Je l'ai aimé, _fraternellement_.
Il a passé sa vie à me vexer, à me grogner, à m'épiloguer et à me
soupçonner; si bien que j'ai fini par l'envoyer au diable. Il s'est
fâché, et nous sommes brouillés, à ce qu'il paraît. Je crois qu'il ne
se doute pas de ce que c'est que l'amitié, et qu'il a, en revanche,
une profonde connaissance de l'amour de soi-même, pour ne pas dire de
_soi seul_.
_Jocelyn_ est, en somme, un mauvais ouvrage. Pensées communes,
sentiment faux, style lâché, vers plats et diffus, sujet rebattu,
personnages traînant partout, affectation jointe à la négligence;
mais, au milieu de tout cela, il y a des pages et des chapitres qui
n'existent dans aucune langue et que j'ai relus jusqu'à sept fois de
suite en pleurant comme un âne. Ces endroits sont faciles à noter; ce
sont tous ceux qui ont rapport au sentiment _théosophique_, comme
disent les phrénologues. Là, le poète est sublime; la description,
souvent diffuse, vague et trop chatoyante, est, en certains endroits,
délicieuse. En somme, il est fâcheux que Lamartine ait fait _Jocelyn_,
et il est heureux pour l'éditeur que _Jocelyn_ ait été fait par
Lamartine.
J'ai fait connaissance avec lui. Il a été très bon pour moi. Nous
avons fumé ensemble dans un salon qui est extrêmement bonne compagnie,
mais où on me passe tous mes caprices; il m'a donné de bon tabac et de
mauvais vers. Je l'ai trouvé excellent homme, un peu maniéré et très
vaniteux. J'ai fait aussi connaissance avec Berryer, qui m'a semblé
beaucoup meilleur garçon, plus simple et plus franc, mais pas assez
sérieux pour moi; car je suis très sérieuse, malgré moi et sans qu'il
y paraisse.
Je me suis brouillée avec madame A..., qui est une bavarde. J'ai fait
connaissance et amitié avec David Richard[2]. Il y a entre nous deux
liens: l'abbé de Lamennais, que j'adore, comme vous savez, et Charles
Didier, qui est mon vieux et fidèle ami. A propos, vous me demandez ce
qui en est d'une nouvelle histoire sur mon compte, où il jouerait un
rôle?--Je ne sais ce que c'est. Que dit-on?--Ce qu'on dit de vous et
de moi. Vous savez comme c'est vrai; jugez du reste. Beaucoup de gens
disent à Paris et en province que ce n'est pas madame d'... qui est à
Genève avec vous, mais moi. Didier est dans le même cas que vous, à
l'égard d'une dame qui n'est pas du tout moi.
Je n'ai pas vu madame Montgolfier. Elle m'a écrit et m'a envoyé votre
lettre. Je lui répondrai à Lyon, je n'en ai pas encore eu le temps.
Cette lettre de vous est la troisième à laquelle je n'avais pas encore
répondu. Je vous en donne aujourd'hui pour votre argent.--Bonjour! il
est six heures du matin. Le rossignol chante, et l'odeur d'un lilas
arrive jusqu'à moi par une mauvaise petite rue tortueuse, noire et
sale, que j'habite au sein de la jolie ville de la Châtre,
sous-préfecture recommandable, où ma pauvre poésie se bat les flancs
contre l'atmosphère mortelle. Si vous voyiez ce séjour, vous ne
comprendriez pas que je m'en accommode; mais j'y ai de bons amis, des
hôtes excellents, et, à deux pas de la ville, des promenades
charmantes, une Suisse en miniature.
Adieu, cher Franz. Dites à Marie que je l'aime, que c'est à son tour
de m'écrire; au docteur _Ratto_, qu'il est un pédant, parce qu'il ne
m'écrit pas. Vous, je vous embrasse de coeur.
J'oubliais de vous dire que j'ai fait un roman en trois volumes
in-octavo, rien que ça! Je ne peux pas le faire paraître avant la fin
de mon procès, parce qu'il est trop républicain. Buloz, qui l'a payé,
enrage[3].--Vous, qu'est-ce que c'est que toute cette musique que vous
faites? Quand, où et comment l'entendrai-je? Que vous êtes heureux
d'être musicien!
GEORGE.
[1] Femme de lettres.
[2] Le docteur David Richard, savant phrénologiste, ami de l'abbé de
Lamennais et de Charles Didier.
[3] _Engelvald_, roman dont l'action se passait au Tyrol et qui fut
détruit.
CXLIII
A M. AUGUSTE MARTINEAU-DESCHENEZ, A PARIS
La Châtre. 23 mai 1836.
J'espère, mon enfant, que tu me pardonnes de ne t'avoir pas écrit la
victoire que les tribunaux m'ont accordée.
Dabord, j'avais de mon histoire par-dessus la tête, et, si j'avais pu
oublier que j'existais, je l'aurais fait de bon coeur. J'ai permis que
ma biographie matrimoniale fût insérée dans _le Droit_; tu la liras,
ou tu l'as lue. Dispense-moi donc de t'en _embêter_ une seconde fois.
Ensuite, je n'ai pas cru manquer à l'amitié, j'ai cru user de son plus
doux privilège en me reposant sur _mes lauriers_. Ma paresse a fait
des mécontents, des grognons. Tu n'en es pas, toi qui es si doux, si
affectueux, si sympathique. Dis-moi que tu n'as pas songé à me bouder,
que tu n'as pas douté de mon affection, et n'en parlons plus.
Que fais-tu? donne-moi de tes nouvelles. Moi, je végète. Couchée sur
une terrasse, dans un site délicieux, je regarde les hirondelles
voler, le soleil se lever, se coucher, se barbouiller le nez de
nuages, les hannetons donner de la tête contre les branches, et je ne
pense à rien du tout, sinon qu'il fait beau et que nous sommes au mois
de mai. Je suis dans le plus parfait et dans le plus désirable des
crétinismes connus.
M. D... est toujours campé à Nohant, tandis que mes bons amis de la
Châtre continuent à me donner l'hospitalité. J'attends qu'il formule
un acte d'appel ou qu'il prenne le parti de se tenir pour battu. Mon
sort est donc encore incertain, non pour l'avenir, mais pour la saison
présente. Je gagnerai, mais je voudrais bien que ce fût fini. On me
dit qu'il désire entrer en arrangement, je ne m'y refuserai pas si
c'est de l'argent seulement qu'il demande. Je suis ici en attendant
une fin à ces incertitudes.
Bonsoir, bon petit enfant! je t'embrasse fraternellement.
GEORGE.
CXLIV
A MADAME D'AGOULT, A GENÈVE
La Châtre, 25 mai 1836.
Vous avez bien fait de décacheter ma lettre, c'est une bonne action
dont je vous remercie, puisqu'elle me vaut une si bonne et si
affectueuse réponse. La seule chose qui me peine véritablement, c'est
votre départ si prochain pour l'Italie. J'aurai beau faire, je ne
serai pas libre avant les vacances; mais il ne me sera plus aussi
facile d'aller vous rejoindre, car où vous trouverais-je? Quoi que
vous fassiez, ne quittez aucune ville sans m'écrire, ne fût-ce que
deux lignes, pour me dire où vous êtes et combien de temps vous y
restez. Rien ne me fera renoncer à l'espérance d'aller vivre quelques
semaines près de vous. C'est un des plus doux rêves de ma vie, et,
comme, sans en avoir l'air, je suis très persévérante dans mes
projets, soyez sûre que, malgré _les destins et les flots_, je les
réaliserai.
Pour le moment, je ferais mal de m'absenter du pays. Mes adversaires,
battus au grand jour, cherchent à me nuire dans les ténèbres. Ils
entassent calomnies sur absurdités pour m'aliéner d'avance l'opinion
de mes juges. Je m'en soucie assez peu; mais je veux pouvoir rendre
compte, jour par jour, de toutes mes démarches. Si j'allais à Genève
maintenant, on ne manquerait pas de dire que j'y vais voir Franz
seulement et de trouver la chose très criminelle. Ne pouvant dire
qu'entre Franz et moi il y a un bon ange dont la présence sanctifie
notre amitié, je resterais sous le poids d'un soupçon qui servirait de
prétexte entre mille pour me refuser la direction de mes enfants.
S'il ne s'agissait que de ma fortune, je ne voudrais pas y sacrifier
un jour de la vie du coeur; mais il s'agit de ma progéniture, mes
seules amours, et à laquelle je sacrifierais les sept plus belles
étoiles du firmament, si je les avais. Ne quittez toujours pas Genève
sans me dire où vous allez. Cet hiver, je serai libre, j'aurai quelque
argent (bien que je n'aie pas hérité de vingt-cinq sous: c'est un
ragot de journaliste en disette de nouvelles diverses), et j'irai
certainement courir après vous, loin des huissiers, des avoués et des
rhumatismes.
Je n'ai pas besoin de vous charger de dire à Franz tous mes regrets de
ne pas l'avoir vu. Il s'en est fallu de si peu! Il sait bien, au
reste, que c'est un vrai chagrin pour moi. Il n'y a qu'une chose au
monde qui me console un peu de toutes mes mauvaises fortunes: c'est
que vous me semblez heureux tous deux, et que le bonheur de ceux que
j'aime m'est plus précieux que celui que je pourrais avoir. J'ai si
bien pris l'habitude de m'en passer, que je ne songe jamais à me
plaindre, même seule, la nuit sous l'oeil de Dieu. Et pourtant je
passe de longues heures tête à tête avec dame _Fancy_[1]. Je ne me
couche jamais avant sept heures du matin; je vois coucher et lever le
soleil, sans que ma solitude soit troublée par un seul être de mon
espèce. Eh bien, je vous jure que je n'ai jamais moins souffert. Quand
je me sens disposée à la tristesse, ce qui est fort rare, je me
commande le travail, je m'y oublie et je rêve alternativement. Une
heure est donnée à la corvée d'écrire, l'autre au plaisir de vivre.
Ce plaisir est si pur dans ce temps-ci, avec tous ces chants d'oiseaux
et toutes ces fleurs! Vous êtes trop jeune pour savoir combien il est
doux de ne pas penser et de ne pas sentir. Vous n'avez jamais envié le
sort de ces belles pierres blanches qui, au clair de lune, sont si
froides, si calmes, si mortes. Moi, je les salue toujours quand je
passe auprès d'elles, la nuit, dans les chemins. Elles sont l'image de
la force et de la pureté. Rien ne prouve qu'elle soient insensibles au
plaisir de ne rien faire. Elles contemplent, elles vivent d'une vie
qui leur est propre. Les paysans sont convaincus que la lune a une
action sur elles, _que le clair de lune casse les pierres et dégrade
les murs_. Moi, je le crois. La lune est une planète toute de glace et
de marbre blanc. Elle est pleine de sympathie pour ce qui lui
ressemble, et, quand les âmes solitaires se placent sous son regard,
elle les favorise d'une influence toute particulière. Voilà pourquoi
on appelle les poètes _lunatiques_. Si vous n'êtes pas contente de
cette dissertation, vous êtes bien difficile.
Si vous voulez que je vous parle _histoire ancienne_, je vous dirai de
madame A..., que je n'ai jamais eu de sympathie pour elle. J'ai eu
beaucoup d'estime pour son caractère; mais, un beau jour, elle m'a
fait une méchanceté, la chose du monde que je comprends le moins et
que je puis le moins excuser. Depuis que je ne vous ai écrit, elle m'a
fait amende honorable. Est-ce bonté? Est-ce légèreté de tête et de
coeur? Je n'ai plus guère confiance en elle, et, sans la maltraiter
(car, à vrai dire, d'après cette conduite fantasque, je m'aperçois que
je ne la connais pas du tout), je m'éloignerai d'elle avec soin. Je ne
veux pas la juger; mais il y a sur la figure de celle chez qui l'on a
surpris un mauvais sentiment quelque chose qui ne s'efface plus et qui
vous glace à jamais. Je suis toute d'instinct et de premier mouvement.
N'êtes vous pas de même? Il m'a semblé que si.
Je ne dis pas que je n'aime pas Sainte-Beuve. J'ai eu beaucoup trop
d'affection pour lui pour qu'il me soit possible de passer à
l'indifférence ou à l'antipathie, à moins d'un tort grave. Je ne lui
ai point vu de méchanceté, à lui, mais de la sécheresse, de la
perfidie non raisonnée, non volontaire, non intéressée, mais partant
d'un grand _crescendo_ d'égoïsme. Je crois que je le juge mieux que
vous. Demandez à Franz, qui le connaît davantage.
L'abbé de Lamennais se fixe, dit-on, à Paris. Pour moi, ce n'est pas
certain. Il y va, je crois, avec l'intention de fonder un journal. Le
pourra-t-il? Voilà la question. Il lui faut une école, des disciples.
En morale et en politique, il n'en aura pas s'il ne fait d'énormes
concessions à notre époque et à nos lumières. Il y a encore en lui,
d'après ce qui m'est rapporté par ses intimes amis, beaucoup plus du
_prêtre_ que je ne croyais. On espérait l'amener plus avant dans le
cercle qu'on n'a pu encore le faire. Il résiste. On se querelle et on
s'embrasse. On ne conclut rien encore. Je voudrais bien que l'on
s'entendît. Tout l'espoir de _l'intelligence vertueuse_ est là.
Lamennais ne peut marcher seul.
Si, abdiquant le rôle de prophète et de poète apocalyptique, il se
jette dans l'action progressive, il faut qu'il ait une armée. Le plus
grand général du monde ne fait rien sans soldats. Mais il faut des
soldats éprouvés et croyants. Il trouvera facilement à diriger une
populace d'écrivassiers sans conviction qui se serviront de lui comme
d'un drapeau et qui le renieront ou le trahiront à la première
occasion. S'il veut être secondé véritablement, qu'il se méfie des
gens qui ne disputeront pas avec lui avant d'accepter sa direction. En
réfléchissant aux conséquences d'un tel engagement, je vous avoue que
je suis moi-même très indécise. Je m'entendrais aisément avec lui sur
tout ce qui n'est pas le dogme. Mais, là, je réclamerais une certaine
liberté de conscience, et il ne me l'accorderait pas. S'il quitte
Paris sans s'être entendu avec deux ou trois personnes qui sont dans
les mêmes proportions de dévouement et de résistance que moi,
j'éprouverai une grande consternation de coeur et d'esprit. Les
éléments de lumière et d'éducation des peuples s'en iront encore
épars, flottant sur une mer capricieuse, échouant sur tous les
rivages, s'y brisant avec douleur, sans avoir pu rien produire. Le
seul pilote qui eût pu les rassembler leur aura retiré son appui et
les laissera plus tristes, plus désunis et plus découragés que jamais.
Si Franz a sur lui de l'influence, qu'il le conjure de bien connaître
et de bien apprécier l'étendue du mandat que Dieu lui a confié. Les
hommes comme lui font les religions et ne les acceptent pas. C'est là
leur devoir. Ils n'appartiennent point au passé. Ils ont un pas à
faire faire à l'humanité. L'humilité d'esprit, le scrupule,
l'orthodoxie sont des vertus de moine que Dieu défend aux
réformateurs. Si l'oeuvre que je rêve pour lui peut s'accomplir, c'est
_vous_ qui serez obligée de vous joindre à son bataillon sacré. Vous
avez l'intelligence plus mâle que bien des hommes, vous pouvez être un
flambeau pur et brillant.
J'ai écrit à Paris pour qu'on vous envoie le numéro du _Droit_. Je
suis toujours dans le _statu quo_ pour mon procès. L'acte d'appel est
fait. Je suis encore à la Châtre chez mes amis, qui me gâtent comme un
enfant de cinq ans. J'habite un faubourg en terrasse sur des rochers;
à mes pieds, j'ai une vallée admirablement jolie. Un jardin de quatre
toises carrées, plein de roses, et une terrasse assez spacieuse pour y
faire dix pas en long, me servent de salon, de cabinet de travail et
de galerie. Ma chambre à coucher est assez vaste; elle est décorée
d'un lit à rideaux de cotonnade rouge, vrai lit de paysan, dur et
plat, de deux chaises de paille et d'une table de bois blanc. Ma
fenêtre est située à six pieds au-dessus de la terrasse. Par le
treillage de l'espalier, je sors et je rentre la nuit pour me promener
dans mes quatre toises de fleurs sans ouvrir de portes et sans
éveiller personne.
Quelquefois je vais me promener seule à cheval, à la brune. Je rentre
sur le minuit. Mon manteau, mon chapeau d'écorce et le trot
mélancolique de ma monture me font prendre dans l'obscurité pour un
marchand forain ou pour un garçon de ferme. Un de mes grands
amusements, c'est de voir le passage de la nuit au jour; cela s'opère
de mille manières différentes. Cette révolution, si uniforme en
apparence, a tous les jours un caractère particulier.
Avez-vous eu le loisir d'observer cela? Non! Travaillez-vous? Vous
éclairez votre âme. Vous n'en êtes pas à végéter comme une plante.
Allons, vivez et aimez-moi. Ne partez pas sans m'écrire. Que les vents
vous soient favorables et les cieux sereins! Tout prospère aux amants.
Ce sont les enfants gâtés de la Providence. Ils jouissent de tout,
tandis que leurs amis vont toujours s'inquiétant. Je vous avertis que
je serai souvent en peine de vous si vous m'oubliez.
Je vous ferai arranger une belle chambre _chez moi_.
Je fais un nouveau volume à _ Lélia_. Cela m'occupe plus que tout
autre roman n'a encore fait: Lélia n'est pas moi. Je suis meilleure
enfant que cela; mais c'est mon idéal. C'est ainsi que je conçois ma
muse, si toutefois je puis me permettre d'avoir une muse.
Adieu, adieu! le jour se lève sans moi.--_-Per la ala del balcone,
presto andiamo via di qua_...
[1] Rêverie, imagination
CXLV
A MADAME MARLIANI, A PARIS
La Châtre, 28 juin 1836.
Mon amie,
J'ai écrit pour vous satisfaire, non pas à l'abbé[1], il nous a trop
positivement défendu à tous de jamais lui adresser qui que ce soit
(fût-ce le pape); mais à mon ami Didier, qui se chargera de vous faire
faire connaissance avec lui d'une manière plus affectueuse et plus
intime, en vous donnant rendez-vous quelque jour rue du Regard. Il ira
vous voir à cet effet, et vous dira l'heure où vous pourrez rencontrer
chez lui le bon abbé dans un bon jour.
Toujours affable et modeste, il est quelquefois très troublé et très
mal à l'aise, quand on lui présente une lettre de recommandation. Il a
toute la timidité naïve du génie. Si vous le trouvez causant à son
aise avec ses amis de la rue du Regard, où il passe une partie de ses
journées, vous le connaîtrez bien mieux, et le plaisir qu'il aura
lui-même à vous connaître ne sera troublé par aucun mal-à-propos.
Didier est à Genève en ce moment, mais pour très peu de jours.
Aussitôt qu'il sera revenu à Paris, il ira chez vous. Je lui ai fait
passer votre adresse.
Vous êtes bien aimable de me donner de vos nouvelles et de me conter
vos soucis. J'espère que les choses ne tourneront pas aussi mal que
vous le craignez. Vous avez de la force, ayez aussi de l'espérance,
c'est une des faces du courage. Quoi qu'il vous arrive, vous me
trouverez toujours pleine de sollicitude et de dévouement pour vous,
vous n'en doutez pas, j'espère.
Mon procès est toujours _pendant_ devant la cour de Bourges. J'attends
l'épreuve décisive et j'ai toujours grand espoir d'en sortir aussi
bien que des deux autres. Priez pour moi, vous qui êtes une bonne et
belle âme, chère à Dieu, sans doute.
C'est à cause de cela que je ne puis m'imaginer qu'il vous abandonne
jamais à un malheur réel.
Adieu; aimez-moi toujours, votre amitié m'est précieuse et douce.
Donnez-moi quelquefois de vos nouvelles, et donnez à votre mari une
poignée de main de la part de votre ami commun.
GEORGE
[1] Lamennais.
FIN DU TOME PREMIER
TABLE
1812.
I. A madame Maurice Dupin 2
1815
II. A madame Maurice Dupin 24 février 2
1823
III. A M. Caron 21 novembre 2
1825.
IV. A madame Maurice Dupin 3
V. A la même 29 juin
VI. A la même 28 août 7
1826
VII. A madame Maurice Dupin 25 février 16
VIII. A madame la baronne Dudevant 30 avril 20
IX. A madame Maurice Dupin 12 juillet 23
X. A la même 9 octobre 25
XI. A M. Caron 19 novembre 28
XII. A madame Maurice Dupin 23 décembre 26
1827.
XIII. A M. Hippolyte Chatiron mars 31
XIV. A madame Maurice Hupin 5 juillet 34
XV. A la même 17 juillet 36
XVI. A la même 4 septembre 39
XVII. A M. Caron 22 novembre 41
1828.
XVIII. A M. Hippolyte Caron 1er avril 43
XIX. A madame Maurice Dupin 7 avril 45
XX. A M. Caron 16 avril 47
XXI. A madame Maurice Dupin 4 août 49
XXII. A M. Caron 15 novembre 52
XXIII. A madame Maurice Dupin 27 décembre 53
1829.
XXIV. A M. Caron 20 janvier 55
XXV. A madame Maurice Dupin 8 mars 62
XXVI. A M. Duteil 10 mai 64
XXVII. A M. Caron 4 juin 67
XXVIII. A madame Maurice Dupin 11 juin 70
XXIX. A la même 1er août 72
XXX. A M. Jules Boucoiran 2 septembre 74
XXXI. A M. Caron 1er octobre 75
XXXII. A M. Jules Boucoiran 30 novembre 76
XXXIII. Au même 8 décembre 78
XXXIV. A madame Maurice Dupin 29 décembre 80
1830.
XXXV. A madame Maurice Dupin 1er février 82
XXXVI. A la même février 85
XXXVII. A M. Jules Boucoiran 1er mars 87
XXXVIII. Au même 22 mars 93
XXXIX. A madame Maurice Dupin 19 avril 97
XL. A M. Jules Boucoiran 20 juillet 100
XLI. Au même 31 juillet 102
XLII. A madame Maurice Dupin 7 septembre 106
XLIII. A M. Jules Boucoiran 27 octobre 110
XLIV. A madame Maurice Dupin 22 novembre 112
XLV. A M. Charles Duvernet 1er décembre 115
XLVI. Au même 1er décembre 121
XLVII. A M. Jules Boucoiran 3 décembre 129
XLVIII. Au même 8 décembre 135
XLIX. Au même 27 décembre 140
1831.
L. A Maurice Dudevant janvier 141
LI. Au même 8 janvier 142
LII. Au même 10 janvier 143
LIV. A M. Jules Boucoiran 13 janvier 145
LV. A madame Maurice Dupin 18 janvier 148
LVI. A M. Charles Duvernet 19 janvier 150
LVII. A Maurice Dudevant 25 janvier 154
LVIII. A M. Jules Boucoiran 12 février 156
LIX. A M. Duteil 15 février 159
LX. A Maurice Dudevant 16 février 164
LXI. A M. Jules Boucoiran 4 mars 165
LXII. A M. Charles Duvernet 6 mars 168
LXIII. A M. Jules Boucoiran 9 mars 173
LXIV. A madame Maurice Dupin 14 avril 175
LXV. A M. Charles Duvernet avril 178
LXVI. A madame Maurice Dupin 31 mai 179
LXVII. A madame Duvernet mère juin 184
LXVIII. A M. Charles Duvernet 25 juin 185
LXIX. A Maurice Dudevant 8 juillet 189
LXX. Au même 16 juillet 190
LXXI. A M. Jules Boucoiran 17 juillet 191
LXXII. A M. Charles Duvernet 19 juillet 193
LXXIII. A Maurice Dudevant juillet 196
LXXIV. A madame Maurice Dupin 9 septembre 199
LXXV. A M. Jules Boucoiran 26 septembre 201
LXXVI. Au même 6 novembre 204
LXXVII. A Maurice Dudevant 3 novembre 206
LXXVIII. Au même novembre 207
LXXIX. A M. Jules Boucoiran 5 décembre 209
1832.
LXXX. A M. François Rollinat janvier 210
LXXXI. A madame Maurice Dupin 22 février 211
LXXXII. A Maurice Dudevant 4 avril 213
LXXXIII. A madame Maurice Dupin 15 avril 215
LXXXIV. A M. Gustave Papet mai 215
LXXXV. A Maurice Dudevant 4 mai 216
LXXXV. Au même 17 mai 217
LXXXVI. A M. Charles Duvernet 6 juillet 219
LXXXVII. A Maurice Dudevant 7 juillet 220
LXXXVIII. Au même 8 juillet 222
LXXXIX. A M. François Rollinat 1er août 225
XC. A madame Maurice Dupin 6 août 226
XCI. A M. François Rollinat 20 août 228
XCII. Au même septembre 230
XCIII. A Maurice Dudevant 6 décembre 231
XCIV. Au même 12 décembre 233
XCV. A M. Jules Boucoiran 20 décembre 234
1833
XCVI. A Maurice Dudevant 11 janvier 236
XCVII. A M. Jules Boucoiran 18 janvier 237
XCVIII. A Maurice Dudevant 27 février 240
XCIX. A M. Jules Boucoiran 6 mars 241
C. A Monsieur*** 15 avril 243
CI. A madame Maurice Dupin mai 244
CII. A M. Casimir Dudevant 20 mai 245
CIII. A M. François Rollinat 26 mai 246
CIV. A M. Adolphe Guéroult 3 juin 249
CV. A madame*** juillet 250
CVI. A M. Charles Duvernet 5 juillet 252
CVII. A M. François Rollinat 21 novembre 253
CVIII. A madame Maurice Dupin décembre 255
CIX. A M. Maurice Dudevant 18 décembre 256
CX. A M. Jules Boucoiran 20 décembre 258
1834.
CXI. A M. Hippolyte Chatiron 16 mars 260
CXII. A M. Jules Boucoiran 6 avril 265
CXIII. A M. Gustave Papet mai 269
CXIV. A M. Hippolte Chatiron 1er juin 271
CXV. A M. Jules Boucoiran 4 juin 274
CXVII. A Maurice Dudevant 29 juillet 277
CXVIII. A M. François Rollinat 15 août 278
CXIX. A M. Jules Boucoiran 31 août 279
CXX. A M. Jules Néraud 10 septembre 282
CXXI. A M. François Rollinat 20 septembre 284
CXXII. A M. Charles Duvernet 15 octobre 286
1835.
CXXII. A M. Hippolyte Chatiron 17 avril 291
CXXIII. A M. Adolphe Guéroult 6 mars 293
CXXIV. A M. Alexis Duteuil 25 mai 297
CXXV. A madame la comtesse d'Agoult mai 299
CXXVI. A Madame Claire Brunne mai 302
CXXVII. A M. *** juin 303
CXXVIII. A Maurice Dudevant 18 juin 309
CXXIX. A madame Maurice Dupin 25 octobre 310
CXXX. A madame d'Agoult 1er novembre 313
CXXXI. A M. Adolphe Guéroult 9 novembre 322
CXXXII. Au Rédacteur du _Journal de l'Indre_ 9 novembre 326
CXXXIII. A Maurice Dudevant 10 décembre 328
CXXXIV. Au même 15 décembre 330
1836.
CXXXV. A Maurice Dudevant 3 janvier 332
CXXXVI. A M. François Rollinat 4 février 338
CXXXVII. A M. Adolphe Guéroult 11 février 340
A la famille Saint-Simonienne de Paris 15 février 341
CXXXVIII. A Maurice Dudevant 17 février 345
CXXXIX. A madame d'Agoult 26 février 348
CXL. A M. Eugène Pelletan 28 février 351
CXLI. A M. Adolphe Guéroult mars 353
CXLII. A M. Franz Liszt 5 mai 359
CXLIII. A M. Auguste Martineau-Deschenez 23 mai 364
CXLIV. A madame d'Agoult 25 mai 365
CXLV. A madame Marliani 28 juin 373
FIN DE LA TABLE DU TOME PREMIER