Chose étrange! ce dernier acte, on le connaît, on le sait par coeur, on
attend l'entrée des moines, on attend l'apparition de Lucrèce Borgia, on
attend le coup de couteau de Gennaro.
Eh bien, on est pourtant saisi, terrifié, haletant, comme si on ignorait
tout ce qui va se passer; la première note du _De Profundis_ coupant la
chanson à boire vous fait passer un frisson dans les veines; on espère
que Lucrèce Borgia sera reconnue et pardonnée par son fils, on espère
que Gennaro ne tuera pas sa mère. Mais non, vous ne voudrez pas, maître
inflexible: il faut que le crime soit expié, il faut que le parricide
aveugle châtie et venge tous ces forfaits, aveugles aussi peut-être.
Le drame a été admirablement monté et joué sur ce théâtre, où il se
retrouvait chez lui.
Madame Laurent a été vraiment superbe dans Lucrèce. Je ne méconnais
pas les grandes qualités de beauté, de force et de race que possédait
mademoiselle Georges; mais j'avouerai que son talent ne m'émouvait que
quand j'étais émue par la situation même. Il me semble que Marie Laurent
me ferait pleurer à elle seule. Elle a eu, comme mademoiselle Georges,
au premier acte, son cri terrible de lionne blessée: «Assez! assez!»
Mais, au dernier acte, quand elle se traîne aux pieds de Gennaro, elle
est si humble, si tendre, si suppliante; elle a si peur, non d'être
tuée, mais d'être tuée par son fils, que tous les coeurs se fondent
comme le sien et avec le sien. On n'osait pas applaudir, on n'osait pas
bouger, on retenait son souffle. Et puis toute la salle s'est levée pour
la rappeler et pour l'acclamer en même temps que vous.
Vous n'avez jamais eu un Alphonse d'Este aussi vrai et aussi beau que
Mélingue. C'est un Bonington, ou mieux, c'est un Titien vivant. On n'est
pas plus prince et prince italien, prince du XVIe siècle. Il est féroce
et il est raffiné. Il prépare, il compose et il savoure sa vengeance
en artiste, avec autant d'élégance que de cruauté. On l'admire avec
épouvante, faisant griffe de velours comme un beau tigre royal.
Taillade a bien la figure tragique et fatale de Gennaro. Il a trouvé de
beaux accents d'àpreté hautaine et farouche, dans la scène où Gennaro
est exécuteur et juge.
Brésil, admirablement costumé en faux hidalgo, a une grande allure dans
le personnage méphistophélique de Gubetta.
Les cinq jeunes seigneurs, que des artistes de réelle valeur, Charles
Lemaître en tête, ont tenu à honneur de jouer, avaient l'air d'être
descendus de quelque toile de Giorgione ou de Bonifazio.
La mise en scène est d'une exactitude, c'est-à-dire d'une richesse qui
fait revivre à souhait pour le plaisir des yeux toute cette splendide
Italie de la Renaissance. M. Raphaël Félix vous a traité bien plus que
royalement: artistement.
Mais--il ne m'en voudra pas de vous le dire--il y a quelqu'un qui vous a
fêté encore mieux que lui, c'est le public, ou plutôt le peuple.
Quelle ovation à votre nom et à votre oeuvre!
J'étais tout heureuse et fière pour vous de cette juste et légitime
ovation. Vous la méritez cent fois, cher grand ami. Je n'entends pas
louer ici votre puissance et votre génie; mais on peut vous remercier
d'être le bon ouvrier et l'infatigable travailleur que vous êtes.
Quand on pense à ce que vous aviez fait déjà en 1833! Vous aviez
renouvelé l'ode; vous aviez, dans la préface de _Cromwell_, donné le
mot d'ordre à la révolution dramatique; vous aviez, le premier, révélé
l'Orient dans _les Orientales_, le moyen âge dans _Notre-Dame de Paris_.
Et, depuis, que d'oeuvres et que de chefs-d'oeuvre! que d'idées remuées!
que de formes inventées! que de tentatives, d'audaces et de découvertes!
Et vous ne vous reposez pas! Vous saviez hier là-bas, à Guernesey,
qu'on reprenait _Lucrèce Borgia_ à Paris; vous avez causé doucement et
paisiblement des chances de cette représentation; puis, à dix heures, au
moment où toute la salle rappelait Mélingue et madame Laurent après le
troisième acte, vous vous endormiez, afin de pouvoir vous lever, selon
votre habitude, à la première heure, et on me dit que, dans le même
instant où j'achève cette lettre, vous allumez votre lampe, et vous vous
remettez tranquille à votre oeuvre commencée.
[1] La première représentation eut lieu, en effet, le 2 février 1833.
DCCXXI
A MAURICE SAND, A NOHANT
Paris, 21 février 1870.
Pendant que tu m'écrivais que madame Chatiron allait probablement mieux,
elle s'en allait, la pauvre femme! et j'ai reçu par René la triste
nouvelle en même temps que les espérances de ta lettre.
Je vois que la neige et la glace vous ont isolés, comme si vous étiez
dans les Alpes ou dans les Pyrénées. Quel hiver! il n'est pas étonnant
que ce pauvre être si fragile, dont la vie tenait du prodige, n'ait
pu le supporter. C'était, en somme, une femme excellente et que j'ai
appréciée quand elle a vécu chez moi. Je sais que Léontine la regrettera
beaucoup; je lui écris; tâchez de la consoler un peu.
Je suis enfin sortie aujourd'hui. J'ai été à la répétition et j'ai avalé
mes cinq actes sans fatigue[1]. Il ne faisait plus froid; j'ai vu les
décors, qui sont très beaux et j'ai fait mon compliment à Zarafle frisé.
La pièce a beaucoup gagné à quelques coupures et à certains béquets.
Les acteurs vont très bien; Sarah[2] a été secouée par mes reproches du
commencement; elle joue enfin en jeune fille honnête et intéressante,
tout se débrouille et avance. On croit à un grand succès de _durée_,
tout est là; car la première représentation ne prouve plus rien dans les
habitudes du théâtre moderne.
Madame Bondois est très _approuvée_ et très bonne; elle a saisi le
joint. La pièce passera jeudi ou vendredi au plus tard.
Je vous _bige_ mille fois.
[1] Il s'agit de _l'Autre_, qui fut représenté, à l'Odéon, le
25 février.
[2] Sarah Bernhardt.
DCCXXII
A MADAME SIMMONNET, A LA CHÂTRE
Paris, 21 février 1870.
Chère enfant,
J'apprends par René[1] que le douloureux événement prévu n'a pu être
détourné[2]. Je joins mes regrets sincères aux vôtres, je garderai toute
ma vie à cette digne femme un sentiment de profonde estime. Elle n'avait
pas de petitesses; son caractère était à la hauteur de son intelligence;
j'ai pu l'apprécier durant des années où nous avons vécu sous le même
toit et où bien des choses autour de nous tendaient à nous désunir. Je
l'ai toujours trouvée forte et vraie, fidèle en amitié et jugeant tout
de très haut. La durée d'une existence si fragile était un problème;
elle a vécu par la force morale.
Je partage le déchirement de cette séparation pour toi et pour tes chers
enfants. Ils sont bien bons, bien intelligents; ils t'aiment tendrement
et religieusement; ils t'aideront à subir cette inévitable perte.
Dis-leur que je les aime aussi comme s'ils étaient à moi, et que je leur
recommande bien de te distraire et de te consoler.
Je vous embrasse tous quatre bien affectueusement et maternellement.
Ta tante,
G. SAND.
[1] Fils aîné de madame Simonnet.
[2] La mort de madame Chaînon, belle-soeur de madame Sand et mère de
madame Simonnet.
DCCXXIII
A MAURICE SAND, A NOHANT
Paris, 23 février 1870.
J'ai été dîner aujourd'hui chez Magny pour la première fois depuis huit
jours; ça m'a réconfortée: j'étais un peu lasse de poulet froid.
J'ai avalé mes quatre heures de répétition. Demain mercredi, répétition
générale, lumières, décors et costumes. Ça va très bien maintenant;
on pleure beaucoup, on rit aussi. Vendredi, sans faute, première
représentation.
J'ai distribué presque toutes mes places aujourd'hui, le reste partira
demain. Me voilà dans le coup de feu de la fin; mais c'est le moment du
calme, de l'attention et de la présence d'esprit. Pas plus émue qu'à
l'ordinaire; c'est le départ d'une course en ballon. On fait de son
mieux pour bien marcher, mais on ne gouverne pas les éléments, et, comme
tout peut craquer, il n'y faut pas penser. Mes artistes commencent à
pâlir, à trembler, a devenir nerveux. C'est ce qu'il leur faut, à eux,
ils ont besoin de fièvre. Moi, il ne m'en faut pas, je n'en ai pas.
Je pense à mes chères cocotes qui dormiront comme des anges pendant
qu'on beuglera, en bien ou en mal, autour de la _bonne mère_.
J'étais inquiète de vous pour cet enterrement dans la neige et ces
émotions tristes. Enfin vous n'êtes pas malades! Il fait beau ici,
encore assez froid; je ne sors qu'en voiture et bien emmitouflée.
Mon pauvre Flaubert est triste. Je ne le vois pas: il soigne un ami
mourant; plus son larbin, qui a un rhumatisme articulaire. En outre,
on n'a pas voulu de sa féerie à la Gaieté; il a vraiment du malheur!
Zacharie va bien; ses grandes jambes m'aident beaucoup; je lui ai donné
trente places pour des étudiants ses amis, tous Berrichons ou Marchois.
Je vous _bige_ mille fois. Ne soyez pas malades.
DCCXXIV
AU MÊME
Paris, 26 février 1870.
Il faut que je vous écrive vite, vite. J'ai soupé cette nuit comme un
ogre et j'ai dormi comme un boeuf; je me suis levée à une heure et les
visites me pleuvent.
Quelle soirée, mes enfants! quel succès! quel bon public! Salle grippée,
retenant sa toux et sa respiration pour écouter, appréciant tout,
applaudissant de lui-même, de toutes les places. Les claqueurs ont pu
ménager et reposer leurs pattes. Un sifflet s'est risqué à la scène
première des deux jeunes gens. Ça a enlevé le succès bruyant et
passionné de l'auditoire.. On a prétendu que c'était un ami qui me
rendait le service de ce sifflet; dans le théâtre, on a dit que ce
devait être Plauchut. En réalité, c'était un petit Sulpicien de quinze
ans.
Le succès a grandi à chaque acte; enfin c'était tout ce que l'on peut
imaginer en fait de succès spontané, et de bon aloi. Pas un essai
d'allusion, pas une préoccupation politique. On était tout à la pièce et
à l'émotion; on a pleuré, on a ri. Il s'est produit des effets où l'on
n'en avait pas prévu.
Sylvanie[1] était dans ma loge, sanglotant, toussant, mouchant, criant.
Thuillier était dans une baignoire, faisant la même chose, enfin tout
le monde; et j'en aurais tant à vous dire, que je ne vous dis rien.--Et
puis la sonnette n'arrête pas.
Mes directeurs sortent d'ici; ils sont aux anges. Ils croient à un
succès d'argent superbe; About aussi. Je vous _bige_, l'heure avance,
j'envoie ma lettre. Vous avez dû recevoir un télégramme aujourd'hui.
_Bigez_ mes filles. Dites à Lolo que sa vieille grand-mère va bientôt
revenir.
Ne soyez pas malades, que je sois heureuse en tout.
[1] Madame Arnould-Plessy.
DCCXXV
AU MÊME
Paris, 27 février 1870.
Nous ferons le carnaval en plein carême et ensemble, si l'on est en
deuil autour de nous. Je veux revoir ma Lolo en costume Louis XIII.
Il faut bien que je reste pour voir se décider le succès d'argent et
veiller encore à beaucoup de choses.
J'espère le grand succès, tout va bien. Je sors de la seconde
représentation: une salle comble, donnée à moitié, mais payante à
moitié; on a fait deux mille sept cent quarante-quatre francs; ce qui
aurait fait le double si on n'eût été obligé, comme toujours, d'avoir
le reste de la presse, du ministère et des amis de la maison. Le public
excellent, applaudissant, pleurant, rappelant les acteurs à tous les
actes.
Les journaux enthousiastes, quelques-uns furieux du succès: les
cléricaux. Zacharie vous en envoie trois bons que nous avons pu réunir
au théâtre. Les directeurs sont enchantés, les acteurs ivres de joie,
d'émotion et de fatigue; voilà. On s'embrasse comme du pain dans
tous les coins du théâtre. Tous le monde s'adore. C'est la troupe de
Balandard chez le prince Klémenti: l'ivresse du succès.
Me voilà guérie: j'ai soupé ce soir avec Zacharie, qui est bien gentil,
bien dévoué et qui se met en quatre. Nous avons dévoré un joli morceau
de fromage, des fruits, des confitures; nous furetions dans la cuisine,
c'était comme à Nohant. Mais comme vous nous manquiez! Quel bonheur si
on pouvait jouir ensemble d'une bonne chance comme cela!
Enfin! je vais vous revoir et tout sera pour le mieux. Mangez mon miel,
on en aura d'autre; que ma Lolo dévore sa bonne mère. _Bigez_ Titite.
Portez-vous bien, surtout!
DCCXXVI
AU MÊME
Paris, 2 mars 1870.
Cinq mille cinquante francs de recette; on a chassé les musiciens,
bourré l'orchestre et vendu des _places de couloir_. On ne croyait pas
que l'Odéon pût faire cette recette, au prix où il est. J'y ai été
faire un tour, ce soir. Le public est de plus en plus ému, attentif,
enthousiaste. L'orchestre était plein de femmes en pleurs; elles
s'amusent drôlement, un mardi gras! On est persuadé maintenant que c'est
un second _Villemer_.
J'ai reçu des étudiants toute la journée. Ils venaient, par bandes de
douze, me remercier et me féliciter; tous très gentils et bien élevés.
J'étais comme au milieu de nos jeunes gens de Nohant.
Retenez-moi cheval, voiture et mon postillon d'habitude pour samedi;
j'arriverai pour dîner. Quel bonheur de vous revoir, mes enfants, et
avec un si beau résultat en main. _Bigez_ mes amours de cocotes.
DCCXXVII
A GUSTAVE FLAUBERT, A PARIS
Nohant, 19 mars 1870.
Je sais, mon ami, que tu lui es très dévoué. Je sais qu'_Elle_[1] est
très bonne pour les malheureux qu'on lui recommande; voilà tout ce que
je sais de sa vie privée. Je n'ai jamais eu ni révélation ni document
sur son compte, _pas un mot, pas un fait_, qui m'eût autorisée à la
peindre. Je n'ai donc tracé qu'une figure de fantaisie, je le jure,
et ceux qui prétendraient la reconnaître dans une satire quelconque
seraient, en tout cas, de mauvais serviteurs et de mauvais amis.
Moi, je ne fais pas de satires: j'ignore même ce que c'est. Je ne fais
pas non plus de _portraits_: ce n'est pas mon état. J'invente. Le
public, qui ne sait pas en quoi consiste l'invention, veut voir partout
des modèles. Il se trompe et rabaisse l'art.
Voilà ma réponse _sincère_. Je n'ai que le temps de la mettre à la
poste.
G. SAND.
[1] Lettre écrite à propos du bruit qui courait, que, dans un des
principaux personnages de son roman de _Malgré tout_, George Sand
avait voulu peindre l'impératrice Eugénie; lettre qui fut envoyée
par Flaubert à madame Cornu, filleule de la reine Hortense et
soeur de lait de Napoléon III.
DCCXXVIII
AU MÊME, A CROISSET
Nohant, 30 mars 1870.
Nuit de mercredi à jeudi,
trois heures du matin.
Ah! mon cher vieux, que j'ai passé douze tristes jours! Maurice a été
très malade. Toujours ces affreuses angines, qui d'abord ne paraissent
rien et qui se compliquent d'abcès et tendent à devenir couenneuses.
Il n'a pas été en danger, mais toujours en _danger de danger_, et des
souffrances cruelles, extinction de voix, impossibilité d'avaler; toutes
les angoisses attachées aux violents maux de gorge que tu connais bien,
puisque tu sors d'en prendre. Chez lui, ce mal tend toujours au pire,
et la muqueuse a été si souvent le siège du même mal, qu'elle manque
d'énergie pour réagir. Avec cela, peu ou point de fièvre, presque
toujours debout, et l'abattement moral d'un homme habitué à une action
continuelle du corps et de l'esprit, à qui l'esprit et le corps
défendent d'agir. Nous l'avons si bien soigné, que le voilà, je crois,
hors d'affaire, bien que, ce matin, j'aie eu encore des craintes et
demandé le docteur Eavre, notre sauveur _ordinaire_.
Dans la journée, je lui ai parlé, pour le distraire, de tes recherches
sur les monstres; il s'est fait apporter ses cartons pour y chercher
ce qu'il pouvait avoir à ton service: mais il n'a trouvé que de pures
fantaisies de son cru. Je les ai trouvées, moi, si originales et si
drôles, que je l'ai encouragé à te les envoyer. Elles ne te serviront de
rien, si ce n'est à pouffer de rire, dans tes heures de récréation.
J'espère que nous allons revivre sans rechutes nouvelles. Il est l'âme
et la vie de la maison. Quand il s'abat, nous sommes mortes: mère, femme
et filles. Aurore dit qu'elle voudrait être bien malade à la place de
son père. Nous nous aimons passionnément nous cinq, et la _sacro-sainte
littérature_, comme tu l'appelles, n'est que secondaire pour moi dans la
vie. J'ai toujours aimé quelqu'un plus qu'elle, et ma famille plus que
ce quelqu'un.
Pourquoi donc ta pauvre petite mère est-elle aussi désespérée, au beau
milieu d'une vieillesse que j'ai vue si verte encore et si gracieuse!
Est-ce la surdité subite? Y avait-il manque absolu de philosophie et
de patience avant les infirmités? J'en souffre avec toi, parce que je
comprends ce que tu en souffres.
Une autre vieillesse qui se fait pire, puisqu'elle se fait méchante;
c'est celle de madame Colet. Je croyais que toute sa haine était contre
moi, et cela me semblait un coin de folie; car jamais je n'ai rien fait,
rien dit contre elle, même après ce pot de chambre de bouquin où elle a
excrété toute sa fureur _sans cause_. Qu'à-t-elle contre toi, à présent
que la passion est à l'état de légende? _Estrange! estrange!_ Et, à
propos de Bouilhet, elle le haïssait donc, lui aussi, ce pauvre poète?
C'est une folle.
Tu penses bien que je n'ai pu écrire une panse d'_a_, depuis ces douze
jours. Je vais, j'espère, me remettre à la besogne dès que j'aurai fini
mon roman, qui est resté une patte en l'air aux dernières pages. Il va
commencer à paraître et il n'est pas fini d'écrire. Je veille pourtant
toutes les nuits jusqu'au jour; mais je n'ai pas eu l'esprit assez
tranquille pour me distraire de mon malade.
Bonsoir, cher bon ami de mon coeur.
Mon Dieu! ne travaille et ne veille pas trop, puisque, toi aussi, tu as
des maux de gorge. C'est un mal cruel et perfide. Nous t'aimons et nous
t'embrassons tous. Aurore est charmante; elle apprend tout ce qu'on
veut, on ne sait comment, sans avoir l'air de s'en apercevoir elle-même.
DCCXXIX
A M. EDMOND PLAUCHUT, A PARIS
Nohant, 3 avril 1870.
Favre est parti ce matin, nous laissant tout à fait tranquilles sur
Maurice, qui est sorti au jardin tantôt pour la première fois. Quant
à Lolo, elle nous tourmente encore un peu, par ses retours de fièvre;
mais, s'il y avait danger, notre docteur ne serait pas parti. Voilà
ce dont je suis sûre, c'est un dévoué et un _bon_; de plus, c'est un
médecin de génie; de plus encore, c'est un homme à part, qui ne veut pas
gagner d'argent, et que l'on offenserait en lui parlant de _salaire_.
Nous avons parlé de tout et de tous, durant les dix jours qu'il a passés
ici (veillant toutes les nuits nos malades), et naturellement nous avons
parlé de toi. Il sait que tu as été chez lui pour le renseigner sur
le voyage, et il désire te voir et te connaître. Je lui ai donné ton
adresse et je te renouvelle la sienne: rue de Rivoli, 69.
Il parle beaucoup, beaucoup, et d'une façon étincelante, parfois
obscure, tout à coup claire comme le jour et probante. C'est surtout en
physiologie qu'il est merveilleux. Il vous donnerait une santé à toute
épreuve si on lui rendait bien compte de soi et si on écoutait ses
conseils d'hygiène générale. Au moral, il y a bien des points sur
lesquels il vous remonte aussi. Enfin je te le décris et te l'annonce.
C'est un homme remarquable et que tu seras content de connaître.
Je t'embrasse,
G. SAND.
DCCXXX
A MICHEL LÉVY, ÉDITEUR, A PARIS
Nohant, 20 avril 1870.
Cher ami,
C'est encore moi! Je dis à tout le monde que nous sommes bons amis, et
tout le monde veut que je m'adresse à vous. Je vous ai envoyé le roman
de madame Blanc: je désire beaucoup qu'il vous convienne de le publier.
A présent, Flaubert m'écrit qu'il a quelques dettes à payer et qu'il
ne peut se décider à demander de l'argent. Je ne sais pas pourquoi,
puisqu'il vous a trouvé très excellent envers lui, et que vous ne
refusez jamais un solde ou une avance à qui en a besoin. J'ignore où
vous en êtes avec lui de votre règlement; mais je vois que vous lui
rendriez grand service en lui portant ou en lui envoyant de quoi se
remettre à flot, puisqu'il ne sait pas demander lui-même. Il est
_atrabilaire_ pour le moment. Il a perdu, après Bouilhet, un autre ami,
un second Bouilhet; avec cela, il est en mauvaise santé, et ses lettres
sont tristes. Je crois que sa position matérielle améliorée l'aiderait à
reprendre le dessus.
A vous de coeur.
G. SAND.
Ne parlez pas à Flaubert de ma lettre. Faites comme de vous-même [1].
[1] Voici quelle fut la réponse de Michel Lévy à cette lettre de George
Sand:
Paris, 24 avril,1870.
Chère madame Sand,
Je ne demande pas mieux que de rendre service à Flaubert, pour qui j'ai
beaucoup d'amitié; mais, comme vous me priez de ne pas lui dire que vous
m'avez écrit à son sujet, et que, pour sa part, il ne m'a fait aucune
ouverture, je suis bien empêché sur la façon d'engager l'affaire. Il
faudrait que j'eusse au moins une occasion, un prétexte. Tâchez de me
fournir quelque moyen d'entrer en matière, et je serai très heureux de
pouvoir, du même coup, être agréable à vous et à notre ami.
A vous bien affectueusement.
MICHEL LÉVY.
DCCXXXI
AU MÊME
Nohant, 26 avril 1870.
Eh bien, mon cher ami, dites à _notre ami_ que je vous ai parlé de ses
petits soucis d'argent, sans faire allusion à son état moral ni entrer
dans les détails de ma lettre, afin de ne pas augmenter un découragement
qu'il n'avoue pas, mais que vous verrez bien quand même. Vous, plus
qu'un autre, pouvez lui remonter le moral. L'insuccès relatif de son
livre[1] est une souffrance, et, s'il craint de vous parler d'argent,
c'est, à coup sûr, dans l'appréhension d'un reproche indirect de votre
part. Vous êtes au-dessus de ces choses par votre haute position
commerciale, qui est aussi une position littéraire, et vous savez bien
qu'un homme de talent, après avoir fait _Madame Bovary_, doit remonter
sur l'eau. Il y a eu erreur sur la manifestation et sur le moyen
d'empoigner le public. A quel grand esprit cela n'est-il pas arrivé?...
Je crois comprendre qu'il a besoin tout de suite, qu'il ne veut pas vous
le dire, et que, comme un grand enfant qu'il est, il attend que vous le
deviniez.
Vous voilà au courant autant que je peux vous y mettre. Avisez, et que
votre bonne amitié pour lui vous conseille.
A vous, cher ami,
G. SAND.
[1] _L'Éducation sentimentale_.
Réponse de Michel Lévy:
Paris, 9 mai 1870.
Chère madame Sand,
Pour vous prouver tout mon désir de vous être agréable, j'ai fait,
auprès de notre ami Flaubert, la démarche que vous m'aviez conseillée,
en me dépeignant sa situation matérielle et morale.
Je pensais avoir trouvé le moyen de lui venir en aide, sans qu'il se
crût trop mon obligé et que son amour-propre s'en inquiétât; c'était de
lui proposer une avance de quatre à cinq mille francs sur le premier
ouvrage qu'il ferait, à son temps et à ses heures, fût-ce dans cinq ans,
fût-ce dans dix! Je suis fâché de vous dire que cette proposition n'a
pas eu son agrément, toute désintéressée qu'elle était de ma part, et
quelque tranquillité d'esprit qu'elle lui laissât.
Quant à lui offrir une prime qui eût été attribuée à _l'Éducation
sentimentale_, en vérité, cela ne m'était pas possible. Quoique ce livre
soit loin d'avoir été un succès, il a rapporté à Flaubert 16,000 francs,
c'est-à-dire ce que j'aurais payé 6,000 francs au plus à vous, à Renan
ou à M. Guizot. Ajoutez qu'il est certain que, dans les dix ans où j'ai
l'exploitation de _l'Éducation sentimentale_, je ne recouvrerai pas les
16,000 francs dès aujourd'hui déboursés.
Je regrette que Flaubert n'ait pas cru devoir accepter mon offre; mais
j'ai fait ce que j'ai pu, et j'espère que vous me rendrez vous-même
cette justice que je ne pouvais mieux faire.
Tout ceci entre nous. Vous comprenez bien qu'avec Flaubert je n'ai pu
dire aussi crûment les choses.
Bien affectueusement à vous.
MICHEL LÉVY.
DCCXXXII
A GUSTAVE FLAUBERT, A CROISSET
Nohant, 20 mai 1870.
Il y a bien longtemps que je suis sans nouvelles de mon vieux
troubadour. Tu dois être à Croisset. S'il y fait aussi chaud qu'ici, tu
dois souffrir; nous avons, 34 degrés à l'ombre, et la nuit 24. Maurice a
eu une forte rechute de mal de gorge. Enfin, cette chaleur insensée l'a
guéri, elle nous va à tous ici. Les enfants sont gais et embellissent à
vue d'oeil. Moi, je ne fiche rien; j'ai eu trop à faire pour soigner et
veiller encore mon garçon, et, à présent que la petite mère est absente,
les fillettes m'absorbent. Je travaille tout de même en projets et
rêvasseries. Ce sera autant de fait quand je pourrai barbouiller du
papier.
Je suis toujours _sur mes pieds_, comme dit le docteur Favre. Pas encore
de vieillesse, ou plutôt la vieillesse normale, le calme... _de la
vertu_, cette chose dont on se moque, et que je dis par moquerie, mais
qui correspond, par un mot emphatique et bête, à un état d'inoffensivité
forcée, sans mérite par conséquent, mais agréable et bon à savourer. Il
s'agit de le rendre utile à l'art quand on s'y dévoue; je n'ose pas dire
combien je suis naïve et primitive de ce côté-là. C'est la mode de s'en
moquer; mais qu'on se moque, je ne veux pas changer.
Voilà mon examen de conscience: _du printemps_, pour ne plus penser, de
tout l'été, qu'à ce qui ne sera pas moi.
Voyons, toi, ta santé d'abord? Et cette tristesse, ce mécontentement
que Paris t'a laissé, est-ce oublié? N'y a-t-il plus de circonstances
extérieures douloureuses? Tu as été trop frappé, aussi. Deux amis de
premier ordre partis coup sur coup. Il y a des époques de la vie où le
sort nous est féroce. Tu es trop jeune pour te concentrer dans l'idée
d'un _recouvrement_ des affections dans un monde meilleur, ou dans ce
monde-ci amélioré. Il faut donc, à ton âge (et, au mien, je m'y
essaye encore), se rattacher d'autant plus à ce qui nous reste. Tu me
l'écrivais quand j'ai perdu Rollinat, mon double en cette vie, l'ami
véritable, dont le sentiment de la différence des sexes n'avait jamais
entamé la pure affection, même quand nous étions jeunes. C'était mon
Bonilhet et plus encore; car, à mon intimité de coeur, se joignait un
respect religieux pour un véritable type de courage moral qui avait subi
toutes les épreuves avec une _douceur_ sublime. Je lui ai _dû_ tout ce
que j'ai de bon, je tâche de le conserver pouf l'amour de lui. N'est-ce
pas un héritage que nos morts aimés nous laissent?
Le désespoir qui nous ferait nous abandonner nous-mêmes serait une
trahison envers eux et une ingratitude. Dis-moi que tu es tranquille, et
adouci, que tu ne travailles pas trop et que tu travailles bien. Je ne
suis pas sans quelque inquiétude de n'avoir pas de lettre de toi depuis
longtemps. Je ne voulais pas t'en demander avant de pouvoir te dire que
Maurice était bien guéri; il t'embrasse, et les enfants ne t'oublient
pas. Moi, je t'aime.
DCCXXXIII
A MADAME EDMOND ADAM, A PARIS
Nohant, 8 juin 1870.
Chers amis,
Nous sommes bien heureux de l'_affirmation_ que nous donne Lina! vous
viendrez donc, ce mois-ci, revoir le vieux Nohant, tout grillé, tout
desséché par la plus effroyable sécheresse qu'il ait jamais subie!
En revanche, vous verrez nos fillettes fraîches et fleuries; le beau
Plauchut rosé comme une citrouille, et le _Sargent_[1] encore un peu
changé, mais en possession de toute sa gaieté. Nous sommes contents,
enchantés et joyeux de compter sur vous trois. Lina nous dit que vous
êtes bien portants et que Toto est superbe. Ou va donc rire de bon coeur
et oublier tous les chagrins et inquiétudes de cette triste année! Vive
la joie, alors! Lina vous demande (elle a oublié de le faire à Paris) si
vous voulez des rideaux de lit dans votre chambre. Il y en a; on les
met ou on ne les met pas en été, _au goût des personnes_. Réponse à cet
important chapitre de ménage.
On promet à Adam qu'on ne lui fera pas de farces, on n'en fera qu'à
Plauchut; mais cela devient difficile, il a passé par toutes les
épreuves. Je crois qu'on le laissera dormir. Il est bien heureux en ce
moment-ci, on lui permet de chanter. Ça fait pleuvoir et on en a si
grand besoin, qu'il a toute permission de nous assommer. Le fait est
qu'il pleut depuis qu'il est ici.
À bientôt donc, le plus tôt qu'il vous sera possible, chers et bons
amis. On vous embrasse tendrement. Lolo et Titite, toutes fières de
leurs beaux chapeaux, se joignent à nous. Aurore se souvient très bien
de sa Toto.
DCCXXXIV
A GUSTAVE FLAUBERT, A CROISSET
Nohant, 29 juin 1870.
Nos lettres se croisent toujours et j'ai maintenant la superstition
qu'en l'écrivant le soir, je recevrai une lettre de toi le lendemain
matin; nous pourrions nous dire:
Vous m'êtes, en dormant, un peu triste apparu.
Ce qui me préoccupe dans la mort de ce pauvre Jules de Goncourt, c'est
le survivant. Je suis sûre que les morts sont bien, qu'ils se reposent
peut-être avant de revivre, et que, dans tous les cas, ils retombent
dans le creuset pour en ressortir avec ce qu'ils ont eu de bon, et du
progrès en plus. Barbès n'a fait que souffrir toute sa vie. Le voilà qui
dort profondément. Bientôt il se réveillera; mais nous, pauvres bêtes
de survivants, nous ne les voyons plus. Peu de temps avant sa mort,
Duveyrier, qui paraissait guéri, me disait: «Lequel de nous partira le
premier?» Nous étions juste du même âge. Il se plaignait de ce que les
premiers envolés ne pouvaient pas faire savoir à ceux qui restaient
s'ils étaient heureux et s'ils se souvenaient de leurs amis. Je disais:
_Qui sait?_ Alors nous nous étions juré de nous apparaître l'un
à l'autre, de tâcher du moins de nous parler, le premier mort au
survivant.
Il n'est pas venu, je l'attendais, il ne m'a rien dit. C'était un coeur
des plus tendres et une sincère volonté. Il n'a pas pu; cela n'est pas
permis, ou bien, moi, je n'ai ni entendu ni compris.
C'est, dis-je, ce pauvre Edmond qui m'inquiète. Cette vie à deux, finie,
je ne comprends pas le lien rompu, à moins qu'il ne croie aussi qu'on ne
meurt pas.
Je voudrais bien aller te voir; apparemment, tu as _du frais_ à
Croisset, puisque tu voudrais dormir _sur une plage chaude_. Viens ici,
tu n'auras pas de plage, mais 36 degrés à l'ombre et une rivière froide
comme glace, ce qui n'est pas à dédaigner. J'y vais tous les jours
barboter après mes heures de travail; car il faut travailler, Buloz
m'avance trop d'argent. Me voilà _faisant mon état_, comme dit Aurore,
et ne pouvant pas bouger avant l'automne. J'ai trop flâné après mes
fatigues de garde-malade. Le petit Buloz est venu ces jours-ci me
relancer. Me voilà dans la pioche.
Puisque tu vas à Paris en août, il faut venir passer quelques jours avec
nous. Tu y as ri quand même; nous tâcherons de te distraire et de te
secouer un peu. Tu verras les fillettes grandies et embellies; la
petiote commence à parler. Aurore bavarde et argumente. Elle appelle
Plauchut _vieux célibataire_. Et, à propos, avec toutes les tendresses
de la famille, reçois les meilleures amitiés de ce bon et brave garçon.
Moi, je t'embrasse tendrement et te supplie de te bien porter.
[1] Sobriquet donné à Maurice Sand à cause de ses charges sur les
sergents et caporaux.]
DCCXXXV
A M. EMILE DE GIRARDIN, A PARIS
Nohant, 3 juillet 1870.
Cher ami,
Voici ce que je lis dans le _New-York Evening Post_, à la suite d'une
critique de mon dernier roman. Je traduis en supprimant les noms
propres:
«Quant à la question relative au caractère qui a servi à l'auteur de
_Malgré tout_, elle est de celles qui ne souffrent pas de discussion
pour quiconque sait sur quels principes repose la construction d'une
oeuvre d'art. George Sand est un artiste: or il n'est point artiste, il
est un vulgaire écrivain de lieux communs, celui qui photographie les
personnages vivants dans une fiction. Que la prodigieuse carrière de
telle ou telle individualité historique ait pu frapper l'esprit
de George Sand, au moment où elle peignait les aspirations d'une
aventurière ambitieuse, cela ne prouve pas qu'elle ait voulu peindre
aucune figure de la vie réelle, ni qu'elle ait songé à jeter aucune
lumière sur les faits qui la concernent.»
Je trouve ces réflexions justes et de bon goût, et je suis très étonnée
de lire dans _la Liberté_ une interprétation arbitraire des intentions
que j'ai pu avoir.
Je vis si loin du mouvement quotidien, que je ne sais pas quel nom
propre couvre le pseudonyme de _Panoplès_. C'est un homme ou une
femme de talent; comment peut-il ou peut-elle faire cet affront à la
littérature: assimiler la tâche de l'artiste à celle du pamphlétaire
honteux? Si j'avais voulu peindre une figure historique, je l'aurais
nommée. Ne la nommant pas, je n'ai pas voulu la désigner; ne la
connaissant pas, je n'aurais pu la peindre. S'il y a ressemblance
fortuite, je l'ignore, mais je ne le crois pas. Tout personnage
d'invention est plus fort et plus logique que nature, dans le bien ou
dans le mal. On peut tracer la figure d'une classe d'ambitieuses qui ont
échoué et qui ont réussi dans leurs projets, sans avoir aucune figure en
vue, et je crois qu'il vaut beaucoup mieux pour l'artiste qu'il en soit
ainsi. Vous savez tout cela aussi bien que moi. Vous êtes du bâtiment.
_Panoplès_ trahit donc la fraternité maçonnique littéraire, en parlant
comme il le fait.
A vous de coeur,
G. SAND.
J'ai eu envie de répondre; mais je crois qu'il vaut mieux laisser tomber
cela que d'en occuper le public.
DCCXXXVI
A M. LE DOCTEUR HENRI FAVRE, A PARIS
Nohant, 3 juillet 1870.
Cher ami,
Je suis bien contente que _l'occasion_ nous apporte votre souvenir.
Je n'ai pas besoin de vous dire que je trouve de mauvais goût
l'interprétation donnée aux _intentions_ d'un romancier. S'il a besoin
de ce genre d'_intentions_ pour composer un personnage, c'est un pauvre
artiste. Je ne prétends pas être une bien riche imagination. J'en ai
pourtant assez pour me passer de modèles posant devant moi, et, comme
celui qu'on prétend reconnaître ne m'a jamais fait cet honneur-là, je
n'ai pu, en aucune façon, le copier et le présenter au public comme un
portrait d'après nature.
Tous vos malades sont des gens brillants de santé. Maurice engraisse
visiblement, il prétend que vous l'avez _trop guéri_. Mais il mène
une vie de cultivateur et de géologue si active, qu'il se défendra de
l'alourdissement. On parle de vous sans cesse, et, si les oreilles ne
vous tintent pas, c'est qu'il y a trop de gens partout qui vous louent
et vous remercient.
G. SAND.
DCCXXXVII
A MADEMOISELLE LEROYER DE CHANTEPIE, A ANGERS
Nohant, 14 juillet 1870.
Je suis embarrassée pour vous conseiller, chère âme tourmentée. Vous
êtes dans une de ces situations d'esprit où le pour et le contre se
balancent sans solution. Vous éprouvez le besoin de changer de milieu,
et, dès que vous quittez le vôtre, tout vous manque; vous regrettez,
comme vous le dites, très bien, jusqu'aux herbes de votre jardin. J'ai
traversé ces souffrances; mais je suis toujours revenue à mon nid
avec bonheur, et, à présent, je crois que le mieux n'est pas dans le
changement. Toute situation a ses amertumes ou ses langueurs, et je ne
puis croire que les gens qui vous aiment vous laissent tourmenter à
l'âge où vous ne pourriez plus vous défendre vous-même. Cet âge est loin
encore, Dieu merci! et qui sait s'il viendra? La vieillesse n'est
pas forcément la décadence intellectuelle. C'est quelquefois tout le
contraire. Vous êtes une âme généreuse et forte de droiture. Si les
fantômes vous tourmentent et vous terrassent par moments, vous vous
retrouvez toujours sur vos pieds, _toujours la même_, vous en convenez
vous-même. Vous n'êtes donc pas en danger de devenir la proie des
inquisiteurs du corps et de l'âme. N'ayez pas cette crainte: la crainte
est un vertige qui nous attire dans le péril imaginaire. Supprimez ce
vertige, il n'y a plus de péril.
Quant à l'emploi de votre fortune, c'est une question d'examen autour de
vous. Il y a tant de misères intéressantes et dignes! A votre place, je
ne serais pas embarrassée, vous avez su faire le bien toute votre vie,
vous le saurez jusqu'à la dernière heure.
Mais vous souffrez, vous êtes dans une crise d'étouffement. Tout le
monde a de ces crises où tout froisse et déplaît, vous les ressentez
plus vives, parce que votre intelligence s'en rend compte et que
votre vie est peut-être un peu monotone. Est-ce que les voyages vous
fatiguent? Il me semble qu'une excursion de temps en temps, dans un beau
pays quelconque, vous ferait grand bien. Avec les chemins de fer, on
peut maintenant voyager sans fatigue en s'arrêtant souvent. Le voyage à
petites journées est encore très agréable et très sain. L'ami artiste
que vous avez près de vous doit être très capable de vous piloter et de
vous accompagner.
J'ai reçu votre volume, et je vous en remercie bien. J'ai peu de
temps pour lire; mais j'ai commencé et je suis charmée des premières
nouvelles. J'y retrouve votre bonté et votre grand sentiment de justice.
Croyez que je vous suis dévouée et même attachée de coeur; car il y
a déjà longtemps que je vous connais par vos lettres et je vous vois
toujours aussi digne de respect et d'affection qu'au commencement.
GEORGE SAND.
FIN DU TOME CINQUIÈME
TABLE
DXLII. A madame Augustine de Bertholdi. 3 janvier.
DXLIII. A M. Auguste Vacquerie. 4 janvier.
DXLXIV. A M. Edouard Rodrigues. 12 janvier.
DXLV. Au même. 8 février.
DXLVI. A Maurice Sand. 21 février.
DXLVII. Au même. 28 février.
DXLVIII. Au même. 1er mars.
DXLIX. Au même. 2 mars.
DL. Au même. 8 mars.
DLI. A M. Gustave Flaubert. 16 mars.
DLII. A M. Charles Duvernet. 24 mars.
DLIII. A madame Augustine de Bertholdi. 31 mars.
DLIV. A M. Hippolyte Magen. 24 avril.
DLV. A M. Berton, père. 5 mai.
DLVI. A mademoiselle Fleury. 8 mai.
DLVII. A M. Oscar Casamajou. mai.
DLVIII. A M. Guillemat. 11 juin.
DLIX. A Maurice Sand 18 juin.
DLX. A madame Lina Sand. 29 juin.
DLXI. A M. Ludre-Gabillaud. 12 juillet.
DLXII. A madame Lina Sand. 14 juillet.
DLXIII. A M. Jules Boucoiran. 16 juillet.
DLXIV. A M. Ludre-Gabillaud. 24 juillet.
DLXV. A madame Simonnet. 24 juillet.
DLXVI. A Maurice Sand. 25 juillet.
DLXVII. A M. Noël Parfait. juillet.
DLXVIII. A mademoiselle Fleury. 4 août.
DLXIX. A Maurice Sand. 6 août.
DLXX. A M. Jules Boucoiran. 6 août.
DLXXI. A M. Charles Poncy. 26 août.
DLXXII. A M. Berton père. septembre.
DLXXIII. A M. Ludre-Gabillaud. octobre.
DLXXIV. A Maurice Sand. 24 octobre.
DLXXV. A M. Édouard Rodrigues. 29 octobre.
DLXXVI. A madame Lina Sand. novembre.
DLXXVII. A M. Philibert Audebrand. 23 décembre.
DLXXVIII. A M. Francis Melvil. 23 décembre.
DLXXIX. A M. Edouard de Pompéry 23 décembre.
DLXXX. A mademoiselle Leroyer Chantepie. 31 décembre.
1865
DLXXXI. A M. Ladislas Mickiewicz. 11 janvier.
DLXXXII. A M. Nefftzer. 12 janvier.
DLXXXIII. A. M. Armand Barbès. 15 janvier.
DLXXXIV. A S. A. le prince Napoléon (Jérôme). 7 février.
DLXXXV. Au même. 9 mars.
DLXXXVI. A M. Ernest Périgois. 26 mars.
DLXXXVII. A M. Louis Ratisbonne. 30 mars.
DLXXXVIII. A.M. Leblois. 17 mai.
DLXXXIX. A S. A. le prince Napoléon (Jérôme). 1er juin.
DXC. A M.***. 9 juin.
DXCI. A M. Louis Ulbach. 27 juin.
DXCII. A Maurice Sand. 29 juin.
DXCIII. A M. Sainte-Beuve.
DXCIV. A M. Louis Ulbach. 27 septembre.
DXCV. A Gustave Flaubert. 22 novembre.
DXCVI. A M. le baron Taylor. 15 décembre.
1866
DXCVII. A M. Alexandre Dumas fils. 7 janvier.
DXCVIII. A S. A. le prince Napoléon (Jérôme). 20 janvier.
DXCIX. A Maurice Sand. 1er février.
DC. Au même. 5 février.
DCI. A madame la comtesse Sophie Podlipska. 12 février.
DCII. A M. Desplanches. 25 mai.
DCIII. A M. André Boutet. 14 juin.
DCIV. A M. Alexandre Dumas fils. 28 juin.
DCV. Au même. 5 juillet.
DCVI. A M.Joseph Dessauer. 5 juillet.
DCVII. A madame Arnould-Plessy. 5 août.
DCVIII. A Gustave Flaubert. 10 août.
DCIX. A Maurice Sand. 10 août.
DCX. A Gustave Flaubert. 12 août.
DCXI. A Maurice Sand. 1er septembre.
DCXII. A Gustave Flaubert. 21 septembre.
DCXIII. Au même. 28 septembre.
DCXIV. A M. Noël Parfait. 28 septembre.
DCXV. A mademoiselle Marguerite Thuillier. 8 octobre.
DCXVI. A Gustave Flaubert. octobre.
DCXVII. Au même. 10 novembre.
DCXVIII. A M. Charles Poncy. 16 novembre.
DCXIX. A Maurice Sand. 19 novembre.
DCXX. A Gustave Flaubert. 20 novembre.
DCXXI. Au même. 30 novembre.
DCXXII. A M. Thomas Couture. 13 décembre.
1867
DCXXIII. A Gustave Flaubert. 9 janvier.
DCXXIV. A M. Armand Barbès. 15 janvier.
DCXXV. A Gustave Flaubert. 15 janvier.
DCXXVI. A M. Henri Harrisse. 19 janvier.
DCXXVII. A M. Alexandre Dumas fils. 21 janvier.
DCXXVIII. A Gustave Flaubert. 8 février.
DCXXIX. Au même. 16 février.
DCXXX. A M. Henri Harrisse. février.
DCXXXI. A M. Paul de Saint-Victor. 18 février.
DCXXXII. A M. Armand Barbès. 2 mars.
DCXXXIII. A M. Louis Viardot. 11 avril.
DCXXXIV. A M. André Boulet. 15 avril.
DCXXXV. A M. Louis Viardot. 24 avril.
DCXXXVI. A. Gustave Flaubert. 9 mai.
DCXXXVII. A M. Armand Barbès. 12 mai.
DCXXXVIII. A Gustave Flaubert. 30 mai.
DCXXXIX. Au même. 14 juin.
DCXL. A M. Henri Harrisse. 28 juillet.
DCXLI. A M. François Rollinat. 29 juillet.
DCXLII. A Gustave Flaubert. 6 août.
DCXLIII. A M. Raoul Lafagette. 10 août.
DCXLIV. A Gustave Flaubert. 18 août.
DCXLV. A madame Arnould-Plessy. 23 août.
DCXLVI. A M. Armand Barbès. 27 août.
DCXLVII. A Gustave Flaubert. août.
DCXLVIII. A madame Arnould-Plessy. 1er septembre.
DCXLXIX. A Gustave Flaubert. 10 septembre.
DCL. Au rédacteur en chef de _la Liberté_. 23 septembre.
DCLI. A Gustave Flaubert. 1er octobre.
DCLII. A M. Henri Harrisse. 11 octobre.
DCLIII. A M. Armand Barbès. 12 octobre.
DCLIV. A Gustave Flaubert. 12 octobre.
DCLV. A madame Arnould-Plessy. 21 octobre.
DCLVI. A Gustave Flaubert. 28 octobre.
DCLVII. Au même. 5 décembre.
DCLVIII. A M. Calamatta 21 décembre.
DCLIX. A Gustave Flaubert. 31 décembre.
1868
DCLX. A M. Armand Barbès. 1er janvier.
DCLXI. A mademoiselle Marguerite Thuillier. 4 janvier.
DCLXII. A mademoiselle Fleury. 16 janvier.
DCLXIII. A M. Charles Poncy. 22 février.
DCLXIV. A madame Arnould-Plessy. 7 mars.
DCLXV. A la même. 15 mars.
DCLXVI. A M. Edouard Cadol. 17 mars.
DCLXVII. A madame Juliette Lambert. 23 mars.
DCLXVIII. A madame Lebarbier de Tinan. 26 mars.
DCLXIX. A M. Henri Harrisse. 9 avril.
DGLXX. A madame Edmond Adam. 8 juin.
DCLXXI. A M. Louis Viardot. 10 juin.
DCLXXII. A Gustave Flaubert. 21 juin.
DCLXXIII. A M. Joseph Dessauer. 5 juillet.
DCLXXIV. A M. Guillaume Guizot. 12 juillet.
DCLXXV. A Gustave Flaubert. 31 juillet.
DCLXXVI. A madame Pauline Villot. août.
DCLXXVII. A Gustave Flaubert. août.
DCLXXVIII. Au même. 18 septembre.
DCLXXIX. A Maurice Sand. septembre.
DCLXXX. A Gustave Flaubert. fin septembre.
DCLXXXI. Au même. 15 octobre.
DCLXXXII. A M. Alexandre Dumas fils. 31 octobre.
DCLXXXIII. A Gustave Flaubert. 20 novembre.
DCLXXXIV. A M. de Chilly. 12 décembre.
DCLXXXV. A S. A. le prince Napoléon (Jérôme). 17 décembre.
DCLXXXVI. A madame Edmond Adam. 20 décembre.
DCLXXXVII. A Gustave Flaubert. 21 décembre.
1869
DCLXXXVIII. A M. Emile Rollinat. 2 janvier.
DCLXXXIX. A M. Armand Barbès. 2 janvier.
DCXC. A madame Edmond Adam. 10 janvier.
DCXCI. A Gustave Flaubert. 17 janvier.
DCXCII. Au même. 11 février.
DCXCIII. A M. Edmond Plauchut. 18 février.
DCXCIV. A Gustave Flaubert. 24 février.
DCXCV. A M. Alexandre Dumas fils. 12 mars.
DCXCVI. A Gustave Flaubert. 2 avril.
DCXCVII. A M. Charles-Edmond. 20 avril.
DCXCVIII. A Maurice Sand. 14 mai.
DCXCIX. A M. Edmond Plauchut. 11 juin.
DCC. Au même. 15 août.
DCCI. A Maurice Sand. 18 septembre.
DCCII. Au même. 22 septembre.
DCCIII. Au même. 17 octobre.
DCCIV. A M. Edmond Plauchut. 10 novembre.
DCCV. A Gustave Flaubert. 15 novembre.
DCCVI. A Louis Ulbach. 26 novembre.
DCCVII. A Médéric Charot. 28 novembre.
DCCVIII. A madame Edmond Adam. 29 novembre.
DCCIX. A Gustave Flaubert. 30 novembre.
DCCX. Au même. 4 décembre.
DCCXI. A M. Alexandre Dumas fils. 10 décembre.
DCCXII. A Gustave Flaubert. 14 décembre.
DCCXIII. A M. Berton père. décembre.
DCCXIV. A Gustave Flaubert. 17 décembre.
DCCXV. Au même. 18 décembre.
DCCXVI. A madame Edmond Adam. 24 décembre.
1870
DCCXVII. A M. Armand Barbès. 4 janvier.
DCCXVIII. A mademoiselle N. Fleury. 6 janvier.
DCCXIX. A Gustave Flaubert. 9 janvier.
DCCXX. A Victor Hugo. 2 février.
DCCXXI. A Maurice Sand. 21 février.
DCCXXII. A madame Simonnet. 21 février.
DCGXXIII. A Maurice Sand. 23 février.
DCCXXIV. Au même. 26 février.
DCCXXV. Au même. 27 février.
DCCXXVI. Au même. 2 mars.
DCCXXVII. A Gustave Flaubert 19 mars.
DCCXXVIII. Au même. 30 mars.
DCCXXIX. A M. Edmond Plauchut. 3 avril.
DCCXXX. A Michel Lévy. 20 avril.
DCCXXXI. Au même. 26 avril.
DCCXXXII. A Gustave Flaubert. 20 mai.
DCCXXXIII. A madame Edmond Adam. 8 juin.
DCCXXXIV. A Gustave Flaubert. 29 juin.
DCCXXXV. A M. Emile de Girardin. 3 juillet.
DCCXXXVI. A M. le docteur Henri Favre. 3 juillet.
DCCXXXVII. A mademoiselle Leroyer de Chantepie. 14 juillet.