William Shakespear

Macbeth
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MACDUFF.--Il n'a point d'enfants[41]!--Tous mes jolis enfants, avez-vous
dit? tous? Oh! milan d'enfer! Tous? quoi! tous mes pauvres petits
poulets et leur mère, tous enlevés d'un seul horrible coup?

MALCOLM.--Luttez en homme contre le malheur.

MACDUFF.--Je le ferai; mais il faut bien aussi que je le sente en homme;
il faut bien aussi que je me rappelle qu'il a existé dans le monde des
êtres qui étaient pour moi ce qu'il y avait de plus précieux. Le ciel
l'a vu et n'a pas pris leur défense! Coupable Macduff! ils ont tous été
frappés pour toi! Misérable que je suis! ce n'est pas pour leurs fautes,
mais pour les miennes, que le meurtre a fondu sur eux. Que le ciel
maintenant leur donne la paix!

MALCOLM.--Que ceci aiguise votre épée; que votre douleur se change en
colère, qu'elle n'affaiblisse pas votre coeur, qu'elle l'enrage.

MACDUFF.--Oh! je pourrais jouer le rôle d'une femme et celui d'un
fanfaron avec ma langue; mais, ô ciel propice, abrège tout délai;
mets-nous face à face ce démon de l'Écosse et moi; place-le à la
longueur de mon épée, s'il m'échappe, que le ciel lui pardonne aussi!

MALCOLM.--Ces accents sont d'un homme. Allons trouver le roi; notre
armée est prête; nous n'avons plus qu'à prendre congé. Macbeth est
mûr pour tomber, et les puissances d'en haut ont saisi la
faucille.--Acceptez tout ce qui peut vous consoler. C'est une longue
nuit que celle qui n'arrive point au jour.

(Ils sortent.)

[Note 36:

  _And like goodmen
  Bestride our down fall'n birthdom._

Les commentateurs ont voulu expliquer pur _birth right_, droit de
naissance, le mot de _birthdom_, qui signifie, je crois, pays natal.
Dans cette supposition, ils ont expliqué le mot _bestride_ par être
à cheval, à la manière d'un homme qui met entre ses jambes, pour le
défendre, l'objet qu'on veut lui enlever. Cette explication me paraît
être forcée et nullement en rapport avec le reste du dialogue.--Malcolm
parle de se retirer dans un coin pour pleurer; Macduff veut au contraire
qu'il se rende dans son pays, et part de là pour lui décrire les maux de
ce pays: cela est naturel.]

[Note 37:

  _Wear thou thy wrongs,
  Thy title is affeer'd._

_Affeer'd_ est un terme de loi qui paraît signifier confirmer. Je pense,
malgré l'opinion de la plupart des commentateurs, que Macduff s'adresse
ici à Malcolm, et lui dit, pour lui reprocher sa lâcheté: «Subis tes
injures, ton titre est consacré, tu y as droit.»]

[Note 38: _Summer seeding lust_.]

[Note 39: Les écrouelles.]

[Note 40: _Modern ecstasy_.]

[Note 41: _He has no children_! On est demeuré dans l'incertitude
sur le sens de cette exclamation: quelques personnes pensent qu'elle
s'adresse à Malcolm, dont les impuissantes consolations ne peuvent venir
que d'un homme qui n'a pu connaître une pareille douleur; et il est
certain qu'à l'appui de cette opinion vient ce qu'a dit lady Macbeth,
dans le premier acte, du bonheur qu'elle a senti à allaiter son enfant;
de plus, les chroniques d'Écosse parlent d'un fils de Macbeth, nommé
Lulah, qui fut, après la mort de son père, couronné roi par quelques-uns
de ses partisans, et fut ensuite tué quatre mois environ après la
bataille de Dunsinane. Mais, d'un autre côté, il est clair que Macduff
répond à Malcolm, et qu'il repousse ses consolations par l'impossibilité
où il est de se venger sur un homme qui n'a pas d'enfants. Il faut
remarquer d'ailleurs que rien dans la pièce n'a indiqué que Macbeth eût
des enfants vivants, et que le désespoir avec lequel Macbeth apprend
que des enfants de Banquo régneront après lui, ne parait pas porter sur
l'idée de voir privé de la couronne un enfant déjà existant. Il ne dit
point: _not my son_, mais _no son of mine succeeding_; enfin, ce sens
exprime un sentiment beaucoup plus profond, et c'est une raison pour
croire que c'est celui de Shakspeare.]


FIN DU QUATRIÈME ACTE.




ACTE CINQUIÈME



SCÈNE I

A Dunsinane.--Un appartement du château.


_Entrent_ UN MÉDECIN ET UNE DAME _suivante de la reine._

LE MÉDECIN.--Voilà deux nuits que je veille avec vous, et rien ne m'a
confirmé la vérité de votre rapport. Quand lui est-il arrivé la dernière
fois de se promener ainsi?

LA DAME SUIVANTE.--C'est depuis que Sa Majesté est entrée en campagne:
je l'ai vue se lever de son lit, jeter sur elle sa robe de nuit, ouvrir
son cabinet, prendre du papier, le plier, écrire dessus, le lire, le
cacheter ensuite, puis retourner se mettre au lit; et pendant tout ce
temps-là demeurer dans le plus profond sommeil.

LE MÉDECIN.--Il faut qu'il existe un grand désordre dans les fonctions
naturelles, pour qu'on puisse à la fois jouir des bienfaits du sommeil
et agir comme si l'on était éveillé. Dites-moi, dans cette agitation
endormie, outre sa promenade et les autres actions dont vous parlez, que
lui avez-vous jamais entendu dire?

LA DAME SUIVANTE.--Ce que je ne veux pas répéter après elle, monsieur.

LE MÉDECIN.--Vous pouvez me le dire à moi, et cela est même
très-nécessaire.

LA DAME SUIVANTE.--Ni à vous, ni à personne, puisque je n'ai aucun
témoin pour confirmer mon récit. (_Entre lady Macbeth, avec un
flambeau._) Tenez, la voilà qui vient absolument comme à l'ordinaire;
et, sur ma vie, elle est profondément endormie. Observez-la; demeurez à
l'écart.

LE MÉDECIN.--Comment a-t-elle eu cette lumière?

LA DAME SUIVANTE.--Ah! elle était près d'elle: elle a toujours de la
lumière près d'elle; c'est son ordre.

LE MÉDECIN.--Vous voyez que ses yeux sont ouverts.

LA DAME SUIVANTE.--Oui, mais ils sont fermés à toute impression.

LE MÉDECIN.--Que fait-elle donc là? Voyez comme elle se frotte les
mains.

LA DAME SUIVANTE.--C'est un geste qui lui est ordinaire: elle a toujours
l'air de se laver les mains; je l'ai vue le faire sans relâche un quart
d'heure de suite.

LADY MACBETH.--Il y a toujours une tache.

LE MÉDECIN.--Écoutez; elle parle. Je veux écrire ce qu'elle dira, afin
d'en conserver plus nettement le souvenir.

LADY MACBETH.--Va-t'en, maudite tache...; va-t'en, te dis-je.--Une, deux
heures.--Allons, il est temps de le faire.--L'enfer est sombre!--Fi!
mon seigneur, fi! un soldat avoir peur! Qu'avons-nous besoin de nous
inquiéter, qui le saura, quand personne ne pourra demander de comptes à
notre puissance?--Mais qui aurait cru que ce vieillard eut encore tant
de sang dans le corps?

LE MÉDECIN. _à la dame suivante_.--Remarquez-vous cela?

LADY MACBETH.--Le thane de Fife avait une femme: où est-elle
maintenant?--Quoi! ces mains ne seront-elles jamais propres?--Plus
de cela, mon seigneur, plus de cela: vous gâtez tout par ces
tressaillements.

LE MÉDECIN.--Allez-vous-en, allez-vous-en; vous avez appris ce que vous
ne deviez pas savoir.

LA DAME SUIVANTE.--Elle a dit ce qu'elle ne devait pas dire, j'en suis
sûre. Dieu sait tout ce qu'elle a su!

LADY MACBETH.--Il y a toujours là une odeur de sang. Tous les parfums de
l'Arabie ne peuvent purifier cette petite main!--Oh! oh! oh!

LE MÉDECIN.--Quel profond soupir! Le coeur est cruellement chargé.

LA DAME SUIVANTE.--Je ne voudrais pas avoir un pareil coeur dans mon
sein, pour les grandeurs de tout ce corps.

LE MÉDECIN.--Bien, bien, bien.

LA DAME SUIVANTE.--Je prie Dieu qu'il en soit ainsi, docteur.

LE MÉDECIN.--Cette maladie est au-dessus de mon art: cependant j'ai
connu des personnes qui se promenaient durant leur sommeil, et qui sont
mortes saintement dans leur lit.

LADY MACBETH.--Lavez vos mains, mettez votre robe de nuit, ne soyez pas
si pâle. Je vous le répète, Banquo est enterré, il ne peut pas sortir de
son tombeau.

LE MÉDECIN.--Et cela encore?

LADY MACBETH.--Au lit, au lit: on frappe à la porte; venez, venez,
venez, donnez-moi votre main. Ce qui est fait ne peut se défaire. Au
lit, au lit, au lit!

(Elle sort.)

LE MÉDECIN.--Va-t-elle retourner à son lit?

LA DAME SUIVANTE.--Tout droit.

LE MÉDECIN.--Il a été murmuré d'horribles secrets.--Des actions contre
nature produisent des désordres contre nature. Le sourd oreiller recevra
les confidences des consciences souillées.--Elle a plus besoin d'un
prêtre que d'un médecin. Dieu! Dieu! pardonne-nous à tous.--Suivez-la;
écartez d'elle tout ce qui pourrait la déranger, et ayez toujours les
yeux sur elle; je pense, mais je n'ose parler.

LA DAME SUIVANTE.--Bonne nuit, cher docteur.

(Ils sortent.)



SCÈNE II

Dans la campagne, près de Dunsinane.


_Entrent avec des enseignes et des tambours_ MENTEITH, CAITHNESS, ANGUS,
LENOX, _des soldats._

MENTEITH.--L'armée anglaise approche: elle est conduite par Malcolm, son
oncle Siward et le brave Macduff. La vengeance brûle dans leur coeur:
une cause si chère exciterait l'homme le plus mort au monde à se lancer
dans le sang et les terreurs de la guerre.

ANGUS.--Nous ferons bien d'aller les joindre près de la forêt de Birnam;
c'est par cette route qu'ils arrivent.

CAITHNESS.--Qui sait si Donalbain est avec son frère?

LENOX.--Certainement non, seigneur, il n'y est pas. J'ai une liste de
toute cette noblesse: le fils de Siward en est, ainsi qu'un grand nombre
de jeunes gens encore sans barbe, et qui vont pour la première fois
faire acte de virilité.

MENTEITH.--Que fait le tyran?

CAITHNESS.--Il fait fortifier solidement le grand château de Dunsinane.
Quelques-uns disent qu'il est fou; d'autres, qui le haïssent moins,
appellent cela une courageuse fureur. Mais ce qu'il y a de certain,
c'est qu'il ne peut plus boucler la ceinture de la règle sur une cause
aussi malade.

ANGUS.--Il sent maintenant ses meurtres secrets blesser ses propres
mains. A chaque instant de nouvelles révoltes viennent lui reprocher
son manque de foi. Ceux qu'il commande n'obéissent qu'à l'autorité,
et nullement à l'amour. Il commence à sentir la dignité souveraine
l'embarrasser de son ampleur inutile, comme la robe d'un géant volée par
un nain.

MENTEITH.--Qui pourra blâmer ses sens troublés de reculer et de
tressaillir, quand tout ce qui est en lui se reproche sa propre
existence?

CAITHNESS.--Marchons; allons porter notre obéissance à qui elle est
légitimement due. Allons trouver le médecin de cet État malade; et
versons avec lui jusqu'à la dernière goutte de notre sang pour le remède
de notre patrie.

LENOX.--Tout ce qu'il en faudra du moins pour arroser la fleur royale et
noyer les mauvaises herbes. Dirigeons notre marche vers Birnam.



SCÈNE III

A Dunsinane.--Un appartement du château.


_Entrent_ MACBETH, LE MÉDECIN; _suite._

MACBETH, _aux personnes de sa suite_.--Ne m'apportez plus de rapports.
Qu'ils s'envolent tous; jusqu'à ce que la forêt de Birnam se mette en
mouvement vers Dunsinane, la crainte ne pourra m'atteindre. Qu'est-ce
que ce petit Malcolm? n'est-il pas né d'une femme? Les esprits, qui
connaissent tout l'enchaînement des causes de mort, me l'ont ainsi
déclaré: «Ne crains rien, Macbeth; nul homme né d'une femme n'aura
jamais de pouvoir sur toi.»--Fuyez donc, perfides thanes, et allez vous
confondre avec ces épicuriens d'Anglais. L'esprit par lequel je gouverne
et le coeur que je porte ne seront jamais accablés par l'inquiétude,
ni ébranlés par la crainte--(_Entre un domestique._) Que le diable te
grille, vilain à face de crème! où as-tu pris cet air d'oison?

LE DOMESTIQUE.--Seigneur, il y a dix mille...

MACBETH.--Oisons, misérable!

LE DOMESTIQUE.--Soldats, seigneur.

MACBETH.--Va-t'en te piquer la figure pour cacher ta frayeur sous un peu
de rouge, drôle, au foie blanc de lis[42]. Quoi, soldats! vous voilà de
toutes les couleurs!--Mort de mon âme! Tes joues de linge apprennent la
peur aux autres. Quoi, soldats! des visages de petit-lait!

LE DOMESTIQUE.--L'armée anglaise, sauf votre bon plaisir...

MACBETH.--Ôte-moi d'ici ta face.--Seyton!--Le coeur me manque quand je
vois....--Seyton!--De ce coup je vais être mis à l'aise pour toujours,
ou jeté à bas.--J'ai vécu assez longtemps, la course de ma vie est
arrivée à l'automne, les feuilles jaunissent, et tout ce qui devrait
accompagner la vieillesse, comme l'honneur, l'amour, les troupes d'amis,
je ne dois pas y prétendre: à leur place ce sont des malédictions
prononcées tout bas, mais du fond de l'âme; des hommages de bouche, vain
souffle que le pauvre coeur voudrait refuser et n'ose.--Seyton!

(Entre Seyton.)

SEYTON.--Quel est votre bon plaisir?

MACBETH.--Quelles nouvelles y a-t-il encore?

SEYTON.--Tout ce qu'on a annoncé est confirmé, seigneur.

MACBETH.--Je combattrai jusqu'à ce que ma chair tombe en pièces de
dessus mes os.--Donne-moi mon armure.

SEYTON.--Vous n'en avez pas encore besoin.

MACBETH.--Je veux la mettre. Envoie un plus grand nombre de cavaliers
parcourir le pays, qu'on pende ceux qui parlent de peur. Donne-moi mon
armure.--Comment va votre malade, docteur?

LE MÉDECIN.--Elle n'est pas si malade, seigneur, qu'obsédée de rêveries
qui se pressent dans son imagination et l'empêchent de reposer.

MACBETH.--Guéris-la de cela. Ne peux-tu donc soigner un esprit malade,
arracher de la mémoire un chagrin enraciné, effacer les soucis gravés
dans le cerveau, et, par la vertu de quelque bienfaisant antidote
d'oubli, nettoyer le sein encombré de cette matière pernicieuse qui pèse
sur le coeur?

LE MÉDECIN.--C'est au malade en pareil cas à se soigner lui-même.

MACBETH.--Jette donc la médecine aux chiens; je n'en veux pas.--Allons,
mets-moi mon armure; donne-moi ma lance.--Seyton, envoie la
cavalerie.--Docteur, les thanes m'abandonnent.--Allons, monsieur,
dépêchez-vous.--Docteur, si tu pouvais, à l'inspection de l'eau de mon
royaume[43], reconnaître sa maladie, et lui rendre par tes remèdes sa
bonne santé passée, je t'applaudirais à tous les échos capables de
répéter mes applaudissements.--(_A Seyton_.) Ôte-la, te dis-je.--Quelle
sorte de rhubarbe, de séné, ou de toute autre drogue purgative,
pourrais-tu nous donner pour nous évacuer de ces Anglais? En as-tu
entendu parler?

LE MÉDECIN.--Mon bon seigneur, les préparatifs de Votre Majesté nous en
disent quelque chose.

MACBETH, _à Seyton_.--Porte-la derrière moi.--Je n'ai à craindre ni
mort, ni ruine, jusqu'à ce que la forêt de Birnam vienne à Dunsinane.

(Il sort.)

LE MÉDECIN.--Si j'étais sain et sauf hors de Dunsinane, il ne serait pas
aisé de m'y faire rentrer pour de l'argent.

(Il sort.)

[Note 42: La blancheur du foie passait pour une preuve de lâcheté.]

[Note 43:

  _Cast
  The water of my land._

_Cast the water_ était alors l'expression anglaise pour _examiner les
urines_.]



SCÈNE IV

Dans la campagne près de Dunsinane, et en vue d'une forêt.


_Entrent avec des enseignes et des tambours_ MALCOLM, LE VIEUX SIWARD ET
SON FILS, MACDUFF, MENTEITH, CAITHNESS, ANGUS, LENOX, ROSSE; _soldats en
marche._

MALCOLM.--Cousins, j'espère que le jour n'est pas loin où nous serons en
sûreté chez nous.

MENTEITH.--Nous n'en doutons nullement.

SIWARD.--Quelle est cette forêt que je vois devant nous?

MENTEITH.--La forêt de Birnam.

MALCOLM.--Que chaque soldat coupe une branche d'arbre et la porte devant
lui: par-là nous dissimulerons à l'ennemi notre force, et tromperons
ceux qu'il enverra à la découverte.

LES SOLDATS.--Vous allez être obéi.

SIWARD.--Nous n'avons rien appris, si ce n'est que le tyran, plein de
confiance, se tient ferme dans Dunsinane et nous y laissera mettre le
siège.

MALCOLM.--C'est sa principale ressource, car, partout où l'on en trouve
l'occasion, les grands et les petits se révoltent contre lui. Il n'est
servi que par des machines qui lui obéissent de force, tandis que leurs
coeurs sont ailleurs.

MACDUFF.--Nous jugerons justement après l'événement qui ne trompe point.
Ne négligeons aucune des ressources de l'art militaire.

SIWARD.--Le temps approche où nous apprendrons décidément ce que nous
avons et ce que nous devons. Les idées spéculatives nous entretiennent
de leurs espérances incertaines, mais les coups déterminent l'événement
d'une manière positive: c'est à ce but qu'il faut que la guerre marche.

(Ils se mettent en marche.)



SCÈNE V

A Dunsinane.--Intérieur du château.


_Entrent avec des enseignes et des tambours_ MACBETH, SEYTON, _soldats._

MACBETH.--Plantez notre étendard sur le rempart extérieur. On crie
toujours: _Ils viennent!_ Mais la force de notre château se moque d'un
siége. Qu'ils restent là jusqu'à ce que la famine et les maladies les
consument. S'ils n'étaient pas renforcés par ceux mêmes qui devraient
combattre pour nous, nous aurions pu hardiment les aller rencontrer face
à face, et les reconduire battant jusque chez eux.--Quel est ce bruit?

(On entend derrière le théâtre des cris de femmes.)

SEYTON.--Ce sont des cris de femmes, mon bon seigneur.

MACBETH.--J'ai presque oublié l'impression de la crainte. Il fut un
temps où mes sens se seraient glacés an bruit d'un cri nocturne; où tous
mes cheveux, à un récit funeste, se dressaient et s'agitaient comme
s'ils eussent été doués de vie: mais je me suis rassasié d'horreurs. Ce
qu'il y a de plus sinistre, devenu familier à mes pensées meurtrières,
ne saurait me surprendre.--D'où venaient ces cris?

SEYTON.--La reine est morte, mon seigneur.

MACBETH.--Elle aurait dû mourir plus tard: il serait arrivé un moment
auquel aurait convenu une semblable parole. Demain, demain, demain,
se glisse ainsi à petits pas d'un jour à l'autre, jusqu'à la dernière
syllabe du temps inscrit; et tous nos hier n'ont travaillé, les
imbéciles, qu'à nous abréger le chemin de la mort poudreuse[44].
Éteins-toi, éteins-toi, court flambeau: la vie n'est qu'une ombre qui
marche; elle ressemble à un comédien qui se pavane et s'agite sur le
théâtre une heure; après quoi il n'en est plus question; c'est un conte
raconté par un idiot avec beaucoup de bruit et de chaleur, et qui ne
signifie rien.--(_Entre un messager._) Tu viens pour faire usage de ta
langue: vite, ton histoire.

LE MESSAGER.--Mon gracieux seigneur, je voudrais vous rapporter ce que
je puis dire avoir vu; mais je ne sais comment m'y prendre.

MACBETH.--C'est bon, parlez, mon ami.

LE MESSAGER.--J'étais de garde sur la colline, et je regardais du côté
de Birnam, quand tout à l'heure il m'a semblé que la forêt se mettait en
mouvement.

MACBETH _le frappant_.--Menteur! misérable!

LE MESSAGER.--Que j'endure votre colère si cela n'est pas vrai; vous
pouvez, à la distance de trois milles, la voir qui s'approche: c'est, je
vous le dis, un bois mouvant.

MACBETH.--Si ton rapport est faux, tu seras suspendu vivant au premier
arbre, jusqu'à ce que la famine te dessèche. Si ton récit est véritable,
peu m'importe que tu m'en fasses autant: je prends mon parti résolument,
et commence à douter des équivoques du démon qui ment sous l'apparence
de la vérité: _Ne crains rien jusqu'à ce que la forêt de Birnam marche
sur Dunsinane_, et voilà maintenant une forêt qui s'avance vers
Dunsinane.--Aux armes, aux armes, et sortons!--S'il a vu en effet ce
qu'il assure, il ne faut plus songer à s'échapper d'ici, ni à s'y
renfermer plus longtemps.--Je commence à être las du soleil, et
à souhaiter que toute la machine de l'univers périsse en ce
moment.--Sonnez la cloche d'alarme.--Vents, soufflez; viens,
destruction; du moins nous mourrons le harnais sur le dos.

(Ils sortent.)

[Note 44:

  _And all our yesterdays have lighted fools
  The way to dusty death._

_To light_ se prend quelquefois pour _to lighten_, alléger, et je
crois que c'en est ici la signification. Les jours passés n'ont point
_éclairé_, mais _allégé_ ou _abrégé_ le chemin que nous avons à faire
jusqu'à la mort. Les commentateurs ne paraissent pas l'avoir entendu
dans ce sens.]



SCÈNE VI

Toujours à Dunsinane.--Une plaine devant le château.


_Entrent avec des enseignes et des tambours_ MALCOLM, LE VIEUX SIWARD,
MACDUFF, ROSSE, LENOX, ANGUS, CAITHNESS, MENTEITH, _et leurs soldats
portant des branches d'arbres,_

MALCOLM, _aux soldats_.--Nous voilà assez près: jetez ces rideaux de
feuillage, et montrez-vous pour ce que vous êtes.--Vous, mon digne
oncle, avec mon cousin votre noble fils, vous commanderez le premier
corps de bataille. Le brave Macduff et nous, nous nous chargerons de
tout ce qui restera à faire, suivant le plan arrêté entre nous.

SIWARD.--Adieu; joignons seulement l'armée du tyran; et je veux être
battu si nous n'en venons pas aux mains dès ce soir.

MACDUFF.--Faites parler toutes nos trompettes: donnez toute leur voix à
ces bruyants précurseurs du sang et de la mort.

(Ils sortent. Bruit continuel d'alarmes.)



SCÈNE VII

Toujours à Dunsinane.--Une autre partie de la plaine.


_Entre_ MACBETH.

MACBETH.--Ils m'ont attaché à un poteau; je ne peux fuir, mais, comme
l'ours, il faut que je me batte à tout venant. Où est celui qui n'est
pas né de femme? Voilà l'homme que je dois craindre, ou je n'en crains
aucun.

(Entre le jeune Siward.)

LE JEUNE SIWARD.--Quel est ton nom?

MACBETH.--Tu seras enrayé de l'entendre.

LE JEUNE SIWARD.--Non, quand tu porterais un nom plus brûlant qu'aucun
de ceux des enfers.

MACBETH.--Mon nom est Macbeth.

LE JEUNE SIWARD.--Le diable lui-même ne pourrait prononcer un nom plus
odieux à mon oreille.

MACBETH.--Non, ni plus redoutable.

LE JEUNE SIWARD.--Tu mens, tyran abhorré: mon épée va prouver ton
mensonge.

(Ils combattent. Le jeune Siward est tué.)

MACBETH.--Tu étais né de femme. Je me moque des épées; je me ris avec
mépris de toute arme maniée par l'homme qui est né de femme.

(Il sort.--Alarme.)

(Rentre Macduff.)

MACDUFF.--C'est de ce côté que le bruit s'est fait entendre. Tyran,
montre-toi! Si tu es tué sans avoir reçu un coup de ma main, les ombres
de ma femme et de mes enfants ne cesseront de m'obséder. Je ne puis
frapper sur de misérables Kernes, dont les bras sont loués pour porter
leur lance. Ou toi, Macbeth, ou le tranchant de mon épée, demeuré
inutile, rentrera dans le fourreau sans avoir frappé un seul coup. Tu
dois être par là; ce grand cliquetis que j'entends semble annoncer un
guerrier du premier rang. Fais-le moi trouver, Fortune, et je ne te
demande plus rien.

(Il sort.--Alarme.)

(Entrent Malcolm et le vieux Siward.)

SIWARD.--Par ici, mon seigneur: le château s'est rendu sans efforts; les
soldats du tyran se partagent entre nous et lui. Les nobles thanes font
bravement leur devoir de guerriers. La journée s'est presque entièrement
déclarée pour vous, et il reste peu de chose à faire.

MALCOLM.--Nous avons rencontré des ennemis qui frappaient à côté de
nous.

SIWARD.--Entrons, seigneur, dans le château.

(Ils sortent.--Alarme.)

(Rentre Macbeth.)

MACBETH.--Pourquoi ferais-je ici sottement le Romain, et mourrais-je sur
ma propre épée? Tant que je verrai devant moi des vies, les blessures y
seront bien mieux placées.

(Rentre Macduff.)

MACDUFF.--Retourne, chien d'enfer, retourne.

MACBETH.--De tous les hommes tu es le seul que j'aie évité: va-t'en, mon
âme est déjà trop chargée du sang des tiens.

MACDUFF.--Je n'ai rien à te dire, ma réponse est dans mon épée,
misérable, plus sanguinaire qu'aucune parole ne pourrait l'exprimer.

(Ils combattent.)

MACBETH.--Tu perds ta peine. Tu pourrais aussi facilement imprimer sur
l'air subtil le tranchant de ton épée que faire couler mon sang. Que ton
fer tombe sur des têtes vulnérables: ma vie est sous un charme qui ne
peut céder à un homme né de femme.

MACDUFF.--N'espère plus en ton charme, et que l'ange que tu as toujours
servi t'apprenne que Macduff a été arraché avant le temps du sein de sa
mère.

MACBETH.--Maudite soit la langue qui a prononcé ces paroles, car elle a
subjugué la meilleure partie de moi-même! et que désormais on n'ajoute
plus de foi à ces démons artificieux qui se jouent de nous par des
paroles à double sens, qui tiennent leurs promesses à notre oreille en
manquant à notre espoir.--Je ne veux point combattre avec toi.

MACDUFF.--Rends-toi donc, lâche, et vis pour être exposé aux regards de
notre temps. Ton portrait, comme celui des monstres les plus rares, sera
suspendu à un poteau; et au-dessous sera écrit: «C'est ici qu'on voit le
tyran.»

MACBETH.--Je ne me rendrai point pour baiser la poussière devant les pas
du jeune Malcolm, et pour être poussé à bout par les malédictions de la
populace. Quoique la forêt de Birnam ait marché vers Dunsinane, et que
je t'aie en tête, toi qui n'es pas né de femme, je tenterai un dernier
effort. Je couvre mon corps de mon bouclier de guerre. Attaque-moi,
Macduff: damné soit celui de nous deux qui criera le premier: «Arrête,
c'est assez.»

(Ils sortent en combattant. Retraite.--Fanfares.)

(Rentrent, avec des enseignes et des tambours, Malcolm, le vieux Siward,
Rosse, Lenox, Angus, Caithness, Menteith, soldats.)

MALCOLM.--Je voudrais que ceux de nos amis qui nous manquent fussent
arrivés en sûreté.

SIWARD.--Il en faudra perdre quelques-uns. Cependant, par ceux que je
vois ici, nous n'aurons pas acheté cher une si grande journée.

MALCOLM.--Macduff nous manque, ainsi que votre noble fils.

ROSSE, _à Siward_.--Votre fils, monseigneur, a payé la dette d'un
soldat: il n'a vécu que pour devenir un homme, et n'a pas eu plutôt
prouvé sa valeur, par l'intrépidité de sa contenance dans le combat,
qu'il est mort en homme.

SIWARD.--Il est donc mort?

ROSSE.--Oui, et on l'a emporté du champ de bataille. Votre affliction ne
doit pas être mesurée sur son mérite, car alors elle n'aurait point de
terme.

SIWARD.--A-t-il reçu ses blessures par devant?

ROSSE.--Oui, au front.

SIWARD.--Eh bien donc! qu'il devienne le soldat de Dieu! Eussé-je autant
de fils que j'aide cheveux, je ne leur souhaiterais pas une plus belle
mort: ainsi le glas est sonné pour lui.

MALCOLM.--Il mérite plus de regrets; c'est à moi à les lui rendre.

SIWARD.--Il a tout ce qu'il mérite: on dit qu'il est bien mort, et
qu'il a payé ce qu'il devait. Ainsi, que Dieu soit avec lui!--(_Rentre
Macduff, avec la tête de Macbeth à la main._) Voici de nouveaux sujets
de joie.

MACDUFF.--Salut, roi, car tu l'es. Vois, je porte la tête maudite de
l'usurpateur. Notre pays est libre. Je te vois entouré des perles de ton
royaume: tous répètent mon hommage dans le fond de leurs coeurs. Que
leurs voix s'unissent tout haut à la mienne: «Salut, roi d'Écosse!»

TOUS.--Roi d'Écosse, salut!

(Fanfares.)

MALCOLM.--Nous ne laisserons pas écouler beaucoup de temps avant de
compter avec les services de votre zèle, et sans vous rendre ce que nous
vous devons. Mes thanes et cousins, désormais soyez comtes, les premiers
que jamais l'Écosse ait vus honorés de ce titre. Ce qui nous reste à
faire, tous les actes nouveaux nécessités par la circonstance, comme le
rappel de ceux de nos amis qui se sont exilés pour fuir les pièges de
l'inquiète tyrannie; la recherche des cruels ministres de ce boucher
défunt et de son infernale compagne qui, à ce qu'on croit, s'est
détruite de ses propres mains; ces devoirs, et tous les autres qui nous
regardent, avec le secours de la grâce, nous les exécuterons à mesure
en temps et lieu. Je vous rends grâces à tous ensemble et à chacun en
particulier, et je vous invite tous à venir nous voir couronner à Scone.

(Tous sortent au bruit des fanfares.)


FIN DU CINQUIÈME ET DERNIER ACTE
                
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