Je vous demande le secret jusqu'à ce que nous ayons vidé la question,
et vous prie de croire, monsieur, quelle qu'en soit l'issue, à mes
sentiments de fraternité véritable et profonde.
GEORGE SAND.
DXXXII
A M. JOSEPH DESSAUER, A ISCHL (AUTRICHE)
Nohant, 15 août 1863.
Bon Chrishni,
Je veux que vous trouviez une lettre de moi à Ischl, puisque vous ne
m'avez pas mise à même de vous répondre à Paris.
Oui, ce sont d'heureux jours, que ceux où je vous ai retrouvé si
semblable à vous-même, à peine vieilli, pas changé, toujours aussi naïf,
aussi tendre et aussi aimable. Les oreilles ont dû vous sonner tout le
temps de votre voyage: car on n'a pas passé une heure ici sans dire:
«Bon Chrishni! cher brave homme! ami charmant! digne maestro! grand
artiste! etc., etc.»; chacun et tous à la fois, duo, trio, quatuor,
etc., _tutti, tutti:_ «Vive le bon Dessauer! le vrai _Favilla_!» Et,
le soir, les lettres mystérieuses apportées sur, la table par l'esprit
familier, les phrases musicales qu'on, croyait entendre en les lisant,
tout cela a été goûté, senti, et, tout en riant, on était attendri, on
vous sentait encore là.
Eh! n'y êtes-vous pas toujours? est-ce que nous ne vivons que dans notre
corps? est-ce que nous n'habitons pas la lune et le soleil et toutes les
étoiles, dès que notre pensée nous y transporte? est-ce qu'on ne s'y
occupe pas de nous comme nous nous occupons d'eux, nous qui rêvons
toujours d'aller les y rejoindre? Eux? qui? ils disent la même chose
que nous, et, sans nous connaître, ils nous aiment. Et puis ne nous
connaissent-ils pas? Où est notre cher grand Delacroix à cette heure?
Mais où êtes-vous vous-même, à l'heure où je vous écris? sur quelle
route? dans quel véhicule? dans quelle disposition d'esprit? L'absence
et la mort ne diffèrent pas beaucoup; donc, on ne se quitte pas, on se
perd de vue; mais on sait bien que, n'importe où, on se retrouvera.
Aussi je ne dis jamais adieu dans le sens de «Dieu nous sépare!» je le
dis toujours dans le sens «Au revoir en Dieu, sur cette terre ou sur une
autre!» Est-ce que l'on ne fait pas de progrès tant qu'on veut vivre et
tant qu'on croit à l'idéal? est-ce que l'idéal ne sert qu'à cette vie
d'un jour ou deux sur la terre? Ne croyez pas cela. Nous emportons avec
nous ce que nous avons acquis, et nous l'emportons pour l'accroître dans
l'éternité. Qu'importe que, dans une ou deux de nos existences, nous
n'ayons pas été assez encouragés, si nous avons entretenu le feu sacré
en nous et dans les autres? Ne comptez pas pour rien ces heures où vous
donnez, avec votre âme, celle des grands maîtres à vos amis; tout cela,
c'est un échange, entre eux, vous et nous, de ce qu'il y a de meilleur
et de plus élevé dans le sanctuaire commun.
Écrivez-nous, cher ami; dites-nous comment vous avez voyagé, comment
vous avez retrouvé les soeurs, la nièce, les montagnes, le pays du sel
et les montagnards artistes.
Toute la famille d'ici vous embrasse: Maurice, que la mort de Delacroix
a beaucoup affecté, surtout par la pensée qu'il est mort sans famille
autour de lui; Lina, qui vous présenté son poupon à baiser; madame
Lambert qui ne cesse de parler de vous; son mari, qui vous étudie
rétrospectivement avec une sympathie délicate; Marie Lambert, qui pleure
pour un rien, mais qui aime beaucoup; Calamatta, qui ne dit plus rien
contre Delacroix et qui le regrette comme homme, sans l'avoir jamais
compris comme peintre. Voilà tout le monde... Non, il y a la grande
Marie, une nature d'élite sous sa blanche cornette; et tous vous aiment
et vous crient: «Revenez!»
GEORGE SAND.
DXXXIII
A M. ALEXANDRE DUMAS FILS, A PARIS
Nohant, 26 août 1863.
Eh bien, mon cher lumineux fils, êtes-vous reposé de votre affreux
départ? On m'a dit que vous étiez parti _horriblement_, par la trahison
de l'imbécile qui fait le service. Il est si facile d'avoir une voiture
de louage à la Châtre, que nous sommes tous des niais de compter sur
autre chose, après tous les tours que nous a joués cette diligence.
Dites-en tous mes regrets à Gautier[1], et promettez-lui que cela
n'arrivera plus. Qu'il n'oublie pas que nous comptons qu'il reviendra et
qu'on l'avertira de ce qu'il y aura _d'instructif_ à voir pour la partie
matérielle, dans nos représentations. Remerciez-le pour moi et pour nous
tous de sa bonne visite.
Quant à vous, cher fils, je ne vous remercie pas autrement qu'en vous
aimant d'autant plus que vous vous êtes dévoué pour moi. Grâce à vous,
je vois clair dans le travail, et je refais avec soin un scénario plus
développé. Je suis même étonnée d'avoir pour cela la mémoire que je n'ai
pas pour autre chose. Je me rappelle tout ce que vous m'avez dit comme
si c'était écrit. C'est un plaisir de vous voir composer et improviser
une pièce en causant. À présent que je relis cette carcasse, je suis
étonnée de sa logique et de la manière dont elle se tient. Allons,
vous n'êtes pas encore crétin, mon bonhomme, et vous avez un monde de
compositions et de succès dans la _trompette_. Je ne suis pas en peine
de vous: si vous n'allez pas plus vite, c'est que vous êtes paresseux.
Mais qu'est-ce que ça fait si ça vous plaît de l'être? Ce qui importe,
c'est que, quand vous travaillez une heure, vous travaillez comme cent.
Tout mon monde vous envoie des amitiés en masse. Maurice n'est pas
encore revenu.
Votre maman vous embrasse.
[1] Théophile Gautier.
DXXXIV
A M. CHARLES PONCY, A TOULON
Nohant, 27 août 1863.
Mes pauvres enfants! avoir tant travaillé et tant souffert pour rien!
Mais non, ce n'est pas pour rien, puisque vous avez adouci ses derniers
jours et prolongé, autant que possible, son illusion et son espérance.
Dieu vous en tiendra compte et elle aussi, dans un monde meilleur.
Pauvre femme! si douce, si jeune encore et si belle de charme et de
distinction naturelle! Comme elle a langui et lutté! Elle est mieux où
elle est, n'en doutez pas.--Où que ce soit, elle vit et elle est en
Dieu.
Chère Solange! sois la consolation de ton pauvre père, et que ton père
soit la tienne aussi. Nous vous aimons bien.
DXXXV
A M. ALEXANDRE DUMAS FILS, A PARIS.
Nohant, 1er octobre 1863, deux heures du matin.
Mon cher fils,
Votre lettre est d'un vrai amour de fils! Je dis donc adieu à mes
scrupules; je vois que vous avez raison, que vous m'aimez bien, et
qu'avec vous on peut avoir le coeur sur la main tout à fait.
La Rounat est venu; on lui a lu la pièce, qui ne pourra passer que dans
l'hiver de 1864, parce que je ne veux pas la donner en plein printemps,
et qu'il a de l'encombrement jusque-là. Ça me laisse le temps de donner
encore plusieurs façons à mon labourage; car ce qu'on a lu jusqu'ici
n'est qu'un brouillon et j'y vois, chaque fois, des améliorations à
faire. Peut-être même remettrai-je la pièce en quatre actes; elle est
pleine en cinq, mais pas assez serrée à la fin. Ça m'amuse toujours.
Dès que j'aurai fini les corrections, je vous enverrai le manuscrit,
pour que vous m'en indiquiez des masses, et, en attendant, je vous
embrasse, pour moi qui veille et pour tous ceux qui dorment.
Votre maman.
DXXXVI
A SON ALTESSE LE PRINCE NAPOLÉON (JÉROME) A PARIS
Nohant, 19 novembre 1863.
Mon cher prince,
Vous devez me croire morte; mais vous avez tant couru, vous, que vous
n'auriez pas eu le temps de me lire. Vous avez bien travaillé pour
les arts, et pour l'industrie, et pour le progrès. Moi, j'ai fait une
comédie, c'est moins utile et moins intéressant. Que vous aurai-je
appris d'instructif, à vous qui savez tout? On me dit que vous voudriez
savoir ce que je pense de la _Vie de Jésus_.
M. Renan a fait un peu descendre son héros dans mon esprit, d'un certain
côté, en le relevant pourtant de l'autre. J'aimais à me persuader que
Jésus ne s'était jamais cru Dieu, jamais proclamé fils de Dieu en
particulier, et que sa croyance à un Dieu vengeur et punisseur était
une surcharge apocryphe faite aux Évangiles. Voilà du moins les
interprétations que j'avais toujours acceptées et même cherchées; mais
M. Renan arrive avec des études et un examen plus approfondis, plus
compétents, plus forts. On n'a pas besoin d'être aussi savant que lui
pour sentir une vérité, un ensemble de réalités et d'appréciations
indiscutables dans son oeuvre. Ne fut-ce que par la couleur et la vie,
on est pénétré, en le lisant, d'une lumière plus nette sur le temps, sur
le milieu, sur l'homme.
Je crois donc qu'il a mieux vu Jésus que nous ne l'avions entrevu
avant lui, et je l'accepte comme il nous le donne. Ce n'est plus un
philosophe, un savant, un sage, un génie, résumant en lui le meilleur
des philosophies et des sciences de son temps: c'est un rêveur, un
enthousiaste, un poète, un inspiré, un fanatique, un simple. Soit. Je
l'aime encore; mais comme il tient peu de place maintenant, pour moi,
dans l'histoire des idées! comme l'importance de son oeuvre personnelle
est diminuée! comme sa religion est désormais bien plus suscitée par
la chance des événements humains que par une de ces grandes nécessités
historiques que l'on est convenu, et un peu obligé, d'appeler
_providentielles_!
Acceptons le vrai, quand bien même il nous surprend et change notre
point de vue. Voilà Jésus bien démoli! Tant pis pour lui! tant mieux
pour nous, peut-être. Sa religion est arrivée à faire autant de mal
pour le moins qu'elle avait fait de bien; et, comme--que ce soit ou non
l'avis de M. Renan--je suis persuadée, aujourd'hui, qu'elle ne peut plus
faire que du mal, je crois que M. Renan a fait le livre le plus utile
qui pût être fait en ce moment-ci.
J'aurais beaucoup à dire sur les artifices du langage de M. Renan. Il
faut être courageux pour se plaindre d'une forme si admirablement belle.
Mais elle est trop séduisante et pas assez nette, quand elle s'efforce
de laisser un voile sur le degré, le mode de divinité qu'il faut
attribuer à Jésus. Il y a des traits de lumière vive dans l'ouvrage,
qui empêchent un esprit attentif de s'égarer. Mais il y a aussi trop
d'efforts charmants et puérils pour endormir la clairvoyance des esprits
prévenus, et pour sauver d'une main ce qu'il détruit de l'autre. Cela
tient non pas comme on l'a beaucoup dit; à un reflet de l'éducation du
séminaire, dont ce mâle talent n'aurait pas su se débarrasser,--je ne
crois pas cela,--mais à un engouement d'artiste pour son sujet. Il y a
du danger, peut-être de l'inconvénient, à être philosophe érudit, et
poète. Certainement cela fait un joli ensemble, et rare, dans une tête
humaine; mais, en de telles matières, l'enthousiasme met en péril la
logique, ou tout au moins la netteté des assertions.
Avez-vous lu cinq ou six pages que M. Renan a publiées le mois dernier,
dans la _Revue des Deux-Mondes[1]?_ J'aime mieux cela que tout ce qu'il
a écrit jusqu'ici. C'est grand, grand! Je trouve bien quelque chose à
redire encore comme détail; mais c'est si grand, que je résiste peu et
que j'admire beaucoup. C'est moi qui voudrais bien avoir votre pensée
là-dessus, comme vous avez la mienne. Vous savez résumer, vous,
dites-la-moi dans votre concision merveilleuse.
J'irai à Paris cet hiver. Je ne sais pas bien quand. Ma famille va bien.
Mon petit-fils est tout à fait gentil et bon garçon. On dit que votre
fils est superbe; il me tarde de le voir. Mon nid vous envoie tous ses
hommages, ainsi qu'à la princesse.
Est-ce vrai qu'on fera la guerre?
Ce qui est certain, cher prince, c'est que je vous aime toujours de tout
mon coeur.
GEORGE SAND.
[1] _Les Sciences de la nature et les Sciences historiques_, lettre à
M. Berthelot (_Dialogues et Fragments philosophiques_; Calmann
Lévy, 1876).
DXXXVII
AU MÊME
Nohant, 24 novembre 1863.
Cher prince,
Je vous autorise bien volontiers à donner copie de ma lettre à M. Renan;
mais ce n'est qu'une lettre, et je ne sais pas me résumer comme vous.
Mon jugement est très incomplet et ne va pas au fond des choses. Je suis
en train de lire Strauss, Salvador et la belle préface de M. Littré au
premier de ces deux ouvrages. Si j'avais lu cette préface plus tôt,
j'aurais mieux lu M. Renan.
Votre jugement, à vous, est meilleur que le mien; je vous ai toujours
dit que vous étiez un très grand esprit qui ne tire pas parti de
lui-même. Vous ne voulez pas me croire, vous pourriez faire tout ce que
vous voudriez; mais vous êtes paresseux et prince, quel dommage!
Je ne vous trouve pas rêveur, loin de là; vous êtes plus dans le _vrai
total_, que M. Renan, M. Littré et Sainte-Beuve. Ils ont versé dans
l'ornière allemande.. Là est leur faiblesse. Ils ont plus de talent et
plus de génie que tous les Allemands modernes, et, en outre, ils sont
Français. Ils sont Français, c'est-à-dire qu'ils ont de l'esprit et
qu'ils sont artistes. Cette fantaisie de détruire l'immortalité de
l'âme, la véritable et progressive persistance du _moi_ est un péché de
lèse-philosophie française. Pour conserver tout ce que la foi a de pur
et de sublime, il faut le talent, le coeur et l'esprit français. Les
Allemands sont trop bêtes pour croire à autre chose qu'au matérialisme;
je regrette de voir leur influence sur ces beaux et grands esprits dont
la France serait encore plus fière s'ils étaient plus chauds et plus
hardis.
Ah! si j'étais homme, si j'avais votre capacité, votre temps, vos
livres, votre âge, votre liberté, je voudrais faire une belle campagne,
non pas _contre_ ces grands esprits dont nous parlons: je les aime et
je les admire trop pour cela; mais, _à côté d'eux,_ puisant en eux
les trois quarts de ma force, et en moi, dans mon sentiment de
_l'impérissable_, la conclusion qui répondrait au coeur.
Non, la conclusion, de MM. Renan et Littré ne suffit pas. Ressusciter
dans la postérité par la gloire, n'est pas une idée aussi désintéressée
qu'ils le disent. Leur devise est belle: «Travailler sans espoir de
récompense; la récompense est dans le bien qu'on fait.»
Oui, à condition qu'on pourra le faire toujours et le recommencer
éternellement; le faire pendant une cinquantaine d'années, c'est se
contenter de trop peu, c'est se contenter d'un devoir trop vite fait.
Et puis, le spectacle et le sens du vrai et du beau est trop grand
pour qu'une vie suffise à le contempler et à le savourer. Ce défaut de
proportion serait un manque d'équilibre inadmissible.
Oui, j'irai à Paris pour quelques jours seulement. Mais, _entre nous_,
je m'occupe d'arranger ma vie pour être un peu plus libre. Me voilà dans
ma soixantième année. C'est un chiffre rond et je sens un peu le besoin
de la locomotion pour mon tardif été de la Saint-Martin.
Je serai bien heureuse de vous revoir à de moins longs
intervalles.--Nous restons quand même, c'est-à-dire malgré mes reproches
à la _tendance_ matérialiste de M. Renan, bien d'accord, vous et moi,
sur l'excellence et l'utilité de sa _Vie de Jésus_. S'il savait la
lettre que vous m'avez écrite, c'est celle-là qu'il voudrait, le
gourmand!
À vous de coeur, mon cher prince, pour moi et mes enfants.
G. SAND.
Je suis dans une douleur inquiète aujourd'hui. Je vois, parmi les pendus
de Varsovie, le nom de Piotrowski, et je ne sais pas si c'est celui qui
s'était évadé miraculeusement de la Sibérie. Je le connaissais, c'était
un héros. Savez-vous si c'est lui?
DXXXVIII
A M. AUGUSTE VACQUERIE, A PARIS
Nohant, 28 décembre 1863.
Je ne vous ai pas remercié du plaisir que m'a causé _Jean Baudry_.
J'espérais le voir jouer. Mais, mon, voyage à Paris étant retardé, je
me suis décidée à le lire, non sans un peu de crainte, je l'avoue. Les
pièces qui réussissent perdent trop à la lecture, la plupart du temps.
Eh bien, j'ai eu une charmante surprise. Votre pièce est de celles qu'on
peut lire avec attendrissement et avec une satisfaction vraie.
Le sujet est neuf, hardi et beau. Je trouve un seul reproche à faire à
la manière dont vous l'avez déroulé et dénoué: c'est que la brave et
bonne Andrée ne se mette pas tout à coup à aimer Jean à la fin, et
qu'elle ne réponde pas à son dernier mot: «Oui, ramenez-le, car je
ne l'aime plus, et votre femme l'adoptera;» ou bien: «Guérissez-le,
corrigez-le, et revenez sans lui.»
Vous avez voulu que le sacrifice fut complet de la part de Jean.
Il l'était, ce me semble, sans ce dernier châtiment de partir sans
récompense.
Vous me direz: «La femme n'est pas capable de ces choses-là.» Moi, je
dis: «Pourquoi pas?» Et je ne recule pas devant les bonnes grosses
moralités: un sentiment sublime est toujours fécond. Jean est sublime;
voilà que cette petite Andrée, qui ne l'aimait que d'amitié, se met à
l'aimer d'enthousiasme, parce que le sublime a fait vibrer en elle une
force inconnue. Vous voulez remuer cette fibre dans le public, pourquoi
ne pas lui montrer l'opération magnétique et divine sur la scène? Ce
serait plus contagieux encore; on ne s'en irait pas en se disant: «La
vertu ne sert qu'à vous rendre malheureux.»
Voilà ma critique. Elle est du domaine de la philosophie et n'ôte rien
à la sympathie et aux compliments de coeur de l'artiste. Vous avez fait
agir et parler un homme sublime. C'est une grande et bonne chose par le
temps qui court. Je suis heureuse de votre succès.
GEORGE SAND.
DXXXIX
A M. ÉMILE AUGIER. A CROISSY
Nohant, 25 décembre 1863.
Cher ami,
Je vous envoie, pour vous faire rire un instant, une lettre-pétition qui
m'a été adressée; plus une lettre de vous que je vous restitue; plus une
lettre de moi à ce monsieur que je ne connais pas et à qui je n'aurais
pas répondu si vous ne l'eussiez jugé digne d'une réponse de vous. J'en
conclus qu'il y a peut-être en lui quelque chose de bon; mais, à coup
sûr, il est fou, et sa vanité le rend mauvais par moment. Si vous jugez
qu'au lieu de le ramener à la raison ma lettre doit lui donner un accès
de fièvre chaude, jetez le tout au feu. Sinon, jetez ma dite lettre à la
poste.
Ceci a de bon que je vous sais occupé d'une nouvelle pièce. Tant mieux!
ne vous laissez pas distraire par les Schiller qui frappent à votre
porte. Il doit y en avoir beaucoup, si c'est comme chez moi. Ne vous
donnez pas la peine de me répondre, si vous êtes absorbé. Votre
prochaine pièce sera une bonne récompense de mes voeux d'amitié sincère.
G. SAND.
A M**
Nohant, 25 décembre 1863.
Monsieur,
Je suis franche, c'est pourquoi j'ai beaucoup d'ennemis. Je vois bien,
à votre indignation contre mon ami Augier, que, si je ne trouve pas que
vous soyez Schiller, vous m'accuserez de n'avoir pas de coeur. Soyez
donc mon ennemi tout de suite, si vous voulez.
Je refuse l'honneur que vous me faites de me prendre pour arbitre. Je ne
rends pas de services sous le coup d'une menace, et ce n'est pas parce
que vous me traitez _d'impératrice_ que je perdrais le droit de vous
dire que vous n'êtes pas Schiller, et que je ne suis pas Goethe. Mais,
si vous êtes réellement Schiller, consolez-vous, vous n'avez besoin de
personne, vous ferez quelque jour un chef-d'oeuvre que l'on s'arrachera.
Il ne s'agît que de le faire; moi, cela ne m'est pas encore arrivé; on
ne s'arrache pas mes pièces, on m'en a refusé plus d'une, et je ne m'en
suis pas courroucée. Je me suis dit que je n'étais pas Goethe.
Et puis, si vous êtes Schiller, pourquoi offrir vos pièces aux
Folies-Dramatiques, qui probablement refuseraient Schiller en personne,
sans pour cela l'insulter ni le méconnaître, mais par la seule raison
que son génie n'entrerait pas dans leur cadre? Présentez vous aux
théâtres vraiment littéraires, et qui sont subventionnés pour l'être, et
soyez sûr que, si vous leur apportez quelque chose de beau et de bon ils
l'accepteront avec empressement, à condition toutefois que ce soit dans
la forme voulue; car vous savez bien qu'on n'y peut jouer Schiller ni
Goethe qu'avec des arrangements considérables.
Mais vous luttez, dites-vous, depuis treize ans. Eh bien, il est
probable que vous n'avez pas la spécialité du théâtre. Cherchez-en une
autre, on en a toujours une quand on veut s'interroger soi-même avec
courage et modestie.
Courage donc, monsieur; je ne suis pas vindicative; je vous pardonne vos
compliments.
G. SAND.
DXL
A M. CHARLES PONCY, A VENISE
Nohant, 28 décembre 1863.
Cher enfant,
Je vous remercie de votre bonne, longue et intéressante lettre, et de
vos souhaits du jour de l'an, que je vous renvoie de tout mon coeur,
ainsi qu'à votre chère Solange.
Venise est donc finie? Pauvre Venise! mais rien ne finit et un jour
viendra où tout ce luxe de beauté perdue sera rajeuni et ressuscité.
Nous sommes dans le siècle du marteau qui abat et de la truelle qui
reconstruit. Vous me racontez on ne peut mieux tout ce que vous avez vu.
Cette vie errante, mais saine au corps et à l'esprit, a dû faire du bien
à Solange et je vous engage à ne pas vous en lasser trop vite.
Puisque le pauvre nid est désolé encore, laissez l'herbe et les branches
pousser sur le seuil.--Quand vous reviendrez les écarter, les douloureux
souvenirs auront fait place à cette grave sérénité que la mort laisse
après elle dans les coeurs auxquels la conscience ne reproche rien.
Mais il est inutile de vouloir hâter ce moment. La nature a droit aux
larmes. C'est un soulagement qu'elle exige en même temps qu'un noble
tribut qu'elle paye. Votre chère enfant reçoit par là un grand baptême.
Elle en appréciera plus tard l'effet salutaire et fortifiant.
J'ai reçu toutes vos lettres.--J'ai partagé et ressenti toutes vos
émotions. Me voilà enfin sortie, pour quelques jours, d'une grande crise
de travail. Pour m'en distraire, je lis _Emerson_, que je ne connaissais
pas. C'est un philosophe américain, à la fois savant, poète, critique
et métaphysicien, un vaste cerveau un peu obscurci par trop de clartés
diverses, mais sublime, il n'y a pas à dire.
Notre enfant est superbe et remarquablement aimable et gentil. Il a une
précocité extraordinaire et qui m'inquiète par moments: quelque chose
dans l'oeil qui n'est pas de son âge.--Mais je ne m'arrête pas à cette
remarque. La santé, la fraîcheur et l'embonpoint; en outre, la force
musculaire sont tout à fait rassurantes. La petite mère est bonne
nourrice et absolument dévouée à son petiot. Maurice est donc très
heureux et tout le monde vous embrasse tendrement.
DXLI
A M. EUGÈNE CLERH, A PARIS
Nohant, 31 décembre 1863.
Mon cher enfant,
Je vous remercie de votre charmant travail et de vos bons souhaits de
nouvelle année. Les petits services que j'ai pu vous rendre portent avec
eux leur récompense, puisque vous êtes digne qu'on s'intéresse à vous.
Votre excellente mère m'a écrit une aimable lettre dont je vous prie
de la bien remercier pour moi. Promettez-lui de ma part, ma constante
sollicitude pour vous; car vous serez toujours, je n'en doute pas,
raisonnable, laborieux et délicat comme je vous connais à présent.
Soyez sûr, mon cher enfant, que nous faisons tous notre destinée. La
société est, dans tous les temps, un océan à traverser dans un sens ou
dans l'autre. Petit ou grand, il nous faut faire le voyage. La mer mange
un bon nombre de passagers; mais il ne faut pas s'occuper de cela, parce
qu'on meurt dans son lit tout aussi bien que dans les tempêtes. Il faut
s'occuper de bien naviguer si l'on a une barque, ou de bien nager si
l'on n'a que ses bras, et de ne pas être englouti par sa faute.
Avec de l'honneur, du courage, et point de vices, un homme a beaucoup de
chances, et, outre la force qu'il puise en lui-même, il est à peu près
certain de rencontrer des gens qui l'aideront en le voyant s'aider; ceux
qui s'abandonnent sont infailliblement abandonnés; car la mer dont nous
parlons est dure pour tous, et chacun, étant forcé de penser à soi,
renonce tôt ou tard aux dévouements inutiles.
Vous m'envoyez de jolies étrennes et je vous envoie un _sermon_ en
échange. Non, mon cher enfant, c'est un morceau de mon coeur, de mon
expérience et de ma conviction que je vous envoie.
GEORGE SAND.
FIN DU TOME QUATRIÈME
TABLE
1854
CCCLXX. A madame Augustine de Bertholdi. 3 janvier.
CCCLXXI. A M. Victor Borie. 16 janvier.
CCCLXXII. A Maurice Sand. 31 janvier.
CCCLXXIII. Au même. 19 février.
CCCLXXIV. Au même. 11 mars.
CCCLXXV. A M. Armand Barbes. 3 juin.
CCCLXXVI. A S. A. le prince Napoléon (Jérôme). 16 juillet.
CCCLXXVII. A M. Charles Poncy. 16 juillet.
CCCLXXVIII. A M. Victor Borie. 31 juillet.
CCCLXXIX. A M. Charles Poney. 11 août.
CCCLXXX. A M. Armand Barbès. 5 octobre.
CCCLXXXI. Au même. 28 octobre.
CCCLXXXII. Au même 27 novembre.
1855
CCCLXXXIII. A M. Charles Jacque. 7 janvier.
CCCLXXXIV. A M. Charles-Edmond. 16 février.
CCCLXXXV. A M Edouard Charlon. 14 février.
CCCLXXXVI. A madame Augustine de Bertholdi. 14 février.
CCCLXXXVII. A Maurice Sand. 24 février.
CCCLXXXVIII. A mademoiselle Leroyer de Chantepie. 27 février.
CCCLXXXIX. A M. Eugène Lambert. mars.
CCCXC. A M. Jules Néraud. 14 avril.
CCCXCI. A M Ernest Périgois. 9 mai.
CCCXCII. A S.M. le prince Napoléon (Jérôme). 12 juillet.
CCCXCIII. A M.***. 3 juillet.
CCCXCIV. A madame Arnould-Plessy. 20 Aout.
CCCXCV. A la même. 4 septembre.
CCCXCVII. A M. Jules Janin. 1er octobre.
CCCXCVIII. A madame Arnould-Plessy. 21 novembre.
CCCXCVIX. A M. Alexandre Dumas fils. 26 novembre.
1856
CD. A M. Paul de Saint-Victor. 9 janvier.
CDI. Au même. 9 avril.
CDII. A madame Augustine de Bertholdi. 13 avril.
CDIII. A madame Arnould-Plessy. 1er mai.
CDIV. A M. Charles Poney. 23 juillet.
CDV. A M. Charles Duvernet. novembre.
CDVI. A M. Ernest Périgois. 20 décembre.
1857
CDVII. A M. Adolphe Joanne. 29 février.
CDVIII. A M. Calamatta. 6 avril.
CDIX. A M. Victor Borie. 16 avril.
CDX. A M. Charles-Edmond. 13 juin.
CDXI. A M.***. juillet.
CDXII. A M. Charles Poncy. 15 août.
CDXIII. A M. Paul de Saint-Victor. 18 août.
CDXIV. A S. M. l'impératrice Eugénie. 6 octobre.
CDXV. A la même. 30 octobre.
CDXVI. A M. Charles-Edmond. 29 novembre.
CDXVII. Au même. 8 décembre.
CDXVIII. A S. M. l'impératrice Eugénie. 9 décembre.
CDXIX. A S. A. le prince Napoléon (Jérôme). décembre.
1858
CDXX. A M. Charles-Edmond. 9 janvier.
CDXXI. A Maurice Sand. 14 janvier.
CDXXII. Au même. 15 janvier.
CDXXIII. A M. Charles Duvernet. 16 janvier.
CDXXIV. A M. Charles-Edmond. 25 janvier.
CDXXV. Au même. 30 janvier.
CDXXVI. Au même. 18 février.
CDXXVII. A M. Paul de Saint-Victor. 3 mars.
CDXXVIII. A. S. A. le prince Napoléon (Jérôme). 12 mars.
CDXXIX. Au même. 25 mars.
CDXXX. A M. Ernest Périgois. 17 avril.
CDXXXI. Au même. 23 avril.
CDXXXII. Au même. 30 mai.
CDXXXIII. A. mademoiselle Leroyer de Chantepie. 5 juin.
CDXXXIV. A Maurice Sand. 10 juin.
CDXXXV. A M. Charles Poncy. 19 juin.
CDXXXVI. A M. Ferri-Pisani. 28 juin.
CDXXXVII. A M. Frédéric Villot. 4 septembre.
CDXXXVIII. Au même. 12 septembre.
CDXXXIX. A M. Victor Borie. 13 octobre.
CDXL. A M. Ferri-Pisani. 21 octobre.
CDXLI. A M. Édourd Charton. 20 novembre.
CDXLII. A madame Arnould-Plessy. 9 décembre.
CDXLIII. A M. Charles Poncy. 17 décembre.
CDXLIV. Au même. 28 décembre.
CDXLV. A madame Arnouîd-Plessy. 29 décembre.
1859
CDXLVI. A M. Octave Feuillet. 19 février.
CDXLVII. Au même. 27 février.
CDXLVIII. A M. Ludre Gabillaud. 29 février.
CDXLIX. A S. A. le prince Napoléon (Jérôme). 25 août.
CDL. A M. Alexandre Dumas fils. 7 décembre.
CDII. A.M. Charles-Edmond. 18 décembre.
CDLII. A M. Desplanches. 26 décembre.
1860
CDLIII. A M. Charles Duvernet. 7 janvier.
CDLIV. A Maurice Sand. 8 février.
CDLV. A M. Charles-Edmond. 11 février.
CDLVI. A mademoiselle Leroyer de Chantepie. 12 février.
CDLVII. A Maurice Sand. 16 mai.
CDLVIII. A M. Charles-Edmond. 26 mai.
CDLIX. À S. A. le prince Napoléon (Jérôme). 27 juin.
CDLX. A M. Jules Boucoiran. 31 juillet.
CDLXI. A madame Pauline Villot. novembre.
CDLXII. A S. A. le prince Napoléon (Jérôme). 9 décembre.
CDLXIII. A M. Alexandre Dumas fils. 11 décembre.
CDLXIV. A M. Charles Poncy. 20 décembre.
CDLXV. A M. Ernest Périgois. 25 décembre.
CDLXVI. A mademoiselle Nancy Fleury. 27 décembre.
1861
CDLXVII. A M. et madame Ernest Périgois. 20 janvier.
CDLXVIII. A M. Charles Duvernet. 14 février.
CDLXIX. A. M. et madame Ernest Périgois. 20 février.
CDLXX. A M Charles Duvernet. 24 février.
CDLXXI. A M. Jules Boucoiran. 25 février.
CDLXXII. A M. Charles Duvernet. 15 mars.
CDLXXIII. A madame Pauline Villot. 11 mai.
CDLXXIV. A la même. 19 avril.
CDLXXV. A M. Charles Poncy. 24 avril.
CDLXXVI. A madame Pauline Villot. 11 mai.
CDLXXVII. A Maurice Sand. 15 mai.
CDLXXVIII. Au même. 22 mai.
CDLXXIX. A M. Charles Poncy. 5 juin.
CDLXXX. A Maurice Sand. 8 juin.
CDLXXXI. A M. Alexandre Dumas fils. 8 juin.
CDLXXXII. A madame Pauline Villot. 11 juin.
CDLXXXIII. A M. Victor Borie. 20 juin.
CDLXXXIV. A M. Charles Poncy. 30 juin.
CDLXXXV. A M. Victor Borie. 2 juillet.
CDLXXXVI. A M. Armand Barbes. 14 juillet.
CDLXXXVII. A Maurice Sand. 27 juillet.
CDLXXXVIII. A M. Adolphe Joanne. 6 août.
CDLXXXIX. A Maurice Sand. 11 août.
CDXC. A. madame Pauline Villot. 11 août.
CDXCI. A M. Alexandre Dumas fils. 11 août.
CDXCII. A Maurice Sand. 1er septembre.
CDXCIII. A M. Victor Borie. 8 septembre.
CDXCIV. A Maurice Sand. 22 septembre.
CDXCV. A M. Armand Barbes. 4 octobre.
CDXCVI. A madame Pauline Villot. 10 octobre.
CDXCVII. A Maurice Sand. 10 octobre.
CDXCVIII. A M. Charles Poney. 20 octobre.
CDXCIX. A M. Alexandre Dumas fils. 7 novembre.
D. Au même. 20 novembre.
DI. A M. Armand Barbes. 1st décembre.
DII. A M. Charles Duvernet. 7 décembre.
DIII. A M. Charles Poncy. 28 décembre.
1862
DIV. A S. A. le prince Napoléon (Jérôme). 7 janvier.
DV. A M. Armand Barbes. 8 janvier.
DVI. A madame Pauline Villot. 22 février.
DIII. A M. Charles Duvernet. 24 février.
DVIII. A S. A. le prince Napoléon (Jérôme). 25 février.
DIX. Au même. 26 février.
DX. A Madame Pauline Villot. 27 février.
DXI. A S. A. le prince Napoléon (Jérôme). 5 mars.
DXII. A M. Alexandre Dumas fils. 10 mars.
DXIII. A mademoiselle Lina Calamatla. 31 mars.
DXIV. A M. Marjollay. 6 avril.
DXV. A M. Armand Barbès. 3 mai.
DXVI. A S. A. le prince Napoléon (Jérôme). 11 mai.
DXVII. A madame d'Agoult. 7 juin.
DXVIII. A S. A. le prince Napoléon (Jérôme). 26 juillet.
DXIX. A mademoiselle Nancy Fleury. 7 août.
DXX. A madame d'Agoult. 23 octobre.
DXXI. A S-A. le prince Napoléon (Jérôme). 14 décembre.
1863
DXXII. A M. Edouard Cadol. 29 janvier.
DXXIII. A M. Gustave Flaubert. 2 février.
DXXIV. A M. Edouard Cadol. 6 février.
DXXV. Au même. 7 février.
DXXVI. A M.***. 26 février.
DXXVII. A S. A. le prince Napoléon (Jérôme). 22 mars.
DXXVIII. A M. Edmond About. mars.
DXXIX. A M.***. avril.
DXXX. A M. Alexandre Dumas fils. 14 juillet.
DXXXI. A M. Leblois. 3 août.
DXXXII. A M. Joseph Dossauer. 15 août.
DXXXIII. A M. Alexandre Dumas fils. 26 août.
DXXXIV. A M. Charles Poncy. 27 août.
DXXXV. A M. Alexandre Dumas fils. 1st octobre.
DXXXVI. A S. A. le prince Napoléon (Jérôme). 19 novembre.
DXXXVII. Au même. 24 novembre.
DXXXVIII. A M. Auguste Vacquerie. 23 décembre.
DXXXIX. A M. Emile Augier. 25 décembre.
DXL. A M. Charles Poncy. 28 décembre.
DXLI. A M. Eugène Clerh. 31 décembre.
FIN DE LA TABLE DU TOME QUATRIÈME