William Shakespear

Hamlet
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OPHÉLIA.--Mon seigneur, il m'a importunée de son amour, mais d'une
manière honorable.

POLONIUS.--Ah! oui. Vous pouvez appeler cela de belles manières!...
Allez, allez!

OPHÉLIA.--Et il donnait autorité à ses discours, mon seigneur, par
presque tous les plus saints serments du ciel.

POLONIUS.--Ah! oui, pièges à attraper des bécasses! Je sais, quand
le sang brûle, combien l'âme est prodigue à prêter à la langue des
serments. Ce sont des éclairs, ma fille, donnant plus de lumière que de
chaleur, qui perdent aussitôt chaleur et lumière, et dont les promesses
mêmes s'éteignent aussitôt faites. Vous ne devez pas les prendre pour du
feu. A partir de cette heure, soyez un peu plus avare de votre virginale
présence; mettez vos entretiens à plus haut prix, et que votre
conversation ne soit pas à commandement. Quant au seigneur Hamlet, ce
que vous en devez croire, c'est qu'il est jeune et qu'il lui est permis
d'aller au bout d'une longe plus longue que ne saurait être la vôtre.
Bref, Ophélia, ne croyez pas à ses serments; ce sont des enjôleurs, ils
n'ont pas la couleur dont ils sont revêtus en dehors; ce ne sont rien
qu'entremetteurs de projets fort profanes, qui ne semblent respirer
que saintes et dévotes instances, afin de mieux tromper. Une fois pour
toutes, et pour parler clairement, je ne veux pas que désormais vous
fassiez mauvais usage de votre loisir en parlant au seigneur Hamlet, ou
en l'écoutant; prenez-y garde, entendez-vous, et passez votre chemin.

OPHÉLIA.--J'obéirai, mon seigneur.

(Ils sortent.)



SCÈNE IV


La plate-forme.

HAMLET, HORATIO ET MARCELLUS _entrent_.

HAMLET.--L'air est subtil et mordant; il fait très-froid.

HORATIO.--Oui, c'est un air aigre et qui pique.

HAMLET.--Quelle heure est-il à présent?

HORATIO.--Peu s'en faut, je crois, qu'il ne soit minuit.

MARCELLUS.--Non, il est sonné.

HORATIO.--Vraiment? je ne l'ai pas entendu. Alors, le moment approche,
où l'esprit a l'habitude de se promener. (_On entend dans le palais une
fanfare de trompettes et des décharges d'artillerie_.) Qu'est-ce que
cela signifie, mon seigneur?

HAMLET.--Le roi passe la nuit et boit à toute sa soif; il tient séance
d'orgie et danse en chancelant la gigue impudente, et à chaque fois
qu'il avale ses rasades de vin du Rhin, la timbale et la trompette se
mettent à braire ainsi pour le triomphe des santés qu'il porte.

HORATIO.--Est-ce la coutume?

HAMLET.--Oui, ma foi! c'est la coutume. Mais selon mon sentiment, encore
que je sois enfant de ce pays et né pour en prendre les manières, c'est
une coutume qu'il est plus honorable d'enfreindre que d'observer. Ces
divertissements qui appesantissent les têtes nous font, de l'orient
à l'occident, citer et condamner par les autres nations; elles nous
appellent ivrognes, et souillent notre nom du sobriquet de pourceaux.
Et en vérité, quels que soient nos exploits et malgré la hauteur où ils
atteignent, cela leur retire la sève même et la moelle de la gloire
qu'ils nous mériteraient. De même, il arrive fréquemment aux individus
que, s'ils ont en eux quelque tache d'un vice naturel; si, par exemple,
ils sont, de naissance (et par conséquent sans en être coupables,
puisque la créature n'a pas le choix de son origine), dominés par
l'excès de telle ou telle humeur du tempérament qui renverse souvent les
remparts et les forteresses de la raison, ou si quelque habitude met
en eux un levain qui les fasse trop sortir du moule des manières
approuvées; parce que ces hommes, dis-je, portent la marque d'un seul
défaut, soit que ce défaut soit une livrée dont la nature les a revêtus,
ou une cicatrice que leur a faite le hasard, leurs autres vertus
(fussent-elles aussi pures que la grâce céleste et aussi infinies que
l'homme les peut posséder) seront, dans l'opinion générale, gâtées par
ce tort unique, et la goutte d'alliage impur abaisse souvent au taux de
son propre mépris toute la noble substance où elle est mêlée.

(Le fantôme entre.)

HORATIO.--Regardez, mon seigneur, il vient.

HAMLET.--Anges et ministres de grâce, défendez-nous! Que tu sois un
esprit de bénédiction ou un lutin damné, que tu apportes avec toi le
souffle du ciel ou la vapeur de l'enfer, que tes intentions soient
perverses ou charitables, tu te présentes sous une forme si provoquante,
que je dois te parler. Je t'appelle, Hamlet, roi, père, souverain du
Danemark! Oh! réponds-moi: ne me laisse pas éclater d'angoisse sans rien
savoir. Pourquoi tes ossements sanctifiés, et ensevelis dans la mort,
ont-ils rompu leur linceul? Pourquoi le sépulcre, où nous t'avons vu
tranquillement enclos, a-t-il ouvert ses pesantes mâchoires de marbre
pour te rejeter ici? Que signifie ceci? Pour que toi, corps mort, de
nouveau couvert de tout ton acier, tu reviennes ainsi revoir les lueurs
de la lune, et rendre la nuit hideuse, et pour que nous, pauvres
plastrons de la nature, nous soyons si horriblement ébranlés jusqu'au
fond de notre être par des pensées qui excèdent la portée de nos
âmes,--dis, qu'y a-t-il? pourquoi cela? que devons-nous faire?

HORATIO.--Il vous fait signe d'aller vers lui, comme s'il avait quelque
communication à vous faire, à vous seul.

MARCELLUS.--Voyez avec quel geste courtois il vous invite à le suivre
dans un endroit plus écarté. Mais n'allez pas avec lui.

HORATIO.--Non, certes, en aucune façon.

HAMLET.--Il ne veut point parler ici; je veux le suivre.

HORATIO.--N'en faites rien, mon seigneur.

HAMLET.--Pourquoi? qu'ai-je à craindre? je donnerais ma vie pour une
épingle; et quant à mon âme, que pourrait-il lui faire, étant immortelle
comme lui? Il me fait signe de nouveau; je vais le suivre.

HORATIO.--Eh quoi! s'il vous attire vers les flots, mon seigneur, ou
sur la terrible cime de ce rocher qui, surplombant sa base, s'avance
au-dessus de la mer; s'il prend là quelque autre forme horrible qui
vous prive de l'empire de la raison et vous entraîne dans la démence?
Pensez-y, le lieu même pourrait, sans nulle autre cause, jeter des
boutades de désespoir dans le cerveau de tout homme qui voit une
hauteur de tant de brasses entre la mer et lui, et qui l'entend rugir
au-dessous.

HAMLET.--Il me fait signe encore.--Marche, je te suivrai.

MARCELLUS.--Vous n'irez point, mon seigneur.

HAMLET.--Lâchez-moi donc.

HORATIO.--Soyez raisonnable, n'y allez pas.

HAMLET.--Mon destin me hèle, et rend la plus petite artère du corps que
voici aussi roide que les nerfs du lion de Némée. (_Le fantôme fait un
signe_.) Il m'appelle encore; lâchez-moi, messieurs. (_Il se dégage_.)
Par le ciel! je ferai un fantôme du premier qui m'arrêtera... Je l'ai
dit...--Allons... marche... je te suivrai.

(Le fantôme et Hamlet sortent.)

HORATIO.--Il est mis tout hors de lui par son imagination.

MARCELLUS.--Suivons-le; il ne convient pas que nous lui obéissions
ainsi.

HORATIO.--Oui, marchons. Quelle issue aura tout ceci?

MARCELLUS.--Il y a quelque chose de vermoulu dans l'état du Danemark.

HORATIO.--Le ciel en décidera.

MARCELLUS.--Eh bien! suivons-le.

(Ils sortent.)



SCÈNE V


Un endroit plus écarté de la plate-forme.


LE FANTOME ET HAMLET _entrent_.

HAMLET.--Où veux-tu me conduire? Parle, je n'irai pas plus loin.

LE FANTOME.--Écoute-moi.

HAMLET.--Je le veux.

LE FANTOME.--L'heure est presque arrivée où je dois retourner dans les
flammes sulfureuses et torturantes.

HAMLET.--Hélas! pauvre âme!

LE FANTOME.--Ne me plains pas; mais prête une attention sérieuse à ce
que je vais te révéler.

HAMLET.--Parle, je suis tenu d'écouter.

LE FANTOME.--Et de venger aussi, quand tu auras entendu.

HAMLET.--Quoi donc?

LE FANTOME.--Je suis l'esprit de ton père, condamné pour un certain
temps à errer durant la nuit, et, durant le jour, à jeûner, confiné dans
les flammes, jusqu'à ce que la souillure des crimes commis pendant les
jours de ma vie soit consumée et purifiée. S'il ne m'était pas défendu
de dire les secrets de ma prison, je pourrais dérouler un récit dont la
plus légère parole bouleverserait ton âme, glacerait ton jeune sang,
pousserait hors de leurs orbites tes deux yeux comme des étoiles,
disperserait les boucles noires et agencées de ta tête, et ferait que
chacun de tes cheveux se dresserait à part sur sa racine, comme les
piquants sur le porc-épic craintif. Mais ces révélations de l'éternité
ne sont pas faites pour des oreilles de chair et de sang. Écoute,...
écoute,... oh! écoute!... si tu as jamais aimé ton tendre père...

HAMLET.--O ciel!

LE FANTOME.--Venge-le d'un meurtre affreux et dénaturé.

HAMLET.--D'un meurtre?

LE FANTOME.--D'un meurtre affreux; et dans le meilleur cas tel est un
meurtre; mais celui-ci fut le plus affreux, le plus inouï, le plus
dénaturé.

HAMLET.--Hâte-toi de m'instruire, afin que moi, sur des ailes aussi
rapides que la réflexion ou que les pensées de l'amour, je puisse voler
à ma vengeance.

LE FANTOME.--Je te trouve prêt; et quand tu serais plus inerte que
l'herbe grasse qui pourrit à loisir sur les bords du Léthé, ne serais-tu
pas excité par ceci? Maintenant, Hamlet, écoute: on a donné à entendre
qu'un serpent m'avait piqué pendant que je dormais dans mon verger;
c'est ainsi que la publique oreille du Danemark a été grossièrement
abusée par un rapport forgé sur ma mort. Mais sache, toi, noble jeune
homme, que le serpent dont la piqûre frappa la vie de ton père porte
maintenant sa couronne.

HAMLET.--O mon âme prophétique! Mon oncle!

LE FANTOME.--Oui, cette brute incestueuse, adultère, par la magie de son
esprit, par des dons perfides (ô damnable esprit, damnables dons, qui
ont le pouvoir de séduire ainsi!) gagna à sa honteuse convoitise la
volonté de ma reine, si vertueuse en apparence. O Hamlet! quelle
décadence il y eut là! De moi, de qui l'amour était d'une dignité telle
qu'il marchait toujours, mains jointes, avec le serment que je lui avais
fait au mariage, descendre jusqu'à un misérable dont les dons naturels
étaient si pauvres auprès des miens! Mais, ainsi que la vertu ne sera
jamais ébranlée, quand même la luxure la courtiserait sous une forme
divine; ainsi l'impureté, quoique unie à un ange rayonnant, se
rassasiera vite en un lit céleste, et se ruera aussitôt sur l'immonde
curée. Mais doucement! Je crois sentir l'air du matin! abrégeons. Comme
je dormais dans mon verger, ainsi que c'était toujours mon usage après
midi, ton oncle envahit furtivement l'heure de ma sécurité, avec une
note du suc maudit de la jusquiame, et il répandit dans les porches de
mes oreilles cette essence qui distille la lèpre, et dont l'action
est en telle hostilité avec le sang de l'homme que, prompte comme le
vif-argent, elle court à travers toutes les barrières naturelles et
toutes les allées du corps, et que, par une force subite, comme une
goutte acide dans le lait, elle fait figer et cailler le sang le plus
coulant et le plus sain. Ainsi du mien; et une dartre toute soudaine
enveloppa comme d'une écorce qui me fit ressembler à Lazare, d'une
croûte honteuse et dégoûtante, la surface lisse de tout mon corps. Voilà
comme, en dormant, par la main d'un frère, je fus d'un seul coup frustré
de ma vie, de ma couronne, de ma reine, fauché en pleine floraison de
mes péchés, sans sacrements, sans préparation, sans les saintes huiles,
sans avoir fait mon examen, et envoyé là où il faut rendre compte,
avec toutes mes fautes pesant sur ma tête. O horrible! ô horrible!
très-horrible! Si la nature vit encore en toi, ne supporte pas cela! Ne
laisse pas le lit royal du Danemark servir de couche à la luxure et à
l'inceste damné. Mais quelle que soit la voie par où tu poursuivras
cette action, ne souille pas ta pensée, et ne laisse point ton âme
projeter la moindre chose contre ta mère; abandonne-la au ciel et à ces
épines qui habitent dans son sein pour la piquer et la percer. Adieu une
fois pour toutes! Le ver luisant montre que le matin approche; sa flamme
inefficace commence à pâlir. Adieu, adieu, adieu, souviens-toi de moi.

(Il sort.)

HAMLET.--O vous toutes, armées du ciel! ô terre! quoi de plus? dois-je
vous associer aussi l'enfer? Arrête, arrête, mon coeur; et vous, mes
nerfs, ne vieillissez pas tout à coup, mais soutenez-moi de toute votre
roideur. Me souvenir de toi? Oui, pauvre âme, tant que la memoire
conservera un siège dans ce crâne bouleversé. Me souvenir de toi? Oui,
j'effacerai du registre de ma mémoire tous les vulgaires souvenirs qui
m'étaient chers, toutes les sentences des livres, toutes les formes,
toutes les impressions du passé que la jeunesse et l'observation y ont
inscrites; sur les pages et dans tout le volume de mon cerveau, ton
commandement seul vivra, dégagé de tout sujet moins noble... Oui, par le
ciel!--O femme perverse entre toutes! O scélérat! scélérat! souriant et
damné scélérat! Ici, mes tablettes! car il importe d'y noter qu'un homme
peut sourire, et sourire, et être un scélérat. Je suis sûr, du moins,
que cela peut être ainsi en Danemark (_il écrit_); vous y êtes,
mon oncle. Et maintenant, à mon mot d'ordre! C'est: «Adieu, adieu,
souviens-toi de moi.» Je l'ai juré.

HORATIO, _derrière la scène_.--Mon seigneur, mon seigneur!

MARCELLUS, _derrière la scène_.--Seigneur Hamlet!

HORATIO, _derrière la scène_.--Dieu le garde!

HAMLET.--Ainsi soit-il!

MARCELLUS, _derrière la scène_.--Holà! ho! ho! mon seigneur!

HAMLET.--Holà! oh, oh, petit! Viens, l'oiseau, viens!

(Horatio et Marcellus entrent.)

MARCELLUS.-Où en êtes-vous, mon noble seigneur?

HORATIO.--Quelles nouvelles, mon seigneur?

HAMLET.--Oh! prodigieuses!

HORATIO.--Mon bon seigneur! dites-les.

HAMLET.--Non; vous les révélerez.

HORATIO.--Pas moi, mon seigneur; par le ciel!

MARCELLUS.--Ni moi, mon seigneur.

HAMLET.--Qu'en dites-vous donc? Un coeur d'homme eût-il pu le croire?...
Mais vous serez secrets?

HORATIO et MARCELLUS.--Oui, par le ciel, mon seigneur!

HAMLET.--Il n'y a nulle part, dans tout le Danemark, un scélérat... qui
ne soit un fieffé coquin.

HORATIO.--Il n'est pas besoin, mon seigneur, d'un fantôme qui sorte du
tombeau pour nous dire cela.

HAMLET.--Oui, vraiment, vous dites vrai, et par conséquent, sans aucun
détail de plus, je tiens pour convenable que nous nous serrions la main
et que nous nous séparions, vous, pour aller où vous conduiront vos
affaires et vos penchants, car chaque homme a ses affaires et ses
penchants, quels qu'ils soient; et moi, pour mon propre et pauvre
compte, voyez-vous, j'irai prier.

HORATIO.--Ce ne sont que paroles d'égarement et de vertige, mon
seigneur.

HAMLET.--Je suis fâché qu'elles vous offensent; sincèrement; oui, ma
foi, sincèrement.

HORATIO.--Il n'y a point là d'offense, mon seigneur.

HAMLET.--Si fait, par saint Patrice! il y en a une, Horatio, et même
une grande offense. Quant à cette vision, c'est un honnête fantôme,
permettez-moi de vous dire cela; et pour ce qui est de votre désir de
connaître ce qu'il y a entre nous, réprimez-le comme vous pourrez. Et
maintenant, mes bons amis, comme camarades, compagnons d'armes et amis,
accordez-moi une pauvre faveur.

HORATIO.--Qu'est-ce, mon seigneur? Nous le ferons.

HAMLET.--Ne faites jamais connaître ce que vous avez vu cette nuit.

HORATIO et MARCELLUS.--Mon seigneur, nous n'en dirons rien.

HAMLET.--Bien, mais jurez-le.

HORATIO.--Sur ma foi, monseigneur, ce ne sera pas moi.

MARCELLUS.--Ni moi, mon seigneur, sur ma foi.

HAMLET.--Sur mon épée.

MARCELLUS.--Nous avons déjà juré, mon seigneur.

HAMLET,--N'importe, sur mon épée; n'importe.

LE FANTOME, _sous la terre_.--Jurez!

HAMLET.--Ah! ah! mon garçon, c'est ton avis? Es-tu là, bonne pièce?
Allons, vous entendez le camarade, là-bas, à la cave; consentez à jurer.

HORATIO.--Dites la formule du serment, mon seigneur.

HAMLET.--Ne parlez jamais de ce que vous avez vu ici. Jurez par mon
épée.

LE FANTOME, _sous la terre_.--Jurez!

HAMLET.--_Hic et ubique_? Changeons donc de place. Venez ici, messieurs,
et replacez vos mains sur mon épée. Jurez par mon épée de ne jamais
parler de ce que vous avez entendu!

LE FANTOME, _sous la terre_.--Jurez par son épée!

HAMLET.--Bien dit, vieille taupe. Peux-tu travailler si vite sous terre?
Un précieux mineur!... Allons encore plus loin, mes bons amis.

HORATIO.--Oh! par le jour et la nuit, voilà un prodige étrange!

HAMLET.--Faites-lui donc l'accueil qu'on fait à un étranger. Il y a plus
de choses au ciel et sur la terre, Horatio, qu'il n'en est rêvé dans
votre philosophie. Mais allons: ici comme auparavant, jurez que jamais
(et en aide vous soit la miséricorde de Dieu!) si étrange et si bizarre
que je puisse me montrer, comme je trouverai peut-être à propos par la
suite de m'habiller d'un caractère fantasque, jamais, me voyant en de
tels moments, vous ne croiserez les bras de la sorte, ni ne secouerez
ainsi la tête, ni ne prononcerez quelqu'une de ces phrases équivoques,
comme: «Bien, bien, nous savons;» ou: «Nous pourrions, si nous
voulions...» ou: «Si nous avions envie de parler...» ou: «Si l'on
pouvait, il y aurait...» ou telle autre parole ambiguë donnant à
entendre que vous savez quelque chose de moi... Jurez vous cela?... Que
la grâce et la miséricorde vous soient donc en aide au besoin!

LE FANTOME, _sous la terre_.--Jurez!

HAMLET.--Calme-toi, calme-toi, âme en peine!... Ainsi, messieurs, je me
recommande à vous de toute mon affection, et tout ce qu'un aussi pauvre
homme que Hamlet pourra faire pour vous exprimer son attachement et son
amitié, Dieu aidant, ne vous manquera pas. Allons-nous en ensemble; et
toujours le doigt sur les lèvres, je vous prie. Notre siècle est en
désarroi. O fatalité maudite, que je sois jamais né pour le remettre en
ordre! Allons, venez, partons ensemble.

(Ils sortent.)

FIN DU PREMIER ACTE.




ACTE DEUXIÈME



SCÈNE I


Une chambre dans la maison de Polonius.

POLONIUS ET REYNALDO _entrent_.

POLONIUS.--Donnez-lui cet argent et ces lettres, Reynaldo.

REYNALDO.--Ainsi ferai-je, mon seigneur.

POLONIUS.--Vous serez sage à miracle, bon Reynaldo, si vous voulez bien,
avant de lui faire visite, vous enquérir de sa conduite.

REYNALDO.--Mon seigneur, j'étais dans cette intention.

POLONIUS.--Bien dit, ma foi, très-bien dit. Suivez ceci, monsieur.
Commencez-moi par demander quels Danois se trouvent à Paris, comment ils
y sont, qui ils sont, leurs ressources, leur demeure, leurs compagnies,
leurs dépenses; et quand, par cette enceinte continue de questions, en
allant à la dérive, vous trouverez qu'on connaît mon fils, côtoyez
de plus près, plutôt que d'aborder tout de suite par des questions
particulières. Présentez-vous, par exemple, comme ayant de lui quelque
lointaine connaissance. Ainsi, dites: «Je connais «son père et ses amis,
et même lui un peu.» Vous comprenez cela, Reynaldo?

REYNALDO.--Oui, très-bien, mon seigneur.

POLONIUS.--«Et lui, un peu... mais,» pourrez-vous ajouter, «pas
très-bien. Au reste, si c'est celui que je veux dire, il est fort
dérangé, adonné à ceci, à cela.» Et alors mettez à sa charge tel conte
bleu qu'il vous plaira. Ah ça! pourtant, rien d'assez bas pour le
déshonorer. Prenez garde à cela, monsieur. Mais seulement cette
légèreté, ce désordre, ces écarts ordinaires qui sont les compagnons
notoires et bien connus de la jeunesse et de la liberté.

REYNALDO.--Comme de jouer, mon seigneur.

POLONIUS.--Oui; ou de boire, de bretailler, de jurer, de quereller, de
courir les filles;... vous pouvez aller jusque-là.

REYNALDO.--Mon seigneur, cela le déshonorerait.

POLONIUS.--Ma foi, non, si vous savez, tout en l'accusant, tempérer la
chose. Il ne faudra pas mettre à sa charge un surcroît de scandale,
comme de le donner pour livré à la débauche-Ce n'est pas là ce que je
veux dire. Mais murmurez si délicatement ses fautes qu'elles puissent
passer pour les torts de la liberté, pour les éclairs et les éclats
d'une âme en feu, pour une fougue naturelle au sang indompté dont tous,
à cet âge, sentent les assauts.

REYNALDO.--Mais, mon bon seigneur...

POLONIUS.--Pourquoi je vous charge de faire cela?

REYNALDO.--Oui, mon seigneur, je voudrais le savoir.

POLONIUS.--Eh bien! monsieur, voici mon but; et ce stratagème, je crois,
est d'un succès garanti. Quand vous aurez attribué à mon fils ces légers
défauts, comme s'il s'agissait d'un objet qui, à Fuser, se serait un peu
taché,--suivez-moi bien,--si le partenaire de votre entretien, celui que
vous voudriez sonder, a jamais vu le jeune homme sur qui portent vos
murmures coupable de quelqu'un des forfaits susdits, soyez assuré qu'il
finira par vous dire en conclusion: «Mon bon monsieur,» ou «mon ami,» ou
«monsieur,» selon la façon de parler ou le titre usité dans le pays, ou
par la personne en question...

REYNALDO.--Très-bien, mon seigneur.

POLONIUS.--Et alors, monsieur, il dira que... il dira... qu'est-ce que
j'étais en train de dire? Par la sainte messe! j'étais en train de dire
quelque chose... où en suis-je resté?

REYNALDO.--Et il finira par dire, en conclusion...

POLONIUS.--Il finira par dire, en conclusion, oui, morbleu! il finira
par vous dire: «Je connais ce gentilhomme, je l'ai vu hier ou l'autre
jour, ou à tel moment, ou à tel autre, avec tel ou tel; et, comme vous
dites, il était là à jouer; ou il avalait sa rasade, ou il avait une
dispute à la paume;» ou peut-être: «je l'ai vu entrer dans une de ces
maisons de commerce,» _videlicet_, un mauvais lieu,... ou telle autre
chose. Voyez-vous maintenant? Le hameçon de votre mensonge prendra ainsi
la carpe de la vérité; et, voilà comme, nous autres gens de bon sens et
de pénétration, à force de machines et en essayant de biais, nous
savons indirectement suivre notre direction. C'est ainsi, d'après mes
instructions et mes avis ci-dessus, que vous en agirez avec mon fils. Y
êtes-vous, ou n'y êtes-vous pas?

REYNALDO.--J'y suis, mon seigneur.

POLONIUS.--Dieu soit avec vous! Bon voyage.

REYNALDO.--Mon bon seigneur...

POLONIUS.--Observez ses penchants par vous-même.

REYNALDO.--Ainsi ferai-je, mon seigneur.

POLONIUS.--Et laissez-le chanter sa gamme.

REYNALDO.--Bien, mon seigneur.

(Il sort.)

(Ophélia entre.)

POLONIUS.--Adieu!--Qu'est-ce, Ophélia? De quoi s'agit-il?

OPHÉLIA.--Oh! mon seigneur, mon seigneur, j'ai été si effrayée!

POLONIUS.--De quoi, au nom du ciel?

OPHÉLIA.--Mon seigneur, comme j'étais à coudre dans mon cabinet, le
seigneur Hamlet, avec son pourpoint tout défait, sans chapeau sur la
tête, ses bas froissés, sans jarretières, et tombant, enroulés, jusque
sur sa cheville, pâle comme sa chemise, ses genoux se heurtant l'un
contre l'autre, et avec un regard d'une expression aussi pitoyable
que s'il avait été détaché du fond de l'enfer pour faire un récit
d'horreurs... il est venu se poser devant moi.

POLONIUS.--Fou pour l'amour de toi?

OPHÉLIA.--Mon seigneur, je ne sais pas; mais vraiment, je le crains.

POLONIUS.--Qu'a-t-il dit?

OPHÉLIA.--Il m'a prise par le poignet et m'a serrée très-fort; puis il
s'écarte de toute la longueur de son bras, et tenant son autre main,
ainsi, au dessus de son front, il tombe en une contemplation de mon
visage comme s'il eût voulu le dessiner. Il est longtemps resté ainsi.
Enfin,--une petite secousse à mon bras, et trois fois sa tête ainsi
balancée de bas en haut,--il a poussé un soupir si pitoyable et si
profond qu'il semblait devoir faire éclater tout son corps et mettre
fin à son existence. Cela fait, il me laisse aller; et, la tête tournée
par-dessus son épaule, il paraissait trouver son chemin sans ses yeux,
car il a passé la porte sans leur secours, et jusqu'au dernier moment,
il a tenu leur lumière tournée vers moi.

POLONIUS.--Allons, viens avec moi; je vais trouver le roi. C'est là, au
vrai, le délire de l'amour qui se ravage lui-même par la violence qui
lui appartient, et entraîne la volonté à des entreprises désespérées,
aussi souvent que toute autre passion qui soit sous le ciel pour
affliger notre nature. J'en suis fâché. Mais quoi? Lui avez-vous adressé
dernièrement quelques paroles rudes?

OPHÉLIA.--Non, mon bon seigneur; mais, comme vous l'aviez commande, j'ai
repoussé ses lettres, et j'ai refusé ses visites.

POLONIUS.--C'est cela qui l'a rendu fou. Je suis fâché de ne l'avoir pas
observé avec plus d'attention et de discernement; je craignais que ce ne
fût seulement une plaisanterie, et qu'il ne se proposât ton naufrage.
Mais maudits soient mes soupçons jaloux! Il semble que ce soit le propre
de notre âge de dépasser notre portée, en nos jugements, comme, parmi
les gens plus jeunes, c'est le défaut commun de manquer de réflexion.
Viens, allons vers le roi; ceci doit être connu, dont le secret gardé
pourrait causer plus de peine que ne causera de haine cet amour révélé.
Allons.

(Ils sortent.)



SCÈNE II


Un appartement dans le château.

LE ROI, LA REINE, ROSENCRANTZ, GUILDENSTERN, SUITE, _entrent_.

LE ROI.--Soyez les bienvenus, cher Rosencrantz, et vous, Guildenstern!
Outre le grand désir que, depuis longtemps, nous avions de vous voir, le
besoin que nous avons de vos services a provoqué notre hâtif appel.
Vous avez su quelque chose de la transformation de Hamlet; je dis
transformation, car en lui ni l'homme extérieur ni l'intérieur ne
ressemblent plus à ce qu'il était. Quelle pourrait être la cause,
autre que la mort de son père, qui l'a jeté à ce point hors de toute
conscience de lui-même, je ne saurais l'imaginer. Vous donc qui avez été
dès un si jeune âge élevés avec lui, et qui, depuis lors, avez vécu
si voisins de sa jeunesse et de ses goûts, je vous prie tous deux de
vouloir bien consacrer à notre cour quelque peu de votre loisir, afin de
l'attirer vers les plaisirs par votre compagnie, et de saisir, par tous
les indices que le hasard vous permettra de glaner, s'il y a quelque
motif à nous inconnu qui l'afflige ainsi, et qui, venant à être
découvert, serait à portée de nos remèdes.

LA REINE.--Mes bons messieurs, il a beaucoup parlé de vous; et je suis
sûre qu'il n'y a pas en ce monde deux hommes à qui il soit plus attaché.
S'il vous plaît de nous montrer assez de courtoisie et de bon vouloir
pour passer quelque temps avec nous, au secours et au profit de nos
espérances, votre visite sera comblée de tous les remerciements qui
conviennent à la gratitude d'un roi.

ROSENCRANTZ.--Vos Majestés pourraient, en vertu du souverain pouvoir
qu'elles ont sur nous, donner à leur bon plaisir redouté la forme d'un
ordre plutôt que d'une prière.

GUILDENSTERN.--Nous obéissons d'ailleurs tous les deux, et nous faisons
ici hommage de nous-mêmes et de nos efforts tendus jusqu'au bout,
mettant à vos pieds nos services pour être commandés par vous.

LE ROI.--Je vous remercie, Rosencrantz, et vous, aimable Guildenstern.

LA REINE.--Je vous remercie, Guildenstern, et vous, aimable Rosencrantz;
et je vous conjure d'aller à l'instant voir mon fils, hélas! trop
changé.--Que quelques-uns de vous conduisent ces messieurs là où est
Hamlet.

GUILDENSTERN.--Que le ciel lui rende notre présence et nos soins
agréables et salutaires!

LA REINE.--Hélas! Ainsi soit-il!

(Rosencrantz, Guildenstern et quelques hommes de la suite sortent.)

(Polonius entre.)

POLONIUS.--Les ambassadeurs sont revenus de Norwége, fort satisfaits,
mon bon seigneur.

LE ROI.--Tu es toujours le père aux bonnes nouvelles.

POLONIUS.--Vraiment, mon seigneur? Soyez sûr, mon bon souverain, que
je tiens mes services, comme je tiens mon âme, tout ensemble à la
disposition de mon Dieu et de mon gracieux roi; et je pense (ou bien
cette mienne cervelle ne sait plus suivre la piste d'une affaire aussi
sûrement qu'elle en avait coutume) je pense que j'ai trouvé la vraie
cause de la démence de Hamlet.

LE ROI.--Ah! dis-moi cela! Voilà ce qu'il me tarde d'entendre!

POLONIUS.--Donnez d'abord audience aux ambassadeurs; mes nouvelles
seront le dessert après ce grand festin.

LE ROI.--Fais-leur toi-même les honneurs, et introduis-les. (_Polonius
sort_.) Il me dit, ma chère Gertrude, qu'il a trouvé le point capital et
la source de tout le dérangement de notre fils.

LA REINE.--Je doute qu'il y en ait une autre que cette grande cause: la
mort de son père et l'extrême hâte de notre mariage.

(Polonius rentre avec Voltimand et Cornélius.)

LE ROI.--Bien! nous le sonderons.--Soyez les bienvenus, mes bons amis.
Dites, Voltimand, que nous apportez-vous de la part de notre frère de
Norwége?

VOLTIMAND.--La plus riche réciprocité de compliments et de voeux.
Dès notre première démarche, il a envoyé l'ordre de suspendre les
recrutements de son neveu, qui lui paraissaient être des préparatifs
contre le Polonais; mais, y ayant mieux regardé, il les trouva
réellement dirigés contre Votre Altesse. Alors, blessé de voir comment
on avait abusé de sa maladie, de son âge, de son impuissance, il fait
signifier ses ordres à Fortinbras, qui obéit sur-le-champ, reçoit les
réprimandes du roi, et, finalement, fait serment devant son oncle de ne
plus faire jamais essai de ses armes contre Votre Majesté. Sur quoi le
vieux roi, débordé de joie, lui assigne un revenu annuel de trois mille
écus, et lui donne commission d'employer contre le Polonais les soldats
qu'il a levés auparavant. Ci-jointe une supplique (_il remet un
papier_), que son contenu expliquera plus amplement, vous demandant
qu'il vous plaise donner un libre passage à travers vos États pour cette
expédition, sous telles conditions de sûreté et de bonne entente qui
sont proposées ici.

LE ROI.--Cela nous convient fort, et à un moment de loisir plus
réfléchi, nous lirons, nous répondrons, et nous aviserons à cette
affaire. Cependant nous vous remercions de la peine que vous avez si
bien su prendre: allez vous reposer; ce soir, nous festoierons ensemble;
vous serez les très-bienvenus chez moi.

(Voltimand et Cornélius sortent)

POLONIUS.--Cette affaire est bien terminée. Mon souverain, et vous,
madame, rechercher ce que doit être la majesté, ce qu'est l'obéissance,
pourquoi le jour est le jour, la nuit, la nuit, et le temps, le temps,
ce ne serait autre chose que perdre la nuit, le jour et le temps;
donc... puisque la brièveté est l'âme de l'esprit, duquel l'anatomie et
les fleurs de parade extérieure ne sont qu'ennui, je serai bref. Votre
noble fils est fou. Fou je l'appelle, car vouloir définir au vrai la
folie, qu'est-ce? si ce n'est n'être soi-même rien de moins que fou?
Mais laissons cela.

LA REINE.--Plus de choses et moins d'art.

POLONIUS.--Madame, je vous jure que je n'emploie l'art aucunement. Que
votre fils est fou, cela est vrai. Il est vrai que c'est une pitié. Et
c'est une pitié que cela soit vrai. Sotte figure de rhétorique. Mais
disons-lui adieu, car je ne veux pas employer l'art. Ainsi, accordons
qu'il est fou; et maintenant il nous reste à trouver la cause de cet
effet, ou, pour mieux dire, la cause de ce méfait, car cet effet est un
méfait qui vient d'une cause. Voilà ce qui demeure démontré, et voici
ce qui reste à démontrer. Pesez bien tout. J'ai une fille; je l'ai,
puisqu'elle est encore à moi; une fille qui, dans son respect et
son obéissance, suivez bien, m'a remis ceci. Maintenant, résumez et
concluez...

    A la céleste idole de mon âme, à la bienheureuse beauté Ophélia...

C'est une mauvaise phrase, une phrase vulgaire. «Bienheureuse beauté»
est un mot vulgaire. Mais écoutez; poursuivons.

    Puissent, dans sa parfaite et blanche poitrine, ces paroles, etc.

LA REINE.--Ceci lui a été adressé par Hamlet?

POLONIUS.--Ma bonne dame, attendez un moment, je serai exact.

(Il lit.)

  Doute que les étoiles soient de feu,
  Doute que le soleil tourne,
  Doute que la vérité ne puisse être un mensonge[5],
  Mais ne doute jamais de mon amour.

[Note 5: Ceci est vague. Mais pourquoi le traducteur prendrait-il parti
quand l'auteur a laissé la pensée en suspens? Le texte porte:

  Doubt thou, the stars are fire;
  Doubt that the sun doth move;
  Doubt truth to be a liar;
  But never doubt I love.

Le verbe anglais _to doubt_ signifie tantôt douter, tantôt soupçonner.
Fallait-il traduire le troisième vers par: «Soupçonne la vérité d'être
une menteuse»--ou par: «Doute que la vérité soit une menteuse?» Les
deux sens sont dans le texte; il fallait les garder dans la traduction,
confondus et même confus. N'enlevons jamais au langage de Hamlet,
surtout à partir du second acte, après qu'il a vu le spectre, appris
le crime et conçu la vengeance, après qu'il a annoncé à ses amis
l'intention de feindre un caractère fantasque, après que le roi l'a
dépeint comme tout transformé et malade, n'enlevons jamais à son langage
ni un trait de brusquerie, ni une goutte d'amertume, ni une ombre
d'obscurité. Hamlet dit-il que le vrai est vrai, ou que ce qu'on appelle
ainsi n'est que mensonge? Est-ce un axiome de sens commun ou un axiome
de scepticisme subtil et triste qu'il propose à Ophélia? Est-ce à la
certitude de la vérité ou à la vérité de l'incertitude qu'il compare
et préfère l'évidence de son amour? Qui sait? Mais quoi qu'il en soit,
voulue ou fortuite, la confusion des deux sens est de Shakspeare. On
dirait volontiers qu'Ophélia, en lisant ce vers, l'a compris dans le
sens le plus simple, et que Hamlet l'avait écrit dans l'autre sens, le
plus dérobé et le plus désolé.]


O chère Ophélia! je suis mal à l'aise dans ce mètre; je n'ai pas l'art
de calculer la longueur de mes gémissements. Mais que je t'aime bien,
oh! parfaitement bien, crois-le. Adieu.

A toi pour toujours, dame chérie, tant que cette machine mortelle lui
appartiendra.

HAMLET.

C'est là ce que ma fille, par obéissance, m'a montré; et de plus, les
instances de votre fils, à quelles dates, de quelles manières et en
quels lieux elles se produisirent, elle a tout confié à mon oreille.

LE ROI.--Mais comment a-t-elle reçu son amour?

POLONIUS.--Quelle idée avez-vous de moi?

LE ROI.--L'idée d'un homme fidèle et honorable.

POLONIUS.--Je ne demanderais, sur ce point, qu'à faire mes preuves. Mais
que pourriez-vous penser si, lorsque j'ai vu ce chaleureux amour prendre
son essor (car je m'en suis aperçu, je dois vous le dire, avant que
ma fille m'eût parlé), que pourriez-vous penser de moi, vous et sa
gracieuse Majesté la reine ici présente, si j'avais joué le rôle inerte
d'un pupitre ou d'un portefeuille, ou si j'avais laissé mon coeur
travailler sourdement et silencieusement, ou si j'avais regardé cet
amour d'un oeil nonchalant? Que pourriez-vous penser? Non, je me suis
rondement mis en besogne; et j'ai parlé ainsi à ma jeune damoiselle: «Le
seigneur Hamlet est un prince au-dessus de ta sphère; ceci ne doit pas
être.» Et alors je lui ai donné pour préceptes de se tenir enfermée hors
de ses atteintes, de n'admettre aucun messager, de ne recevoir aucun
cadeau. Cela fait, elle a recueilli le fruit de mes avis, et lui (pour
vous faire une courte histoire), se voyant rebuté, est tombé dans la
tristesse; de là dans le dégoût; de là dans l'insomnie; de là dans la
faiblesse; de là dans les rêveries flottantes, et, par ce déclin, dans
la folie, où maintenant il s'égare, et qui nous met tous en deuil.

LE ROI.--Pensez-vous que ce soit cela?

LA REINE.--Cela peut être, très-vraisemblablement.

POLONIUS.--Est-il arrivé une seule fois (je voudrais bien le savoir)
que j'aie dit positivement: _cela est_, et que cela se soit trouvé
autrement?

LE ROI.--Non, pas que je sache.

POLONIUS, _montrant sa tête et ses épaules_.--Ôtez ceci de là, si cela
est autrement. Pourvu que je sois guidé par les circonstances, je
trouverai le point où la vérité est cachée, fût-elle cachée, en vérité,
dans le centre de la terre.

LE ROI.--Comment pourrons-nous pousser plus loin l'enquête?

POLONIUS.--Vous savez que, parfois, il se promène quatre heures de suite
ici, dans la galerie.

LA REINE.--Il s'y promène, en effet.

POLONIUS.--Dans un de ces moments-là je lui lâcherai ma fille; soyons
alors, vous et moi, derrière une tapisserie; observez leur rencontre;
s'il ne l'aime pas et si ce n'est pas ce qui l'a fait déchoir de la
raison, ne me laissez plus être conseiller d'un royaume, envoyez-moi
gouverner une ferme et des charretiers.

LE ROI.--Nous essayerons cela.

(Hamlet entre en lisant.)

LA REINE.--Mais regardez de quel air de tristesse le pauvre malheureux
vient en lisant.

POLONIUS.--Éloignez-vous, je vous en conjure, éloignez-vous tous deux;
je vais l'aborder sur-le-champ: oh! donnez-moi carte blanche. (_Le roi,
la reine et leur suite sortent_.) Comment va mon bon seigneur Hamlet?

HAMLET.--Bien, Dieu merci!

POLONIUS.--Me connaissez-vous, mon seigneur?

HAMLET.--Parfaitement bien: vous êtes un marchand de poisson.

POLONIUS.--Non pas moi, mon seigneur.

HAMLET.--En ce cas, je voudrais que vous fussiez un aussi honnête homme.

POLONIUS.--Honnête, mon seigneur?

HAMLET.--Oui, monsieur; être honnête, au train dont va ce monde, c'est
être un homme trié sur dix mille.

POLONIUS.--C'est très-vrai, mon seigneur.

HAMLET.--Car si le soleil engendre des vers dans un chien mort,--lui qui
est un dieu, baisant une charogne...--avez-vous une fille?

POLONIUS.--J'en ai une, mon seigneur.

HAMLET.--Ne la laissez pas se promener au soleil. La conception est
une bonne chose: mais quant à la façon dont votre fille pourrait
concevoir.... ami, prenez-y garde.

POLONIUS.--Qu'entendez-vous par là? (_A part_.) Encore son refrain sur
ma fille! Cependant il ne m'a pas reconnu d'abord; il a dit que j'étais
un marchand de poisson. Il n'y est plus, il n'y est plus! A vrai dire,
dans ma jeunesse, j'ai subi bien des extrémités par le fait de l'amour;
à bien peu de chose près autant que ceci. Je veux lui parler encore. Que
lisez-vous, mon seigneur?

HAMLET.--Des mots, des mots, des mots!

POLONIUS.--De quoi est-il question, mon seigneur?

HAMLET.--Question? Entre qui?

POLONIUS.--Je veux dire dans le livre que vous lisez, mon seigneur.

HAMLET.--Des calomnies, monsieur; car ce maraud de satirique dit que les
vieillards ont des barbes grises; que leurs figures sont ridées; que
leurs yeux sécrètent une ambre épaisse et comme une gomme de prunier,
et qu'ils ont une abondante absence d'esprit, avec des jarrets
très-faibles. Tout cela, monsieur, bien que j'y croie de tout mon
pouvoir et de toute ma puissance, je tiens pourtant qu'il n'y a pas
d'honnêteté à l'avoir ainsi couché par écrit; car vous-même, monsieur,
vous serez aussi vieux que je le suis, si jamais, comme un crabe, vous
pouvez aller à reculons.

POLONIUS, _à part_.--Quoique ce soient des folies, il y a pourtant de
la suite là-dedans. Voulez-vous changer d'air, mon seigneur, et venir
ailleurs?

HAMLET.--Dans mon tombeau?

POLONIUS.--Ce serait assurément changer d'air tout à fait. Comme ses
répliques sont parfois grosses de sens! Heureux hasards, où souvent la
folie frappe en plein, tandis que la raison et les saines pensées ne
seraient pas aussi chanceuses à bien s'exprimer! Je vais le laisser et
aviser sur-le-champ aux moyens d'amener une rencontre entre lui et ma
fille. Mon honorable seigneur, je prendrai très-humblement congé de
vous.

HAMLET.--Vous ne pouvez, monsieur, rien prendre de moi dont je fasse
plus volontiers l'abandon... si ce n'est ma vie, si ce n'est ma vie, si
ce n'est ma vie!

POLONIUS.--Adieu, mon seigneur.

HAMLET.--Ces ennuyeux vieux fous!

(Rosencrantz et Guildenstern entrent.)

POLONIUS.--Vous cherchez le seigneur Hamlet; il est ici.

ROSENCRANTZ, _à Polonius_.--Dieu vous garde, monsieur!

(Polonius sort.)

GUILDENSTERN.--Mon honoré seigneur!...

ROSENCRANTZ.--Mon très-cher seigneur!...

HAMLET.--Mes bons, mes excellents amis! comment vas-tu, Guildenstern?
Ah! Rosencrantz! Bons compagnons, comment allez-vous tous les deux?

ROSENCRANTZ.--Comme le vulgaire des enfants de la terre.

GUILDENSTERN.--Heureux par cela même que nous ne sommes pas trop
heureux. Nous ne sommes pas précisément le plus beau fleuron que la
fortune porte à sa toque.

HAMLET.--Ni les semelles que foulent ses souliers?

ROSENCRANTZ.--Non, mon seigneur.

HAMLET.--Alors vous vivez près de sa ceinture, dans le centre de ses
faveurs?

GUILDENSTERN.--Oui, ma foi! nous sommes de ses amis privés.

HAMLET.--Logés dans le secret giron de la fortune? Oh! oui, cela est
vrai. C'est une catin. Quelles nouvelles?

ROSENCRANTZ.--Aucune, mon seigneur; si ce n'est que le monde est devenu
honnête.

HAMLET.--Alors le jugement dernier est proche; mais votre nouvelle
n'est pas vraie. Laissez-moi vous faire une question plus particulière:
qu'avez-vous donc fait à la fortune, mes bons amis, pour qu'elle vous
envoie en prison ici?

GUILDENSTERN.--En prison, mon seigneur?

HAMLET.--Le Danemark est une prison.

ROSENCRANTZ.--Alors le monde en est une aussi.

HAMLET.--Une grande prison, dans laquelle il y a beaucoup de caveaux, de
basses fosses et de cachots: le Danemark est un des pires.

ROSENCRANTZ.--Nous ne pensons pas ainsi, mon seigneur.

HAMLET.--Soit! c'est donc que, pour vous, le Danemark n'est pas un
cachot; car il n'y a de bien et de mal que selon l'opinion qu'on a. Pour
moi, c'est une prison.

ROSENCRANTZ.--Soit! C'est donc votre ambition qui vous le fait paraître
ainsi; il est trop étroit pour votre âme.

HAMLET.--O Dieu! je pourrais être enfermé dans une coque de noix, et
m'estimer roi d'un espace infini, n'était que j'ai de mauvais rêves.

GUILDENSTERN.--Lesquels rêves sont assurément l'ambition; car la
substance même des ambitieux n'est rien de plus que l'ombre d'un rêve.

HAMLET.--Un rêve lui-même n'est qu'une ombre.

ROSENCRANTZ.--Assurément, et je tiens que l'ambition est d'une essence
si aérienne et si légère qu'elle n'est que l'ombre d'une ombre.

HAMLET.--En ce cas nos gueux sont des corps réels, et nos monarques
et nos grands héros qui n'en finissent pas sont des ombres de
gueux.--Irons-nous à la cour? car, par ma foi, je ne suis pas en état de
raisonner.

ROSENCRANTZ ET GUILDENSTERN.--Nous y serons de votre suite.

HAMLET.--Il ne s'agit pas de cela; je ne veux point vous ranger avec le
reste de mes serviteurs, car à vous parler en honnête homme, je suis
terriblement accompagné. Mais dites-moi,--pour aller droit par les
sentiers battus de l'amitié,--que venez-vous faire à Elseneur?

ROSENCRANTZ.--Vous voir, mon seigneur, pas d'autre motif.

HAMLET.--Gueux comme je le suis, je suis pauvre même en remerciements,
mais je vous remercie, et soyez sûrs, mes chers amis, que mes
remerciements sont trop chers à un sou. Ne vous a-t-on pas envoyé
chercher? Est-ce votre propre penchant? est-ce une visite de plein gré?
Allons, allons! agissez en toute justice avec moi. Allons, allons! en
vérité, parlez!

GUILDENSTERN.--Que pourrions-nous dire, mon seigneur?

HAMLET.--Quoi que ce soit, mais que cela aille au fait. On vous a envoyé
chercher, et il y a une sorte de confession dans vos regards que votre
pudeur n'a pas l'habileté de colorer. Je le sais, le bon roi et la reine
vous ont envoyé chercher.

ROSENCRANTZ.--A quelle fin, mon seigneur?

HAMLET.--C'est ce que vous avez à m'apprendre. Mais permettez-moi de
vous conjurer, par les droits de notre camaraderie, par l'harmonie de
notre jeunesse, par les devoirs de notre tendresse toujours maintenue,
et par tous les motifs encore plus touchants qu'un meilleur orateur
pourrait invoquer auprès de vous, soyez simples et droits envers moi:
vous a-t-on envoyé chercher, oui ou non?

ROSENCRANTZ, _à Guildenstern_.--Que dites-vous?

HAMLET, _à part_.--Bon! j'ai déjà un aperçu sur votre compte. (_Haut_).
Si vous m'aimez, ne me tenez pas rigueur.

GUILDENSTERN.--Mon seigneur, on nous a envoyé chercher.

HAMLET.--Je vais vous dire pourquoi. Ainsi mes aveux anticipés vous
dispenseront de vos confidences, et votre discrétion envers le roi et
la reine n'aura pas à muer d'une seule plume. J'ai, depuis peu (mais
pourquoi? je ne sais), perdu toute ma gaieté, laissé là tous mes
exercices accoutumés; et en vérité, il y a tant d'accablement dans ma
disposition, que ce vaste assemblage, la terre, me semble un promontoire
stérile; que cet admirable pavillon, l'air, voyez-vous, ce firmament
hardiment suspendu, cette majestueuse voûte incrustée de flammes
d'or, eh bien! cela ne me parait rien autre chose qu'un immonde et
pestilentiel amas de vapeurs. Quel chef-d'oeuvre que l'homme! combien
noble par la raison! combien infini par les facultés! combien admirable
et expressif par la forme et les mouvements! dans l'action combien
semblable aux anges! dans les conceptions combien semblable à un dieu!
Il est la merveille du monde, le type suprême des êtres animés! Eh bien!
à mes yeux, qu'est-ce que cette quintessence de la poussière? L'homme
ne me charme pas, ni la femme non plus, quoique par votre sourire vous
paraissiez me démentir.

ROSENCRANTZ.--Mon seigneur, il n'y avait rien de cela dans mes pensées.

HAMLET.--Pourquoi donc avez-vous ri, lorsque j'ai dit: «L'homme ne me
plaît pas?»

ROSENCRANTZ.--Parce que je me disais, mon seigneur,--si l'homme ne vous
plaît pas,--quel maigre accueil les comédiens recevront de vous! Nous
les avons rencontrés en chemin; ils viennent ici vous offrir leurs
services.

HAMLET.--Celui qui joue le roi sera le bienvenu; Sa Majesté aura un
tribut de moi; l'aventureux chevalier pourra faire usage de son fleuret
et de son écu; l'amoureux ne soupirera pas gratis; le bouffon pourra
achever tranquillement son rôle; le niais fera rire ceux-là même dont
les poumons sont secoués par une toux sèche, et la princesse nous
contera ses sentiments en toute liberté, dût le vers blanc boiter pour
la suivre. Quels sont ces comédiens?

ROSENCRANTZ.--Ceux-là même que vous aviez coutume de voir avec plaisir,
les tragédiens de la Cité.

HAMLET.--Et par quel hasard sont-ils devenus ambulants? Leur résidence
fixe, autant pour la réputation que pour le profit, valait mieux à tous
égards.

ROSENCRANTZ.--Je pense que leur empêchement vient de la récente
innovation.

HAMLET.--Se maintiennent-ils dans la même estime que lorsque j'étais en
ville? Sont-ils aussi suivis?

ROSENCRANTZ.--Non, en vérité, ils ne le sont pas.

HAMLET.--D'où vient cela? Est-ce qu'ils se rouillent?

ROSENCRANTZ.--Non, leurs efforts n'ont rien perdu de leur allure
accoutumée. Mais il y a, monsieur, une nichée d'enfants, de fauconneaux
à la brochette, qui piaillent à force tout au haut du dialogue, et sont
claqués à outrance pour cela; ils sont aujourd'hui à la mode, et ils ont
tant décrié le théâtre ordinaire (c'est ainsi qu'ils l'appellent) que
beaucoup de gens portant l'épée ont peur des plumes d'oie et n'osent
presque plus y venir.

HAMLET.--Comment, sont-ce des enfants? Qui les entretient? Comment est
réglé leur écot? Poursuivront-ils cette profession aussi longtemps
seulement qu'ils pourront chanter? Ne diront-ils point, par la suite,
s'ils arrivent eux-mêmes à être comédiens ordinaires (ainsi que cela est
vraisemblable, s'ils n'ont rien de mieux à faire), que les auteurs de
leur troupe leur ont fait tort, en les faisant d'avance déclamer contre
leur futur héritage?

ROSENCRANTZ.--Ma foi! il y a eu beaucoup à faire de part et d'autre, et
la nation estime que ce n'est pas un péché de les exciter à la dispute.
Il n'y a eu pendant un temps point d'argent à gagner avec une pièce, à
moins que le poëte et le comédien n'en vinssent à se gourmer avec leurs
rivaux en plein dialogue.

HAMLET.--Est-il possible?

GUILDENSTERN.--Oh! il y a eu déjà beaucoup d'effusion de cervelles.

HAMLET.--Sont-ce les enfants qui l'emportent?

ROSENCRANTZ.--Oui, mon seigneur, ils emportent tout, Hercule et son
fardeau avec lui[6].

[Note 6: Tout ce passage n'est qu'un tissu d'allusions à l'histoire des
divers théâtres qui s'étaient établis peu avant la représentation de
_Hamlet_, et où les enfants de choeur de l'église de Saint-Paul et de
la chapelle royale d'Élisabeth faisaient concurrence à la troupe de
Shakspeare. Ce n'est pas seulement de leur concurrence que Shakspeare se
plaint, mais aussi des abus et des désordres qui s'étaient introduits
sur la scène avec les nouveaux acteurs. Les attaques personnelles y
avaient pris toute licence. On voit dans l'_Apologie des acteurs_, par
Heywood, publiée en 1612, «que l'État, la cour, la loi, la cité et leurs
gouvernements» n'étaient aucunement épargnés et que certains auteurs
«mettaient leurs amères invectives dans les bouches enfantines, comptant
que la jeunesse des comédiens aurait le privilége de faire passer ces
particularités violentes contre les humeurs diverses d'hommes privés et
vivants, nobles ou autres.» Mais le succès fit bientôt scandale; une
partie du public se dégoûta et s'éloigna; les représentations des
enfants furent interdites de 1591 à 1600, et les autres troupes
souffrirent tour à tour de la vogue et du décri de leurs jeunes rivaux,
des règlements sévères auxquels ils donnèrent lieu et de leur retour sur
la scène. Le théâtre de Shakspeare était le théâtre du Globe et avait
pour enseigne Hercule portant le monde.]

HAMLET.--Ce n'est pas fort étrange, car mon oncle est roi de Danemark;
et ceux qui, du vivant de mon père, lui auraient fait la moue, donnent
maintenant vingt, quarante, cinquante, cent ducats par tête pour avoir
son portrait en miniature. Par la sambleu! il y a là quelque chose qui
est plus que naturel; si la philosophie pouvait le découvrir!

(On entend une fanfare de trompette derrière le théâtre.)

GUILDENSTERN.--Ce sont les comédiens.

HAMLET.--Messieurs, vous êtes les bienvenus à Elseneur. Vos mains.
Approchez: la marque ordinaire d'un bon accueil, ce sont les compliments
et les cérémonies; permettez que je vous traite de cette façon, de peur
que mes manières, en recevant les comédiens, à qui je dois, je vous en
préviens, montrer beaucoup d'égards, ne paraissent plus polies qu'envers
vous. Vous êtes les bienvenus; mais cet oncle qui est mon père, et cette
tante qui est ma mère, sont abusés.
                
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