Celle de laisser tranquille à tout jamais cette petite femme qui aime
son mari, un mari excellent, un honnête homme que vous connaissez...
VALROGER.
Il n'est pas mon ami.
LOUISE.
Il le sera bientôt, puisque vous voilà établi dans notre voisinage. Vous
chasserez ensemble, vous vous rencontrerez partout, vous l'estimerez,
vous verrez que son ménage est heureux et honorable; mais il n'est si
bon ménage où le plus léger propos ne puisse jeter le trouble. Vous êtes
un homme dangereux, en ce sens que vous ne pouvez plus faire un pas sans
qu'on vous attribue un projet ou une aventure; mais vous êtes un galant
homme quand même, et vous me jurez de renoncer...
VALROGER.
Permettez! Avant de m'engager, je voudrais comprendre...
LOUISE.
Quoi?
VALROGER.
Je voudrais comprendre comment, pourquoi, vous, la femme proclamée
vertueuse et pure par excellence, vous semblez faire bon marché de la
vertu des autres femmes, au point de demander grâce pour elles?
LOUISE.
Oh! je vais plus loin que cela. Je fais bon marché de ma propre vertu
dans le passé. Je ne sais nullement si, poursuivie et tourmentée par un
séducteur habile, j'eusse gardé dans ma jeunesse le calme dont je jouis
maintenant.
VALROGER.
Dans votre jeunesse?
LOUISE.
Oui, et comme j'ai été très-heureuse en ménage et très-respectée de tout
ce qui m'entourait, je suis très-indulgente pour celles qui se trompent
dans les chemins embrouillés.
VALROGER.
Savez-vous bien, madame, que me voilà tenté de vous prendre pour la
véritable coquette que je comptais trouver ici?
LOUISE.
Ah oui-da!
VALROGER.
Madame de Louville est une enfant. Beauté, jeunesse, orgueil et
témérité, cela est bien connu, bien peu redoutable et bien peu excitant;
mais une femme vraiment forte, habilement humble, généreuse envers les
autres, soi-disant vieille, et plus belle que les plus jeunes, tenez,
vous aurez beau dire, vous savez bien que tout cela est d'un prix
inestimable, et qu'il y aurait une gloire immense...
LOUISE.
A l'immoler?
VALROGER.
Non, mais à le conquérir.
LOUISE.
Conquérir! Comment donc? le mot est charmant! Est-ce une déclaration que
vous me faites?
VALROGER.
Si vous voulez.
LOUISE.
Et si je ne veux pas?
VALROGER.
Il est trop tard. Vous l'avez provoquée, et vous n'avez point paré à
temps.
LOUISE.
Au fait, c'est vrai. Eh bien! monsieur, vous êtes très-aimable, et je
vous remercie.
VALROGER.
Cela veut dire que vous prenez mes paroles pour un hommage banal!
LOUISE.
Je n'ai garde; j'en suis trop flattée pour cela.
VALROGER.
Ah çà mais, vous êtes atrocement railleuse! Je commence à vous croire
coquette tout de bon.
LOUISE.
C'est dans mon rôle.
VALROGER.
Le rôle d'ange gardien de madame de Louville?
LOUISE.
C'est cela! Si je ne m'empare pas de votre coeur aujourd'hui, mon
proverbe est manqué.
VALROGER.
Eh bien! il est manqué; je vous déteste!
LOUISE.
Oh! que non.
VALROGER.
Vous croyez le contraire?
LOUISE.
Pas du tout. Je vous suis parfaitement indifférente.
VALROGER.
Et sur ce terrain-là vous me payez largement de retour!
LOUISE.
Ah! mais non.
VALROGER.
J'entends! vous me détestez aussi, vous.
LOUISE.
C'est tout le contraire. Regardez-moi en face.
VALROGER.
Bien volontiers.
LOUISE.
Eh bien?
VALROGER.
Eh bien?
LOUISE.
Trouvez-vous que j'ai l'air de me moquer de vous?
VALROGER.
Parfaitement.
LOUISE.
Oh! l'homme habile! Eh bien! on vous a surfait, vous êtes un bon jeune
homme, vous n'avez jamais rien lu dans les yeux d'une femme.
VALROGER.
D'une femme comme vous, c'est possible.
LOUISE.
Quelle femme suis-je donc?
VALROGER.
Un sphinx! Je n'ai jamais vu tant d'aplomb dans le dédain.
LOUISE.
Et moi, je n'ai jamais vu tant d'obstination dans la méfiance. Voyons,
par quoi faut-il vous jurer que je vous aime?
VALROGER, (riant).
Vous m'aimez, vous!
LOUISE.
De tout mon coeur!
VALROGER, (à part).
C'est une folle! (Haut.) Jurez-le sur l'honneur, si vous voulez que je
vous croie.
LOUISE.
L'honneur d'une femme? Vous n'y croyez pas. Dans les mélodrames, on jure
par son salut éternel; mais vous n'y croyez pas davantage.
VALROGER.
Par votre amitié pour madame de Louville!
LOUISE.
Encore mieux: par l'innocence de ma fille!
VALROGER.
Quel âge a-t-elle?
LOUISE.
Six ans.
VALROGER.
J'y crois. Donc vous m'aimez, comme ça, tout doucement, de tout votre
coeur, comme le premier venu?
LOUISE.
Je n'aime pas le premier venu. Écoutez-moi, vous allez comprendre que je
ne ris pas, et que mon affection pour vous est très-sérieuse.
VALROGER.
Ah! voyons cela, je vous en prie!
LOUISE.
Vous souvenez-vous d'un jeune garçon qui s'appelait Ferval?
VALROGER.
Non, pas du tout!
LOUISE.
Augustin de Ferval.
VALROGER.
C'est très-vague...
LOUISE.
Alors, puisqu'il faut mettre les points sur les _i_, vous vous
souviendrez peut-être d'une certaine demoiselle qui s'appelait Aline, et
qui n'était pas du tout reine de Golconde?
VALROGER.
Eh bien! madame?
LOUISE.
Eh bien! monsieur, cette jolie personne, que vous protégiez, fut prise
au sérieux par un jeune provincial, mauvaise tête...
VALROGER.
J'y suis, je me souviens! Il y a de cela cinq ou six ans. Vous le
connaissez, ce petit Ferval?
LOUISE.
C'était mon frère, un enfant qui eut la folie de vous provoquer et dont
vous n'avez pas voulu tirer vengeance, car, après lui avoir laissé la
satisfaction de vous envoyer une balle, vous avez riposté sur lui avec
une arme chargée à poudre. Il ne l'a jamais su; mais des amis à vous
l'ont dit en secret à sa mère, qui l'a répété à sa soeur. Vous voyez
bien que cette soeur ne peut pas rire quand elle prétend qu'elle vous
aime!
VALROGER.
Alors on a bien raison de prétendre qu'un bienfait n'est jamais perdu,
car votre amitié doit être une douce chose; pourtant...
LOUISE.
Pourtant?...
VALROGER.
Vous avez tort de l'offrir pour si peu, madame! C'est un excitant
dangereux.
LOUISE.
Dangereux pour qui?
VALROGER.
Pour moi.
LOUISE.
Pourquoi me répondez-vous comme cela, voyons? A quoi bon poursuivre
l'escarmouche de convention et garder le ton plaisant, quand je vous dis
tout bonnement les choses comme elles sont?
VALROGER.
C'est que vous oubliez vos propres paroles: je suis un méchant, et j'ai
le coeur froid comme glace.
LOUISE.
Je n'ai jamais cru cela.
VALROGER.
Eh bien! vous avez eu tort; il fallait le croire.
LOUISE.
Pourquoi mentez-vous? Je ne comprends plus.
VALROGER.
Je ne mens pas. Je suis amoureux de vous.
LOUISE.
Si c'était vrai, cela ne prouverait pas que vous eussiez le coeur froid.
VALROGER.
Attendez! je suis amoureux de vous à ma manière, sans vous aimer.
LOUISE.
Je comprends; ma confiance vous-humilie, ma loyauté vous blesse. Vous
vous vengez en me disant une chose que vous jugez offensante.
VALROGER.
Oui, madame, j'ai l'intention de vous offenser.
LOUISE.
Pourquoi?
VALROGER.
Pour que vous me détestiez.
LOUISE.
Parce que l'amitié d'une honnête femme vous fait l'effet d'un outrage?
VALROGER.
C'est comme ça. Je ne veux pas de la vôtre.
LOUISE.
Vous êtes brutalement sincère!
VALROGER.
Oui. Je suis un séducteur percé à jour, comme vous êtes une coquette
classique.
LOUISE.
Alors me voilà déjouée et rembarrée! Je suis coquette tout de bon, et
j'ai voulu me frotter à un vindicatif plus malin que moi, qui me remet à
ma place et compte faire de moi un exemple. Est-ce cela?
VALROGER.
Précisément.
LOUISE.
Comment vais-je sortir de là?
VALROGER.
Vous n'en sortirez pas.
LOUISE, (élevant la voix avec intention.)
C'est-à-dire que vous allez faire pour moi ce que vous comptiez faire
pour madame de Louville?
VALROGER.
Oui, madame.
LOUISE.
Vous viendrez me voir?
VALROGER.
Tous les jours.
LOUISE.
Et si la porte vous est fermée?...
VALROGER.
Je resterai sous la fenêtre. Je coucherai dans le jardin, sous un arbre.
LOUISE.
Je suis sauvée! vous vous enrhumerez!
VALROGER.
Je tousserai à vous empêcher de dormir. Vous m'enverrez de la tisane!
LOUISE.
Vous refuserez de la boire?
VALROGER.
Au contraire. Je la boirai.
LOUISE.
Et alors?
VALROGER.
Alors vous aurez pitié de moi, vous me recevrez.
LOUISE.
Et puis après?
VALROGER.
Je reviendrai.
LOUISE.
Je me laisserai compromettre?
VALROGER.
Non! vous fuirez, mais je vous suivrai partout. Partout vous me
trouverez pour ouvrir la voiture et vous offrir la main.
LOUISE.
C'est bien connu, tout ça.
VALROGER.
Tout est connu. Je n'ai rien découvert de neuf, il n'y a rien de mieux
que les choses qui réussissent toujours.
LOUISE.
Alors c'est cela, c'est bien cela qui s'appelle compromettre une femme?
VALROGER.
Pas du tout! Compromettre une femme, c'est se servir des apparences
qu'on a fait naître pour la calomnier ou la laisser calomnier. Je ne
calomnie pas, moi. Je suis homme du monde et gentilhomme. Je dirai à
toute la terre que je fais des folies pour vous en pure perte, ce qui
sera vrai jusqu'au jour où vous en ferez pour moi.
LOUISE.
Et pourquoi en ferai-je?
VALROGER.
Parce que la folie est contagieuse.
LOUISE.
Et je deviendrai folle, moi?
VALROGER.
Ne vous fiez pas au passé.
LOUISE.
Vous savez bien que je n'en tire pas vanité. Pourtant ce qui est passé
est acquis.
VALROGER.
Non! vous l'avez dit vous-même, votre vertu a été aidée par l'absence de
péril. Pourtant vous avez dû allumer des passions; mais il y a à peine
un homme sur mille qui soit doué d'assez de persévérance pour consacrer
des mois et des années à la conquête d'une femme... Or je sais, je vois
que vous n'avez pas rencontré cet homme-là.
LOUISE.
Et vous vous piquez de l'être?
VALROGER.
Je le suis.
LOUISE.
Ça vous amuse?
VALROGER.
C'est mon unique amusement.
LOUISE.
Vous êtes né hostile et vindicatif, comme on naît poète ou rôtisseur?
VALROGER.
Le bonheur de l'homme est de développer ses instincts particuliers.
LOUISE.
Même les mauvais?
VALROGER.
Enfin vous reconnaissez que je suis mauvais?
LOUISE.
C'est à quoi vous teniez? Vous vouliez faire peur; sans cela vous croyez
votre effet manqué, et la confiance vous humilie. C'est une manie que
vous avez, je le vois bien; avec moi, elle ne sera pas satisfaite. Je
vous crois bon.
VALROGER.
Vous éludez la question. Si je suis tel que je m'annonce, vous devez me
haïr.
LOUISE.
Et vous voulez être haï?
VALROGER.
Oui; pour commencer, cela m'est absolument nécessaire.
LOUISE.
Eh bien! comme, en ne vous accordant pas le commencement, je serai,
espérons-le, préservée de la fin, je déclare que, méchant ou non, je ne
puis haïr le bienfaiteur de mes pauvres et le sauveur de mon frère.
VALROGER.
Vaine invocation au passé! Vous me haïrez quand même!
LOUISE.
Comment vous y prendrez-vous?
VALROGER.
D'abord je vais faire la cour à madame de Louville.
LOUISE, (regardant vers une portière en tapisserie.)
A quoi bon, si je n'en suis pas jalouse?
VALROGER.
Vous m'avez demandé grâce pour elle. Il faut que je sois inexorable pour
vous prouver que je ne vaux rien.
LOUISE, (lui montrant la portière, dont les plis sont agités.)
Vous pouvez lui faire la cour; à présent qu'elle a tout entendu, elle
saura se défendre. Vos plans sont livrés, et peut-être... (Elle va à
la fenêtre.) Cette voiture qui roule... Oui, c'est un renfort qui lui
arrive.
VALROGER.
Son mari?
LOUISE.
Précisément.
VALROGER.
Si madame de Louville est hors de cause, on se passera de ce moyen-là.
LOUISE.
C'est tout ce que je voulais. Merci, mon cher monsieur; elle est sauvée,
et moi, je ne vous crains pas.
VALROGER.
Merci, ma chère madame, voilà que vous acceptez le défi!
LOUISE.
Le défi de quoi? Vous voulez que je vous craigne pour arriver à vous
aimer? C'est un prologue inutile, puisque nous voici d'emblée au
dénoûment. Ce que vous voulez, ce n'est pas l'amour, vous en êtes
rassasié, vous n'y tenez pas, et c'est ma vertu, c'est-à-dire ma
tranquillité seule, que vous voudriez ébranler. Eh bien! sachez que,
dans les âmes fermées aux malsaines agitations de la passion folle, il
y a des émotions plus douces et plus pures qu'on peut être fier d'avoir
fait naître et de conserver toujours jeunes. Il n'est pas humiliant
d'être maternellement aimé par une femme mûre, et il ne serait pas du
tout glorieux de lui tourner ridiculement la tête.
VALROGER
Une femme mûre!...
LOUISE.
J'ai trente-six ans, mon bon monsieur!
VALROGER.
Ce n'est pas vrai, votre fille n'en a que six!
LOUISE.
Mais mon fils en a quinze!
VALROGER.
Allons donc!
LOUISE.
Je n'ai pas son extrait de naissance dans ma poche, sans cela... Mais
vous voilà calmé et un peu honteux, convenez-en, de vous être trompé,
vous si clairvoyant, sur l'âge d'une femme. Vous verrez mon fils, cela
vous guérira tout à fait, car vous viendrez chez moi, tous les jours
si vous voulez, et sans être condamné à coucher préalablement sous un
arbre. Vous vous enrhumerez pour d'autres, il y aura toujours de la
tisane chez moi. Vous me trouverez toujours entourée d'êtres qui ne
me quittent jamais, mon fils, ma fille et mon neveu, le fils de cet
Augustin de Ferval à qui vous avez sauvé la vie en dépit de lui-même;
plus ma mère qui vous bénit et prie pour vous tous les jours, plus ma
belle-soeur, la femme du même Augustin, qui est dans le secret, et qui
vous regarde comme un saint, tout perverti que vous passez pour être.
Voyez s'il y aura moyen d'entrer chez nous comme un loup dans une
bergerie! Tout ce cher monde s'est réjoui en vous sachant fixé près de
nous. Notre pauvre Augustin n'est plus, il est mort l'an dernier, et
c'est son deuil que je porte; mais nous vous devons de l'avoir conservé
six ans, de l'avoir vu heureux, marié et père. Sa femme et son
enfant sont des trésors qu'il nous a laissés. Toute cette famille
reconnaissante, grands et petits, vous sautera au cou et aux jambes, et,
quand vous aurez été bien et dûment embrassé sur les deux joues comme un
ami qu'on attendait depuis longtemps et à qui l'on ne sait comment faire
fête, vous sentirez que vous êtes un homme de chair et d'os comme les
autres,--non le spectre de don Juan, le héros d'un autre siècle et d'un
autre pays. Vous laisserez fondre la glace artificielle amassée autour
de ce coeur-là, qui est vivant et humain, puisqu'il est généreux et
compatissant. Votre génie du mal rira de lui-même et vous laissera
consentir à aimer les honnêtes gens, à les protéger même, ce qui est
bien plus facile que de leur tendre des pièges, et bien moins triste
que de se battre les flancs pour les méconnaître. Vous garderez votre
science, vos ruses pour celles qui les provoquent et qui ont de quoi
mettre à ce jeu-là. On vous pardonnera d'avoir ce goût bizarre, vous,
honnête homme, de perdre votre temps à contempler, à étudier, à mesurer
la faiblesse de notre sexe, tout en excitant sa perversité. Tenez! on
vous pardonnera tout, même d'être incorrigible. On pensera que ce métier
de punisseur des torts féminins est une tâche navrante, et que vous
devez être un homme malheureux. On s'efforcera de vous soigner comme un
malade, ou de vous distraire comme un convalescent; si par moments vous
êtes tenté de faire la guerre à vos amis, ils se diront: c'est une
épreuve; il veut savoir si nous méritons l'estime qu'il nous accorde.
Alors on se tiendra de son mieux pour vous montrer qu'on y attache le
plus grand prix. Et, si on ne réussit pas à mettre dans votre existence
une affection pure et bienfaisante, on en aura beaucoup de chagrin, je
vous en avertis, parce que l'amitié, qui n'est pas une chose convulsive,
n'est pas non plus une chose froide. Donc vous aurez, sans vous donner
aucune peine pour cela, un triomphe assuré chez nous, celui d'avoir
touché, ému, réjoui ou attristé des âmes qui ne sont pas banales, et qui
ne se donnent pas à tout le monde.
VALROGER.
Tenez, madame de Trémont, je vous aime tant, telle que vous êtes, que
je me regarderais comme un sot et comme un lâche si j'avais prémédité
d'entamer cette noble et touchante sérénité. Vous avez fort bien compris
que je valais mieux que cela, que d'ailleurs je n'eusse jamais osé
menacer sérieusement une personne telle que vous; mais je cesse de rire,
et vous rends les armes. On me l'avait bien dit: vous êtes la plus
sincère, la plus tendre et la plus forte des femmes, et il y a longtemps
que je sais une chose, c'est que la bonté est l'arme la plus solide
de votre sexe. Toute vertu sans modestie est provocation, comme toute
résistance sans conviction est grimace. Je suis heureux et fier de vous
répéter que je vous comprends, que je vous respecte... Et, puisque vous
m'acceptez pour frère, voulez-vous consacrer ce lien qui m'honore?
LOUISE.
Comment?
VALROGER.
Vous avez parlé tout à l'heure de m'embrasser sur les deux joues...
LOUISE.
C'était une métaphore!
VALROGER.
Pourquoi ne serait-ce pas la formule qui scelle un pacte d'honneur?
LOUISE.
N'avez-vous pas encore une autre raison à donner?
VALROGER.
Une autre raison?
LOUISE.
Vous ne voulez pas la dire! Non! ce n'en est pas une pour vous. Vous
avez trop de générosité pour exiger une réparation; mais voulez-vous
savoir une chose? C'est qu'au moment où vous êtes entré ici, si j'avais
écouté mon premier mouvement, je vous aurais sauté au cou; ne prétendez
pas que c'eût été une reconnaissance exagérée. Je sais tout, monsieur de
Valroger, je sais qu'une de ces joues-là a été frappée par le gant de
mon pauvre étourdi de frère, et, comme je ne sais pas laquelle...
VALROGER.
Toutes deux, madame, toutes deux!
LOUISE.
Je ne dis pas le contraire; mais toute réparation demande des témoins,
et justement en voici qui nous arrivent. (Elle l'embrasse sur les deux
joues devant M. de Louville et sa femme qui viennent d'entrer. Anne
pousse un grand cri de surprise, M. de Louville éclate de rire. Valroger
met un genou en terre et baise la main de Louise.)
VALROGER.
Merci, madame, merci!
M. DE LOUVILLE, (riant.)
Bravo, mon cher! voilà qui s'appelle enlever d'assaut les citadelles
imprenables.
VALROGER.
C'est-à-dire que c'est moi la forteresse, et que je me suis rendu
à discrétion! (Bas, pendant que Louise va en riant auprès d'Anna.)
Dites-moi, Louville, est-ce qu'il n'y a pas moyen d'épouser cette
femme-là?
M. DE LOUVILLE.
Allons donc! Elle a peut-être quarante ans!
VALROGER.
En eût-elle cinquante!
M. DE LOUVILLE.
Ah bah! mais elle a aimé son mari, elle adore son fils... Non, c'est
impossible!
VALROGER.
C'est dommage; c'eût été pour moi le seul moyen de devenir un homme
sérieux!
FIN
TABLE
Francia.
Un bienfait n'est jamais perdu.