Le guide ne répondit rien. Ils continuèrent à marcher dans la plaine
déserte où les arbres _têteaux_, c'est-à-dire étêtés et mutilés par
l'ébranchage, prenaient sur l'horizon, blanchi à l'approche de la lune,
les formes les plus monstrueuses et les plus bizarres. La petite voix
claire et douce suivait nos voyageurs, et, à chaque mouvement de
surprise que faisait notre ami, répétait _ah! ah!_ d'une manière si
moqueuse et si gaie, qu'il ne put s'empêcher de rire en lui
répondant:--_Hé bien, quoi donc?_
--Taisez-vous, pour l'amour de Dieu, lui dit son guide en lui serrant le
bras et en se signant avec dévotion; ne lui parlez pas, n'ayez pas l'air
de l'entendre. Si vous lui répondez encore une fois, nous sommes perdus!
Notre ami, qui connaît bien les idées du paysan, ne s'obstina pas, et
quand ils eurent lassés par leur silence l'invisible persiffleur:--Ah
ça, dit-il à son guide, c'est un oiseau de nuit, une espèce de
chouette?--Ah bien, oui! répondit l'autre, un bel oiseau! c'est le
lupeux! Ça commence par plaisanter avec vous, ça rit, ça vous tire de
votre chemin, ça vous emmène et puis ça ce fâche, et _ça vous périt_
dans quelque fondière.
Telle est, en effet, la spécialité du lupeux, démon aussi spirituel que
méchant, que l'on a vu quelquefois perché sur un arbre tortu, vu qu'il
est lui-même de _travers_, c'est-à-dire _traversieux_, c'est-à-dire
enfin pervers et amoureux _de naissance_.
Les gens qui ont eu l'imprudence de le suivre et de l'écouter s'en sont
mal trouvés. Il n'est sorte de plaisants contes, de méchants propos, de
commérages sanglants ou comiques dont il ne vous régale dès que vous
avez été assez curieux pour lui dire jusqu'à trois fois: _Quoi donc?_ ou
_qu'est-ce qu'il y a?_ Il commence alors à babiller comme une _ageasse_
(une pie), il vous régale d'aventures étranges et scandaleuses, il
promet de vous faire surprendre des rendez-vous galants qui intéressent
votre malice naturelle ou votre jalousie conjugale. Une fois dans ses
griffes, on ne se lasse pas de l'écouter et de le questionner. Il vous
conduit au bord d'une eau trompeuse et vous dit: _Regarde!_ Vous vous
penchez vers ce fantastique miroir où vous apparaissent en effet les
images qui troublent votre imagination; mais le perfide vous pousse, et
quand la mort vous enlace de ses bras glacés, vous entendez le lupeux,
perché sur une branche au-dessus de l'eau, dire, de sa jolie scélérate
de voix:--_Ah! ah! Hé bien, voilà ce que c'est!_
Dans le canton de La Châtre, ce ne sont pas seulement les animaux qui
_reviennent_, ce sont encore les meubles. Du temps que le château de
Briantes était encore habité, il s'y passait des scènes de l'autre
monde. Un certain paysan régisseur qui voulut approfondir ces mystères
et qui s'y porta en esprit fort, dut y renoncer. Il y avait, dans la
plus haute chambre, une oubliette d'où sortaient, la nuit, des clameurs
effroyables, des cris d'animaux, des plaintes humaines et de grandes
bouffées de vent qui éteignaient les lumières. C'étaient les âmes des
gens et des bêtes qui avaient été massacrés en ce domaine par les
huguenots pillards et les reîtres sans merci. Mais il y a plus, les
meubles ayant été brisés, jetés par les fenêtres et toutes choses _mises
à sac_, en ce temps de calamités, on entendait aussi des craquements et
des _fracassements_ d'objets invisibles qui semblaient rouler sur vous
le long des escaliers et menacer de vous écraser.
Le susdit régisseur ayant bravé quelque temps ces prodiges sans en
recevoir aucun dommage, s'en croyait quitte; mais un soir qu'il revenait
de la foire et entrait en la cuisine du castel pour se reposer et se
chauffer, la chaise sur laquelle il voulut s'asseoir se tourna contre
lui, les pieds en l'air, et tandis qu'il en cherchait une de meilleure
volonté, toutes les chaises et tous les bancs de ladite cuisine, se
ruèrent sur lui et lui donnèrent tant de coups qu'il lui fallut céder et
fuir; d'autant plus que les broches et couperets se mettaient de la
partie et lui donnèrent la chasse jusqu'au milieu de la cour.
D'où l'on dut logiquement conclure que les choses inanimées avaient le
droit de se plaindre et de crier à leur manière, comme des âmes en
peine, et qu'il ne fallait pas plus se moquer d'elles que des autres
revenants.
Le moine des Étangs-Brisses
Passants qui, aux derniers rayons du soleil, longez les marécages,
prenez garde au moine gigantesque qui se lève tout-à-coup du milieu des
roseaux. Fuyez et n'écoutez pas ses discours maudits!
Maurice SAND.
Jeanne et Pierre s'étaient attardés, un dimanche, le long des
Étangs-Brisses. C'est un endroit qui n'est pas gai, surtout le soir.
Quand on a passé les bois, on arrive sur un grand plateau tout nu, où il
n'y a que joncs et sable et de grandes flaques d'eau qui se rejoignent à
la saison des pluies et font comme un lac dont le fond paraît tout noir.
Au temps passé, un méchant moine, pris de vin, y fut noyé avec son âne,
pour avoir voulu suivre une petite chaussée bien étroite que l'eau
couvrait. L'âne n'avait point fait de mal, jamais on ne l'entendit
braire; mais le moine libertin fut condamné à sentir les affres de la
mort et les angoisses de sa dernière heure tant qu'il y aurait une
goutte d'eau dans les Étangs-Brisses. Or, bien que la culture empiète
chaque année sur les bords de ces petits lacs, ils ne font point mine de
tarir; donc le supplice du moine dure encore et durera Dieu sait
combien!
Jeanne connaissait bien la mauvaise renommée des étangs; mais Pierre n'y
voulait pas croire et s'en moquait. Il l'empêchait d'ailleurs d'y
songer, lui disant toutes sortes de choses que Jeanne trouvait belles et
agréables à entendre. Ils étaient fiancés et revenaient de la ville, où
ils avaient choisi leurs _livrées_ de noce, c'est-à-dire habits neufs,
rubans et dentelles pour le grand jour. Ils marchaient ensemble, se
tenant par le petit doigt, comme c'est la coutume des accordés,
lorsqu'ils se trouvèrent sur la chaussée, les pieds pris dans la vase.
La veille, un gros orage avait enflé l'étang qui débordait un peu.
--Tu me mènes mal, dit Jeanne à son amoureux; m'est avis que ce n'est
point là le bon passage.
--Attends que je m'y reconnaisse, lui répondit Pierre. De vrai, le
soleil est couché, et les roseaux sont tout noirs, tous pareils les uns
aux autres. Reste un peu là, je m'en irai voir si on peut en sortir.
Jeanne était lasse; elle s'assit dans les roseaux et regarda le ciel
rouge tout _pigelé_, c'est-à-dire tout marbré de jaune et de brun, et
son esprit se tourna à la tristesse, sans qu'elle eût pu dire pourquoi.
«Si c'était tout-à-fait de nuit, pensa-t-elle, je ne voudrais point me
trouver seule en ce mauvais endroit, où, _dans le temps_, le moine
_s'est péri_. Pourvu que Pierre ne marche pas à faux dans ces herbes
folles!» Elle le suivit des yeux tant qu'elle put le voir, et puis elle
ne le vit plus du tout et commença de trembler de tout son pauvre corps.
Tout d'un coup, elle vit voler une grande bande de canards sauvages qui
venait de son côté en menant du bruit; et, se levant sur la pointe de
ses pieds, elle vit Pierre qui revenait, s'amusant à jeter des cailloux
dans l'eau pour faire lever d'autres bandes d'oiseaux dont l'étang se
remplissait, à mesure que la nuit descendait du haut du ciel.
Quand Pierre fut à côté d'elle, il lui dit:--Nous sommes dans le vrai
chemin, et sauf un peu de bourbe, nous passerons bien. Laisse-moi
souffler une minute, car j'ai marché vite et, d'ailleurs, l'endroit
n'est pas trop vilain pour se reposer.
--Si tu le trouves joli, c'est une drôle d'idée, mon Pierre; moi je m'y
déplais et le temps m'y a duré. Repose-toi vite, car j'en veux sortir
avant la grand'nuit.
Quand Pierre se fut assis dans les roseaux à côté de Jeanne, il lui
dit:--Mon Dieu! Jeanne le temps m'a bien duré aussi en marchant, car il
me semble que je ne t'ai point embrassée depuis deux ans.
--_Diseu' de riens!_ reprit-elle, tu m'as embrassée il n'y a pas deux
quarts d'heure.
--Eh bien! ma mie, où est le mal?
--Je ne dis point qu'il y en ait, puisque nous nous marions!
--Or donc, laisse-moi t'embrasser encore une petite fois, ou sept.
Jeanne se laissa embrasser une fois, disant que c'était assez. Elle n'y
entendait point malice, mais elle savait que s'il est permis aux
accordés de campagne de s'embrasser en marchant, devant les passants, il
n'est point convenable ni honnête de se dire ses amitiés en cachette du
monde, et de s'arrêter dans les endroits où personne ne passe.
Pierre, qui était un garçon _bien comme il faut_, c'est-à-dire sachant
se comporter en tout de la vraie manière, était content de voir Jeanne
le tenir à distance, et il ne faisait le jeu d'outrepasser un peu son
droit que pour avoir le plaisir de recevoir d'elle une bonne tape de
temps en temps, ce qui est, comme chacun sait, une grande marque de
confiance et d'amitié.
Et quand ils se furent ainsi honnêtement chamaillés un petit moment, ils
se mirent à causer de l'avenir, ce qui est encore une grande
réjouissance entre gens qui doivent passer leur vie ensemble. Et les
voilà comptant et recomptant leurs petits apports, se bâtissant une
maison neuve et se plantant un joli petit jardin, comme qui dirait dans
la tête, car les pauvres enfants ne possédaient pas gros, et il leur
fallait travailler seulement pour entretenir ce qu'ils avaient.
Mais voilà qu'une voix que Pierre n'entendait pas, se mit à parler à
Jeanne comme si c'était celle de Pierre, tandis qu'une voix se mettait à
parler avec Pierre comme si c'était celle de Jeanne, et pourtant ce ne
l'était point et Jeanne ne l'entendait mie. Et ainsi ils crurent se dire
des choses qu'ils ne se disaient point et se trouvèrent en mauvais
accord sans savoir d'où cela leur venait. Jeanne reprochait à Pierre
d'être un paresseux et d'aimer le cabaret; Pierre reprochait à Jeanne
d'être coquette et d'aimer trop la braverie. Si bien que tous deux se
mirent à pleurer et à bouder, ne se voulant plus rien dire.
Mais une chose étonnante, c'est qu'en ne se disant plus rien, et en ne
se voyant point remuer les lèvres, ils entendirent, tous deux à la fois,
une voix très sourde qui parlait en manière de grenouille ou de canne
sauvage, et qui disait les plus méchantes paroles du monde.
--Que faites-vous là, enfants, à vous bouder, au lieu de mettre à profit
la nuit et la solitude? Vous attendez sottement la fin de la semaine
pour vous aimer librement? Voilà une belle fadaise que le mariage! Ne
savez-vous point que le mariage c'est la peine, la misère, les
querelles, le souci des enfants et les jours sans pain? Allons, allons,
innocents que vous êtes! Dès le lendemain du mariage, vous pleurerez, si
vous ne vous battez point! Vous voyez bien que déjà en voulant parler
d'avenir et d'économie vous n'avez pu vous entendre!
La vie est sotte et misérable, ne vous y trompez pas; il n'y a de bon
que l'oubli du devoir et le plaisir sans contrainte. Aimez-vous à
présent, car si vous ne profitez de l'heure qui se présente, vous ne la
retrouverez plus, et ne connaîtrez de votre union que les coups et les
injures, des fleurs de la jeunesse que les piquerons et la folle graine.
Jeanne et Pierre avaient bien peur. Ils se tenaient la main et se
serraient l'un contre l'autre sans oser respirer. Jeanne n'entendait
rien de ce que lui disait la méchante voix. Les paroles passaient dans
son oreille comme une messe du diable dite au rebours du bon sens; mais
Pierre qui en savait plus long, écoutait, malgré sa peur, et comprenait
quasiment tout.
--La voix est laide, dit-il, j'en tombe d'accord; mais les mots ne sont
points bêtes, et si tu m'en croyais, Jeanne, tu l'écouterais aussi.
--Que les paroles soient bêtes ou belles, je ne m'en soucie pas,
répondit-elle. Elles me font peur, encore que je n'y comprend goutte;
c'est quelqu'un qui se moque de nous parce que nous voilà tout seuls
arrêtés en un lieu qui ne convient pas. Allons-nous-en vitement, mon
Pierre. Cette personne là, vivante ou morte, ne nous veut que du mal.
--Non, Jeanne, elle nous veut du bien, car elle plaint le sort qui nous
attend et si tu voulais bien comprendre ce qu'elle dit...
Là-dessus Pierre, se sentant poussé du diable, voulut retenir Jeanne qui
voulait s'en aller, et le mauvais esprit se crut pour un moment le plus
fort.
Mais il n'est pas donné à ces mauvaises engeances de faire aux bons
chrétiens tout le mal qu'elles souhaitent. Le moine libertin, voyant que
Pierre trébuchait dans sa conscience, fut trop pressé de lui prendre son
âme. Il se mit à chanter dans sa voix de marais, disant: «Venez, venez,
mes beaux enfants, il n'est pas besoin ici de cierges ni de témoins.
S'il vous faut quelqu'un pour vous marier, je sais dire les vraies
paroles qu'il faut. Mettez-vous à genoux devant moi et vous aurez la
bénédiction de Belzébuth!
Disant cela, voilà le moine qui fait sortir de l'eau sa grosse tête
couverte d'un capuchon vaseux.--Sauvons-nous, dit Jeanne, voilà une
grosse loutre qui veut sauter après nous.--Non pas, dit Pierre, je la
virerai bien de mon bâton. Mais comme il se penchait sur l'eau pour
regarder, il vit les yeux de feu du moine et puis sa barbe toute remplie
de sangsues et de grenouilles, et puis son corps tout pourri, et puis
ses jambes desséchées, et puis ses deux grands bras tout ruisselants de
mousse et de fange qu'il déploya comme deux ailes sur la tête des deux
amoureux, pour les consacrer à Satan.
Mais Pierre, encore qu'il ne fût pas des plus poltrons, eut une si fière
peur de voir le moine grandir, grandir, comme s'il eût voulu toucher les
nuées, qu'il se sauva, criant comme un essieu, courant comme un lièvre
et tirant après lui la pauvre Jeanne, plus morte que vive, mais qui
pourtant ne se fit point prier pour passer la chaussée, les pieds
mouillés et les cheveux au vent.
Et si bien coururent qu'ils arrivèrent au logis de leurs parents sans
avoir une seule fois tourné la tête et sans avoir pris le temps de se
dire un pauvre mot. Ils se marièrent dévotement huit jours après, sans
avoir écouté les conseils du méchant moine qui fut, dit-on, si penaud
d'avoir manqué son coup de filet, qu'il resta longtemps sans oser
reparaître et tenter de nouveau la pêche aux âmes chrétiennes.
La croyance au moine bourru, qui s'en va, menaçant et plaintif, frapper
aux portes des maisons durant la nuit, et qui ne se retire, aux
approches du jour, qu'en poussant des hurlements horribles, était
proverbiale autrefois.
Elle s'est maintenue longtemps dans presque toutes les provinces de
France. On a beaucoup de légendes sur les moines débauchés, et même sur
les curés qui ont manqué à leur voeu. Il est peu de presbytères qui ne
fussent encore hantés par ces âmes en peine, il y a une vingtaine
d'années, et peu d'églises de campagne où n'ait été surprise cette
fameuse messe expiatoire que le prêtre défunt vient essayer de dire à
l'aube du jour et qu'il ne peut jamais achever, s'il ne trouve un vivant
de bonne volonté qui ait le courage de lui répondre _amen_.
Les Flambettes
Ce sont des esprits taquins et pernicieux. Dès qu'elles aperçoivent un
voyageur, elles l'entourent, le lutinent et parviennent à l'exaspérer.
Elles fuient alors, l'entraînant au fond des bois et disparaissent quand
elles l'ont tout-à-fait égaré.
Maurice SAND.
Les flambeaux, ou _flambettes_, ou _flamboires_, que l'on appelle aussi
les feux fous, sont ces météores bleuâtres que tout le monde a
rencontrés la nuit ou vu danser sur la surface immobile des eaux
dormantes. On dit que ces météores sont inertes par eux-mêmes, mais que
la moindre brise les agite, et ils prennent une apparence de mouvement
qui amuse ou inquiète l'imagination, selon qu'elle est dépose à la
tristesse ou à la poésie.
Pour les paysans, ce sont des âmes en peine qui leur demandent des
prières ou de méchantes âmes qui les entraînent dans une course
désespérée et les mènent, après mille détours insidieux, au plus profond
de l'étang ou de la rivière. Comme le _lupeux_ et le follet, on les
entend rire toujours plus distinctement à mesure qu'elles s'emparent de
leur proie et la voient s'approcher du dénouement funeste et inévitable.
Les croyances varient beaucoup sur la nature et l'intention plus ou
moins mauvaises des _flambettes_. Il en est qui se contentent de vous
égarer et qui, pour en venir à leurs fins, ne se gênent nullement pour
prendre diverses apparences.
On raconte qu'un berger, qui avait appris à se les rendre favorables,
les faisait venir et partir à son gré. Tout allait pour lui, sous leur
protection. Ses bêtes profitaient, et quant à lui, il n'était jamais
malade, dormait et mangeait bien, été comme hiver. Cependant, on le vit
tout à coup devenir maigre, jaune et mélancolique. Consulté sur la cause
de son ennui, il raconta ce qui suit.
Une nuit qu'il était couché dans sa cabane roulante, auprès de son parc,
il fut éveillé par une grande clarté et par de grands coups frappés sur
le toit de son habitacle. Qu'est-ce que c'est donc, fit-il, tout surpris
que ses chiens ne l'eussent pas averti. Mais, avant qu'il fut venu à
bout de se lever, car il se sentait lourd et comme étouffé, il vit
devant lui une femme si petite, si petite, et si menue, et si vieille
qu'il en eut peur, car aucune femme ne pouvait avoir une pareille taille
et un pareil âge. Elle n'était habillée que de ses longs cheveux blancs
qui la cachaient _tout entièrement_ et ne laissaient passer que sa
petite tête ridée et ses petits pieds desséchés.
--Ça, mon garçon, fit-elle, viens avec moi, l'heure est venue.
--Quelle heure donc est venue? dit le berger tout déconfit.
--L'heure de nous marier, reprit-elle; ne m'as-tu pas promis le mariage?
--Oh! Oh; je ne crois pas! d'autant plus que je ne vous connais point et
vous vois pour la première fois de ma vie.
--Tu en as menti, beau berger! Tu m'as vue sous ma forme lumineuse. Ne
reconnais-tu pas la mère des flambettes de la prairie? Et ne m'as-tu pas
juré, en échange des grands services que je t'ai rendus, de faire la
première chose dont je te viendrais requérir?
--Oui, c'est vrai, mère Flambette; je ne suis pas un homme à reprendre
ma parole, mais j'ai juré cela à condition que ce ne serait aucune chose
contraire à ma foi de chrétien et aux intérêts de mon âme.
--Eh bien, donc! est-ce que je te viens enjôler comme une coureuse de
nuit? Est-ce que je ne viens pas chez toi décemment revêtue de ma belle
chevelure d'argent fin, et parée comme une fiancée? C'est à la messe de
la nuit que je te veux conduire, et rien n'est si salutaire pour l'âme
d'un vivant que le mariage avec une belle morte comme je suis. Allons,
viens-tu? Je n'ai pas de temps à perdre en paroles. Et elle fit mine
d'emmener le berger hors de son parc. Mais il recula tout effrayé,
disant:--Nenni, ma bonne dame, c'est trop d'honneur pour un pauvre homme
comme moi, et d'ailleurs j'ai fait voeu à saint Ludre, mon patron, d'être
garçon le restant de mes jours.
Le nom du saint, mêlé au refus du berger, mit la vieille en fureur. Elle
se prit à sauter en grondant comme une tempête et à faire tourbillonner
sa chevelure qui, en s'écartant, laissa voir son corps noir et velu. Le
pauvre Ludre (c'était le nom du berger) recula d'horreur en voyant que
c'était le corps d'une chèvre, avec la tête, les pieds et les mains
d'une femme caduque.
--Retourne au diable, la laide sorcière! s'écria-t-il; je te renie et te
conjure au nom du...
Il allait faire le signe de la croix, mais il s'arrêta jugeant que
c'était inutile, car au seul geste de sa main la diablesse avait
disparu, et il ne restait d'elle qu'une petite flammette bleue qui
voltigeait en dehors du parc.
--C'est bien, dit le berger, faites le flambeau tant qu'il vous plaira,
cela m'est fort égal, et je me moque de vos clartés et de vos singeries.
Là-dessus, il se voulut recoucher; mais voilà que ses chiens qui,
jusque-là, étaient restés comme charmés, se prirent à venir sur lui en
grondant et montrant les dents comme s'ils le voulaient dévorer, ce qui
le mit fort en colère contre eux et, prenant son bâton ferré, il les
battit comme ils le méritaient pour leur mauvaise garde et leur méchante
humeur.
Les chiens se couchèrent à ses pieds en tremblant et en pleurant. On eût
dit qu'ils avaient regret de ce que le mauvais esprit les avait forcés
de faire. Ludre les voyant apaisés et soumis, se mettait en devoir de se
rendormir, lorsqu'il les vit se relever comme des bêtes furieuses et se
jeter sur son troupeau. Il y avait là deux cents ouailles qui se prirent
de peur et de vertige, sautèrent comme des diables par-dessus la clôture
du parc et s'enfuirent à travers champs, courant comme si elles eussent
été changées en biches, tandis que les chiens tournés à la rage comme
des loups, les poursuivaient en leur mordant les jambes et en leur
arrachant la laine qui s'envolait en nuées blanches sur les buissons.
Le berger bien en peine, ne prit pas le temps de remettre ses souliers
et sa veste, qu'il avait posés à cause de la grande chaleur. Il se mit à
courir après son troupeau, jurant après ses chiens qui ne l'écoutaient
point et couraient de plus belle, hurlant comme chiens courants qui ont
levé le lièvre, et chassant devant eux le troupeau effarouché.
Et tant coururent, ouailles, chiens et berger, que le pauvre Ludre fit
au moins douze lieues autour de la _mare aux flambettes_, sans pouvoir
rattraper son troupeau, ni arrêter ses chiens qu'il eût tués de bon coeur
s'il eût pu les atteindre.
Enfin le jour venant à poindre, il fut bien étonné de voir que les
ouailles qu'il croyait poursuivre n'étaient autre chose que des petites
femmes blanches, longues et menues, qui filaient comme le vent et qui ne
semblaient point se fatiguer plus que ne se fatigue le vent lui-même.
Quant à ses chiens, il les vit _muées en deux grosses coares_ (corbeaux)
qui volaient de branche en branche en croassant.
Assuré alors qu'il était tombé dans un sabbat, il s'en retourna tout
éreinté et tout triste à son parc, où il fut bien étonné de retrouver
son troupeau dormant sous la garde de ses chiens, lesquels vinrent au
devant de lui pour le caresser.
Il se jeta alors sur son lit et dormit comme une pierre. Mais le
lendemain, au soleil levé, il compta ses bêtes à laine et en trouva une
de moins qu'il eut beau chercher.
Le soir, un bûcheron qui travaillait autour de la mare aux flambettes,
lui rapporta sur son âne la pauvre brebis noyée, en lui demandant
comment il gardait ses bêtes, et en lui conseillant de ne pas dormir si
dur s'il voulait garder sa bonne renommée de berger et la confiance de
ses maîtres.
Le pauvre Ludre eut bien du souci d'une affaire à quoi il ne comprenait
rien, et qui, par malheur pour lui, recommença d'une autre manière la
nuit suivante.
Cette fois, il rêva qu'une vieille chèvre, à grandes cornes d'argent,
parlait à ses ouailles et qu'elles la suivaient, en galopant et sautant
comme des cabris autour de la grand'mare. Il s'imagina que ses chiens
étaient _mués_ en bergers, et lui-même en un bouc que ces bergers
battaient et forçaient à courir.
Comme la veille, il s'arrêta à la _piquée_ du jour, reconnut les
flambettes blanches qui l'avaient déjà abusé, revint, trouva tout
tranquille dans son parc, dormit tombant de fatigue, puis se leva tard,
compta ses bêtes et en trouva encore une de moins.
Cette fois, il courut à la mare et trouva la bête en train de se noyer.
Il la retira de l'eau, mais elle n'était plus bonne qu'à écorcher. Ce
méchant métier durait depuis huit jours. Il manquait huit bêtes au
troupeau et Ludre, soit qu'il courut en rêve comme un somnambule, soit
qu'il rêvât dans la fièvre qu'il avait les jambes en mouvement et
l'esprit en peine, se sentait si las et si malade qu'il en pensait
mourir.
--Mon pauvre camarade, lui dit un vieux berger très savant, à qui il
contait ses peines, il te faut épouser la vieille, ou renoncer à ton
état.
Je connais cette bique aux cheveux d'argent pour l'avoir vue lutiner un
de nos anciens, qu'elle a fait mourir de fièvre et de chagrin. Voilà
pourquoi je n'ai jamais voulu frayer avec les flambettes, encore
qu'elles m'aient fait bien des avances, et que je les aie vu danser en
belles jeunes filles autour de mon parc.
--Et sauriez-vous me donner un charme pour m'en débarrasser? dit Ludre
tout accablé.
--J'ai ouï dire, répondit le vieux, que celui qui pourrait couper la
barbe à cette maudite chèvre la gouvernerait à son gré; mais on y risque
gros, à ce qu'il paraît, car si on lui en laisse seulement un poil, elle
reprend sa force et vous tord le cou.
--Ma foi, j'y tenterai tout de même, reprit Ludre, car autant vaut y
périr que de m'en aller en _languition_ comme j'y suis.
La nuit suivante, il vit la vieille en figure de flambette approcher de
sa cabane, et il lui dit:
--Viens çà, la belle des belles, et marions-nous vitement. Quelle fut la
noce, on ne l'a jamais su; mais sur minuit, la sorcière étant bien
endormie, Ludre prit les ciseaux à tondre les moutons et, d'un seul
coup, lui trancha si bien la barbe, qu'elle avait le menton tout à nu et
il fut content de voir que ce menton était rose et blanc comme celui
d'une jeune fille. Alors l'idée lui vint de tondre ainsi toute sa
_chèvre épousée_, pensant qu'elle perdrait peut-être toute sa laideur et
sa malice avec sa toison.
Comme elle dormait toujours ou faisait semblant, il n'eut pas
grand'peine à faire cette tondaille. Mais quand ce fut fini, il
s'aperçut qu'il avait tondu sa houlette et qu'il se trouvait seul,
couché avec ce bâton de cormier.
Il se leva bien inquiet de ce que pouvait signifier cette nouvelle
diablerie, et son premier soin fût de compter ses bêtes qui se
trouvèrent au nombre de deux cents, comme si aucune ne se fût jamais
noyée.
Alors, il se dépêcha de brûler tout le poil de la chèvre et de remercier
le bon saint Ludre, qui ne permit plus aux flambettes de le
tourmenter[14].
Lubins ou Lupins
Les lupins (ou lubins) sont des animaux fantastiques qui, la nuit, se
tiennent debout le long des murs et hurlent à la lune. Ils sont très
peureux, et si quelqu'un vient à passer, ils s'enfuient en criant:
_Robert est mort, Robert est mort!_
Maurice SAND.
Il ne faut pas trop regarder les grands murs blancs au crépuscule,
encore moins au clair de la lune. On pourrait y voir _la hure_. En
Normandie et dans plusieurs autres provinces, _la hure_ se promène le
long des treilles, on ne sait guère à quelle intention, si ce n'est pour
empêcher les enfants d'aller voler le raisin. Elle serait donc au nombre
de ces esprits gardiens qui descendent en droite ligne, ainsi que les
autres fadets domestiques, des lares vénérés de l'antiquité.
Quoi qu'il en soit, _la hure_ est fort vilaine et il y aurait de quoi
mourir de peur si on s'obstinait à étudier son profil reflété sur les
murailles. Les Grecs et les Romains avaient l'imagination riante; ils
peuplaient de charmantes divinités les arbres, les eaux et les prairies.
Le moyen-âge a assombri toutes ces bénignes apparitions. Le
catholicisme, ne pouvant extirper la croyance, s'est hâté de les
enlaidir et d'en faire des démons et des bêtes, pour détourner les
hommes du culte des représentants de la matière.
Cependant, il n'a pas réussi à les rendre tous haïssables et pernicieux,
et bon nombre des esprits de la nuit sont demeurés inoffensifs. C'est
bien assez qu'ils aient consenti à revêtir des formes bizarres et
repoussantes qui les empêchent de séduire les humains.
Les lubins sont de cette famille. Esprits chagrins, rêveurs et stupides,
ils passent leur vie à causer dans une langue inconnue, le long des murs
des cimetières. En certains endroits on les accuse de s'introduire dans
le champ du repos et d'y ronger les ossements. Dans ce dernier cas, ils
appartiennent à la race des lycanthropes et des garous, et doivent être
appelés _lupins_. Mais chez les _lubins_, les moeurs s'adoucissent avec
le nom. Ils ne font aucun mal et prennent la fuite au moindre bruit.[15]
Cependant, il ne vaudrait rien de s'aboucher avec eux. Ils ont un
certain mystère à l'endroit de Robert-le-Diable ou de tout autre Robert
dont on n'a pu saisir la légende, et ce mystère a peut-être pour
châtiment l'humiliation d'une figure horrible et l'angoisse du perpétuel
tourment de la peur.
Sont-ils les descendants des _fameux frères lubins et loups-garous_ de
Rabelais? Qui sera assez épris de ces recherches étymologiques pour
aller de leur demander?
Je ne sais si c'est aux lupins que le petit tailleur bossu de
Saint-Bault eut affaire. On le croirait, d'après les circonstances de
son histoire. La voici telle que j'ai pu la recueillir.
Un soir que notre bossu passait le long du cimetière, il y vit une bande
d'esprits en forme de laides bêtes qui ressemblaient à des chiens noirs
ou à des loups et que, pour faciliter notre récit, nous appellerons
lupins bien qu'ils ne nous aient été désignés sous aucun nom
particulier. Soit que ces esprits-bêtes fussent d'une race plus hardie
que les lubins et lupins ordinaires, soit que le tailleur fût si laid,
si laid, qu'il ne leur fit pas l'effet d'un chrétien, ils ne bougèrent
tout le temps qu'il passa devant eux. Ils se contentèrent de le regarder
avec leurs yeux qui brillaient comme du _sang de feu_, et à ouvrir leurs
vilaines gueules qui avaient si mauvaise haleine que le tailleur en fut
empesté.
Pourtant, comme il avait grand'peur, ne les ayant aperçus que lorsqu'il
était au milieu de la file, et qu'il avait autant de chemin à faire pour
reculer que pour avancer, il n'osa point risquer de les offenser en se
bouchant le nez; il passa en faisant le gros dos, encore plus qu'il n'en
avait l'habitude.
Ce dos courbé plut aux lupins, qui s'imaginèrent que c'était une manière
de les saluer, et comme ils n'ont pas l'habitude de voir des gens si
honnêtes avec eux, ils en furent fiers et se mirent à tirer tous la
langue et à remuer la queue comme des chiens, ce qui est apparemment
aussi pour eux un signe de contentement et de fierté.
Le tailleur essaya de raconter son aventure; mais tous ses voisins se
moquèrent de lui, disant qu'il pouvait bien rencontrer le diable en
personne et le faire fuir, vu qu'il était encore le plus vilain des
deux.
Comme notre bossu allait en journée à une métairie qui était à trois
bonnes portées de fusil du village, et qu'il avait à revenir par le
chemin qui longe le cimetière, il se sentit envie de coucher où il
était. Mais le métayer lui dit en ricanant: «Non pas, non pas, tu es un
compère trop à craindre pour les femmes d'une maison, je ne dormirais
pas tranquille, te sachant si près de mes filles. Si tu as peur pour
t'en aller, un de mes gars te fera la conduite. Bois un coup en
attendant, car quand ton aiguille s'arrête, ta langue trotte d'une façon
divertissante et l'on a du plaisir à écouter ta _babille_.»
En effet, le bossu était beau diseur et plaisant. Le vin du métayer
était bon, et notre homme s'oublia jusqu'à dix heures du soir en si
bonne compagnie. Quand il fallut s'en aller, il ne se trouva personne
pour le conduire, tous les gars dormaient debout et, quant à lui, il se
sentait si bien réconforté par la boisson, qu'il ne craignit plus de se
mettre seul en route.
Il arriva sans peur jusqu'au grand mur, se persuadant qu'il avait rêvé
ce qu'il avait vu la veille et regardant de tous ses yeux, avec la
confiance qu'éclaircis par le vin, ils ne verraient plus rien que
l'ombre des arbres, jetée sur le mur blanc par la lune et agitée par
l'air de la nuit.
Mais il vit les lupins dressés debout devant le mur, absolument comme la
veille. Allons! se dit le pauvre bossu, ils y sont encore! Tant pis et
courage! S'ils ne me font pas plus de mal qu'hier, je n'en mourrai pas.
Et il se mit à siffler une chanson, pensant que ces bêtes, ravies de
l'entendre, se mettraient en frais de politesse avec lui, en tirant la
langue et remuant la queue.
Mais ce sifflement, loin de les charmer, paru les inquiéter beaucoup,
car l'un d'eux se détacha de la muraille, se mit à quatre pattes et, le
suivant, encore qu'il marchât vite, le flaira à l'endroit où les chiens
ont coutume de se flairer les uns les autres, pour savoir s'ils doivent
être ennemis ou compagnons.
Puis vint un second qui en fit autant, et un troisième, et un autre, et
tous l'un après l'autre; si bien qu'avant d'avoir dépasser le mur, le
tailleur avait toutes ces bêtes à ses braies et ne sachant point si
elles le voulaient manger ou fêter, il sentait ses jambes _devenir
molles comme des pattes de cousin_. On pense bien qu'il n'avait plus
envie de siffler ni chanter. Cependant il avançait toujours, ayant ouï
dire que ces bêtes ne quittaient pas la longueur du mur où elles avaient
coutume de faire la veillée, et il n'avait plus qu'environ cinq ou six
pas à franchir, quand elles se mirent toutes devant lui, debout,
grondant, puant la rage, et montrant des crocs jaunes à faire lever le
coeur.
--Messieurs, Messieurs, laissez-moi passer, dit le pauvre tailleur en
détresse. Je ne vous veux point de mal, ne m'en faites donc point.
Mais les lupins grognaient de plus belle et même rugissaient comme des
lions. Il semblait que la voix humaine les eût mis en grand émoi et en
mauvaise colère.
Tout à coup, le tailleur eut une idée:--Messieurs, fit-il, ne me mangez
point! Je suis maigre et vilain comme vous voyez! Si vous m'épargnez, je
jure de vous apporter ici, demain, un mouton gras dont vous vous
lécherez les babines.
Aussitôt les lupins se remirent sur leurs quatre pattes sans mot dire,
et le tailleur passa, toujours courant, sans regarder derrière lui.
Il se jeta au lit, tout transi de peur, et eut la fièvre huit jours
durant sans pouvoir sortir du lit, battant la campagne, et toujours
s'imaginant de voir des loups ou des chiens enragés après lui, si bien
qu'on fit venir Monsieur le Curé, pour tâcher de le tranquilliser.
Mais quand le curé l'eut confessé de sa peine et bien grondé d'avoir été
si lâche que de promettre un bon mouton à ces sales diables, on entendit
autour de la maison du tailleur des hurlements abominables, et tout le
village put voir sur les murs de cette maison, non pas le corps des
lupins, ils n'eussent osé venir si près d'un lieu où était le curé de la
paroisse, mais leur ombre si bien dessinée que les cheveux en dressaient
sur la tête et que le sang était glacé dans le coeur. On eût dit que cela
passait en nuages sur la lune, et on les voyait remuer, sauter, gratter
la terre et se mordiller les uns les autres, en figures aussi nettes
qu'une image peinte, sur le pignon du tailleur, voire sur les maisons
voisines.
Et cela revint tous les soirs durant toute la semaine, de quoi tout le
monde, et mêmement M. le Curé, fut très effrayé.
Pourtant le bossu, qui n'était pas bête, voyant qu'il y avait là de la
diablerie et que les exorcismes de Monsieur le Curé ne pouvaient rien
contre des apparences qui n'avaient point de corps, résolut d'attirer
les lupins en personne au moyen d'un piège, et dès qu'il fut en état de
se lever, il se fit prêter un beau mouton gras qu'il attacha le soir,
devant sa porte. Puis ayant prévenu le Curé de se tenir là tout prêt
avec son goupillon et tous les voisins de se cacher sous le buisson de
son jardin, avec leurs fusils bien chargés de balles bénites, il
commença de faire bêler le mouton en lui montrant de la feuille verte,
placée trop loin de lui pour qu'il pût y toucher.
Alors les lupins entendant cela, ne purent se tenir de quitter leur mur
et de venir, à petits pas de loups, jusqu'en vue de la maison, où ils
furent si bien reçus qu'ils se sauvèrent tous, sauf une vieille femelle
qui reçut une balle dans le coeur et tomba par terre en criant d'une voix
humaine: _La lune est morte, la lune est morte!_
On ne sut jamais ce qu'elle avait voulu dire, sinon qu'elle avait une
lune blanche au front et que, dans la bande, elle portait peut-être le
nom de la _lune_. On lui coupa la tête et les pattes qui ont été vues
longtemps clouées sur la porte du cimetière de Saint-Bault, et où jamais
les lupins n'ont osé reparaître depuis[16].
[1: _La Normandie romanesque et merveilleuse_, par Mlle Amélie Bosquet.]
[2: Voyez pour ces mystérieux vestiques l'_Histoire du Berry_, par M.
Raynal, etc.]
[3: On ne s'accorde pas sur l'étymologie des fameuses pierres jomatres,
de Boussac: les uns disent _jo-math_, celte, les autres _jovismatri_,
latin.]
[4: Près d'Aigurande, une pierre-levée s'appelle la pierre à la marte.
Elle est très redoutée.]
[5: Nous en vîmes.]
[6: Fatigués à force de sauter.]
[7: On verra, plus tard, une certaine analogie entre cette croyance et
celle du _Chien de Monthulé_.]
[8: George Sand: _Légendes rustiques_ (A. Morel et Cie, 1858).]
[9: En Normandie, Mlle Amélie Bosquet nous apprend qu'on le retrouve à
chaque pas et même sous le nom peut-être celtique de _Gerguintua_.]
[10: Espèce de gril en tôle pour faire cuire les galettes.]
[11: Le paysan bas-normand, auteur de cette légende, dit l'auteur qui la
rapporte, ne se doutait guère qu'il imitait Homère.]
[12: Le vergne est l'aune des prairies. Quand on le coupe, son bois est
d'un rouge de sang.]
[13: La lande.]
[14: George Sand: _Légendes rustiques_ (A. Morel et Cie, Paris, 1858).]
[15: En certaines localités le _lubin_ est un très bon diable qui
protège les laboureurs.]
[16: George Sand: _Légendes rustiques_ (A. Morel et Cie, Paris, 1858).]