William Shakespear

Le songe d'une nuit d'été
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Note du transcripteur.

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    Ce document est tiré de:


    OEUVRES COMPLÈTES DE
    SHAKSPEARE

    TRADUCTION DE
    M. GUIZOT

    NOUVELLE ÉDITION ENTIÈREMENT REVUE
    AVEC UNE ÉTUDE SUR SHAKSPEARE
    DES NOTICES SUR CHAQUE PIÈCE ET DES NOTES

    Volume 3
    Timon d'Athènes
    Le Jour des Rois.--Les deux gentilshommes de Vérone.
    Roméo et Juliette.--Le Songe d'une nuit d'été.
    Tout est bien qui finit bien.

    PARIS
    A LA LIBRAIRIE ACADÉMIQUE
    DIDIER ET Cie, LIBRAIRES-ÉDITEURS
    35, QUAI DES AUGUSTINS
    1864


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                              LE SONGE
                          D'UNE NUIT D'ÉTÉ

                              COMÉDIE




                              NOTICE
                   SUR LE SONGE D'UNE NUIT D'ÉTÉ


Le _Songe d'une nuit d'été_ peut être regardé comme le pendant de la
_Tempête_. C'est encore ici une pièce de féerie, où l'imagination semble
avoir été le seul guide de Shakspeare. Aussi, pour la juger, faut-il ne
pas oublier son titre et se livrer au caprice du poëte, qui a dû sentir
lui-même tout ce qu'aurait de choquant pour un esprit méthodique et
froid le mélange bizarre de la mythologie ancienne et de la mythologie
moderne, le transport rapide du spectateur d'un monde réel dans un
monde fantastique, et de celui-ci dans l'autre. La _Vie de Thésée_, dans
Plutarque, et deux contes de Chaucer, ont peut-être fourni à Shakspeare
quelques traits de son ouvrage, mais l'imitation y est très-difficile à
reconnaître.

On préfère généralement la _Tempête_ au _Songe d'une nuit d'été_. Le
seul Schlegel semble pencher pour cette dernière pièce; Hazzlitt n'est
point de son avis, mais il ajoute que si la _Tempête_ est une meilleure
pièce, le _Songe_ est un poëme supérieur à la _Tempête_. On trouve,
en effet, dans le _Songe_, une foule de détails et de descriptions
remarquables par le charme des vers, la richesse et la fraîcheur des
images: «La lecture de cette pièce, dit Hazzlitt, ressemble à une
promenade dans un bosquet, à la clarté de la lune.»

Mais est-il rien de plus poétique que le caractère de Miranda et la
pureté de ses amours avec Ferdinand? Ariel aussi l'emporte de beaucoup
sur Puck, qui est l'Ariel du _Songe d'une nuit d'été_, mais qui en
diffère essentiellement par son caractère, quoique ces deux personnages
aériens aient entre eux tant de ressemblance par leurs fonctions et les
situations où ils se trouvent. Ariel, dit encore le critique que nous
avons cité tout à l'heure, Ariel est un ministre de vengeance qui est
touché de pitié pour ceux qu'il punit; Puck est un esprit étourdi, plein
de légèreté et de malice, qui rit de ceux qu'il égare: «Que ces mortels
sont fous!» Ariel fend l'air et exécute sa mission avec le zèle d'un
messager ailé; Puck est porté par la brise comme le duvet brillant des
plantes.

Prospéro et tous ses esprits sont des moralistes; mais avec Obéron et
ses fées nous sommes lancés dans le royaume des papillons.

Il est étonnant que Shakspeare soit considéré non-seulement par les
étrangers, mais par plusieurs des critiques de sa nation, comme un
écrivain sombre et terrible qui ne peignit que des gorgones, des hydres
et d'effrayantes chimères. Il surpasse tous les écrivains dramatiques
par la finesse et la subtilité de son esprit; tellement qu'un célèbre
personnage de nos jours disait qu'il le regardait plutôt comme un
métaphysicien que comme un poëte.

Il paraît que, dans cette pièce, Shakspeare avait pour but de faire la
caricature d'une troupe de comédiens rivale de la sienne, et peut-être
de tous ces artistes amateurs chez qui le goût du théâtre est une
passion souvent ridicule.

Le caractère de Bottom est un des plus comiques de Shakspeare; Hazzlitt
l'appelle le plus romanesque des artisans, et observe à son sujet ce
qu'on a dit plusieurs fois, c'est que les caractères de Shakspeare sont
toujours fondés sur les principes d'une physiologie profonde. Bottom,
qui exerce un état sédentaire, est représenté comme suffisant, sérieux
et fantasque. Il est prêt à tout entreprendre, comme si tout lui était
aussi facile que le maniement de sa navette. Il jouera, si on veut, le
tyran, l'amant, la dame, le lion, etc., etc.

Snug, le menuisier, est le philosophe de la pièce; il procède en toute
chose avec mesure et prudence. Vous croyez le voir, son équerre et son
compas à la main: «Avez-vous par écrit le rôle du lion? si vous l'avez,
donnez-le moi, je vous prie, car j'ai la mémoire paresseuse.--Vous
pouvez l'improviser, dit Quince, car il ne s'agit que de rugir.»

Starveling, le tailleur, est pour la paix, et ne veut pas de lion ni de
glaive hors du fourreau: «Je crois que nous ferons bien de laisser la
tuerie quand tout sera fini.»

Starveling cependant ne propose pas ses objections lui-même, mais il
appuie celles des autres, comme s'il n'avait pas le courage d'exprimer
ses craintes sans être soutenu et excité à le faire. Ce serait aller
trop loin que de supposer que toutes ces différences caractéristiques
sont faites avec intention, mais heureusement elles existent dans les
créations de Shakspeare comme dans la nature.

Les caractères dramatiques et les caractères grotesques sont placés
par lui dans le même tableau avec d'autant plus d'art que l'art
ne s'aperçoit nullement. Oberon, Titania, Puck, et tous les êtres
impalpables de Shakspeare, sont aussi vrais dans leur nature fantastique
que les personnages dont la vie réelle a fourni le modèle au poëte.

Suivant Malone, le _Songe d'une nuit d'été_ aurait été composé en 1592:
c'est une des pièces de la jeunesse de Shakspeare; aussi a-t-elle toute
la fraîcheur et le coloris d'un tableau de cet âge des rêves poétiques.



                       LE SONGE D'UNE NUIT D'ÉTÉ

                                COMÉDIE

PERSONNAGES


  THÉSEE, duc d'Athènes.
  ÉGÉE, père d'Hermia.
  LYSANDRE, }
  DEMETRIUS,} amoureux d'Hermia.
  PHILOSTRATE, ordonnateur des fêtes de Thésée.
  QUINCE, charpentier.
  BOTTOM, tisserand.
  FLUTE, marchand de soufflets.
  SNOUT, chaudronnier.
  STARVELING, tailleur.
  HIPPOLYTE, reine des Amazones, fiancée à Thésée.
  HERMIA, fille d'Égée, amoureuse de Lysandre.
  HÉLÈNE, amoureuse de Démétrius.
  OBERON, roi des fées,   }
  TITANIA, reine des fées,} [1]
  PUCK, ou ROBIN BON DIABLE, lutin.
  FLEUR-DE-POIS (Pea's-Blossom),}
  TOILE D'ARAIGNÉE (Cobweb),    } fées.
  PAPILLON (Moth),              }
  GRAIN DE MOUTARDE (Mustard-Seed),}
  PYRAME,                          }
  THISBE,                          }
  LA MURAILLE,                     }
  LE CLAIR DE LUNE,                } personnages de l'intermède.
  LE LION,                         }
  FÉES DE LA SUITE DU ROI ET DE LA REINE.
  SUITE DE THÉSÉE ET D'HIPPOLYTE.

La scène est dans Athènes et dans un bois voisin.




ACTE PREMIER


SCÈNE I

La scène représente un appartement du palais de Thésée, dans Athènes.

THÉSÉE, HIPPOLYTE, PHILOSTRATE, _suite_.


THÉSÉE.--Belle Hippolyte, l'heure de notre hymen s'avance à grands pas:
quatre jours fortunés amèneront une lune nouvelle; mais que l'ancienne
me semble lente à décroître! Elle retarde l'objet de mes désirs, comme
une marâtre, ou une douairière, qui puise longtemps dans les revenus du
jeune héritier.

[Note 1: Les personnages d'Oberon et de Titania étaient connus
avant Shakspeare, mais ils sont devenus, dans la pièce, des personnages
originaux. Shakspeare est pour la mythologie des fées, en Angleterre, ce
qu'était Homère pour celle de l'Olympe.

Peut-être Chaucer aurait-il droit de partager cette gloire avec lui,
mais ce poëte est oublié même de ses compatriotes, à cause de la vétusté
de son langage.

Titania était aussi appelée la reine _Mab_; et _Puck_ ou _Hobgoblin_,
connu encore de nos jours dans les trois royaumes sous le nom de _Robin
good fellow_ était le serviteur spécialement attaché à Oberon, et chargé
de découvrir les intrigues de la reine. On prétend que _Puck_ est un
vieux mot gothique qui veut dire Satan. Cet esprit est regardé comme
très-malicieux et enclin à troubler les ménages. Si l'on n'avait pas
soin de laisser une tasse de crème ou de lait caillé pour Robin, le
lendemain le potage était brûlé, le beurre ne pouvait pas prendre, etc.,
etc. C'était sa récompense pour la peine qu'il prenait de balayer la
maison à minuit et de moudre la moutarde.]

HIPPOLYTE.--Quatre jours seront bientôt engloutis dans la nuit, et
quatre nuits auront bientôt fait couler le temps comme un songe; et
alors la lune, comme un arc d'argent nouvellement tendu dans les cieux,
éclairera la nuit de nos noces.

THÉSÉE.--Allez, Philostrate; excitez la jeunesse athénienne à se
divertir; réveillez les esprits vifs et légers de la joie; renvoyez
aux funérailles la mélancolie: cette pâle compagne n'est pas faite pour
notre fête. (_Philostrate sort_.) Hippolyte[2], je t'ai fait la cour
l'épée à la main, j'ai conquis ton coeur par les rigueurs de la guerre;
mais je veux t'épouser sous d'autres auspices, au milieu de la pompe,
des triomphes et des fêtes.

[Note 2: Allusion à la victoire de Thésée sur les Amazones.
Hippolyte, que d'autres appellent Antiope, avait été emmenée captive par
le vainqueur.]

(Entrent Égée, Hermia, Lysandre et Démétrius.)

ÉGÉE.--Soyez heureux, Thésée, notre illustre duc!

THÉSÉE.--Je vous rends grâces, bon Égée: quelles nouvelles nous
annoncez-vous?

ÉGÉE.--Je viens, le coeur plein d'angoisses, me plaindre de mon enfant,
de ma fille Hermia.--Avancez, Démétrius.--Mon noble prince, ce jeune
homme a mon consentement pour l'épouser.--Avancez, Lysandre. Et
celui-ci, mon gracieux duc, a ensorcelé le coeur de mon enfant. C'est
toi, c'est toi, Lysandre, qui lui as donné des vers et qui as échangé
avec ma fille des gages d'amour. Tu as, à la clarté de la lune, chanté
sous sa fenêtre, avec une voix trompeuse, des vers d'un amour trompeur:
tu as surpris son imagination avec des bracelets de tes cheveux, avec
des bagues, des bijoux, des hochets, des colifichets, des bouquets, des
friandises, messagers d'un ascendant puissant sur la tendre jeunesse!
Tu as dérobé avec adresse le coeur de ma fille, et changé l'obéissance
qu'elle doit à son père en un âpre entêtement. Ainsi, gracieux duc, dans
le cas où elle oserait refuser ici devant Votre Altesse de consentir à
épouser Démétrius, je réclame l'ancien privilége d'Athènes. Comme elle
est à moi, je puis disposer d'elle; et ce sera pour la livrer à ce jeune
homme ou à la mort, en vertu de notre loi[3], qui a prévu expressément
ce cas.

[Note 3: Par une loi de Solon, les pères exerçaient sur leurs enfants un
droit de vie et de mort.]

THÉSÉE.--Que répondez-vous, Hermia? Charmante fille, pensez-y bien.
Votre père devrait être un dieu pour vous: c'est lui qui a formé vos
attraits: vous n'êtes à son égard qu'une image de cire, qui a reçu de
lui son empreinte; et il est en sa puissance de laisser subsister la
figure, ou de la briser.--Démétrius est un digne jeune homme.

HERMIA.--Lysandre aussi.

THÉSÉE.--Il est par lui-même plein de mérite; mais, dans cette occasion,
faute d'avoir l'agrément de votre père, c'est l'autre qui doit avoir la
préférence.

HERMIA.--Je voudrais que mon père pût seulement voir avec mes yeux.

THÉSÉE.--C'est plutôt à vos yeux de voir avec le jugement de votre père.

HERMIA.--Je supplie Votre Altesse de me pardonner. Je ne sais pas par
quelle force secrète je suis enhardie, ni à quel point ma pudeur peut
être compromise, en ici mes sentiments en votre présence. Mais je
conjure Votre Altesse de me faire connaître ce qui peut m'arriver de
plus funeste, dans le cas où je refuserais d'épouser Démétrius.

THÉSÉE.--C'est, ou de subir la mort, ou de renoncer pour jamais à la
société des hommes. Ainsi, belle Hermia, interrogez vos inclinations,
considérez votre jeunesse, consultez votre coeur; voyez si, n'adoptant
pas le choix de votre père, vous pourrez supporter le costume d'une
religieuse, être à jamais enfermée dans l'ombre d'un cloître pour y
vivre en soeur stérile toute votre vie, chantant des hymnes languissants
à la froide et stérile lune. Trois fois heureuses, celles qui peuvent
maîtriser assez leur sang, pour supporter ce pèlerinage des vierges:
mais plus heureuse est sur la terre la rose distillée que celle qui,
se flétrissant sur son épine virginale, croît, vit, et meurt dans un
bonheur solitaire.

HERMIA.--Je veux croître, vivre et mourir comme elle, mon prince, plutôt
que de céder ma virginité à l'empire d'un homme dont il me répugne de
porter le joug, et dont mon coeur ne consent point à reconnaître la
souveraineté.

THÉSÉE.--Prenez du temps pour réfléchir; et à la prochaine nouvelle
lune, jour qui scellera le noeud d'une éternelle union entre ma
bien-aimée et moi, ce jour-là même, préparez-vous à mourir, pour votre
désobéissance à la volonté de votre père; ou bien à épouser Démétrius,
comme il le désire; ou enfin à prononcer, sur l'autel de Diane, le voeu
qui consacre à une vie austère et à la virginité.

DÉMÉTRIUS.--Fléchissez, chère Hermia.--Et vous, Lysandre, cédez votre
titre imaginaire à mes droits certains.

LYSANDRE.--Vous avez l'amour de son père, Démétrius, épousez-le; mais
laissez-moi l'amour d'Hermia.

ÉGÉE.--Dédaigneux Lysandre! C'est vrai, il a mon amour; et mon amour lui
fera don de tout ce qui m'appartient: elle est mon bien, et je transmets
tous mes droits à Démétrius.

LYSANDRE.--Mon prince, je suis aussi bien né que lui; aussi riche que
lui, et mon amour est plus grand que le sien: mes avantages peuvent être
égalés sur tous les points à ceux de Démétrius, s'ils n'ont pas même la
supériorité; et, ce qui est au-dessus de toutes ces vanteries, je
suis aimé de la belle Hermia. Pourquoi donc ne poursuivrais-je pas mes
droits? Démétrius, je le lui soutiendrai en face, a fait l'amour à la
fille de Nédar, à Hélène, et il a séduit son coeur; elle, pauvre femme,
adore passionnément, adore jusqu'à l'idolâtrie cet homme inconstant et
coupable.

THÉSÉE.--Je dois convenir que ce bruit est venu jusqu'à moi, et que
j'avais l'intention d'en parler à Démétrius; mais surchargé de mes
affaires personnelles, cette idée s'était échappée de mon esprit.--Mais
venez, Démétrius; et vous aussi, Égée, vous allez me suivre. J'ai
quelques instructions particulières à vous donner.--Quant à vous,
belle Hermia, voyez à faire un effort sur vous-même pour soumettre vos
penchants à la volonté de votre père; autrement, la loi d'Athènes, que
nous ne pouvons adoucir par aucun moyen, vous oblige à choisir entre
la mort et la consécration à une vie solitaire.--Venez, mon Hippolyte.
Comment vous trouvez-vous, ma bien-aimée?--Démétrius, et vous, Égée,
suivez-nous. J'ai besoin de vous pour quelques affaires relatives à
notre mariage; et je veux conférer avec vous sur un sujet qui vous
intéresse vous-mêmes personnellement.

ÉGÉE.--Nous vous suivons, prince, avec respect et plaisir.

(Thésée et Hippolyte sortent avec leur suite; Démétrius et Égée les
accompagnent.)

LYSANDRE.--Qu'avez-vous donc, ma chère? Pourquoi cette pâleur sur vos
joues? quelle cause a donc si vite flétri les roses?

HERMIA.--Apparemment le défaut de rosée, qu'il me serait aisé de leur
prodiguer de mes yeux gonflés de larmes.

LYSANDRE.--Hélas! j'en juge par tout ce que j'ai lu dans l'histoire, par
tout ce que j'ai entendu raconter, jamais le cours d'un amour sincère
ne fut paisible. Mais tantôt les obstacles viennent de la différence des
conditions....

HERMIA.--Oh! quel malheur, quand on est enchaîné à quelqu'un de plus bas
que soi!

LYSANDRE.--Tantôt les coeurs sont mal assortis à cause de la différence
des années....

HERMIA.--O douleur! quand la vieillesse est unie à la jeunesse.

LYSANDRE.--Tantôt c'est le choix de nos amis qui contrarie l'amour....

HERMIA.--Oh! c'est un enfer, de choisir l'objet de son amour par les
yeux d'autrui.

LYSANDRE.--Ou, s'il se trouvait de la sympathie dans le choix, la
guerre, la mort ou la maladie, sont venues l'assaillir et le rendre
momentané comme un son, rapide comme une ombre, court comme un songe,
passager comme l'éclair qui, au milieu d'une nuit sombre, découvre,
dans un clin d'oeil, le ciel et la terre; et avant que l'homme ait eu le
temps de dire: Voyez! le gouffre de ténèbres l'a englouti. C'est ainsi
que tout ce qui brille est prompt à disparaître.

HERMIA.--Si les vrais amants ont toujours été traversés, c'est un arrêt
du destin; apprenons donc à le subir avec patience, puisque c'est un
revers commun, et aussi inséparable de l'amour que les pensées, les
songes, les désirs et les larmes, accompagnement indispensable de nos
pauvres penchants.

LYSANDRE.--Sage conseil! Écoute-moi donc, Hermia: j'ai une tante qui
est veuve, douairière, possédant une immense fortune, et qui n'a point
d'enfants. Sa maison est éloignée d'Athènes de sept lieues; elle me
regarde comme son fils unique. Là, chère Hermia, je peux t'épouser, et
la dure loi d'Athènes ne peut nous y poursuivre. Ainsi, si tu m'aimes,
dérobe-toi de la maison de ton père demain dans la nuit, et dans le
bois, à une lieue hors de la ville, au même endroit où je te rencontrai
une fois avec Hélène, allant rendre votre culte à l'aurore de mai: là,
je te promets de t'attendre.

HERMIA.--Mon cher Lysandre, je te jure, par l'arc le plus fort de
l'Amour, par la plus sûre de ses flèches dorées, par la douce candeur
des colombes de Vénus, par les noeuds secrets qui enchaînent les âmes et
font prospérer les amours; par les feux dont brûla la reine de Carthage,
lorqu'elle vit le perfide Troyen mettre à la voile[4]; par tous les
serments que les hommes ont violé, plus nombreux que n'ont jamais été
ceux des femmes, au lieu même que tu viens de m'assigner, demain, sans
faute, j'irai te rejoindre.

[Note 4: Shakspeare oublie que Thésée a fait ses exploits avant la
guerre de Troie, et par conséquent longtemps avant la mort de Didon.
STEEVENS.

Mais le duc Thésée de Shakspeare est-il bien le Thésée de la mythologie?
Je crois que Shakspeare ne s'est pas trop inquiété du temps où avait
pu vivre celui-ci. Le sien est un duc d'Athènes qui aurait aussi bien
figuré comme duc de Bourgogne; pourtant il y a dans cette pièce
tant d'autres allusions mythologiques qu'il faut bien croire à
l'anachronisme.]

LYSANDRE.--Tiens ta promesse, ma bien-aimée.--Regarde, voici Hélène qui
vient.

(Hélène entre.)

HERMIA.--Dieu vous accompagne, belle Hélène! Où allez-vous ainsi?

HÉLÈNE.--Vous m'appelez belle? Ah! rétractez ce mot de belle. Démétrius
aime votre beauté; ô heureuse beauté! vos yeux sont des étoiles
polaires; et la douce mélodie de votre voix est plus harmonieuse que le
chant de l'alouette à l'oreille du berger, lorsque les blés sont verts,
et que l'aubépine commence à montrer les boutons de ses fleurs. La
maladie est contagieuse. Oh! que n'en est-il ainsi des charmes! je
m'emparerais des vôtres, belle Hermia, avant de vous quitter. Mon
oreille saisirait votre voix; mes yeux vos regards, et ma langue
ravirait le doux accent de la vôtre. Si l'univers était à moi, je le
donnerais tout entier, excepté Démétrius, pour changer de formes avec
vous. Oh! enseignez-moi la magie de vos yeux, et par quel art vous
gouvernez les mouvements du coeur de Démétrius.

HERMIA.--Je le regarde d'un air fâché, et cependant il m'aime toujours.

HÉLÈNE.--Oh! si vos regards courroucés pouvaient apprendre leur secret à
mes sourires!

HERMIA.--Je le maudis, et cependant il me rend en retour son amour.

HÉLÈNE.--Oh! si mes prières pouvaient éveiller en lui pareille
tendresse!

HERMIA.--Plus je le hais, plus il s'obstine à me suivre.

HÉLÈNE.--Plus je l'aime, plus il me hait.

HERMIA.--Sa folle passion, chère Hélène, n'est point ma faute.

HÉLÈNE.--Non: ce n'est que la faute de votre beauté. Ah! plût au ciel
que cette faute fût la mienne!

HERMIA.--Consolez-vous, il ne verra plus mon visage. Lysandre et moi,
nous voulons fuir de cette ville.--Avant le jour où je vis Lysandre,
Athènes me semblait un paradis. Oh! quel charme émane donc de mon amant,
pour avoir ainsi changé un ciel en enfer?

LYSANDRE.--Hélène, nous allons vous ouvrir nos âmes. Demain dans la
nuit, quand Phébé contemplera son front d'argent dans l'humide cristal,
et parera de perles liquides le gazon touffu, heure qui cache toujours
la fuite des amants, nous avons résolu de franchir furtivement les
portes d'Athènes.

HERMIA.--Et dans les bois, où souvent vous et moi nous avions coutume de
reposer sur un lit de molles primevères, épanchant dans le sein l'une de
l'autre les doux secrets de nos coeurs: c'est là, que nous devons nous
trouver, mon Lysandre et moi, afin de partir, en détournant pour
jamais nos yeux d'Athènes pour chercher de nouveaux amis et une société
étrangère. Adieu! chère compagne de mes jeux, prie pour nous, et que
le sort favorable t'accorde enfin ton Démétrius.--Lysandre, tiens ta
parole; il faut priver nos yeux de l'aliment des amants, jusqu'à demain
dans la nuit profonde. (Hermia sort.)

LYSANDRE.--Oui, mon Hermia.--Hélène, adieu! Puisse Démétrius vous adorer
autant que vous l'adorez! (Lysandre sort.)

HÉLÈNE.--Combien certains mortels sont plus heureux que d'autres! Je
passe dans Athènes pour être aussi belle qu'elle. Mais que m'importe?
Démétrius n'en pense pas de même: il ne saura jamais ce que tout
le monde sait, excepté lui. Comme il se trompe en adorant les yeux
d'Hermia, je me trompe moi-même en admirant son mérite. L'amour peut
transformer les objets les plus vils, le néant même, et leur donner de
la grâce et du prix. L'amour ne voit pas avec les yeux, mais avec l'âme;
et voilà pourquoi l'ailé Cupidon est peint aveugle; l'âme de l'amour
n'a aucune idée de jugement: des ailes, et point d'yeux, voilà l'emblème
d'une précipitation inconsidérée; et c'est parce qu'il est si souvent
trompé dans son choix, qu'on dit que l'Amour est un enfant. Comme les
folâtres enfants se parjurent dans leurs jeux, l'enfant amour se parjure
en tous lieux. Avant que Démétrius eût vu les yeux d'Hermia, il pleuvait
de sa bouche une grêle de serments, pour attester qu'il n'était qu'à moi
seule; mais à peine cette grêle a-t-elle reçu la chaleur d'Hermia que
ses serments se sont dissous et fondus en pluie. Je vais aller lui
annoncer la fuite de la belle: il ira demain dans la nuit la poursuivre
au bois; et si j'obtiens quelques remerciements pour cet avis, il lui en
coûtera beaucoup; mais je veux du moins consoler ma peine par sa vue en
ce lieu, et m'en retourner ensuite. (Elle sort.)


SCÈNE II

Une chambre dans une chaumière

QUINCE, SNUG, BOTTOM, FLUTE, SNOUT, et STARVELING.


QUINCE.--Toute notre troupe est-elle ici?

BOTTOM.--Vous feriez mieux de les appeler tous l'un après l'autre,
suivant la liste.

QUINCE.--Voici le rouleau où sont écrits les noms de tous les acteurs
d'Athènes qui ont été jugés dignes de jouer dans notre intermède devant
le duc et la duchesse, le soir de leurs noces.

BOTTOM.--Avant tout, bon Pierre Quince, dites-nous le sujet de la
pièce; ensuite, lisez les noms des acteurs, et arrivons ainsi au point
principal.

QUINCE.--Eh bien, notre pièce, c'est _la très-lamentable comédie, et la
tragique mort de Pyrame et Thisbé_[5].

[Note 5: «Trait de ridicule contre le titre courant de la tragédie
de _Cambyse_, par Preston, ou de la _Campaspe_ de Lilles.» STEEVENS.]

BOTTOM.--Une bonne pièce, vraiment, je vous assure, et bien
gaie.--Allons, cher Pierre Quince, appelez vos acteurs suivant la
liste.--Messieurs, rangez-vous.

QUINCE.--Que chacun réponde à son nom. _Nick Bottom, tisserand_.

BOTTOM.--Présent: nommez le rôle qui m'est destiné, et poursuivez.

QUINCE.--Vous, Nick Bottom, vous êtes inscrit pour le rôle de Pyrame.

BOTTOM.--Qu'est-ce qu'il est, ce Pyrame? un amant, ou un tyran?

QUINCE.--Un amant qui se tue par amour le plus bravement du monde.

BOTTOM.--Ce rôle demandera quelques larmes dans l'exécution. Si c'est
moi qui le fais, que l'auditoire tienne bien ses yeux: je ferai rage,
et je saurai gémir comme il faut. (_Aux autres_.) Cependant mon goût
principal est pour les rôles de tyran: je pourrais jouer Hercule à
ravir, et le rôle de Déchire-Chat[6], à tout rompre:

  Les rocs en furie,
  Avec un choc frémissant,
  Briseront les verrous
  Des portes des cachots;
  Et le char de Phébus
  Brillera de loin,
  Et fera et défera
  Les destins insensés[7].

[Note 6: «Dans une vieille comédie, _la Fille rugissante_, il y a un
personnage nommé Déchire-Chat.» STEEVENS.]

[Note 7: «Fragment ampoulé tiré de quelque pièce du temps.»
THÉOBALD.]

Cela était sublime!--Allons, nommez les autres acteurs.--Ceci est le ton
d'Hercule, le ton d'un tyran; l'accent d'un amant est plus plaintif.

QUINCE.--_François Flute, raccommodeur de soufflets_.

FLUTE.--Ici, Pierre Quince.

QUINCE.--Il faut que vous vous chargiez du rôle de Thisbé.

FLUTE.--Qu'est-ce que c'est que Thisbé? un chevalier errant?

QUINCE.--C'est la beauté que Pyrame doit aimer.

FLUTE.--Non vraiment, ne me faites pas jouer le rôle d'une femme; j'ai
de la barbe qui me vient.

QUINCE.--Cela est égal; vous le jouerez sous le masque, et vous pourrez
faire la petite voix tant que vous voudrez[8].

[Note 8: Du temps de Shakspeare, les hommes remplissaient encore les
rôles de femme.]

BOTTOM.--Si je peux cacher mon visage sous le masque, laissez-moi jouer
aussi le rôle de Thisbé; vous verrez que je saurai extraordinairement
bien faire la petite voix: Thisbé! Thisbé!--Ah! Pyrame, mon cher amant!
ta chère Thisbé, ta chère bien-aimée!

QUINCE.--Non, non; il faut que vous fassiez Pyrame, et vous, Flute,
Thisbé.

BOTTOM.--Allons, continuez.

QUINCE.--_Robin Starveling, le tailleur_.

STARVELING.--Ici, Pierre Quince.

QUINCE.--Robin Starveling, vous jouerez le rôle de la mère de
Thisbé.--_Thomas Snout, le chaudronnier_.

SNOUT.--Me voici, Pierre Quince.

QUINCE.--Vous, le rôle du père de Pyrame; et moi, celui du père de
Thisbé.--_Snug, le menuisier_, vous ferez le lion.--Et voilà, j'espère,
une pièce bien distribuée.

SNUG.--Avez-vous là le rôle du lion par écrit? Si vous l'avez,
donnez-le-moi, je vous prie, car j'ai la mémoire lente.

QUINCE.--Oh! vous pourrez le faire impromptu; car il ne s'agit que de
rugir.

BOTTOM.--Oh! laissez-moi jouer le lion aussi; je rugirai si bien que ce
sera plaisir de m'entendre; je rugirai si bien que je ferai dire au duc:
Qu'il rugisse encore! qu'il rugisse encore!

QUINCE.--Si vous alliez faire votre rôle d'une manière trop terrible,
vous épouvanteriez la duchesse et les dames, au point de les faire crier
de frayeur; et c'en serait assez pour nous faire tous pendre.

TOUS ENSEMBLE.--Cela ferait pendre tous les fils de nos mères?

BOTTOM.--Je vous accorde, mes amis, que si vous épouvantiez les dames
au point de leur faire perdre l'esprit, elles ne se feraient pas un
scrupule de nous pendre. Mais je vous promets de grossir ma voix, de
façon à rugir avec le doux murmure d'une jeune colombe; oui, je rugirai
de façon à ce que vous croyiez entendre un rossignol.

QUINCE.--Vous ne pouvez absolument faire d'autre rôle que Pyrame; car
Pyrame est un homme d'une aimable figure, un homme bien fait comme on
en peut voir dans un jour d'été, un très-aimable et charmant cavalier:
ainsi, vous voyez bien qu'il est nécessaire que vous fassiez Pyrame.

BOTTOM.--Allons! je m'en chargerai. Quelle est la barbe qui siéra le
mieux pour le jouer?

QUINCE.--Eh! celle que vous voudrez.

BOTTOM.--Je l'exécuterai avec votre barbe paille, ou avec la barbe
orange, avec la rouge, ou avec votre barbe couleur de tête française,
celle d'un jaune parfait.

QUINCE.--Il y a pas mal de vos têtes françaises qui n'ont pas un cheveu;
vous feriez donc votre rôle sans barbe[9]?--Mais, allons, messieurs,
voilà vos rôles; et je dois vous prier, vous recommander, vous supplier
de les bien apprendre. Demain soir, venez me trouver dans le bois voisin
du palais, à un mille de la ville, au clair de la lune: là, nous ferons
notre répétition; car si nous nous assemblons dans la ville, nous aurons
à nos trousses une foule de curieux, et tout notre plan sera connu. En
attendant, je vais dresser la liste des préparatifs dont notre pièce a
besoin. Je vous prie, n'allez pas manquer au rendez-vous.

[Note 9: «Sans barbe, comme une tête attaquée du mal français reste
sans cheveux (_corona Veneris_). C'était la mode de porter des barbes
peintes.» JOHNSON.]

BOTTOM.--Nous nous y rendrons; et là, nous pourrons faire répétition
avec plus de liberté[10] et de hardiesse. Donnez-vous de la peine, soyez
parfaits. Adieu.

[Note 10: «Avec plus de liberté, _obscenely_; en plein air. _Obscenum
est, quod intra scenam agi non oportuit_.» GRAY.]

QUINCE.--Au chêne du duc; c'est là notre rendez-vous.

BOTTOM.--C'est assez; nous y serons, soit que les cordes de l'arc
tiennent ou se rompent[11]. (Ils sortent.)

[Note 11: «Quand on assignait un rendez-vous, les soldats de milice
s'excusaient souvent en disant que les cordes de leurs arcs étaient
rompues, d'où le proverbe: «Tenez votre parole, que les cordes de votre
arc soient rompues ou non.» WARBURTON.]

FIN DU PREMIER ACTE.




ACTE DEUXIÈME


SCÈNE I

Un bois près d'Athènes.

UNE FÉE _entre par une porte et_ PUCK _par une autre_.


PUCK.--Eh bien! esprit, où errez-vous ainsi?

LA FÉE.

    Sur les coteaux, dans les vallons,
    À travers buissons et ronces,
    Au-dessus des parcs et des enceintes,
    Au travers des feux et des eaux,
    J'erre au hasard, en tous lieux,
    Plus rapidement que la sphère de la lune.
    Je sers la reine des fées,
    J'arrose ses cercles magiques sur la verdure[12];
    Les plus hautes primevères[13] sont ses favorites:
    Vous voyez des taches sur leurs robes d'or.
    Ces taches sont les rubis, les bijoux des fées,
    C'est dans ces taches que vivent leurs sucs odorants.
  Il faut que j'aille recueillir ici quelques gouttes de rosée,
  Et que je suspende là une perle aux pétales de chaque primevère.
    Adieu, esprit lourd, je te laisse.
  Notre reine et toutes nos fées viendront dans un moment.

[Note 12: Ce sont les cercles que les fées, disait-on, traçaient sur
le gazon, dont la brillante verdure provenait du soin qu'elles prenaient
de l'arroser.]

[Note 13: Fleur favorite des fées.]

PUCK.--Le roi donne ici sa fête cette nuit: prends garde que la reine ne
vienne s'offrir à sa vue; car Oberon est outré de fureur de ce qu'elle
compte dans sa suite un charmant petit garçon dérobé à un roi de l'Inde.
Jamais elle n'eut un aussi joli enfant; et le jaloux Oberon voudrait
l'avoir pour en faire son page, et parcourir avec lui les vastes forêts;
mais elle retient malgré lui l'enfant chéri, le couronne de fleurs et
fait de lui toute sa joie. Depuis ce moment, ils ne se rencontrent plus
dans les bosquets, sur le gazon, près de la limpide fontaine, et à la
clarté des étoiles brillantes, qu'ils ne se querellent avec tant de
fureur, que toutes les fées effrayées se glissent dans les coupes des
glands pour s'y cacher.

LA FÉE.--Ou je me trompe bien sur votre tournure et vos façons, ou vous
êtes un esprit fripon, malin, qu'on appelle Robin Bon-Diable. N'est-ce
pas vous qui effrayez les jeunes filles de village, qui écrémez le
lait, et quelquefois tournez le moulin à bras? N'est-ce pas vous qui
tourmentez la ménagère fatiguée de battre le beurre en vain, et qui
empêchez le levain de la boisson de fermenter? N'est-ce pas vous qui
égarez les voyageurs dans la nuit, et riez de leur peine? Mais ceux
qui vous appellent Hobgoblin, aimable Puck, vous faites à ceux-là leur
ouvrage, et leur portez bonne chance. Dites, n'est-ce pas vous?

PUCK.--Vous devinez juste: je suis ce joyeux esprit errant de là-haut;
je fais rire Oberon par mes tours, lorsque, en imitant les hennissements
d'une jeune cavale, je trompe un cheval gras et nourri de fèves.
Quelquefois je me tapis dans la tasse d'une commère, sous la forme d'une
pomme cuite; et lorsqu'elle vient à boire, je saute contre ses lèvres,
et répand sa bière sur son sein flétri; la plus vénérable tante, en
contant la plus triste histoire, me prend quelquefois pour un tabouret
à trois pieds: soudain, je me glisse sous elle; elle tombe à
terre, elle crie: _tailleur_[14], et la voilà prise d'une toux
convulsive; alors toute l'assemblée se tient les côtés, éclate de rire,
redouble de joie, éternue et jure que jamais on n'a passé là d'heure
plus joyeuse. Mais, place, belle fée; voici Oberon.

[Note 14: La coutume de crier _tailleur_ à la vue d'une chute sur le
dos, vient de ce qu'un homme qui glisse en arrière de sa chaise tombe
comme un tailleur, les jambes croisées sur son établi.]

LA FÉE.--Ah! voici ma maîtresse, que n'est-il parti!



SCÈNE II

OBERON _entre avec sa suite par une porte, et_ TITANIA _avec la sienne
entre par l'autre._


OBERON.--Malheureuse rencontre, de te trouver au clair de la lune, fière
Titania.

TITANIA.--Comment, jaloux Oberon?--Fées, sortons d'ici: j'ai renoncé à
sa couche et à sa compagnie.

OBERON.--Arrête, téméraire infidèle! Ne suis-je pas ton époux?

TITANIA.--Alors je dois être ton épouse. Mais je sais le jour que tu
t'es dérobé du pays des fées, et que, sous la figure du berger Corin, tu
es resté assis tout le jour, soupirant sur des chalumeaux, et parlant en
vers de ton amour à la tendre Phillida. Pourquoi es-tu revenu des monts
les plus reculés de l'Inde? Ce n'est, certainement, que parce que la
robuste amazone, ta maîtresse en brodequins, ton amante guerrière, doit
être mariée à Thésée; tu viens pour donner le bonheur et la joie à leur
couche nuptiale?

OBERON.--Comment n'as-tu pas honte, Titania, de parler malicieusement
de mon amitié pour Hippolyte, sachant que je suis instruit de ton amour
pour Thésée? Ne l'as-tu pas conduit dans la nuit à la lueur des étoiles,
loin des bras de Périgyne qu'il avait enlevée? Et ne lui as-tu pas fait
violer sa foi donnée à la belle Églé, à Ariadne, à Antiope[15]?

[Note 15: On sait que Thésée fut un des plus braves chevaliers
errants de la mythologie grecque, mais qu'il ne se piquait pas de
fidélité envers les dames.]

TITANIA.--Ce sont là des inventions de la jalousie. Jamais, depuis le
solstice de l'été, nous ne nous sommes rencontrés sur les collines,
dans les vallées, dans les forêts, dans les prairies, auprès des claires
fontaines, ou des ruisseaux bordés de joncs, ou sur les plages de la
mer, pour danser nos rondes au sifflement des vents, que tu n'aies
troublé nos jeux de tes clameurs. Aussi les vents, qui nous faisaient
entendre en vain leur murmure, comme pour se venger, ont pompé de la mer
des vapeurs contagieuses, qui, venant à tomber sur les campagnes, ont
tellement enflé d'orgueil de misérables rivières qu'elles ont surmonté
leurs bords. Le boeuf a donc porté le joug en vain: le laboureur a perdu
ses sueurs, et le blé vert s'est gâté avant que le duvet eût revêtu le
jeune épi. Les parcs sont restés vides au milieu de la plaine submergée,
et les corbeaux s'engraissent de la mortalité des troupeaux: les jeux de
merelles[16] sont comblés de fange, et les jolis labyrinthes serpentant
sur la folâtre verdure ne peuvent plus se distinguer parce qu'on ne les
fréquente plus. Les mortels de l'espèce humaine[17] sont sevrés de leurs
fêtes d'hiver; il n'y a plus de chants, plus d'hymnes, plus de noëls qui
égayent les longues nuits.--Aussi la lune, cette souveraine des flots,
pâle de courroux, inonde l'air d'humides vapeurs, qui font pleuvoir les
maladies catarrhales[18]: et, au milieu de ce trouble des éléments, nous
voyons les saisons changer; les frimas, à la blanche chevelure, tomber
sur le tendre sein de la rose vermeille; le vieux hiver étale, comme par
dérision, autour de son menton et de sa tête glacée, une guirlande de
tendres boutons de fleurs. Le printemps, l'été, le fertile automne,
l'hiver chagrin, échangent leur livrée ordinaire; et le monde étonné
ne peut plus les distinguer par leurs productions. Toute cette série
de maux provient de nos débats et de nos dissensions; c'est nous qui en
sommes les auteurs et la source.

[Note 16: Jeu de merelles, figure composée de plusieurs carrés que
les bergers ou les enfants tracent sur le gazon.]

[Note 17: Il y a dans le texte _human mortals_: cette épithète, qui
semble redondante, sert à marquer la différence entre les hommes et les
fées. Celles-ci ne font pas partie de l'humanité, quoique soumises à la
mort comme les hommes.]

[Note 18: Observation juste sur la constitution médicale de
l'atmosphère.]

OBERON.--Eh bien! réformez ces désordres; cela dépend de vous. Pourquoi
Titania contrarierait-elle son Oberon? Je ne lui demande qu'un petit
garçon, pour en faire mon page d'honneur[19].

[Note 19: Page d'honneur, place de cour abolie par Élisabeth; le
henchman des _highlanders_ était leur échanson.]

TITANIA.--Mettez votre coeur en repos. Tout le royaume des fées
n'achèterait pas de moi cet enfant: sa mère était initiée à mes
mystères; et maintes fois la nuit, dans l'air parfumé de l'Inde, elle a
bavardé auprès de moi; maintes fois, assise à mes côtés sur les sables
dorés de Neptune, elle observait les commerçants embarqués sur les
flots. Après que nous avions ri de voir les voiles s'enfler, et
s'arrondir sous les caresses du vent, elle se mettait à vouloir les
imiter, et d'une démarche gracieuse et balancée, poussant en avant son
ventre, riche alors de mon jeune écuyer, comme un vaisseau voguant sur
la plaine, elle m'allait chercher des bagatelles, pour revenir ensuite
à moi, comme d'un long voyage, chargée d'une précieuse cargaison. Mais
l'infortunée étant mortelle, est morte en donnant la vie à ce jeune
enfant, que j'élève pour l'amour d'elle; c'est pour l'amour de sa mère
que je ne veux pas me séparer de lui.

OBERON.--Combien de temps vous proposez-vous de rester dans le bois?

TITANIA.--Peut-être jusqu'après le jour des noces de Thésée. Si vous
voulez vous mêler patiemment à nos rondes, et assister à nos ébats
au clair de la lune, venez avec nous; sinon, évitez-moi, et je ne
troublerai pas vos retraites.

OBERON.--Donnez-moi cet enfant, et je suis prêt à vous suivre.

TITANIA.--Pas pour votre royaume.--Allons, fées, partons. Nous passerons
toute la nuit à quereller, si je reste plus longtemps. (Titania sort
avec sa suite.)

OBERON.--Eh bien! va, poursuis; mais tu ne sortiras pas de ce bosquet
que je ne t'aie tourmentée, pour me venger de cet outrage.--Mon gentil
Puck, approche ici. Tu te souviens d'un jour où j'étais assis sur
un promontoire, et que j'entendis une sirène, portée sur le dos
d'un dauphin, proférer des sons si doux et si harmonieux, que la
mer courroucée s'apaisa aux accents de sa voix, et maintes étoiles
transportées s'élancèrent de leur sphère pour entendre la musique de
cette fille de l'Océan?

PUCK.--Oui, je m'en souviens.

OBERON.--Eh bien! dans le temps, je vis (mais tu ne pus le voir, toi)
Cupidon tout armé[20] voler entre la froide lune et la terre: il visa
au coeur d'une charmante Vestale, assise sur un trône d'Occident; il
décocha de son arc un trait d'amour bien acéré, comme s'il eût voulu
percer d'un seul coup cent mille coeurs. Mais je vis la flèche enflammée
du jeune Cupidon s'éteindre dans les humides rayons de la chaste lune,
et la prêtresse couronnée, le coeur libre, continua sa marche, plongée
dans ses pensées virginales[21]. Je remarquai où vint tomber le trait
de Cupidon; il tomba sur une petite fleur d'Occident.--Auparavant elle
était blanche comme le lait, depuis elle est pourpre par la blessure de
l'amour; et les jeunes filles l'appellent _pensée_[22]: va me chercher
cette fleur. Je te l'ai montrée une fois. Son suc, exprimé sur les
paupières endormies d'un homme ou d'une femme, les rend amoureux fous
de la première créature vivante qui s'offre à leurs regards. Apporte-moi
cette fleur, et sois revenu ici avant que le Léviathan ait pu nager une
lieue.

[Note 20: _O Maraviglia! Amor ch'a pena è nato_
          _Gia grande vola, gia triunfa armato_.]

[Note 21: Compliment à Élisabeth; ce sont les vers que dans le roman
de _Kenilworth_ la reine se fait répéter par W. Raleigh.]

[Note 22: On l'appelle aussi _Love in idleness_, l'amour oisif,
ou l'oeil du coeur, herbe de la trinité. C'est la _Viola tricolor_ de
Linnée, syngénésie monogame.]

PUCK.--J'entourerai d'une ceinture le globe de la terre en quarante
minutes. (Il sort.)

OBERON.--Lorsqu'une fois j'aurai le suc de cette plante, j'épierai
l'instant où Titania sera endormie, et j'en laisserai tomber une goutte
sur ses yeux. Le premier objet qu'ils verront à son réveil, fût-ce un
lion, un ours, un loup, un taureau, une guenon curieuse ou un singe
affairé, elle le poursuivra avec un coeur plein d'amour; et avant que
j'ôte ce charme de sa vue, ce que je peux faire avec une autre plante,
je l'obligerai à me céder son page. Mais qui vient en ces lieux? Je suis
invisible[23], et je veux entendre leur entretien.

[Note 23: On remarquera peut-être que Puck et Oberon parlent souvent
sur la scène sans qu'on ait fait mention de leur entrée. Invisibles ou
visibles à leur gré, ils semblent s'affranchir eux-mêmes des lois de la
scène.]



SCÈNE III

OBERON _invisible_; DÉMÉTRIUS, et HÉLÈNE _qui le suit_. TITANIA _arrive
avec sa cour_.


DÉMÉTRIUS.--Je ne vous aime point; ainsi, cessez de me poursuivre. Où
est Lysandre, et la belle Hermia? Je tuerai l'un; l'autre me tue. Vous
m'avez dit qu'ils s'étaient sauvés dans le bois; m'y voilà, dans le
bois, et je suis furieux de n'y pouvoir trouver Hermia. Laissez-moi;
éloignez-vous, et ne me suivez plus.

HÉLÈNE.--Vous m'attirez à vous, coeur dur comme le diamant, mais ce
n'est point un coeur de fer que vous attirez, car le mien est fidèle
comme l'acier: perdez la force d'attirer, je n'aurai plus celle de vous
suivre.

DÉMÉTRIUS.--Est-ce que je vous sollicite? est-ce que je vous abuse par
de douces paroles, ou plutôt ne vous ai-je pas dit la vérité nue, je ne
vous aime point, je ne puis vous aimer?

HÉLÈNE.--Et je ne vous en aime que davantage. Je suis votre épagneul:
plus vous me maltraiterez, Démétrius, et plus je vous caresserai.
Traitez-moi seulement comme votre épagneul: rebutez-moi, frappez-moi,
négligez-moi, égarez-moi; mais du moins, accordez-moi, quelque indigne
que je sois, la permission de vous suivre. Quelle place plus humble dans
votre amour puis-je implorer? Et ce serait encore pour moi une faveur
d'un prix inestimable, que le privilége d'être traitée comme vous
traitez votre chien.

DÉMÉTRIUS.--Ne provoquez pas trop la haine de mon âme; je suis malade
quand je vous vois.

HÉLÈNE.--Et moi, je le suis quand je ne vous vois pas.

DÉMÉTRIUS.--Vous compromettez trop votre pudeur, en quittant ainsi la
ville, vous livrant seule à la merci d'un homme qui ne vous aime point,
exposé aux dangers de la nuit et aux mauvais conseils d'un lieu désert,
avec le riche trésor de votre virginité.

HÉLÈNE.--Votre vertu est ma sauvegarde; il n'est plus nuit quand je vois
votre visage; je ne crois donc plus être alors dans les ténèbres: ce
bois n'est point une solitude pour moi; avec vous, j'y trouve tout
l'univers: comment donc pouvez-vous dire que je suis seule, quand le
monde entier est ici pour me regarder?

DÉMÉTRIUS.--Je vais m'enfuir loin de vous, et me cacher dans les
fougères, vous laissant à la merci des bêtes féroces.

HÉLÈNE.--La plus féroce n'a pas un coeur aussi cruel que le vôtre. Fuyez
où vous voudrez; l'histoire changera seulement: c'est Apollon qui fuit,
et c'est Daphné qui poursuit Apollon! la colombe poursuit le milan; la
douce biche hâte sa course pour atteindre le tigre: hâte inutile quand
c'est la timidité qui poursuit et le courage qui s'enfuit.

DÉMÉTRIUS.--Je ne m'arrêterai plus à écouter vos discours. Laissez-moi
m'en aller; ou, si vous me suivez, craignez de moi quelque outrage dans
l'épaisseur du bois.

HÉLÈNE.--Hélas! dans le temple, dans la ville, dans les champs, partout
vous m'outragez. Fi! Démétrius, vos affronts jettent un opprobre sur mon
sexe; nous ne pouvons, comme les hommes, combattre pour l'amour. Nous
devrions être courtisées, et nous n'avons pas été faites pour faire la
cour. Je veux vous suivre, et faire de mon enfer un ciel, en mourant de
la main que j'aime si tendrement. (Ils sortent.)

OBERON.--Nymphe, console-toi. Avant qu'il quitte ces bosquets, tu le
fuiras, et il recherchera ton amour.

(Puck revient.)

OBERON.--As-tu la fleur? Sois le bienvenu, vagabond.

PUCK.--Oui, la voilà.

OBERON.--Donne-la-moi, je te prie. Je connais une rive où croît le
thym sauvage, où la violette se balance auprès de la primevère, et
qu'ombragent le suave chèvrefeuille, de douces roses musquées, et le bel
églantier. C'est là que, pendant quelques heures de la nuit, Titania,
fatiguée des plaisirs de la danse, s'endort au milieu des fleurs; c'est
là que le serpent se dépouille de sa peau émaillée, vêtement assez large
pour envelopper une fée. Je veux frotter légèrement les yeux de Titania,
et lui remplir le cerveau d'odieuses fantaisies. Prends-en aussi un peu,
et cherche dans ce bocage. Une belle Athénienne est éprise d'un jeune
homme qui la repousse; mets-en sur les yeux de ce beau dédaigneux;
mais aie bien soin de le faire au moment où son amante s'offrira à
ses regards. Tu reconnaîtras l'homme aux habits athéniens qu'il porte.
Accomplis ce message avec quelques précautions, afin qu'il puisse
devenir plus idolâtre d'elle qu'elle ne l'est de lui; et songe à venir
me rejoindre avant le premier chant du coq.

PUCK.--N'ayez aucune inquiétude, mon souverain: votre humble serviteur
exécutera vos ordres. (Ils sortent.)



SCÈNE IV

(Une autre partie du bois.)

TITANIA _arrive avec sa cour_.


TITANIA.--Allons, un rondeau[24], et une chanson de fées; et ensuite,
partez pour le tiers d'une minute, que les unes aillent tuer le
ver caché dans le bouton de rose; les autres faire la guerre aux
chauves-souris, pour avoir leurs ailes de peau, afin d'en habiller mes
petits génies; que d'autres écartent le hibou qui ne cesse toute la
nuit de faire entendre ses cris lugubres, surpris de voir nos esprits
légers.--Chantez maintenant pour m'endormir; et après, laissez-moi
reposer, et allez à vos fonctions.

[Note 24: _Roundel_, couplet de chanson qui commence et finit par
la même sentence, _qui redit in orbem_. _Roundel_ signifie aussi une
ronde.]

CHANSON.

  PREMIÈRE FÉE.

  Vous, serpents tachetés au double dard,
  Épineux porcs-épics, ne vous montrez pas.
  Lézards, aveugles reptiles, gardez-vous d'être malfaisants,
  N'approchez pas de notre reine.

  CHOEUR DE FÉES.

  Philomèle, avec mélodie
  Chante-nous une douce chanson de berceuse,
  Lulla, Lulla, Lullaby; Lulla, Lulla, Lullaby.
  Que nul trouble, nul charme, nul maléfice
  N'approche de notre aimable reine.
  Et bonne nuit dormez bien.

  II

  SECONDE FÉE.

  Araignées filandières, n'approchez pas:
  Loin d'ici fileuses aux longues jambes, loin d'ici.
  Éloignez-vous, noirs escarbots.
  Ver, ou limaçon, n'offensez pas notre reine.

  LE CHOEUR.

  Philomèle, avec mélodie, etc.

  PREMIÈRE FÉE.

  Allons, partons: tout va bien.
  Qu'une de nous se tienne à part comme sentinelle.

(Titania s'endort; les fées sortent.)

(Oberon survient, et dit en exprimant le suc de la fleur sur les
paupières de Titania:)

OBERON.

  Que l'objet que tu verras, en t'éveillant,
  Devienne l'objet de ton amour:
  Aime-le et languis pour lui:
  Que ce soit un ours, un tigre ou un chat,
  Un léopard ou un sanglier à la crinière hérissée.
  Qui apparaisse à tes yeux, à ton réveil,
  Il sera ton amant chéri.
  Réveille-toi à l'approche d'un objet hideux.

(Oberon sort.)

(Entrent Lysandre et Hermia.)

LYSANDRE.--Ma belle amie, vous êtes fatiguée d'errer dans ce bois; et à
vous dire vrai, j'ai oublié le chemin: nous nous reposerons, Hermia, si
vous le voulez, et nous attendrons ici la lumière consolante du jour.

HERMIA.--Je le veux bien, Lysandre. Allez, cherchez un lit pour vous:
moi je vais reposer ma tête sur ce gazon.

LYSANDRE.--La même touffe de verdure nous servira d'oreiller à tous les
deux: un seul coeur, un même lit, deux âmes, et une seule foi.

HERMIA.--Non, cher Lysandre: pour l'amour de moi, mon ami, placez-vous
plus loin encore; ne vous mettez pas si près de moi.

LYSANDRE.--Ô ma douce amie! prenez mes paroles dans le sens que
leur donne mon innocence. Dans l'entretien des amants, l'amour est
l'interprète; j'entends que mon coeur est uni au vôtre, en sorte que
nous pouvons des deux coeurs n'en faire qu'un; que nos deux âmes se sont
enchaînées par un serment, en sorte que ce n'est qu'une foi dans deux
âmes. Ne me refusez donc pas une place à vos côtés, pour me reposer; car
en me couchant ainsi je ne ments point[25].

[Note 25: Équivoque sur le verbe _to lie_, se coucher et mentir.]

HERMIA.--Lysandre excelle à faire des énigmes: malheur à mes manières
et à ma fierté, si Hermia a voulu dire que Lysandre mentait. Mais, mon
aimable ami, au nom de la tendresse et de la courtoisie, éloigne-toi un
peu: cette séparation, prescrite par la décence humaine convient à un
amant vertueux, et à une jeune vierge: oui, tiens-toi à cette distance;
et bonsoir, mon bien-aimé; que ton amour ne finisse qu'avec ta précieuse
vie!
                
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