[Note 14: _A fortnight and odd days._ Une quinzaine et quelques jours
hors de compte. Odd signifie tout ce qui ne rentre pas dans une unité,
une mesure, une règle commune. Il signifie aussi impair. La nourrice le
prend dans ce sens et répond: _Even or odd_ (pair ou impair).]
LA NOURRICE.--Par-dessus ou par-dessous, c'est précisément ce jour-là.
Vienne la veille de la Saint-Pierre au soir, elle aura quatorze
ans.--Suzanne et elle (Dieu fasse paix à toutes les âmes chrétiennes!)
étaient du même âge....--C'est bien; Suzanne est avec Dieu; elle était
trop bonne pour moi.--Mais, comme je disais, la veille au soir de la
Saint-Pierre, elle aura quatorze ans; elle les aura, sûr; je me le
rappelle à merveille. Il y a à présent onze ans du tremblement de terre,
et elle fut sevrée, jamais je ne l'oublierai, précisément ce jour-là
parmi tous les jours de l'année; car j'avais frotté d'absinthe le bout
de mon sein, j'étais assise au soleil contre le mur du colombier; mon
maître et vous étiez alors à Mantoue...--Oh! j'ai de la mémoire; et
comme je vous disais, dès qu'elle eut goûté de l'absinthe sur le bout
de mon sein, et qu'elle l'eut trouvée amère, il fallait la voir, pauvre
petite, se fâcher et se mettre en colère contre le sein. Comme je
disais, voilà le colombier qui tremble. Oh! il ne fut pas besoin, je
vous jure, de me dire de trotter, et depuis ce temps-là, il y a onze
ans, car elle se tenait déjà seule; quoi! avec le bout de la baguette
elle courait et roulait tout partout: car, tenez, c'était la veille
qu'elle s'était cassé la tête; et alors mon mari, Dieu veuille avoir son
âme, c'était un drôle de corps! il releva l'enfant: «Comment, dit-il, tu
te laisses tomber sur le nez! quand tu auras plus d'esprit, tu tomberas
en arrière; n'est-ce pas, Jules?» et, par Notre-Dame, la petite coquine
cessa de pleurer, et dit: «Oui.» Voyez pourtant ce que c'est qu'une
plaisanterie. J'en réponds, je vivrais mille ans que je ne l'oublierais
jamais: «N'est-ce pas, Jules?» dit mon mari: et la petite morveuse finit
tout de suite et dit: «Oui...»
LA SIGNORA CAPULET.--En voilà assez; je t'en prie, tais-toi.
LA NOURRICE.--Oui, madame; et pourtant je ne peux pas m'empêcher de rire
quand je pense comme elle cessa de crier et dit: «Oui...» Et pourtant,
je vous jure, elle avait sur le front une bosse aussi grosse que
la coquille d'un poulet. C'était un coup terrible, et elle pleurait
amèrement. «Comment, dit mon mari, tu te laisses tomber sur le nez! Tu
tomberas en arrière quand tu seras plus grande; n'est-ce pas, Jules?»
Elle finit tout de suite et dit: «Oui.»
JULIETTE.--Finis, nourrice, finis, je t'en prie, quand je te le dis.
LA NOURRICE.--Allons, j'ai fini. Que Dieu te marque de sa grâce! Tu
étais la plus jolie petite enfant que j'aie jamais nourrie: si je peux
vivre assez pour te voir mariée, je n'en demande pas davantage.
LA SIGNORA CAPULET.--Et le mariage est justement le sujet dont je suis
venu causer avec elle.--Dites-moi, ma fille Juliette, avez-vous envie de
vous marier?
JULIETTE.--C'est un honneur auquel je n'ai jamais pensé.
LA NOURRICE.--Un honneur! Si je n'avais pas été ta seule nourrice, je
dirais que tu as sucé la sagesse avec le lait.
LA SIGNORA CAPULET.--Eh bien! pensez maintenant au mariage. Il y a dans
Vérone des femmes plus jeunes que vous, considérées et déjà mères; et
moi, je m'en souviens bien, j'étais déjà votre mère longtemps avant
l'âge où vous voilà fille encore; enfin, en un mot, le brave Pâris vous
adresse ses voeux.
LA NOURRICE.--C'est un homme, jeune dame... madame, c'est un homme comme
tout le monde... Vraiment, il semble moulé en cire.
LA SIGNORA CAPULET.--L'été de Vérone n'a pas une fleur qui puisse lui
être comparée.
LA NOURRICE.--Oh! vraiment, c'est une fleur; ma foi, oui, une vraie
fleur.
LA SIGNORA CAPULET.--Qu'en dites-vous? Vous sentez-vous du goût pour
ce gentilhomme? Ce soir, vous le verrez à notre fête. Parcourez tout le
livre[15] de la figure du jeune Pâris, et vous y apercevrez le plaisir
écrit avec la plume de la beauté. Examinez ces traits si bien d'accord,
et vous verrez comme ils s'expliquent l'un l'autre; et ce que peut
encore offrir d'obscur ce charmant volume, vous le trouverez écrit dans
la marge de ses yeux. Ce précieux livre d'amour, cet amant encore sans
liens ne demande, pour compléter sa beauté, que l'ornement dont il va se
couvrir. C'est la mer qui fait vivre le poisson; et la beauté doit être
orgueilleuse de donner asile à la beauté. Le livre qui sous ses fermoirs
d'or enserre la légende dorée en partage la gloire aux yeux de tous:
ainsi, en le possédant, vous partagerez tout ce qui lui appartient sans
rien diminuer du vôtre.
[Note 15: De toutes ces métaphores sur Pâris, comparé à un livre, une
seule a paru impossible à rendre, c'est celle où la signora Capulet
l'appelant _unbound lover_, en fait à la fois _un amant sans liens et un
amant sans reliure_.]
LA NOURRICE.--Diminuer! non, en vérité; elle grossira plutôt: les femmes
grossissent par le moyen des hommes.
LA SIGNORA CAPULET.--Répondez-moi en un mot: l'amour de Pâris
pourrait-il vous plaire?
JULIETTE.--Je verrai à le trouver agréable si le voir peut faire qu'il
m'agrée. Mais mon regard ne pénétrera pas plus avant que le point où
votre consentement lui donnera la force de se lancer.
(Entre un domestique.)
LE DOMESTIQUE.--Madame, les convives sont arrivés, le souper est servi,
on vous attend; on demande ma jeune maîtresse; on jure, dans l'office,
après la nourrice; toutes choses sont à point. Il faut que j'aille
servir, je vous en prie, venez sur-le-champ.
LA SIGNORA CAPULET.--Nous te suivons. Allons, Juliette, le comte nous
attend.
LA NOURRICE.--Allez, ma fille, chercher ce qui donnera d'heureuses nuits
à vos heureux jours.
(Elles sortent.)
SCÈNE IV
Une rue.
_Entrent_ ROMÉO, MERCUTIO, BENVOLIO, _avec cinq ou six autres masques et
des porteurs de flambeaux._
ROMÉO.--Eh bien! est-ce là ce que nous dirons pour notre excuse, ou
entrerons nous sans apologie?
BENVOLIO.--Tous ces bavardages-là sont du temps passé[16].
[Note 16: Il paraît qu'autrefois il arrivait souvent qu'on vînt à une
fête sans y être invité; alors on paraissait en masque et précédé
d'une espèce de hérault, également déguisé et qui prononçait par forme
d'excuse un compliment préparé. Apparemment que, du temps de Shakspeare,
la mode de ces compliments commençait à passer.]
Nous n'aurons point de Cupidon avec son bandeau et son écharpe, portant
un arc à la tartare fait de latte peinte, pour effrayer les dames au
hasard, comme un homme qui chasse les corneilles; nous n'aurons pas non
plus de ces prologues sans livres répétés en traînant après le souffleur
au moment de notre entrée. Qu'ils nous mesurent des yeux comme il leur
plaira, nous leur mesurerons une mesure de danse, et nous voilà partis.
ROMÉO.--Donnez-moi une torche; ces gambades ne me vont pas. Sombre[17]
comme je le suis, c'est à moi à porter le flambeau.
[Note 17: Chaque troupe de masques était précédée d'un homme portant une
torche qui entrait dans l'assemblée, mais ne se mêlait point à la fête.]
MERCUTIO.--Vraiment, mon cher Roméo, il faudra bien que vous dansiez.
ROMÉO.--Non pas moi, croyez-moi. Vous autres, vous avez des souliers
à danser et le pied léger; moi, j'ai une âme de plomb qui me cloue
tellement à terre que je ne saurais remuer.
MERCUTIO.--Vous êtes amoureux, empruntez les ailes de l'Amour pour vous
élancer au delà des hauteurs ordinaires.
ROMÉO.--Il m'a lancé un dard qui me perce trop cruellement pour que
je puisse me lancer sur ses ailes légères; et enchaîné[18] comme je le
suis, je ne puis m'élever au-dessus de ma sombre tristesse: je succombe
sous le pesant fardeau de l'Amour.
[Note 18: Il y a ici abondance et complication de jeux de mots entre
_sore_ (cruel) et _soar_ (prendre l'essor), _bound_ (enchaîné) et
_bound_ (bond). On en a indiqué ce qui a été possible.]
MERCUTIO.--Et en succombant vous écraserez l'Amour: vous êtes un poids
trop fort pour quelque chose de si délicat.
ROMÉO.--L'Amour délicat! il est dur, rude, ingouvernable, piquant comme
l'épine.
MERCUTIO.--Si l'Amour vous mène rudement, menez rudement l'Amour; s'il
vous pique, donnez de l'éperon et vous le mettrez à bas. Allons, une
boîte pour mon visage; c'est un masque pour un masque. (_Il met son
masque_.) Que m'importe à présent quel oeil curieux remarque mes
difformités? Voici un front refrogné qui rougira pour moi.
BENVOLIO.--Allons, frappe, et entrons; et aussitôt entrés, que chacun
ait recours à ses jambes.
ROMÉO.--Donnez-moi une torche. Que des étourdis légers de coeur
effleurent de leurs pieds les joncs insensibles[19]. Pour moi, je
tiendrai, comme on dit, la chandelle, et je regarderai. Ce qui me
convient, c'est le proverbe des grand'mères: «La fête n'a jamais été si
belle, et je m'en vas[20].»
[Note 19: Avant de connaître l'usage des tapis, on couvrait de joncs le
sol des appartements; de là _joncher_.]
[Note 20: MERCUT.
_The game was never so fair and I am done.
Tut, dun's the mouse, the constable's word,
If thou art dun, we'll draw thee from the mire_, etc.
Il y a ici entre _done_ et _dun_ un jeu de mots intraduisible. _Dun's
the mouse_ (la souris est grise) serait, selon les commentateurs, un
proverbe équivalent à notre proverbe: _A la nuit, tous chats sont gris._
Mais ils se trouvent hors d'état d'expliquer suffisamment l'allusion
contenue dans ces mots _the constable's word_. En adoptant dans la
traduction leur version sur le _dun's the mouse_, je serais plutôt tenté
d'y voir un jeu de mots employé par quelque constable dans une occasion
où, ayant à se saisir d'un malfaiteur, il aura employé, pour avertir ses
gens sans alarmer celui qu'il cherchait, ces mots insignifiants, _dun's
the mouse_ (la souris est grise), pour ceux-ci, _done's the mouse_ (la
souris est prise, c'en est fait de la souris). Quoi qu'il en soit, cette
explication n'est pas plus mauvaise qu'aucune de celles qu'ont données
les commentateurs. _Dun out from the mire_ était une ancienne chanson:
on a substitué à cette allusion impossible à rendre un jeu de mots sur
ces deux sens du mot _gris_, qui n'est point dans Shakspeare, à charge
de revanche.]
MERCUTIO.--Bon, bon, à la nuit tous chats sont gris; c'est le mot du
constable: et si tu es gris, nous te tirerons, sauf respect, de la mare
où cet amour t'a enfoncé jusqu'aux oreilles. Venez, nous brûlons le
jour[21]. Holà!
[Note 21: _We burn day light_, expression proverbiale commune à
l'anglais et au français.]
ROMÉO.--Cela n'est pas ainsi.
MERCUTIO.--Je veux dire, mon cher, qu'en nous arrêtant ainsi nous
dépensons notre lumière sans profit, comme des lampes qui brûleraient le
jour. Il faut voir dans ce que nous disons ce que nous avons intention
de dire, car c'est là que la raison se trouvera cinq fois plutôt qu'une
seule dans nos cinq sens.
ROMÉO.--Oui, nous avons bonne intention en allant à cette mascarade;
mais il n'est pas raisonnable d'y aller.
MERCUTIO.--Peut-on te demander pourquoi?
ROMÉO.--J'ai fait un songe cette nuit.
MERCUTIO.--Et moi aussi.
ROMÉO.--Eh bien! qu'avez-vous rêvé?
MERCUTIO.--Que ceux qui rêvent mentent souvent[22].
[Note 22: Jeu de mots intraduisible entre (lie) mentir, _et (lie)_ être
couché.]
ROMÉO.--Oui, lorsqu'endormis dans leur lit ils rêvent des choses vraies.
MERCUTIO.--Oh! je vois que la reine Mab vous a visité cette nuit: c'est
la fée sage-femme[23]. Elle vient, petite et légère comme l'agate placée
à l'index d'un alderman, traînée par un attelage de minces atomes, et
parcourt le nez des hommes pendant leur sommeil. Les rayons de ses roues
sont faits de longues pattes de faucheur; l'impériale de sa voiture
d'ailes de sauterelles; ses traits de la plus fine toile d'araignée; ses
harnais des rayons humides d'un clair de lune. Le manche de son fouet
est un os de grillon, et la mèche une mince pellicule. Son postillon est
un petit moucheron vêtu de gris, pas à moitié si gros que le petit ver
rond retiré avec la pointe d'une aiguille du doigt d'une jeune fille.
Son chariot est une coquille de noisette vide travaillée par l'écureuil,
ouvrier en bois, ou par le vieux ver, de temps immémorial associé des
fées. C'est dans cet équipage qu'elle galope toutes les nuits au travers
du cerveau des amants, et ils rêvent d'amour; sur les genoux des hommes
de cour, et ils rêvent aussitôt de révérences; sur les doigts des gens
de loi, et sur-le-champ ils rêvent d'épices; sur les lèvres des dames,
et à l'instant elles rêvent de baisers: mais souvent Mab irritée les
punit par des boutons d'avoir empesté leur haleine en mangeant des
confitures[24]. Quelquefois elle galope sur le nez d'un courtisan, et il
rêve qu'il flaire une place à solliciter. Quelquefois elle vient, avec
la queue d'un pourceau de dîme, chatouiller le nez d'un prébendaire
endormi, et il rêve d'un second bénéfice. Tantôt elle dirige son char
sur le cou d'un soldat, et il rêve d'ennemis qu'il pourfend, de brèches,
d'embuscades, de coutelas d'Espagne, de rasades profondes de cinq
brasses: alors elle bat le tambour à son oreille; il s'éveille en
sursaut, et dans sa frayeur il jure une ou deux invocations, puis se
rendort. C'est cette même Mab qui pendant la nuit mêle la crinière des
chevaux et la frise en sales tampons de crins ensorcelés, qui, une fois
débrouillés, présagent de grands malheurs. C'est la sorcière qui
pèse sur le sein des jeunes filles étendues dans leur lit, pour leur
apprendre à supporter et en faire des femmes fortes[25]. C'est elle
qui...
[Note 23: _She is the fairies midwife_, ce qui ne signifie point _la
sage-femme des fées_, mais _la sage-femme entre les fées_. On ne
voit nulle part que l'emploi de la reine Mab, la fée des songes, fût
d'accoucher les fées; mais c'était elle qui enlevait à leur mère,
au moment de leur naissance, les enfants nés pendant la nuit pour y
substituer un enfant étranger.]
[Note 24: _Sweet meats_, espèce de confitures parfumées, connues alors
sous le nom de _kissing comfits_, et dont les femmes faisaient un grand
usage]
[Note 25:
_This is the hag, when maids lie on their backs,
That presses them, and learn them first to bear,
Making them women of good carriage._
La phrase était impossible à rendre exactement.]
ROMÉO.--Paix, paix, Mercutio, paix; ce sont des riens que tu nous dis
là.
MERCUTIO.--Tu as raison, car je parle de songes, enfants d'un cerveau
oisif, produit de quelques vaines chimères, d'une substance aussi légère
que l'air, et plus inconstante que le vent, qui, caressant le sein glacé
du nord, s'irrite soudain, et, par une bouffée contraire, tourne sa face
vers le midi qui verse la rosée.
BENVOLIO.--Ce vent dont vous nous parlez nous rejette loin de
nous-mêmes. Le souper est fini et nous arriverons trop tard.
ROMÉO.--Trop tôt, au contraire, j'en ai peur. Un pressentiment funeste
semble me dire qu'au milieu des réjouissances de cette nuit quelque
événement encore suspendu dans les astres va commencer son cours
terrible, et amener, par le traître coup d'une mort prématurée, le terme
de cette vie méprisée que je renferme en mon sein. Mais, que celui qui
gouverne ma course dirige ma voile! Allons, joyeux seigneurs.
BENVOLIO.--Battez, tambours.
(Ils sortent.)
SCÈNE V
Une salle de la maison de Capulet, garnie de musiciens.
_Entrent des_ DOMESTIQUES.
PREMIER DOMESTIQUE.--Où est Potpan, qu'il ne m'aide pas à desservir?
Lui, manier le tranchoir! jouer du tranchoir!
SECOND DOMESTIQUE.--Quand le bon air d'une maison est remis dans les
mains d'un ou deux hommes, et des mains sales encore, cela fait mal au
coeur[26].
[Note 26: _Tis a foul thing. A foul thing_ signifie une chose
_malpropre_ et une chose _fâcheuse, coupable_, etc.]
PREMIER DOMESTIQUE.--Emporte les pliants, dérange le buffet, aie
l'oeil à la vaisselle. Mon cher, mets de côté pour moi un morceau de
massepain[27]; et si tu veux me faire plaisir, tu diras au portier de
laisser entrer Suzanne Grindstone et Nell.--Antoine! Potpan!
[Note 27: Les massepains étaient alors d'énormes gâteaux, dont nos
_macarons_, dit l'un des commentateurs de Shakspeare ne sont qu'un
_diminutif dégénéré_.]
SECOND DOMESTIQUE.--Oui, mon garçon, nous voilà.
PREMIER DOMESTIQUE.--On a besoin de vous, on vous appelle, on vous
demande, on vous cherche dans la grande salle.
SECOND DOMESTIQUE.--Nous ne pouvons pas être ici et là en même temps.
Allons, gai, mes amis; soyons vifs un moment, et que celui qui vivra le
dernier emporte tout.
(Ils se retirent.)
(Entrent Capulet, les convives et les masques.)
CAPULET.--Cavaliers, soyez les bienvenus. Voilà des dames à qui les
cors ne font pas mal au pied, et qui vous donneront bien un tour
de danse.--Ah, ah! mesdames, laquelle de vous refusera de danser
maintenant? Celle qui fera la dégoûtée, je protesterai qu'elle a des
cors aux pieds. Est-ce là vous serrer de près?--Cavaliers, soyez les
bienvenus. J'ai vu le temps où je portais un masque aussi, et où je
pouvais conter mes histoires tout bas à l'oreille d'une belle dame,
et de manière à ne pas lui déplaire. Ce temps est passé; il est
passé, passé.--Vous êtes les bienvenus, cavaliers.--Allons, musiciens,
commencez. En cercle, en cercle, faites place; et vous, jeunes filles,
sautez. (_Les instruments jouent et l'on danse_.) Holà! valets, encore
des lumières, relevez les tables contre le mur; éteignez le feu, la
salle devient trop chaude.--Allons, mon cher, voilà un divertissement
imprévu qui ne prend pas mal. Asseyez-vous, asseyez-vous, bon cousin
Capulet; car vous et moi nous avons passé nos jours de danse. Combien
y a-t-il de temps que vous et moi nous avons porté un masque pour la
dernière fois?
SECOND CAPULET.--Par Notre-Dame, il y a trente ans.
CAPULET.--Comment donc, mon cher? il n'y a pas tant, il n'y a pas tant.
C'était à la noce de Lucentio: il y aura, vienne la Pentecôte quand elle
voudra, quelque vingt-cinq ans; nous y allâmes en masque.
SECOND CAPULET.--Il y a davantage, davantage: son fils est plus âgé que
cela; son fils a trente ans.
CAPULET.--Vous me direz cela, à moi? Il y a deux ans que son fils était
encore mineur.
ROMÉO.--Quelle est cette dame dont s'est enrichie la main de ce
cavalier?
UN DOMESTIQUE.--Je ne la connais pas, monsieur.
ROMÉO.--Oh! c'est d'elle que la flamme de ces flambeaux doit apprendre à
briller. Sa beauté près de ce visage semblable à la nuit ressemble à un
joyau attaché à l'oreille d'un Éthiopien: beauté trop brillante pour
les usages de la vie, trop précieuse pour la terre! Telle une blanche
colombe parmi les corbeaux, telle paraît cette dame auprès de ses
compagnes. Quand la danse aura cessé, j'observerai où elle se tient; et
je rendrai heureuse ma main téméraire en touchant la sienne. Mon coeur
a-t-il aimé jusqu'à ce moment? Protestez du contraire, mes yeux, car
jusqu'à cette nuit je n'avais jamais vu la véritable beauté.
TYBALT.--A sa voix, cet homme doit être un Montaigu. Garçon, donne-moi
ma rapière. Comment, ce misérable osera venir ici, caché sous un masque
grotesque, pour dénigrer et ridiculiser notre fête! Par la tige et
l'honneur de ma race, je ne crois pas pécher en lui donnant le coup de
la mort.
CAPULET.--Qu'est-ce que c'est, mon neveu? Pourquoi tempêtez-vous ainsi?
TYBALT.--Mon oncle, cet homme est un Montaigu, notre ennemi; un traître
qui est venu ici ce soir, en haine de nous, pour se moquer de notre
fête.
CAPULET.--Est-ce le jeune Roméo?
TYBALT.--C'est lui-même, ce traître de Roméo.
CAPULET.--Modère-toi, mon cher neveu; laisse-le en paix, il a l'air d'un
noble cavalier; et, pour dire la vérité, tout Vérone le vante comme un
jeune homme vertueux et d'une conduite honorable. Je ne voudrais pas,
pour tous les trésors de cette ville, lui faire ici, dans ma maison, la
moindre insulte. Sois donc patient, ne fais pas attention à lui: c'est
ma volonté; et si tu la respectes, tu prendras un visage gracieux et
quitteras cet air de mauvaise humeur qui sied mal dans une fête.
TYBALT.--Il sied très-bien quand un pareil traître devient votre
convive: je ne le souffrirai pas.
CAPULET.--Vous le souffrirez vraiment, mon petit ami! Je vous dis que
vous le souffrirez. Allons donc; est-ce moi qui suis le maître ici, ou
bien vous? Allons donc, vous ne le souffrirez pas? Dieu me pardonne!
vous allez mettre le trouble parmi mes hôtes, vous prendrez les airs
d'un coq sur son panier[28]! vous ferez le maître!....
[Note 28: _You will set cock-a-hoop_: un coq sur un cerceau.]
TYBALT.--Mais, mon oncle, c'est une honte....
CAPULET.--Allez, allez, vous êtes un jeune insolent.... Nous verrons
vraiment.... Cette farce pourrait bien vous tourner mal. Je sais ce que
je dis. Il faudra que vous veniez ici me contrarier! En vérité, vous
prenez bien votre temps.--A merveille, mes enfants.--Vous n'êtes qu'un
fat, allez; tenez-vous tranquille, ou....--Encore des lumières; encore
des lumières. N'avez-vous pas de honte?--Je vous forcerai bien à être
tranquille. Comment!--Allons, gai, mes enfants.
TYBALT.--Cette patience forcée, et la colère à laquelle je voudrais
m'abandonner, font, en se heurtant, trembler tout mon corps des assauts
qu'elles se livrent. Je m'en irai; mais cette intrusion qui semble douce
maintenant, se changera en fiel amer.
(Il sort.)
ROMÉO, _à Juliette_.--Si d'une main trop indigne j'ai profané la
sainteté de l'autel, voici la douce expiation de ma faute: mes lèvres,
pèlerins rougissants, sont prêtes à adoucir par un tendre baiser la rude
impression de ma main.
JULIETTE.--Bon pèlerin, vous faites injure à votre main, qui n'a montré
en ceci qu'une dévotion pleine de convenance; car les saints ont des
mains que peuvent toucher celles des pèlerins; et joindre les mains est
le baiser du pieux voyageur en terre sainte.
ROMÉO.--Les saints n'ont-ils pas des lèvres? et les pieux voyageurs
aussi?
JULIETTE.--Oui, pèlerin, des lèvres qu'ils doivent employer à prier.
ROMÉO.--Oh! s'il en est ainsi, chère sainte, permets aux lèvres de faire
l'office des mains: elles te prient, exauce leur prière, de peur que ma
foi ne se change en désespoir.
JULIETTE.--Les saints ne bougent pas, bien qu'ils exaucent la prière qui
leur est faite.
ROMÉO.--Alors ne bougez pas, tandis que je vais recueillir le fruit de
ma prière: ainsi vos lèvres auront purifié les miennes de leur péché.
(Il lui donne un baiser.)
JULIETTE.--Alors mes lèvres doivent avoir pris le péché dont elles ont
déchargé les vôtres.
ROMÉO.--Pris le péché de mes lèvres! ô faute doucement punie! Rendez-moi
mon péché.
JULIETTE.--Vous donnez des baisers avec méthode[29].
[Note 29: _By the book_.]
LA NOURRICE.--Madame, votre mère veut vous dire un mot.
ROMÉO.--Quelle est sa mère?
LA NOURRICE.--Vraiment, jeune homme; sa mère est la maîtresse de la
maison, et c'est une bonne dame, sage et vertueuse. J'ai nourri sa fille
avec qui vous causiez; et je dis que celui qui mettra la main dessus
aura du comptant.
ROMÉO.--C'est une Capulet!--Oh! qu'il va m'en coûter cher! ma vie est
engagée à mon ennemie.
BENVOLIO.--Allons, Roméo, partons, la fête est à son plus beau moment.
ROMÉO.--Oui, j'en ai peur, et mon tourment n'en est que plus grand.
CAPULET.--Arrêtez, cavaliers, ne songez pas encore à nous quitter: nous
avons là une ridicule petite collation sans cérémonie.--Vous le voulez
donc absolument? Allons, je vous remercie tous; je vous remercie,
honnêtes cavaliers; bonne nuit.--Encore des torches par là!--Allons,
allons donc chercher nos lits. Ah! par ma foi, mon cher (_au second
Capulet_), il se fait tard. Je vais aller me reposer.
(Ils sortent.)
JULIETTE.--Approche, nourrice; dis-moi, quel est ce cavalier?
LA NOURRICE.--C'est le fils et l'héritier du vieux Tibério.
JULIETTE.--Quel est celui qui sort actuellement?
LA NOURRICE.--Je crois, ma foi, que c'est le jeune Pétruccio.
JULIETTE.--Et celui qui le suit, qui ne voulait pas danser?
LA NOURRICE.--Je ne le connais pas.
JULIETTE.--Va, demande son nom.--S'il est marié, il est probable que mon
tombeau sera mon lit nuptial.
LA NOURRICE.--Son nom est Roméo: c'est un Montaigu, le fils unique de
votre grand ennemi.
JULIETTE.--Mon unique amour lié de l'unique objet de ma haine!....
Je l'ai vu trop tôt sans le connaître! et je l'ai connu trop tard!
O prodige de l'amour qui vient de naître en moi, que je sois forcée
d'aimer un ennemi détesté!
LA NOURRICE.--Qu'est-ce que c'est? qu'est-ce que c'est?
JULIETTE.--Un vers que je viens d'apprendre de quelqu'un avec qui j'ai
dansé.
(Une voix dans l'intérieur appelle Juliette.)
LA NOURRICE.--Tout à l'heure, tout à l'heure. (_A Juliette_.) Venez,
allons-nous-en; tous les étrangers sont partis.
(Elles sortent.)
(Entre le choeur.)
LE CHOEUR.--Une ancienne passion languit maintenant sur son lit de mort,
et de jeunes désirs soupirent après son héritage. Cette beauté pour qui
l'amour gémissait et demandait à mourir, comparée à la tendre Juliette,
a maintenant cessé d'être belle. Maintenant Roméo est aimé, et il aime à
son tour; la magie des regards a jeté sur eux le même charme. Cependant
il faut qu'il se plaigne à celle qu'il croit son ennemie, et qu'elle
dérobe sur de cruels hameçons le doux appât de l'Amour. Étant tenu pour
un ennemi, il ne pourra avoir accès près d'elle pour exprimer ces voeux
que les amants ont accoutumé de jurer; tandis qu'elle, aussi pressée
d'amour, aura bien moins de moyens encore de chercher à rencontrer celui
qu'elle aime depuis un moment, mais la passion leur prête sa puissance,
l'occasion leur fournira les moyens de se rapprocher, et tempérera leur
détresse par une douceur extrême.
(Il sort.)
FIN DU PREMIER ACTE.
ACTE DEUXIÈME
SCÈNE I
Un lieu ouvert touchant le jardin de Capulet.
_Entre_ ROMÉO.
ROMÉO.--Puis-je aller plus loin lorsque mon coeur est ici? Marche, terre
insensible, et retourne vers ton centre.
(Il escalade le mur et saute dans le jardin.)
(Entrent Benvolio et Mercutio.)
BENVOLIO.--Roméo! cousin Roméo!
MERCUTIO.--Il a fait sagement, et, sur ma vie, il s'est échappé pour
aller trouver son lit.
BENVOLIO.--Il a couru de ce côté, et a sauté par-dessus le mur de ce
verger. Appelle-le, bon Mercutio.
MERCUTIO.--Oui, et je vais même le conjurer.--Roméo! caprice! insensé!
passion! amant! apparais-nous sous la forme d'un soupir; dis-nous
seulement un vers, et je serai satisfait.--Crie-nous seulement un
_hélas!_ Fais seulement rimer _tendresse_ et _maîtresse_; dis quelques
mots de douceur à ma commère Vénus, un petit sobriquet à son fils et
héritier le jeune aveugle Adam Cupidon[30], qui tira si proprement quand
le roi Cophetua devint amoureux de la fille du mendiant[31].--Il ne
m'entend point, il ne bouge point, il ne remue point; il faut que ce
magot-là soit mort, et je vais l'évoquer.--Je te conjure par les yeux
brillants de Rosaline, par son front élevé, par l'incarnat de ses
lèvres, par son joli pied, par sa jambe bien faite, et tout ce qui
s'ensuit[32], de nous apparaître sous ta propre ressemblance.
[Note 30: _Adam Cupid_. Adam Bell était le nom d'un archer fameux auquel
on a dû supposer que Shakspeare voulait faire allusion. C'est ce qui a
engagé les critiques à adopter cette leçon à la place d'_Abraham Cupid_,
que portent les premières éditions.]
[Note 31: Allusion à un vers d'une ancienne ballade:
_The blinded boy that shoots so trim_,
(L'enfant aveugle qui tire si proprement). La ballade a pour titre:
_King Cophetua and the beggar maid_, et se trouve dans le recueil
intitulé _Relics of ancient english poetry_, rassemblé par le docteur
Percy.]
[Note 32:
_By her fine foot, straight leg, and quivering thigh_
_And the demesnes that there adjacent lie_.
]
BENVOLIO.--S'il t'entend, tu le fâcheras.
MERCUTIO.--Ce que je dis ne peut l'offenser; ce qui pourrait l'offenser
serait d'évoquer quelque esprit étrange dans le cercle de sa maîtresse,
et de l'y laisser jusqu'à ce qu'elle l'eût conjuré et fait rentrer
dans l'abîme; cela pourrait l'irriter; mon invocation est honnête et
obligeante, et je ne conjure au nom de sa maîtresse que pour le faire
apparaître.
BENVOLIO.--Viens, il se sera enfoncé sous ces arbres pour l'amour de la
nuit; ils sont faits l'un pour l'autre[33]: son amour est aveugle; les
ténèbres seules lui conviennent.
[Note 33: _To be consorted with the humorous night, humorous_ veut dire
ici _d'une humeur assortie à la sienne._]
MERCUTIO.--Quand l'amour est aveugle, il ne peut toucher le
but[34].--Roméo, je te souhaite une bonne nuit; moi, je vais gagner mon
alcôve. Ce lit de camp est trop froid pour que j'y puisse dormir.--Eh
bien! partons-nous?
[Note 34: Il a fallu passer ces cinq vers:
_Now will he sit under a medlar tree
And wish his mistress were that kind of fruit
As maid call medlars, when they laugh alone.
O Roméo, that she were, ah that she were
An open_ et cætera, _thou a propin pear._
Ces deux derniers vers, dont les commentateurs ne sont pas trop parvenus
à saisir le sens, leur ont cependant paru d'une telle indécence qu'ils
n'ont osé les insérer dans le texte, et les ont rejetés dans une note où
ils nous apprennent que _l'et cætera_ est l'indication d'une obscénité
encore plus grossière, l'usage, du temps de Shakspeare étant, lorsque
quelque expression prononcée sur la scène paraissait trop indécente pour
l'impression, de la suppléer par un _et cætera_.]
BENVOLIO.--Allons, car il serait fort inutile de le chercher ici,
puisqu'il ne veut pas qu'on le trouve.
(Ils sortent.)
SCÈNE II
Le jardin de Capulet.
_Entre_ ROMÉO.
ROMÉO.--Il se rit des cicatrices, celui qui n'a jamais reçu une
blessure. (_Juliette paraît à une fenêtre._)--Mais doucement! Quelle
lumière brille soudain à travers cette fenêtre? C'est l'Orient; Juliette
est le soleil.--Lève-toi, soleil de beauté; tue la lune jalouse, déjà
malade et pâle de douleur de ce que toi, sa servante, es bien plus belle
qu'elle. Ne sois pas sa servante, puisqu'elle est jalouse. La couleur
dont se revêtent ses vestales est une couleur malade et livide; on ne la
voit qu'aux imbéciles, rejette-la loin de toi. Oui, c'est ma dame;
oui, ce sont mes amours: oh! si elle pouvait savoir ce qu'elle est
pour moi!--Elle parle, et cependant elle ne fait entendre aucun son.
Qu'importe! ses yeux ont un langage; je veux leur répondre.--Je
suis trop téméraire; ce n'est pas à moi qu'elle parle. Deux des
plus brillantes étoiles du ciel, appelées ailleurs par quelque soin,
conjurent ses yeux de briller dans leur sphère jusqu'à leur retour. Mais
quoi? si ses yeux étaient au ciel, et que les étoiles fussent dans sa
tête, l'éclat de ses joues leur ferait honte comme le jour à une lampe;
et ses yeux, de la voûte du ciel, verseraient à travers les régions
éthérées des flots si brillants de lumière, que les oiseaux chanteraient
pensant qu'il n'est pas nuit!--Voyez comme elle appuie sa joue sur sa
main. Oh! que ne suis-je un gant placé sur cette main, pour toucher
cette joue!
JULIETTE.--Hélas!
ROMÉO.--Elle parle.--Oh! parle encore, ange radieux! car tu parais aussi
resplendissant au sein de cette nuit étendue sur ma tête qu'un messager
ailé du ciel, lorsqu'aux regard étonnés des mortels, qui, les yeux
élevés de tout leur effort, se renversent en arrière pour le contempler,
il fend le cours paresseux des nuages et vogue au sein des airs.
JULIETTE.--O Roméo! Roméo!--Pourquoi es-tu Roméo?--Renie ton père et
rejette ton nom; ou, si tu ne le veux pas, jure seulement de m'aimer, et
je cesse d'être une Capulet.
ROMÉO, _à part_.--Dois-je l'écouter plus longtemps, ou répondrai-je à
ceci?
JULIETTE.--Il n'y a que ton nom qui soit mon ennemi. Tu es toujours
toi-même, non un Montaigu. Qu'est-ce ce que c'est que Montaigu? Ce n'est
ni la main, ni le pied, ni le bras, ni le visage, ni aucune des autres
parties qui appartiennent à un homme. Oh! sois quelque autre chose. Qu'y
a-t-il dans un nom? Ce que nous appelons une rose, sous tout autre nom
sentirait aussi bon. Ainsi Roméo, ne se nommât-il plus Roméo, garderait
en perdant ce nom ses perfections chéries. Roméo, dépouille-toi de ton
nom; et pour ce nom, qui ne fait pas partie de toi-même, prends-moi tout
entière.
ROMÉO.--Je te prends au mot. Appelle-moi ton amant, et je reçois un
nouveau baptême, je cesse à jamais d'être Roméo.
JULIETTE.--Qui es-tu, toi qui, couvert par la nuit, viens ainsi
t'emparer de mes secrets?
ROMÉO.--Je ne sais de quel nom me servir pour t'apprendre qui je suis.
Mon nom, ô ma sainte chérie[35], m'est odieux, puisqu'il est pour toi
celui d'un ennemi. S'il était écrit, je le mettrais en pièces.
[Note 35: _Ma sainte_ était à cette époque le nom que les amants
donnaient le plus habituellement à leur maîtresse.]
JULIETTE.--Mon oreille n'a pas encore aspiré cent paroles prononcées par
cette voix, et cependant j'en reconnais les sons.--N'es-tu pas Roméo, un
Montaigu?
ROMÉO.--Ni l'un ni l'autre, ma charmante sainte, si l'un ou l'autre te
sont odieux.
JULIETTE.--Comment es-tu arrivé jusqu'ici, dis-le moi, et qu'y viens-tu
faire? Les murs du verger sont élevés et difficiles à escalader. Songe
qui tu es; ces lieux sont pour toi la mort si quelqu'un de mes parents
vient à t'y rencontrer.
ROMÉO.--Des ailes légères de l'amour j'ai volé sur le haut de ces
murailles; car des barrières de pierre ne peuvent exclure l'amour; et
tout ce que l'amour peut faire, l'amour ose le tenter: tes parents ne
sont donc point pour moi un obstacle.
JULIETTE.--S'ils te voient, ils te tueront.
ROMÉO.--Hélas! tes yeux sont pour moi bien plus dangereux que vingt de
leurs épées. Donne-moi seulement un doux regard, et je suis à l'épreuve
de leur inimitié.
JULIETTE.--Je ne voudrais pas pour le monde entier qu'ils te vissent
ici.
ROMÉO.--Le manteau de la nuit me dérobe à leurs regards. A moins que tu
ne m'aimes, laisse-les me surprendre: il me vaut mieux perdre la vie par
leur haine que mourir lentement sans ton amour.
JULIETTE.--Qui t'a appris à trouver ce lieu?
ROMÉO.--L'amour, qui m'a d'abord excité à le chercher: il m'a prêté son
intelligence, et je lui ai prêté mes yeux.--Je ne suis point un pilote;
mais fusses-tu aussi loin de moi que ce vaste rivage baigné des mers les
plus éloignées, pour un tel chargement j'aventurerais tout.
JULIETTE.--Tu le sais, la nuit étend son masque sur mon visage, sans
quoi ce que tu viens de m'entendre dire colorerait devant toi mes joues
de la rougeur qui convient à une jeune fille. Je voudrais bien pouvoir
conserver encore les apparences; je voudrais, je voudrais pouvoir nier
ce que j'ai dit. Mais, adieu tous ces compliments.--M'aimes-tu? Je sais
que tu vas me répondre _oui_, et j'en recevrai ta parole.... Cependant,
si tu le jures, tu peux devenir perfide: On dit que Jupiter se rit
des parjures des amants. O cher Roméo, si tu m'aimes, dis-le-moi
sincèrement; ou bien, si tu me trouves trop prompte à me rendre, je
prendrai un visage sévère, je me montrerai irritée, et je te dirai
_non_; et alors tu me feras la cour: mais autrement je n'en voudrais
rien faire pour le monde entier.--En vérité, beau Montaigu, je t'aime
trop, et tu peux trouver ma conduite légère. Mais crois-moi, cavalier,
tu me trouveras plus fidèle que celles qui ont plus que moi l'art de
déguiser. J'aurais été plus réservée, il faut que je l'avoue, si tu
n'avais entendu, avant que je pusse m'en apercevoir, les expressions
passionnées de mon sincère amour. Pardonne-moi donc, et n'impute point à
la légèreté de mon amour cette faiblesse que t'a découverte l'obscurité
de la nuit.
ROMÉO.--Madame, par cette heureuse lune qui touche d'une lueur argentée
les cimes de ces arbres fruitiers, je jure.....
JULIETTE.--Ah! ne jure point par la lune, l'inconstante lune, qui
chaque mois change la forme de son disque; de peur que ton amour ne soit
variable.
ROMÉO.--Par quoi jurerai-je?
JULIETTE.--Ne jure point du tout; ou si tu le veux, jure par ta personne
gracieuse, toi, le dieu de mon culte idolâtre, et je te croirai.
ROMÉO.--Si le cher amour de mon coeur.....
JULIETTE.--C'est bien; ne jure point. Bien que ma joie soit en toi, je
ne ressens point de joie cette nuit de notre engagement: il est trop
précipité, trop inconsidéré, trop soudain, trop semblable à l'éclair,
qui a cessé d'être avant qu'on ait pu dire: Il éclaire! Mon doux ami,
bonne nuit. Développé par l'haleine de l'été, ce bouton d'amour peut,
quand nous nous reverrons, être devenu belle fleur. Bonne nuit! bonne
nuit! Qu'un repos, un calme aussi doux que celui qui remplit mon sein
arrive à ton coeur!
ROMÉO.--Oh! me laisseras-tu si peu satisfait?
JULIETTE.--Et quelle satisfaction peux-tu obtenir cette nuit?
ROMÉO.--L'échange de tes fidèles serments d'amour contre les miens.
JULIETTE.--Je t'ai donné mon amour avant que tu l'eusses demandé, et je
voudrais être encore à te le donner.
ROMÉO.--Voudrais-tu me le retirer? et pourquoi, mon amour?
JULIETTE.--Seulement pour avoir le plaisir d'être franche avec toi, et
de te le donner de nouveau. Mais ce que je désire, je le possède déjà:
ma libéralité envers toi est sans bornes comme la mer; mon amour est
aussi profond: plus je te donne, et plus il me reste; car tous les deux
sont infinis.--J'entends du bruit là-dedans. Cher amour, adieu.
(_La nourrice appelle de l'intérieur._)--Tout à l'heure, bonne
nourrice.--Doux Montaigu, sois fidèle. Demeure un moment encore, je vais
revenir.
(Elle sort.)
ROMÉO.--O bienheureuse, bienheureuse nuit! Je crains, comme c'est la
nuit, que tout ceci ne soit un songe, trop doucement flatteur pour être
réel.
(Juliette reparaît à la fenêtre.)
JULIETTE.--Trois mots, cher Roméo, et puis bonne nuit pour tout de bon.
Si les vues de ton amour sont honorables, si le mariage est ton but,
fais-moi savoir demain matin, par quelqu'un que je trouverai le moyen de
t'envoyer, en quel lieu, en quel temps tu veux accomplir la cérémonie,
et j'irai mettre à tes pieds toute la fortune de ma vie, et je te
suivrai comme mon seigneur jusqu'au bout de l'univers.
LA NOURRICE, _dans la maison_.--Madame!
JULIETTE.--Je viens, tout à l'heure.--Mais si tes intentions ne sont pas
bonnes, je te conjure...
LA NOURRICE, _dans la maison_.--Madame!
JULIETTE.--Dans l'instant, je viens.--De cesser tes poursuites, et de me
laisser à ma douleur. Demain j'enverrai.
ROMÉO.--Que mon âme prospère.....
JULIETTE.--Mille fois bonne nuit.
(Elle sort.)
ROMÉO.--Mille fois mauvaise nuit, du moment où lui manque ta lumière!
l'Amour court vers l'amour, comme l'écolier loin de ses livres; mais
l'amour s'éloigne de l'Amour comme l'enfant retourne à l'école, les yeux
chargés de tristesse.
(Il se retire à pas lents.)
(Juliette revient encore à la fenêtre.)
JULIETTE.--St! Roméo! St!--Oh! que n'ai-je la voix du fauconnier pour
ramener cet aimable faucon! L'esclavage a la voix éteinte, il ne peut
parler haut; autrement je percerais les cavernes où se retire l'écho, et
je fatiguerais sa voix aérienne à répéter le nom de mon Roméo jusqu'à ce
que les sons en fussent plus affaiblis que les miens.
ROMÉO.--C'est mon âme qui m'appelle par mon nom! Oh! que les sons
argentins de la voix des amants portent, durant la nuit, une délicieuse
musique à l'oreille qui les attend!
JULIETTE.--Roméo!
ROMÉO.--Ma douce amie!
JULIETTE.--A quelle heure demain matin enverrai-je vers toi?
ROMÉO.--A neuf heures.
JULIETTE.--Je n'y manquerai pas: d'ici à ce moment il y a vingt
années..... J'ai oublié pourquoi je t'ai rappelé.
ROMÉO.--Laisse-moi demeurer ici jusqu'à ce que tu t'en souviennes.
JULIETTE.--Je l'oublierais pour te faire rester ici, et ne songerais
qu'au plaisir que me fait ta présence.
ROMÉO.--Et moi je veux rester avec toi pour te faire tout oublier, et
oublier moi-même toute autre demeure que celle-ci.
JULIETTE.--Le jour est prêt à poindre. Je voudrais que tu fusses parti;
mais pas plus loin de moi que l'oiseau d'un enfant capricieux, qui
le laisse sautiller à quelque distance de sa main, comme un pauvre
prisonnier retenu dans sa chaîne entortillée, puis d'un coup de son
fil de soie le retire vers lui, tant son amour lui plaint un moment de
liberté.
ROMÉO.--Je voudrais être ton oiseau!
JULIETTE.--Je le voudrais aussi, mon doux ami; cependant je te ferais
mourir à force de caresses.--Bonne nuit, bonne nuit! Se quitter est un
si doux chagrin, que je dirais bonne nuit jusqu'à ce qu'il fît jour.
(Elle sort.)
ROMÉO.--Que le sommeil descende sur tes yeux, et la paix dans ton coeur!
Que ne suis-je le sommeil et la paix, pour obtenir un si doux lieu
de repos!--Je vais chercher dans sa cellule mon père spirituel pour
implorer son assistance et lui apprendre mon heureuse chance.
(Il sort.)
SCÈNE III
La cellule de frère Laurence.
_Entre_ FRÈRE LAURENCE avec un panier.
FRÈRE LAURENCE.--Le matin, de ses yeux grisâtres, sourit sur le
front ténébreux de la nuit, rayant de traits de lumière les nuages de
l'orient. La Nuit au teint vergeté s'éloigne, en chancelant comme
un ivrogne, de la route du jour et des roues enflammées du char de
Titan[36]. Maintenant, avant que le Soleil ait avancé sur l'horizon son
oeil brûlant pour égayer le jour et sécher l'humide rosée de la nuit, il
faut que je remplisse l'osier de cette corbeille d'herbes malfaisantes
et de fleurs d'un suc précieux.--La terre, cette mère de la nature, est
aussi son tombeau; et le sépulcre de la mort renferme aussi le germe de
la vie. Nous trouvons des enfants de diverses sortes nés de ses flancs
et nourris sur son sein maternel, nombre d'entre eux excellent en
nombreuses vertus, aucun qui n'en possède quelques-unes, et cependant
tous différents. Quelle abondance de puissants bienfaits sont déposés
dans les plantes, les pierres, et dans leur véritable destination! car
il n'existe sur la terre rien de si méprisable que la terre n'en reçoive
quelque bienfait spécial, et rien de si bon qui, s'il est détourné de ce
légitime usage, infidèle à sa vraie source, ne se précipite dans
l'abus. Mal appliquée, la vertu même se change en vice; et le vice est
quelquefois purifié par l'action. Dans l'enveloppe naissante de
cette petite fleur, le poison a établi son séjour, et la médecine sa
puissance; offerte à l'odorat, elle le réveille et tous les sens à la
fois; si on la goûte, elle paralyse en même temps les sens et le coeur.
Ainsi, de même que dans les plantes, demeurent toujours en présence
dans le sein de l'homme deux ennemis en lutte, la grâce et la volonté
grossière; et là où domine le principe pervers, l'ulcère de la mort a
bientôt dévoré le germe vital.
[Note 36: _From forth day's path way, and Titan's fiery wheels_. On
a suivi la version des anciennes éditions adoptées par M. Malone, M.
Steevens a préféré celle des éditions modernes: _From forth day's path
way made by Titan's wheels_, parce que _from forth_ signifiant _hors_,
on peut s'écarter _hors du chemin_, et non pas _hors des roues_; mais de
pareilles irrégularités ne sont pas rares dans Shakspeare, et la version
la plus vraisemblable est toujours celle qui présente l'image la plus
complète et la plus suivie dans ses détails et ses conséquences: ainsi
la Nuit, représentée comme un ivrogne, doit, selon toute apparence,
chercher à s'écarter des roues du char qui la poursuit.]
(Entre Roméo.)
ROMÉO.--Bonjour, père.
FRÈRE LAURENCE.--_Benedicite_.--Quelle voix matinale me salue avec tant
de douceur?--Jeune fils, cela indique une tête malade de dire sitôt
bonjour à ton lit. Les soucis font sentinelle dans les yeux du
vieillard; et, au lieu qu'habitent les soucis, le sommeil ne reposera
plus. Mais le sommeil doré règne sur la couche où vient s'étendre la
jeunesse, la tête libre et les membres exempts de douleur. Ainsi donc,
c'est, je m'assure, quelque maladie qui t'a fait lever si matin; ou
bien, devinai-je juste, et notre Roméo ne serait-il pas entré cette nuit
dans son lit?
ROMÉO.--Cette dernière conjecture est la vraie, et mon repos n'en a été
que plus doux.
FRÈRE LAURENCE.--Dieu pardonne au péché! Étais-tu avec Rosaline?
ROMÉO.--Avec Rosaline? Non, mon père spirituel: j'ai oublié ce nom, et
les douleurs attachées à ce nom.
FRÈRE LAURENCE.--Tu es mon bon fils. Mais où donc as-tu été?
ROMÉO.--Je te le dirai sans me le faire redemander. J'ai été à une fête
chez mon ennemi, et là j'ai tout à coup reçu une blessure de quelqu'un
que j'ai blessé. Notre guérison à tous deux dépend de tes secours et de
ta sainte médecine; je ne ressens point de haine, saint homme, car tu le
vois, je te prie également en faveur de mon ennemi.
FRÈRE LAURENCE.--Parle simplement, mon bon fils, et va au but sans
détour: une confession vague ne reçoit qu'une absolution vague.
ROMÉO.--Sache donc clairement que la charmante fille du riche Capulet
est l'objet de mes plus chères amours; et de même que je lui ai donné
mon coeur, elle m'a donné le sien, et tout est conclu, sauf ce que tu
dois conclure par un saint mariage. Quand, où, comment nous nous sommes
vus, nous nous sommes parlés d'amour, nous avons échangé nos serments,
c'est ce que je te dirai avec le temps; mais ce que je te demande, c'est
de consentir à nous marier aujourd'hui.
FRÈRE LAURENCE.--Bienheureux saint François, quel changement est ceci?
Rosaline, que vous aimiez si chèrement, est-elle donc si promptement
abandonnée? L'amour des jeunes gens n'est pas véritablement dans le
coeur, il n'est que dans les yeux. _Jésus Maria!_ quelle abondance de
larmes a lavé tes joues pâles pour Rosaline! que d'eau salée prodiguée
en vain pour assaisonner un amour que tu ne goûteras pas! Le soleil
n'a pas encore éclairci le ciel chargé de tes soupirs; tes gémissements
passés résonnent encore à mon oreille vieillie; tiens, voilà encore sur
ta joue la trace d'une ancienne larme que tu n'as pas effacée. Si
jamais tu fus toi-même, si ces douleurs ont existé pour toi, toi et tes
douleurs, tout était pour Rosaline, et tu es changé! Prononce donc cet
arrêt: il est permis aux femmes de faillir, puisque les hommes manquent
de force.
ROMÉO.--Tu m'as souvent grondé d'aimer Rosaline.
FRÈRE LAURENCE.--D'idolâtrer, mon fils, non pas d'aimer.
ROMÉO.--Tu m'ordonnais d'ensevelir mon amour.
FRÈRE LAURENCE.--Non pas de mettre l'un en terre pour en faire sortir un
autre.
ROMÉO.--Je t'en prie, ne me gronde pas; celle que j'aime maintenant
me rend bonheur pour bonheur, m'accorde amour pour amour; l'autre n'en
usait pas ainsi.
FRÈRE LAURENCE.--Oh! qu'elle savait bien que ton amour lisait par coeur,
et ne savait pas épeler!--Viens, jeune inconstant, viens avec moi: un
motif m'engage à te secourir. Peut-être cette alliance sera-t-elle
assez heureuse pour changer en affection véritable la haine de vos deux
familles.
ROMÉO.--Oh! partons: je tiens à ce que nous nous hâtions au plus vite.
FRÈRE LAURENCE.--Sagement et lentement: qui court trébuche.
(Ils sortent.)
SCÈNE IV
Une rue de Vérone.
BENVOLIO, MERCUTIO.
MERCUTIO.--Où diable ce Roméo peut-il être? N'est-il pas rentré chez lui
cette nuit?
BENVOLIO.--Il n'est pas rentré chez son père; j'ai parlé à son
domestique.
MERCUTIO.--C'est toujours cette pâle cruelle, cette Rosaline, qui le
tourmente tant que pour sûr il deviendra fou.
BENVOLIO.--Tybalt, le neveu du vieux Capulet, a envoyé une lettre à la
maison de son père.
MERCUTIO.--C'est un cartel, sur ma vie.
BENVOLIO.--Roméo y répondra.
MERCUTIO.--Tout homme qui sait écrire peut répondre à une lettre.
BENVOLIO.--Mais il répondra à l'auteur de la lettre défi pour défi.
MERCUTIO.--Hélas! le pauvre Roméo! il est déjà mort; assassiné par les
yeux noirs d'une fille blanche, l'oreille traversée d'un chant d'amour,
le coeur percé au beau milieu par le trait du petit archer aveugle,
est-ce là un homme en état de faire tête à Tybalt?
BENVOLIO.--Quel homme est-ce donc que ce Tybalt?
MERCUTIO.--Autre chose que le roi des chats[37], je vous en réponds; le
plus fier champion de la courtoisie: il se bat comme vous chantez un air
sur la note; il garde les temps, la mesure, les distances; il prend le
repos d'une note noire, une, deux, et la troisième dans le corps; il
vous perce à mort un bouton de soie. Un duelliste, un duelliste; un
gentilhomme de la première main, ferme sur la première et la seconde
cause[38]: _Ah! la botte immortelle, le revers, le ha!_
[Note 37: On trouve dans de vieux contes un Tybalt, roi des chats.]
[Note 38: _A gentleman of the very first cause, of the first and second
cause._ Il y avait des livres où étaient traitées les règles du point
d'honneur, et les diverses causes de querelles, qu'on appelait la
première, la seconde, la troisième cause.]
BENVOLIO.--Que veux-tu dire?
MERCUTIO.--La peste soit de ces fats ridicules et prétentieux, avec leur
grasseyement et leur manière de changer la prononciation. Par Jésus!
_une excellente lame! un homme de fort belle taille! une très-bonne
créature[39]!_ N'est-ce pas, mon cher grand-père, une chose déplorable,
que nous soyons affligés de ces insectes étrangers, ces colporteurs de
nouvelles modes, ces _pardonnez-moi_, si attachés aux formes actuelles
qu'ils ne sauraient plus se trouver à l'aise sur nos vieux bancs? Ah!
leurs _os_, leurs os[40]!
[Note 39: _A very good whore._]
[Note 40: O _their_ bons! _their_ bons! et dans l'ancienne édition
_their bones! their bones_. Il est clair que Mercutio veut jouer sur
le mot _bones_ (os) et sur le mot français _bon_ employé par ceux qui
prétendaient aux belles manières.]