William Shakespear

Mesure pour mesure
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ISABELLE.--Je voudrais que le ciel m'eût donné votre pouvoir, et que
vous fussiez Isabelle. En serait-il de même alors? non. Je vous dirais
ce que c'est que d'être juge, et ce que c'est d'être prisonnier.

LUCIO, _à part_.--Bien; parlez de lui, c'est la corde sensible.

ANGELO.--Votre frère est condamné par la loi; vous perdez vos paroles.

ISABELLE.--Hélas! hélas! toutes les âmes qui ont existé ont été
condamnées, et le Dieu qui eût pu se venger avec le plus de justice a
trouvé un remède pour les sauver. Que seriez-vous si celui qui est le
suprême arbitre des jugements vous jugeait seulement comme vous êtes?
Oh! pensez à cela, et alors la clémence respirera entre vos lèvres, et
vous serez un homme nouveau.

ANGELO.--Cessez vos plaintes, belle jeune fille; c'est la loi, et non
pas moi, qui condamne votre frère: il serait mon parent, mon frère ou
mon fils, qu'il en serait de même pour lui; il faut qu'il meure demain.

ISABELLE.--Demain! oh! cela est bien prompt! Épargnez-le, épargnez-le;
il n'est pas préparé à la mort; même pour la cuisine nous tuons le
gibier dans sa saison: servirons-nous le ciel avec moins d'égard que
nous ne nous traitons nous-mêmes, grossières créatures? Mon bon, mon bon
seigneur, réfléchissez-y: qui est-ce qui est mort pour cette faute? Il y
a beaucoup de gens qui l'ont commise.

LUCIO.--Courage; bien dit.

ANGELO.--La loi, pour être endormie, n'était pas morte. Cette foule de
gens n'auraient pas osé commettre ce délit, si le premier qui a enfreint
la loi avait répondu de son action; maintenant la loi est éveillée, elle
observe ce qui se passe, et, telle qu'un devin, elle regarde dans
un cristal qui fait voir quels crimes futurs déjà existants, ou
nouvellement conçus, grâce à la tolérance, se préparaient à éclore et à
naître, et vont être étouffés, arrêtés dans leurs progrès, et finir là
où ils existent.

ISABELLE.--Et cependant prouvez quelque pitié.

ANGELO.--Je la prouve surtout en prouvant la justice, car alors
j'ai pitié d'hommes que je ne connais pas, et qu'un crime pardonné
aujourd'hui empoisonnerait dans la suite; je fais justice à un homme
qui, payant pour une action criminelle, ne vivra plus pour en commettre
une seconde. N'insistez plus: votre frère mourra demain; il faut vous
résigner.

ISABELLE.--Ainsi, il faut que vous soyez le premier qui prononciez cette
sentence, et lui le premier qui la subisse: oh! il est beau d'avoir la
force d'un géant; mais c'est une tyrannie d'en user comme un géant.

LUCIO.--Bien dit.

ISABELLE.--Si les grands de la terre pouvaient tonner comme Jupiter,
jamais Jupiter ne serait en paix; le plus pauvre petit officier
occuperait sans cesse son ciel à tonner; on n'entendrait que le
tonnerre.--Ciel miséricordieux! toi, tu fendras plutôt des traits
sulfureux de ta foudre le chêne noueux et rebelle à la cognée, que le
doux myrte; mais l'homme, l'homme orgueilleux, revêtu d'une autorité
d'un moment, lui qui connaît le moins ce dont il est le plus sûr, son
existence fragile comme le verre, il se plaît comme un singe en fureur
à des actions si extravagantes à la face du ciel, qu'il fait pleurer les
anges, qui, s'ils étaient sujets aux mêmes caprices que nous, riraient à
en devenir mortels.

LUCIO.--Oh! serrez-le de près, serrez-le de près, jeune fille, il
s'adoucira. Il se rend déjà; je m'en aperçois.

LE PRÉVÔT.--Prions le ciel qu'elle vienne à bout de le fléchir!

ISABELLE.--Nous ne pouvons nous peser dans la balance avec notre frère;
les grands ont le privilége de badiner avec les saints; c'est en eux
saillie d'esprit; chez leurs inférieurs, c'est une odieuse profanation.

LUCIO.--Vous êtes dans le bon chemin, jeune fille; appuyez.

ISABELLE.--Ce qui n'est qu'un mot d'humeur chez le général devient, dans
la bouche du soldat, un vrai blasphème.

LUCIO.--Où a-t-elle appris tout cela?--Encore.

ANGELO.--Pourquoi m'appliquez-vous ces adages?

ISABELLE.--Parce que l'autorité, quoique sujette à errer comme les
autres, porte avec elle une espèce de remède qui couvre le mal d'une
cicatrice. Descendez dans votre sein; frappez à la porte de votre coeur,
et demandez-lui quelle faute il se connaît qui ressemble à celle de mon
frère. S'il avoue un penchant naturel au crime dont il est coupable,
qu'il ne fasse donc pas retentir dans votre bouche un arrêt de mort
contre mon frère.

ANGELO, _à part_.--Elle parle, et avec tant de bon sens que mon bon sens
éclot en même temps. (_A Isabelle._) Adieu.

ISABELLE.--Cher seigneur, revenez.

ANGELO.--Je me consulterai.--Revenez demain.

ISABELLE.--Écoutez par quels moyens je veux vous corrompre: mon bon
seigneur, revenez.

ANGELO.--Que dites-vous, me corrompre?

ISABELLE.--Oui, par des dons que le ciel partagera avec vous.

LUCIO.--Autrement vous auriez tout gâté.

ISABELLE.--Ce n'est pas avec de vains sequins d'or éprouvé, ni avec
des pierres dont le taux est riche ou pauvre, selon la valeur que leur
attache la fantaisie; mais avec de fidèles prières qui s'élèveront vers
le ciel, et y entreront avant le lever du soleil; avec les prières des
âmes préservées de la corruption du monde, des vierges qui jeûnent, et
dont le coeur n'est consacré à rien de terrestre.

ANGELO.--Allons, revenez me voir demain.

LUCIO, _à part, à Isabelle_.--Retirez-vous, tout va bien: sortez.

ISABELLE.--Que le ciel veille sur la sûreté de Votre Honneur[20]!

[Note 20: Isabelle emploie le mot _honour_ pour dire _Votre Seigneurie,_
et le juge ramène ce mot à son premier sens.]

ANGELO, _à part_.--Ainsi soit-il; car je prends le chemin de la
tentation dont les prières préservent.

ISABELLE.--A quelle heure viendrai-je demain retrouver Votre Seigneurie?

ANGELO.--Quand vous voudrez, avant midi.

ISABELLE.--Le ciel préserve Votre Honneur!

(Elle sort avec Lucio.)

ANGELO.--De toi, et même de ta vertu!--Que veut dire ceci? Que veut dire
ceci? Est-ce sa faute ou la mienne? De la tentatrice ou de celui qui est
tenté, lequel pèche le plus? Ah! ce n'est pas elle; et ce n'est pas elle
qui me tente; c'est moi qui, exposé au soleil près de la violette, fais
comme la charogne plutôt que comme la fleur, et me corromps sous la
vertueuse influence de la saison. Se peut-il que la modestie soit plus
dangereuse à nos sens que la femme légère? Tandis que nous n'avons que
trop de terrain perdu, irons-nous raser le sanctuaire pour y établir nos
vices? Oh! fi! fi donc! Que fais-tu, ou qui es-tu, Angelo? Veux-tu
la convoiter criminellement pour ces mêmes avantages qui la rendent
vertueuse? Ah! que son frère vive! Les voleurs sont autorisés au
brigandage, lorsque leurs juges eux-mêmes volent. Quoi! est-ce que je
l'aime parce que je désire l'entendre parler encore, et me repaître
de la vue de ses yeux? A quoi rêvais-je donc? O ennemi rusé qui,
pour attraper un saint, amorce ton hameçon avec des saints! La plus
dangereuse des tentations est celle qui nous pousse au crime par les
attraits de la vertu: jamais la prostituée avec ses deux forces réunies,
l'art et la nature, n'a pu émouvoir une fois mes sens; mais cette fille
vertueuse me subjugue tout entier. Jusqu'à ce moment, quand je voyais
les autres aimer, je souriais, et m'étonnais de leur folie.

(Il sort.)


SCÈNE III

Une prison.

LE DUC _en habit de religieux_, LE PRÉVÔT.


LE DUC.--Salut, prévôt, car je crois que c'est ce que vous êtes.

LE PRÉVÔT.--Oui, je suis le prévôt: que désirez-vous, bon religieux?

LE DUC.--Contraint par ma charité, et par mon saint ordre, je viens
visiter les âmes affligées renfermées dans cette prison: accordez-moi le
droit ordinaire de me les laisser voir, et de m'informer de la nature
de leurs crimes, afin que je puisse leur administrer en conséquence mes
secours spirituels.

LE PRÉVÔT.--Je ferais davantage s'il en était besoin.

(Entre Juliette.)

Tenez, voici une de mes dames, une jeune fille, qui, tombant dans les
feux de sa jeunesse, a brûlé sa réputation: elle est enceinte, et le
père de son enfant est condamné à mort; un jeune homme plus propre à
commettre un second délit semblable qu'à mourir pour le premier.

LE DUC.--Quand doit-il mourir?

LE PRÉVÔT.--A ce que je crois, demain. (_A Juliette._) J'ai pourvu à vos
besoins: attendez un moment, et l'on vous conduira.

LE DUC, _à Juliette_.--Vous repentez-vous, belle enfant, du péché que
vous portez?

JULIETTE.--Oui, et j'en porte la honte avec patience.

LE DUC.--Je vous enseignerai les moyens d'examiner votre conscience,
et d'éprouver si votre pénitence est solide, ou si elle n'est que
superficielle.

JULIETTE.--Je l'apprendrai bien, volontiers.

LE DUC.--Aimez-vous l'homme qui vous a fait ce tort?

JULIETTE.--Oui, autant que j'aime la femme qui lui a fait tort.

LE DUC.--Ainsi, il paraît que c'est d'un consentement mutuel que votre
crime a été commis?

JULIETTE.--Oui, d'un consentement mutuel.

LE DUC.--Votre péché a donc été plus grand que le sien?

JULIETTE.--Je le confesse, et je m'en repens, mon père.

LE DUC.--Cela est bien juste, ma fille; mais prenez garde que vous ne
vous repentiez que parce que le péché vous a causé cette honte: cette
douleur n'est jamais que pour nous-mêmes, et non pour le ciel; elle
montre que si nous n'offensons pas le ciel, ce n'est point par amour,
mais uniquement par crainte.

JULIETTE.--Je me repens de ma faute, parce que c'est un péché, et j'en
accepte la honte avec joie.

LE DUC.--Persévérez là-dedans. Votre complice, à ce que j'entends dire,
doit mourir demain; je vais le visiter et lui donner mes conseils. Que
la grâce du ciel vous accompagne!--_Benedicite._

(Il sort en priant.)

JULIETTE.--Il doit mourir demain! ô injuste loi, qui me laisse une vie
dont toute la consolation est d'éprouver à chaque instant toutes les
horreurs de la mort!

LE PRÉVÔT.--C'est bien dommage qu'il en soit là!

(Ils sortent.)


SCÈNE IV

(Appartement dans la maison d'Angelo.)

_Entre_ ANGELO.


ANGELO.--Quand je veux méditer et prier, mes pensées et mes prières
s'égarent d'objet en objet: le ciel a de moi de vaines paroles, tandis
que mon imagination, sans écouter ma langue, est attachée sur Isabelle.
Le ciel est sur mes lèvres, comme si je ne faisais qu'en retourner le
nom dans ma bouche; et dans mon coeur croît la fatale passion qui le
remplit. L'État, dont j'étudiais les affaires, est comme un bon livre
qui, à force d'être relu souvent, n'inspire plus que l'aversion et
l'ennui; oui, je me sens capable (que personne ne m'entende!) de changer
ce grave ministère dont je suis fier pour une plume légère, vain
jouet de l'air. O dignité! ô pompe extérieure! qu'il t'arrive souvent
d'extorquer le respect des sots par tes vêtements et ton enveloppe, et
d'enchaîner les âmes plus sages à tes fausses apparences;--chair, tu
n'es que chair! Inscrivez, _bon ange_, sur la corne du diable, ce ne
sera plus le cimier du diable.

(Entre un valet.)

ANGELO.--Hé bien! qui est là?

LE VALET,--Une certaine Isabelle, une soeur, qui demande à vous parler.

ANGELO.--Montre-lui le chemin. (_Le valet sort._)--(_Seul._) O ciel!
pourquoi tout mon sang se reflue ainsi vers mon coeur, le rendant
inutile à lui-même, et privant tous mes autres organes du ressort qui
leur est nécessaire? Ainsi la foule insensée se presse autour d'un homme
qui s'évanouit; ils viennent tous pour le secourir, et interceptent
ainsi l'air qui le ranimerait; ainsi les sujets d'un monarque bien-aimé
oublient leur rôle, et poussés par une respectueuse affection, se
pressent en sa présence là où leur amour mal instruit va nécessairement
paraître une injure.

(Entre Isabelle.)

ANGELO.--Eh bien! belle jeune fille?

ISABELLE.--Je suis venue savoir votre bon plaisir.

ANGELO.--J'aimerais bien mieux que vous pussiez le deviner, que de me
demander de vous l'apprendre.--Votre frère ne peut vivre.

ISABELLE.--En est-il ainsi? Que le ciel conserve Votre Honneur! (Elle va
pour se retirer).

ANGELO.--Et cependant il peut vivre encore un temps, et il se pourrait
qu'il vécût aussi longtemps que vous, ou moi... Pourtant, il faut qu'il
meure.

ISABELLE.--Sur votre arrêt?

ANGELO.--Oui...

ISABELLE.--Quand? je vous en conjure, afin que, dans le répit qui lui
est accordé, plus long ou plus court, il puisse être préparé à sauver
son âme.

ANGELO.--Oh! malheur à ces vices honteux! il vaudrait autant pardonner à
celui qui vole à la nature un homme déjà formé, qu'à l'insolente volupté
de ceux qui jettent l'image du Créateur dans des moules prohibés par
le ciel: il n'est pas plus coupable de trancher perfidement une vie
légitimement formée, que de jeter du métal dans des vaisseaux défendus
pour créer une vie illégitime.

ISABELLE.--Telles sont les lois du ciel, mais non celles de la terre.

ANGELO.--Dites-vous cela? En ce cas, je vais bientôt vous embarrasser.
Lequel aimeriez-vous mieux, ou que la plus juste des lois ôtât en ce
moment la vie à votre frère, ou, pour racheter sa vie, de livrer votre
corps à la douce impureté, comme celle qu'il a déshonorée?

ISABELLE.--Seigneur, croyez-moi, j'aimerais mieux sacrifier mon corps
que mon âme.

ANGELO.--Je ne parle point de votre âme; les péchés que la nécessité
nous force de commettre, ne servent qu'à faire nombre, sans nous charger
davantage.

ISABELLE.--Comment dites-vous?

ANGELO.--Non, je ne puis pas garantir cela; car je pourrais donner des
raisons contre ce que je viens de dire. Répondez-moi à ceci:--moi, qui
suis la voix de la loi écrite, je prononce contre votre frère un arrêt
de mort: n'y aurait-il point de la charité dans un péché qui sauverait
la vie de ce frère?

ISABELLE.--Ah! daignez le faire: j'en prends le péril sur mon âme; ce ne
serait point un péché, mais un acte de charité.

ANGELO.--Si vous vouliez le faire vous-même au péril de votre âme, le
poids du péché et de la charité serait le même.

ISABELLE.--Oh! si demander la vie de mon frère est un péché, ciel,
fais-m'en porter tout le poids! et si c'est en vous un péché que de
céder à ma sollicitation, tous les matins je prierai le ciel que cette
faute soit ajoutée aux miennes et que vous n'ayez à en répondre en rien.

ANGELO.--Non. Écoutez-moi: votre idée ne suit pas le sens de la mienne;
ou vous êtes ignorante, ou vous affectez de l'être par ruse, et ce n'est
pas bien.

ISABELLE.--Que je sois ignorante et pleine de défauts en tout, pourvu du
moins que je sache que je ne vaux pas mieux.

ANGELO.--Ainsi la sagesse cherche à briller davantage, en s'accusant
elle-même: comme les masques noirs proclament la beauté qu'ils cachent,
dix fois plus haut que ne pourrait le faire la beauté à découvert.--Mais
écoutez-moi bien; pour être bien compris, je vais parler plus nettement:
votre frère doit mourir.

ISABELLE.--Oui.

ANGELO.--Et son délit est tel qu'il doit subir la peine imposée par la
loi.

ISABELLE.--Cela est vrai.

ANGELO.--Supposez qu'il n'y ait point d'autre moyen de sauver sa
vie (bien que je ne consente pas à ce moyen, ni à aucun autre; c'est
uniquement par forme de conversation), si ce n'est celui-ci, que vous,
sa soeur, inspirant des désirs à quelque homme, dont le crédit auprès du
juge, ou sa propre dignité, pourrait délivrer votre frère des entraves
de la toute-puissante loi, supposez, dis-je, qu'il n'y eût point d'autre
moyen humain de le sauver, mais qu'il fallût, ou livrer les trésors
de votre corps à cet homme que nous supposons, ou laisser souffrir le
coupable, que feriez-vous?

ISABELLE.--Je ferais pour mon pauvre frère tout ce que je ferais pour
moi-même: je veux dire, que si j'étais condamnée à la mort, je
porterais les marques douloureuses du fouet, comme des rubis, et je
me déshabillerais pour aller à la mort, comme vers un lit que j'aurais
désiré à en devenir malade, plutôt que de céder mon corps au déshonneur.

ANGELO.--En ce cas, votre frère mourrait?

ISABELLE.--Et ce serait le parti le plus doux; il vaudrait mieux qu'un
frère mourût une fois, que si une soeur, pour racheter sa vie, mourait
éternellement.

ANGELO.--Et ne seriez-vous pas alors aussi cruelle que la sentence
contre laquelle vous vous êtes tant récriée?

ISABELLE.--L'ignominie pour rançon et un libre pardon ne sont pas de la
même famille: une miséricorde légitime ne ressemble en rien à un rachat
honteux.

ANGELO.--Vous paraissiez tout à l'heure voir dans la loi un tyran, et
vous cherchiez à prouver que la faute de votre frère était plutôt une
folie qu'un vice.

ISABELLE.--Ah! pardonnez-moi, seigneur; il advient souvent que, pour
obtenir ce que nous souhaitons, nous ne disons pas tout ce que nous
pensons; j'excuse un peu le vice que j'abhorre en faveur de l'homme que
j'aime tendrement.

ANGELO.--Nous sommes tous fragiles.

ISABELLE.--Que mon frère meure s'il n'est point feudataire d'une
servitude commune, mais seul héritier et possesseur de la faiblesse.

ANGELO.--Et les femmes sont fragiles aussi.

ISABELLE.--Oui, comme la glace où elles se mirent, et qui se brise aussi
facilement qu'elle réfléchit leur visage. Les femmes! que le ciel leur
vienne en aide! Les hommes dérogent de leur origine en profitant de leur
faiblesse. Oui, appelez-nous dix fois fragiles: car nous sommes aussi
tendres que l'est notre constitution, et susceptibles de fausses
impressions.

ANGELO.--Je le pense comme vous; et, d'après ce témoignage rendu à votre
propre sexe, permettez que je m'explique avec plus de hardiesse; puisque
je suppose que nous ne sommes pas faits pour avoir une force à l'épreuve
de toutes les fautes. Je vous prends par vos propres paroles: soyez ce
que vous êtes, c'est-à-dire une femme. Si vous êtes plus, vous n'êtes
plus une femme; si vous en êtes une (comme l'annoncent visiblement
toutes les garanties extérieures), montrez-le en ce moment, en revêtant
ce costume qui vous est destiné.

ISABELLE.--Je ne sais qu'un langage: mon bon seigneur, je vous en
supplie, parlez-moi comme vous faisiez d'abord.

ANGELO.--Comprenez-moi nettement... je vous aime.

ISABELLE.--Mon frère aimait Juliette, et vous me dites qu'il faut qu'il
meure pour cela.

ANGELO.--Il ne mourra point, Isabelle, si vous m'accordez votre amour.

ISABELLE.--Je sais que votre vertu a le privilége de feindre une
apparence de vice pour surprendre les autres.

ANGELO.--Croyez-moi, sur mon honneur: mes paroles expriment ma pensée.

ISABELLE.--Ah! c'est bien peu d'honneur pour qu'on y croie beaucoup.
Pernicieuse pensée! Hypocrisie, hypocrisie!--Je te dénoncerai tout haut,
Angelo; prends-y bien garde: signe-moi tout à l'heure le pardon de mon
frère, ou je vais, à gorge déployée, publier devant l'univers quel homme
tu es.

ANGELO.--Qui te croira, Isabelle? Mon nom sans tache, l'austérité de ma
vie, mon témoignage contre toi, et mon rang dans l'État, auront tant de
prépondérance sur ton accusation, que tu seras étouffée sous ton propre
rapport, et taxée de calomnie. J'ai commencé, et maintenant je lâche la
bride à ma passion: donne ton consentement à mes violents désirs; écarte
tout scrupule, et ces rougeurs fatigantes qui repoussent ce qu'elles
convoitent. Rachète ton frère, en livrant ton corps à mon bon plaisir;
autrement, non-seulement il mourra de mort, mais ta cruauté prolongera
sa mort par de longs tourments. Donne-moi ta réponse demain, ou, j'en
jure par la passion qui me domine à présent, je me montrerai un tyran
à son égard. Quant à tes menaces, dis ce que tu voudras; mes mensonges
auront plus de crédit que tes vérités.

(Il sort.)

ISABELLE _seule_.--A qui irai-je porter mes plaintes? Si je redisais
ceci, qui me croirait? O bouches funestes, qui portent une seule et même
langue pour condamner et pour absoudre; forçant la loi à se plier à leur
volonté, attachant le juste et l'injuste à leur passion, pour la suivre
là où elle va. Je vais aller trouver mon frère; quoiqu'il ait succombé
par l'ardeur du sang, cependant il possède une âme si pleine d'honneur
que, quand il aurait vingt têtes à placer sur vingt billots sanglants,
il les donnerait toutes, plutôt que de permettre que sa soeur livrât son
corps à une si détestable profanation. Allons, Isabelle, vis chaste; et
toi, mon frère, meurs. Notre chasteté est plus précieuse qu'un frère. Je
vais pourtant l'instruire de la proposition d'Angelo, et le préparer à
la mort pour le bien de son âme.

(Elle sort.)

FIN DU SECOND ACTE.




                           ACTE TROISIÈME


SCÈNE I

La prison.

LE DUC, CLAUDIO, LE PRÉVÔT.


LE DUC.--Ainsi, vous espérez donc obtenir votre grâce du seigneur
Angelo?

CLAUDIO.--Les malheureux n'ont d'autre remède que l'espérance: j'ai
l'espérance de vivre, et je suis prêt à mourir.

LE DUC.--Soyez déterminé à la mort, et soit la vie, soit la mort, vous
en paraîtront plus douces. Raisonnez ainsi avec la vie: si je te perds,
je perds une chose qui n'est estimée que des insensés. Tu n'es qu'un
souffle, soumis à toutes les influences de l'atmosphère, affligeant à
toute heure le corps que tu habites; tu n'es que le jouet de la mort;
tu travailles à l'éviter par la fuite et tu cours te précipiter dans
ses bras. Homme! tu n'as rien de noble; car tous les avantages que tu
possèdes sont nourris de tout ce qu'il y a de plus bas[21]: tu n'as en
toi nul courage; car tu crains jusqu'au faible dard fourchu[22] d'un
pauvre ver: ton meilleur repos c'est le sommeil; aussi tu le recherches
souvent, et pourtant tu crains sottement la mort, qui n'est rien de
plus[23]! Tu n'es jamais toi-même tu n'existes que par des milliers de
graines sorties de la poussière: tu n'es pas heureux; car ce que tu
n'as pas, tu cherches sans cesse à l'obtenir; et ce que tu possèdes tu
l'oublies: tu n'es jamais fixé, car ta nature suit les étranges caprices
de la lune. Si tu es riche, tu es pauvre: semblable à l'âne dont
l'échine courbe sous les lingots, tu ne portes tes pesantes richesses
que pendant une journée de marche, et la mort vient te décharger. Tu
n'as point d'ami; le fruit de tes propres entrailles, qui te nomme son
père, la substance émanée de tes reins, maudit la goutte, les dartres
et le catarrhe qui ne t'achèvent pas assez vite à son gré: tu n'as ni
jeunesse ni vieillesse, mais seulement pour ainsi dire un sommeil de
l'après-dînée, dont les rêves participent de l'un et de l'autre. Ton
heureuse jeunesse s'assimile à la vieillesse, et demande l'aumône aux
vieillards paralytiques; lorsque tu es vieux et riche, tu n'as plus ni
chaleur, ni affections, ni membres, ni beauté, pour jouir agréablement
de tes trésors. Qu'y a-t-il encore dans ce qu'on appelle la vie? Il y a
encore dans cette vie mille morts cachées: et nous craignons la mort qui
met un terme à toutes ces chances!

[Note 21: Toutes les délicatesses de la table remontent au fumier.]

[Note 22: Opinion fausse du vulgaire sur la forme et le venin de la
langue du serpent.]

[Note 23: _Habes somnum imaginem mortis, eamque quotidiè induis, et
dubitas an sensus in morte nullus sit cùm in ejus simulacro videas esse
nullum sensum._ (CICÉRON.)]

CLAUDIO.--Je vous remercie humblement. Je vois que demander à vivre
c'est chercher à mourir, et qu'en cherchant la mort on trouve la vie:
qu'elle vienne donc!

(Entre Isabelle.)

ISABELLE.--Y a-t-il quelqu'un? La paix soit dans ces lieux, et la grâce
céleste, et une bonne compagnie!

LE PRÉVÔT.--Qui est là? Entrez: ce souhait seul mérite un bon accueil.

LE DUC.--Cher Claudio, avant peu je reviendrai vous voir.

CLAUDIO.--Je vous remercie, saint religieux.

ISABELLE, _au prévôt_.--J'ai un mot ou deux à dire à Claudio: voilà ce
que j'ai à faire.

LE PRÉVÔT.--Et vous êtes la bienvenue.--(_A Claudio._) Tenez, seigneur,
voilà votre soeur.

LE DUC.--Prévôt, un mot, s'il vous plaît.

LE PRÉVÔT.--Autant qu'il vous plaira.

LE DUC.--Amenez-les pour causer dans un endroit où je puisse être caché
et les entendre.

(Le duc sort avec le prévôt, et assiste, invisible, à la suite de cette
scène.)

CLAUDIO.--Eh bien! ma soeur, quelle consolation m'apportes-tu?

ISABELLE.--Comme sont toutes les consolations, fort bonne en vérité. Le
seigneur Angelo, ayant des affaires dans le ciel, te choisit pour les
y porter comme son ambassadeur, et pour y être son résident éternel.
Ainsi, hâte-toi de faire tous tes préparatifs; tu pars demain.

CLAUDIO.--N'y a-t-il donc point de remède?

ISABELLE.--Point d'autre que celui de fendre un coeur en deux pour
sauver une tête.

CLAUDIO.--Mais, y a-t-il quelque remède?

ISABELLE.--Oui, mon frère, tu peux vivre; il est dans le coeur de ton
juge une miséricorde infernale: si tu veux l'implorer, elle sauvera ta
vie; mais elle t'enchaînera jusqu'à la mort.

CLAUDIO.--Une prison perpétuelle?

ISABELLE.--Oui, précisément, une prison perpétuelle: tu resterais
attaché à un point fixe, quand tu aurais tout l'espace de l'univers à ta
disposition.

CLAUDIO.--Mais de quelle nature?...

ISABELLE.--D'une nature, si tu y consentais jamais, à dépouiller de son
écorce l'arbre de ton honneur, et à te laisser nu.

CLAUDIO.--Fais-moi connaître ce moyen.

ISABELLE.--Oh! je te crains, Claudio, je tremble que tu ne veuilles
conserver une vie maladive, et que tu n'attaches plus de prix à six
ou sept hivers de plus, qu'à un honneur éternel. Oses-tu mourir? Le
sentiment de la mort est surtout dans la crainte, et le malheureux
insecte que nous foulons aux pieds éprouve des angoisses corporelles
aussi cruelles qu'un géant en ressent pour mourir.

CLAUDIO.--Peux-tu me faire cet outrage? Me crois-tu si faible que je
sois incapable d'une résolution courageuse? S'il faut que je meure,
j'irai au-devant de la mort, comme au-devant d'une fiancée, et je la
serrerai dans mes bras.

ISABELLE.--C'est mon frère qui vient de parler; cette voix est sortie
du tombeau de mon père.--Oui, tu dois mourir: tu es trop généreux pour
conserver une vie au prix de viles sollicitations. Ce ministre, avec un
air de sainteté, dont la grave parole et le visage composé atterrent
la jeunesse, et font trembler la folie, comme le faucon la perdrix; eh
bien! c'est un démon; si l'on retirait toute la fange qui le remplit, il
nous paraîtrait un abîme aussi profond que l'enfer.

CLAUDIO.--Le seigneur Angelo?

ISABELLE.--Oh! il porte la trompeuse livrée de l'enfer, qui se plaît
à revêtir un corps de réprouvé d'ornements majestueux.--Croiras-tu,
Claudio, que si je lui livrais ma virginité, tu pourrais être sauvé?

CLAUDIO.--O ciel! cela n'est pas possible.

ISABELLE.--Oui, au prix de ce crime détestable, il te donnerait la
liberté de l'offenser encore. Cette nuit même est le moment où je
devrais faire ce que j'ai horreur de nommer; autrement tu meurs demain.

CLAUDIO.--Tu ne le feras pas.

ISABELLE.--Oh! si ce n'était que ma vie, je la jetterais, pour te
sauver, avec autant d'indifférence qu'une épingle.

CLAUDIO.--Merci, chère Isabelle.

ISABELLE.--Tiens-toi prêt, Claudio, à mourir demain.

CLAUDIO.--Oui.--Mais quoi! a-t-il donc en lui des passions qui puissent
lui faire ainsi mordre la loi au nez?... Quand il voudrait la violer?...
sûrement ce n'est pas un péché, ou, des sept péchés capitaux, celui-là
est le moindre.

ISABELLE.--Quel est le moindre?

CLAUDIO.--Si c'était un péché damnable, lui qui est si sage voudrait-il,
pour le plaisir d'un moment, s'exposer à une peine éternelle? O
Isabelle!

ISABELLE.--Que dit mon frère?

CLAUDIO.--Que la mort est une chose terrible.

ISABELLE.--Et une vie sans honneur, une chose haïssable.

CLAUDIO.--Oui; mais mourir, et aller on ne sait où; être gisant dans
une froide tombe, et y pourrir; perdre cette chaleur vitale et douée de
sentiment, pour devenir une argile pétrie; tandis que l'âme accoutumée
ici-bas à la jouissance se baignera dans les flots brûlants, ou habitera
dans les régions d'une glace épaisse,--emprisonnée dans les vents
invisibles, pour être emportée violemment et sans relâche par les
ouragans autour de ce globe suspendu dans l'espace, ou pour subir un
sort plus affreux que le plus affreux de ceux que la pensée errante et
incertaine imagine avec un cri d'épouvante; oh! cela est trop horrible.
La vie de ce monde la plus pénible et la plus odieuse que la vieillesse,
ou la misère, ou la douleur, ou la prison puissent imposer à la nature,
est encore un paradis auprès de tout ce que nous appréhendons de la
mort.

ISABELLE.--Hélas! hélas!

CLAUDIO.--Chère soeur, que je vive! Le péché que tu commets pour sauver
la vie d'un frère est tellement excusé par la nature qu'il devient
vertu.

ISABELLE.--O brute sauvage! ô lâche sans foi! ô malheureux sans honneur!
veux-tu donc vivre par mon crime? N'est-ce pas une espèce d'inceste que
de recevoir la vie du déshonneur de ta propre soeur? Que dois-je penser?
Que le ciel m'en préserve! Je croirais que ma mère s'est jouée de mon
père; car un rejeton si sauvage et si dégénéré n'est jamais sorti de son
sang. Reçois mon refus: meurs, péris! Il ne faudrait que me baisser pour
te racheter de ta destinée, que je te la laisserais subir: je ferais
mille prières pour demander ta mort, et je ne dirais pas un mot pour te
sauver.

CLAUDIO.--Ah! écoute-moi, Isabelle.

(Le duc rentre.)

ISABELLE.--Oh! fi! fi! fi donc! oh! c'est une honte! Ta faute n'est pas
accidentelle, c'est une habitude: la pitié qui serait émue pour toi se
prostituerait: il vaut mieux que tu meures au plus tôt!

CLAUDIO.--Ah! daigne m'écouter, Isabelle.

LE DUC.--Accordez-moi un mot, jeune soeur, un seul mot.

ISABELLE.--Que me voulez-vous?

LE DUC.--Si vous pouviez disposer de quelques moments de loisir, je
désirerais avoir tout à l'heure avec vous un instant d'entretien, et la
complaisance que je vous demande vous sera aussi utile.

ISABELLE.--Je n'ai pas de loisir superflu: le temps que je passerai
ici sera volé à mes autres affaires; mais je veux bien vous écouter un
moment.

LE DUC, _à part, à Claudio_.--Mon fils, j'ai entendu tout ce qui s'est
passé entre vous et votre soeur. Jamais Angelo n'a eu le projet de la
séduire; il n'a voulu que faire l'épreuve de sa vertu, pour exercer
son jugement sur la nature des caractères; elle, qui a dans son âme le
véritable honneur, lui a fait ce noble refus qu'il a été fort aise de
recevoir. Je suis le confesseur d'Angelo, et je suis instruit de la
vérité de ce que je vous dis: ainsi préparez-vous à la mort: ne vous
reposez point avec satisfaction sur de vaines espérances qui vous
trompent: il vous faut mourir demain; à genoux donc et préparez-vous.

CLAUDIO.--Laissez-moi demander pardon à ma soeur. Je suis si dégoûté de
la vie, que je veux prier qu'on m'en débarrasse.

LE DUC.--Restez-en là. Adieu.

(Claudio sort.)

(Le prévôt rentre.)

LE DUC.--Prévôt, un mot.

LE PRÉVÔT.--Que demandez-vous, mon père?

LE DUC.--Que maintenant que vous voilà, vous vous en alliez: laissez-moi
un instant avec cette jeune fille: mes intentions, d'accord avec
mon habit, vous sont garants qu'elle ne court aucun risque dans ma
compagnie.

LE PRÉVÔT.--A la bonne heure.

(Le prévôt sort.)

LE DUC.--La main qui vous a fait belle vous a aussi fait vertueuse: la
beauté qui fait bon marché de sa vertu, se flétrit bientôt en cessant
d'être honnête: mais la pudeur, qui est l'âme de votre personne,
conservera à jamais votre beauté. Le hasard a amené à ma connaissance
l'attaque qu'Angelo vous a faite; et sans les exemples que nous avons de
la fragilité de l'homme, je m'étonnerais beaucoup d'Angelo. Comment vous
y prendriez-vous pour satisfaire ce ministre et pour sauver votre frère?

ISABELLE.--Je vais, dans ce moment même, résoudre ces doutes: j'aimerais
mieux que mon frère subît la mort à laquelle le condamne la loi, que
d'être mère d'un fils illégitime. Mais hélas! combien le bon duc est
trompé par Angelo! Si jamais il revient et que je puisse lui parler, ou
je perdrai mes paroles ou je démasquerai son ministre.

LE DUC.--Cela ne sera pas mal fait: cependant, au point où en sont
encore les choses, il éludera votre accusation. Il n'a fait que vous
éprouver: ainsi, prêtez bien l'oreille à mes avis: l'envie que j'ai
de faire le bien m'offre un remède. Je me persuade à moi-même que vous
pouvez, sans blesser l'honnêteté, rendre un service important à une
dame malheureuse qui en est digne, conserver sans tache votre aimable
personne, et plaire infiniment au duc absent, si jamais il revient et
qu'il soit instruit de cette affaire.

ISABELLE.--Découvrez-moi votre pensée; je me sens le courage de faire
tout ce qui ne me paraîtra pas mal dans la sincérité de mon âme.

LE DUC.--La vertu est pleine d'intrépidité, et la pureté ne connaît
pas la crainte. N'avez-vous pas ouï parler de Marianne, la soeur de
Frédéric, ce guerrier fameux qui a fait naufrage?

ISABELLE.--J'ai entendu nommer cette dame, et l'on parle bien d'elle.

LE DUC.--Eh bien! cet Angelo devait l'épouser; il lui avait été fiancé
avec serment. Dans l'intervalle du contrat à la célébration du mariage,
son frère Frédéric a fait naufrage sur la mer, et le vaisseau qui a péri
portait la dot de sa soeur. Mais remarquez quel malheur cet accident
a produit pour cette pauvre dame; elle perd du même coup un brave
et illustre frère, qui avait toujours eu pour elle la plus grande
tendresse, et avec lui le nerf de sa fortune, sa dot de mariage; et
par suite de ces pertes, le mari qui lui était fiancé, cet hypocrite
d'Angelo.

ISABELLE.--Est-il possible? Quoi! Angelo l'a ainsi délaissée?

LE DUC.--Il l'a laissée dans les larmes; il n'en a pas essuyé une seule
par ses consolations; il a avalé ses serments d'un seul coup, prétendant
avoir fait sur elle des découvertes contre son honneur; en un mot, il
l'a abandonnée à ses gémissements, qu'elle pousse encore actuellement
pour l'amour de lui; et lui, de marbre pour ses pleurs, il en est
arrosé, mais non pas amolli.

ISABELLE.--Quel mérite aurait donc la mort d'enlever cette pauvre
fille du monde! Quelle corruption dans la vie, de laisser vivre ce
perfide!--Mais, quel avantage peut-elle tirer de tout ceci?

LE DUC.--C'est une rupture qu'il vous est aisé de renouer; et en la
guérissant vous sauvez non-seulement votre frère, mais vous vous gardez
du déshonneur.

ISABELLE.--Montrez-moi comment, mon bon père.

LE DUC.--Cette jeune fille que je viens de vous nommer conserve toujours
dans son coeur sa première inclination, et l'injuste et cruel procédé
d'Angelo, qui selon toute raison aurait dû éteindre son amour, n'a fait,
comme un obstacle dans le courant, que le rendre plus violent et plus
impétueux. Retournez vers Angelo; répondez à sa proposition avec une
obéissance qui le satisfasse; accordez-vous avec lui dans toutes ses
demandes à ce sujet, et ne réservez pour vous que ces conditions:
d'abord que vous ne resterez pas longtemps avec lui; ensuite qu'il
choisisse l'heure de la nuit et du plus profond silence, et un lieu
convenable: ceci convenu, voici le reste: nous conseillons à cette fille
outragée de se servir de votre rendez-vous et d'aller le trouver à votre
place. Si le secret de leur entrevue vient à se dévoiler dans la suite,
cette découverte pourra le déterminer à la récompenser; et par là, votre
frère est sauvé, votre honneur reste intact, la malheureuse Marianne
trouve son avantage, et ce ministre corrompu est votre dupe. Je me
charge d'instruire la jeune fille, et de la préparer à son entreprise.
Si vous avez soin de conduire ceci, le double avantage qui en résultera
absoudra cette ruse de tout reproche. Qu'en pensez-vous?

ISABELLE.--L'idée m'en satisfait déjà, et j'ai confiance qu'elle pourra
conduire à une heureuse issue.

LE DUC.--Le succès dépend beaucoup de votre adresse: hâtez-vous d'aller
trouver Angelo; s'il vous demande de partager son lit cette nuit,
promettez-lui de le satisfaire. Je vais à l'instant à Saint-Luc: c'est
là que dans une ferme solitaire demeure la triste Marianne; venez m'y
trouver, et terminez promptement avec Angelo, afin de ne pas tarder à me
rejoindre.

ISABELLE.--Je vous rends grâce de ces consolations. Adieu, bon père.

(Ils sortent de différents côtés.)


SCÈNE II

Une rue devant la prison.

_Entrent_ LE DUC, _toujours en habit de religieux_, LE COUDE, LE
BOUFFON, ET DES OFFICIERS DE JUSTICE.


LE COUDE.--Allons, s'il n'y a pas de remède, et qu'il faille absolument
que vous vendiez et achetiez les hommes et les femmes comme des
bestiaux, il faudra donc que tout le monde s'abreuve de bâtard rouge et
blanc[24].

[Note 24: Espèce de vin doux. Expression amphibologique pour dire qu'on
n'aura plus qu'une famille de bâtards.]

LE DUC.--O ciel! Quelle est cette espèce?

LE BOUFFON.--Il n'y a jamais eu de joie dans le monde, depuis que, de
deux usuriers, le plus joyeux a été ruiné; et le pire des deux a reçu,
par ordre de la loi, une robe fourrée pour le tenir chaud, et fourrée
de peaux de renard et d'agneau, pour signifier que la fraude, étant plus
riche que l'innocence, sert pour les parements.

LE COUDE.--Allez votre chemin, monsieur.--Dieu vous garde, bon
Père-Frère.

LE DUC.--Et vous aussi, bon Frère-Père. Quelle offense cet homme vous
a-t-il faite?

LE COUDE.--Vraiment, mon père, il a offensé la loi; et voyez-vous,
monsieur, nous le croyons aussi un voleur, monsieur; car nous avons
trouvé sur lui, monsieur, un étrange rossignol, que nous avons envoyé au
ministre.

LE DUC, _au bouffon_.--Fi, misérable entremetteur; méchant entremetteur!
Le mal que tu fais faire est donc ta ressource pour vivre. Réfléchis
seulement à ce que c'est que de remplir son estomac, ou de couvrir son
dos par le moyen de ces vices honteux. Dis-toi à toi-même: c'est du
fruit de leurs abominables et brutales accointances, que je bois, que je
mange, que je m'habille, et que je subsiste. Peux-tu donc croire que ta
vie est une vie dépendant comme elle fait de ces saletés? Va t'amender,
va t'amender.

LE BOUFFON.--Il est vrai que cette vie sent mauvais, à quelques égards,
monsieur; mais pourtant, monsieur, je vous prouverai...

LE DUC.--Ah! si le diable t'a donné des preuves pour commettre le péché,
tu prouveras que tu es à lui.--Officier, conduisez-le en prison. La
correction et l'instruction auront toutes deux à faire, avant que cette
brute en profite.

LE COUDE.--Il faut qu'il comparaisse devant le ministre. Monsieur, le
ministre lui a déjà donné une leçon: le ministre ne peut supporter un
suppôt de débauche. S'il faut qu'il soit un marchand de prostitution, et
qu'il paraisse en sa présence, il vaudrait autant qu'il fût à un mille
de lui à ses affaires.

LE DUC.--Plût au ciel que nous fussions tous ce que quelques-uns
voudraient paraître, aussi exempts de nos vices, que certains vices sont
dépouillés d'apparences trompeuses!

(Entre Lucio.)

LE COUDE, _au duc_.--Son cou sera comme votre ceinture, avec une corde,
monsieur.

LE BOUFFON.--Je cherche de l'appui: je demande à grands cris une
caution: voici un honnête homme, et un ami à moi.

LUCIO.--Hé bien, noble Pompée? Quoi! aux talons de César? Es-tu mené
en triomphe? Quoi! n'y a-t-il donc plus de statues de Pygmalion,
nouvellement devenues femmes, qu'on puisse se procurer, pour mettre
la main dans la poche, et l'en retirer fermée? Que réponds-tu? Ha! Que
dis-tu de ce ton, de cette manière, de cette méthode? Hé! ta réponse
n'a-t-elle pas été noyée dans la dernière pluie? Hé bien! que dis-tu,
pauvre diable? Le monde va-t-il comme il allait, mon garçon? Quelle est
la mode à présent? Est-ce d'être triste et laconique? Ou comment, enfin?
Quel est le genre?

LE DUC.--Toujours, toujours le même, et pis encore.

LUCIO.--Comment se porte ma chère mignonne, ta maîtresse? Fait-elle
toujours le commerce... hem?

LE BOUFFON.--D'honneur, monsieur, elle a mangé tout son boeuf, et elle
est elle-même dans l'étuve.

LUCIO.--Hé! c'est fort bien: cela est bien juste: cela doit être.
Toujours votre fraîche débauchée et votre vieille saupoudrée!... C'est
une suite inévitable: cela doit être. Vas-tu en prison, Pompée?

LE BOUFFON.--Oui, ma foi, monsieur.

LUCIO.--Hé bien! cela n'est pas mal à propos, Pompée. Adieu. Va, dis que
je t'y ai envoyé. Est-ce pour dettes, Pompée? ou pourquoi?

LE COUDE.--Pour être un être, un entremetteur, monsieur, pour être un
entremetteur.

LUCIO.--Allons, emprisonnez-le: si la prison est le partage d'un
entremetteur, c'est son droit assurément, eh bien! cela est juste. Oui,
il n'y a pas à en douter, c'est un entremetteur, et de vieille date
encore; il est né entremetteur. Adieu, bon Pompée: recommande-moi à
la prison, Pompée. Tu vas devenir un bon mari, Pompée: tu garderas la
maison.

LE BOUFFON.--J'espère, monsieur, que votre bonne seigneurie sera ma
caution.

LUCIO.--Non, certes, je n'en ferai rien, Pompée: ce n'est pas la mode.
Je prierai, Pompée, qu'on resserre tes entraves: si tu ne le prends pas
en patience, hé bien! tant pis pour toi. Adieu, brave Pompée.--Dieu vous
garde, religieux!

LE DUC.--Et vous aussi.

LUCIO.--Brigitte se peint-elle toujours, Pompée? Hem!

LE COUDE, _au bouffon_.--Allez votre chemin, monsieur; allons.

LE BOUFFON, _à Lucio_.--Alors vous ne voulez pas être ma caution,
monsieur?

LUCIO.--Ni maintenant, ni alors, Pompée.--(_Au duc._)--Quelles nouvelles
dans le monde, bon frère? Quelles nouvelles?

LE COUDE, _au bouffon_.--Allons, marchez; avançons, monsieur.

LUCIO.--Va au chenil, Pompée, va.--(_Le Coude, le bouffon et les
officiers sortent_.) Quelles nouvelles du duc, frère?

LE DUC.--Je n'en sais point: pouvez-vous m'en apprendre?

LUCIO.--Il y en a qui disent qu'il est avec l'empereur de Russie;
d'autres qu'il est à Rome; mais devinez-vous où il est?

LE DUC.--Je n'en sais absolument rien. Mais où qu'il soit, je lui
souhaite du bien.

LUCIO.--C'est une folie, un caprice bien bizarre à lui, de s'évader
ainsi de ses États, et d'usurper aux mendiants un métier pour lequel il
n'était pas né. Le seigneur Angelo fait bien le duc en son absence; il
va même un peu loin.

LE DUC.--Il fait très-bien.

LUCIO.--Un peu plus d'indulgence pour le libertinage ne lui ferait aucun
tort à lui: il est un peu trop sévère sur cet article, frère.

LE DUC.--C'est un vice trop répandu; et il n'y a que la sévérité qui
puisse le guérir.

LUCIO.--Oui, en vérité; ce vice est d'une nombreuse famille; il est fort
bien allié, mais il est impossible de l'extirper complétement, frère, à
moins qu'on ne défende de boire et de manger. On dit que cet Angelo n'a
pas été fait par un homme et une femme, suivant les voies ordinaires de
la création, cela est-il vrai? Le croyez-vous?

LE DUC.--Hé! comment donc aurait-il été fait?

LUCIO.--Quelques-uns prétendent qu'il naquit du frai d'une syrène.
D'autres qu'il a été engendré entre deux morues.--Mais ce qu'il y a de
bien sûr, c'est que quand il lâche de l'eau, son urine est de la vraie
glace; pour cela, je sais que cela est, et il n'est qu'un automate
impuissant cela est bien certain.

LE DUC.--Vous êtes plaisant, monsieur, et vous avez la parole facile.

LUCIO.--Quelle barbarie est-ce de sa part que d'ôter la vie à un homme
pour la révolte de la chair? Est-ce que le duc qui est absent aurait
fait cela? Avant qu'il eût fait pendre un homme pour avoir engendré cent
bâtards, il aurait payé les mois de nourrice de mille; il se sentait un
peu de ce penchant; il connaissait le service, et cela lui enseignait
l'indulgence.

LE DUC.--Jamais je n'ai ouï dire que le duc, qui est absent, ait été
très-coupable sur l'article des femmes; ses inclinations n'allaient pas
de ce côté-là.

LUCIO.--Oh! monsieur, vous vous trompez.

LE DUC.--Cela n'est pas possible.

LUCIO.--Qui? Le duc? Demandez à votre vieille de cinquante ans; l'usage
du duc était de mettre un ducat dans sa bruyante écuelle[25]. Le duc
avait des caprices; il aimait à s'enivrer aussi; je puis vous apprendre
cela.

[Note 25: Les mendiants, il y a deux ou trois siècles, portaient une
écuelle à couvercle mobile qu'ils agitaient pour avertir qu'elle était
vide.]

LE DUC.--Vous lui faites injure, très-certainement.

LUCIO.--Monsieur, j'étais son intime; le duc était un homme réservé, et
je crois que je sais la cause de sa retraite.

LE DUC.--Quelle peut en être la raison, je vous prie?

LUCIO.--Non: excusez-moi.--C'est un secret qui doit rester enfermé entre
les dents et les lèvres; mais je peux vous laisser comprendre ceci. Le
plus grand nombre des sujets tenait le duc pour sage.

LE DUC.--Sage? eh mais! il n'y a pas de doute qu'il ne le fût.

LUCIO.--C'est un homme très-superficiel, ignorant et étourdi.

LE DUC.--C'est de votre part ou envie, ou folie, ou erreur; le
cours même de sa vie, et les affaires qu'il a gouvernées, doivent
nécessairement lui assurer une meilleure renommée.--Qu'on le juge
seulement sur ce que déposent de lui ses actions, et il paraîtra aux
plus envieux un homme instruit, un homme d'État et un militaire; ainsi
vous parlez en homme mal informé; ou, si vous êtes bien instruit, c'est
donc votre méchanceté qui vous aveugle.

LUCIO.--Monsieur, je le connais bien, et je l'aime.

LE DUC.--L'amitié parle avec plus de connaissance, et la connaissance
avec plus d'amitié.

LUCIO.--Allons, monsieur, je sais ce que je sais.

LE DUC.--J'ai bien de la peine à le croire, puisque vous ne savez pas ce
que vous dites. Mais si jamais le duc revient (comme nous le demandons
au ciel), faites-moi le plaisir de répondre devant lui. Si c'est la
vérité qui vous a fait parler, vous aurez le courage de soutenir ce
que vous avez dit; je suis obligé de vous citer devant lui; et, je vous
prie, votre nom?

LUCIO.--Monsieur, mon nom est Lucio, bien connu du duc.

LE DUC.--Il vous connaîtra mieux, monsieur, si je vis pour lui parler de
vous.

LUCIO.--Je ne vous crains pas.

LE DUC.--Oh! vous espérez que le duc ne reparaîtra jamais, ou me croyez
un adversaire trop peu dangereux; mais, moi, je vous dis que je peux
vous faire un peu de mal; vous vous rétracterez sur tout ceci.

LUCIO.--Je serai pendu auparavant; vous vous trompez sur mon compte,
frère. Mais ne parlons plus de cela. Pouvez-vous me dire si Claudio doit
mourir ou non?

LE DUC.--Pourquoi mourrait-il, monsieur?

LUCIO.--Eh! pour avoir rempli une bouteille avec un entonnoir. Je
voudrais que le duc dont nous parlons fût revenu. Ce ministre eunuque
dépeuplera les provinces à force de continence. Il ne faut pas que les
moineaux bâtissent leur nid sous les toits de sa maison, parce qu'ils
sont débauchés. Le duc punirait du moins en secret des crimes secrets;
jamais il ne les produirait au grand jour. Que je voudrais qu'il fût de
retour! En vérité, Claudio est condamné pour avoir détroussé un jupon.
Adieu, bon père; je vous en prie, priez pour moi. Le duc, je vous le
répète, mangerait du mouton les vendredis: il a passé l'âge maintenant,
et cependant je vous dis qu'il vous caresserait encore une mendiante,
quand elle sentirait le pain bis et l'ail. Dites que c'est moi qui vous
l'ai dit. Adieu. (Il sort.)

LE DUC.--Il n'est puissance ni grandeur parmi les mortels qui puissent
échapper à la censure: la calomnie, qui blesse par derrière, frappe la
vertu la plus pure. Quel monarque assez puissant pour enchaîner le fiel
d'une langue médisante?--Mais qui vient ici?

(Entrent Escalus, le prévôt, madame Overdone, et des officiers de
justice.)

ESCALUS.--Allons, emmenez-la en prison.

MADAME OVERDONE.--Mon cher seigneur, soyez bon pour moi; vous passez
pour être un homme plein de miséricorde, mon bon seigneur!

ESCALUS.--Double et triple avertissement, et toujours coupable du même
délit! Il y a de quoi forcer la miséricorde à jurer, à agir en tyran.

LE PRÉVÔT.--Une entremetteuse qui pratique depuis onze ans, sous le bon
plaisir de votre honneur.

MADAME OVERDONE.--Seigneur, c'est la délation d'un certain Lucio contre
moi: madame Catherine Keepdown était grosse de lui dans le temps du duc;
il lui a promis le mariage; son enfant aura un an et trois mois dès que
viendra la Saint-Jacques et la Saint-Philippe. Je l'ai nourri moi-même,
et voyez comme il a l'indignité de me nuire.

ESCALUS.--Cet homme est un franc libertin.--Qu'on le fasse comparaître
devant nous.--Conduisez-la en prison: allez, plus de paroles. (_Les
officiers emmènent madame Overdone._) Prévôt, mon frère Angelo ne veut
pas changer son arrêt; il faut que Claudio meure demain; ayez soin de
lui procurer des théologiens, et tout ce que conseille la charité, pour
le préparer à son sort. Si mon frère agissait d'après ma pitié, Claudio
n'en serait pas là.

LE PRÉVÔT.--Sauf votre bon plaisir ce religieux l'a visité, et lui a
donné ses avis pour le préparer à la mort.

ESCALUS.--Bonsoir, bon père.

LE DUC.--Que le bonheur et la vertu vous accompagnent toujours.

ESCALUS.--D'où êtes-vous?

LE DUC.--Je ne suis pas de ce pays, quoique le hasard en ait fait
le lieu de ma résidence pour un certain temps. Je suis un frère d'un
excellent ordre, tout récemment envoyé par le saint-siége, et chargé par
sa Sainteté d'une affaire particulière.

ESCALUS.--Quelles nouvelles dit-on dans le monde?

LE DUC.--Aucune, si ce n'est qu'il y a une si grande maladie sur la
vertu, qu'elle ne finira que par sa dissolution; la nouveauté est ce que
tout le monde recherche, et il y a autant de danger à vieillir dans
une même façon de vivre qu'il y a de vertu à être constant dans une
entreprise. Il survit à peine assez de bonne foi entre les hommes pour
rendre les sociétés sûres; mais il y a assez de sécurité pour faire
maudire les associations. C'est sur cette énigme que roule à peu
près toute la sagesse du monde. Ces nouvelles sont assez vieilles, et
cependant ce sont encore les nouvelles de chaque jour.--Je vous prie,
monsieur, quel était le caractère du duc?
                
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