William Shakespear

Le roi Lear
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GLOCESTER.--Je voudrais voir la bonne intelligence entre vous.

(Il sort.)

LEAR.--Oh!... las! ô mon coeur! comme mon coeur se soulève!... mais à
bas!

LE FOU.--Il faut lui dire, noncle, comme la cuisinière[36] aux anguilles
qu'elle mettait vivantes dans la pâte; elle les frappait d'un bâton sur
la tête, en criant: _A bas, polissonnes! à bas!_ C'était le frère de
celle-là qui, par grand amour pour son cheval, lui mettait du beurre
dans son foin.

[Note 36: _The cockney_. Les commentateurs, on ne sait pourquoi, ont
paru très-embarrassés du sens de ce mot _cockney_, auquel on donne en
général la signification du mot _badaud_; autrefois il paraît s'être
pris dans le sens de _cuisinier, marmiton_.]

(Entrent Cornouailles, Régane, Glocester, des domestiques.)

LEAR.--Bonjour à tous deux.

CORNOUAILLES.--Salut à Votre Seigneurie.

RÉGANE.--Je suis joyeuse de voir Votre Altesse.

(On met Kent en liberté.)

LEAR.--Régane, je crois que vous l'êtes, et je sais la raison que j'ai
de le croire. Si tu n'étais pas joyeuse de me voir, je ferais divorce
avec le tombeau de ta mère, où ne reposerait plus qu'une adultère.--(_A
Kent_.) Ah! vous voilà libre? Nous parlerons de cela dans quelque autre
moment.--Ma bien-aimée Régane, ta soeur est une indigne: ô Régane, elle
a attaché la dureté aux dents aiguës ici, comme un vautour (_montrant
son coeur_); à peine puis-je te parler... Non, tu ne pourras pas le
croire, de quel caractère dépravé.... Ô Régane!

RÉGANE.--Je vous en prie, seigneur, modérez-vous. J'espère que vous ne
savez pas apprécier ce qu'elle vaut plutôt que de la croire capable de
manquer à ses devoirs.

LEAR.--Comment cela?

RÉGANE.--Je ne puis penser que ma soeur eût voulu manquer le moins du
monde à ce qu'elle vous doit: s'il est arrivé, seigneur, qu'elle ait mis
un frein à la licence de vos chevaliers, c'est par de telles raisons et
dans des vues si louables qu'elle ne mérite pour cela aucun reproche.

LEAR.--Ma malédiction sur elle!

RÉGANE.--Ah! seigneur, vous êtes vieux; la nature, en vous, touche au
dernier terme de sa carrière; vous devriez vous laisser conduire et
gouverner par quelque personne prudente, qui comprît votre situation
mieux que vous-même. Ainsi donc, je vous prie de retourner vers ma
soeur, et de lui dire que vous avez eu tort envers elle.

LEAR.--Moi, lui demander son pardon! voyez donc comme cela conviendrait
à la famille! (_Il se met à genoux_.) «Ma chère fille, j'avoue que
je suis vieux; la vieillesse est inutile; je vous demande à genoux de
vouloir bien m'accorder des vêtements, un lit et ma nourriture.»

RÉGANE.--Cessez, mon bon seigneur; c'est là un badinage peu convenable.
Retournez chez ma soeur.

LEAR _se levant_.--Jamais, Régane. Elle m'a privé de la moitié de ma
suite; elle m'a regardé d'un air sombre, et de sa langue, semblable
à celle du serpent, m'a blessé jusqu'au fond du coeur. Que tous les
trésors de la vengeance du ciel tombent sur sa tête ingrate! Vents qui
saisissez les sens, frappez de paralysie ses jeunes os.

CORNOUAILLES.--Fi! seigneur! fi!

LEAR.--Éclairs agiles, lancez pour les aveugler vos flammes dans ses
yeux dédaigneux; empoisonnez sa beauté, vapeurs que du fond des marais
aspire le puissant soleil, pour tomber sur elle et flétrir son orgueil!

RÉGANE.--Ô dieux bienheureux! vous m'en souhaiterez autant quand vos
accès vous prendront.

LEAR.--Non, Régane, jamais tu n'auras ma malédiction: ton coeur
palpitant de tendresse ne t'abandonnera jamais à la dureté; ses yeux
sont farouches; mais les tiens consolent et ne brûlent pas. Il n'est pas
dans ta nature de me reprocher mes plaisirs, de diminuer ma suite, de
contester avec moi d'un ton d'emportement, de réduire ce que tu me
dois, et enfin d'opposer des verrous à mon entrée. Tu connais mieux
les devoirs de la nature, les obligations des enfants, les règles de
la courtoisie, les droits de la reconnaissance: tu n'as pas oublié la
moitié de mon royaume que je t'ai donnée.

RÉGANE.--Mon bon seigneur, au fait.

(On entend une trompette derrière le théâtre.)

LEAR.--Qui a mis mon serviteur dans les ceps?

(Entre Oswald.)

CORNOUAILLES.--Quelle est cette trompette?

RÉGANE.--Je la reconnais, c'est celle de ma soeur. Sa lettre m'apprenait
en effet qu'elle serait bientôt ici.--Votre maîtresse est-elle arrivée?

LEAR, _regardant l'intendant_.--Voilà un esclave qui se revêt à peu de
frais d'un orgueil fondé sur la fragile faveur de sa maîtresse.--Hors
d'ici, valet, loin de ma présence.

CORNOUAILLES.--Que veut dire Votre Seigneurie?

LEAR.--Qui a mis mon serviteur dans les ceps? Régane, je me flatte que
tu n'en as rien su. _(Entre Gonerille.)_--Qui vient ici?--O cieux,
si vous aimez les vieillards, si votre douce autorité recommande
l'obéissance, si vous-mêmes vous êtes vieux, faites de ceci votre cause;
faites descendre votre puissance sur la terre, et prenez mon parti.
_(A Gonerille.)_--Tu n'as pas honte de voir cette barbe?--O Régane! lui
prendras-tu la main?

GONERILLE.--Eh! pourquoi ne prendrait-elle pas ma main, seigneur? Quelle
offense ai-je commise? N'est pas offense tout ce que l'indiscrétion
tourne de cette manière, tout ce que le radotage peut nommer ainsi.

LEAR.--O mes flancs, vous êtes trop solides! Pourquoi ne rompez-vous
pas?--Comment se fait-il qu'on ait mis un de mes gens dans les ceps?

CORNOUAILLES.--C'est moi, seigneur, qui l'y ai fait mettre. Ses sottises
ne méritaient pas à beaucoup près tant d'honneur.

LEAR.--C'est vous, vous qui l'avez fait?

RÉGANE.--Je vous en prie, mon père, puisque vous êtes faible, prenez-en
votre parti.--Si, jusqu'à l'expiration de votre mois, vous voulez
retourner chez ma soeur et demeurer avec elle, en congédiant la moitié
de vos gens, venez ensuite chez moi: je n'y suis point à présent, et
n'ai pas fait les préparatifs nécessaires pour vous recevoir.

LEAR.--Retourner chez elle, et cinquante de mes chevaliers congédiés!
Non, j'abjure plutôt les toits, et je préfère m'exposer à la haine des
vents; je deviendrai le compagnon du loup et de la chouette!--Poignantes
étreintes de la nécessité!--Retourner chez elle! Quoi! on obtiendrait
aussi bien de moi de me prosterner devant le trône de ce bouillant roi
de France, qui a pris sans dot notre plus jeune fille, et de solliciter
comme un écuyer une pension pour soutenir ma pauvre vie! Retourner chez
elle! Que ne me persuades-tu plutôt d'être l'esclave, la bête de somme
_(montrant Oswald_) de ce valet détesté.

GONERILLE.--A votre choix, seigneur....

LEAR.--Je t'en prie, ma fille, ne me fais pas devenir fou. Je ne veux
pas te déranger, mon enfant. Adieu, nous ne nous rencontrerons plus,
nous ne nous reverrons plus. Mais cependant tu es ma chair, mon sang,
ma fille; ou plutôt tu es une maladie engendrée dans ma chair, et que je
suis obligé d'appeler mienne; tu es un abcès, un ulcère douloureux, une
tumeur enflammée, produit de mon sang corrompu.--Mais je ne veux pas te
faire de reproches: que la honte tombe sur toi quand il lui plaira;
je ne l'appelle pas. Je n'invoque pas les coups de Celui qui porte le
tonnerre; je ne fais point de rapports contre toi à Jupiter, notre
juge suprême. Corrige-toi quand tu le pourras, deviens meilleure à ton
loisir; je puis prendre patience: je puis rester chez Régane, moi et mes
cent chevaliers.

RÉGANE.--Non, il n'en peut être tout à fait ainsi, seigneur. Je ne vous
attendais pas encore, et je n'ai rien préparé pour vous recevoir comme
il convient. Prêtez l'oreille aux propositions de ma soeur. Ceux dont la
raison est capable de modérer votre passion doivent prendre leur parti
de songer que vous êtes vieux, et qu'ainsi... Mais elle sait bien ce
qu'elle fait.

LEAR.--Est-ce là bien parler?

RÉGANE.--J'ose le soutenir, seigneur. Quoi! cinquante chevaliers,
n'est-ce pas assez? Qu'avez-vous besoin d'un plus grand nombre, ou même
d'en avoir autant, s'il est vrai que l'embarras, le danger, tout parle
contre une suite si nombreuse? Comment, dans une seule et même maison,
tant de personnes soumises à deux maîtres peuvent-elles vivre en bonne
intelligence? Cela est bien difficile, cela est impossible.

GONERILLE.--Eh quoi! seigneur, ne pourriez-vous pas être servi par ceux
qui portent le titre de ses serviteurs ou par les miens?

RÉGANE.--Eh! pourquoi pas, seigneur? S'il leur arrivait de se relâcher
à votre égard, nous saurions y mettre ordre. Si vous voulez venir chez
moi, car je commence à entrevoir un danger, je vous prie de n'en amener
que vingt-cinq: je n'ai point de place ni d'attention à donner à un plus
grand nombre.

LEAR.--Je vous ai tout donné....

RÉGANE.--Et vous l'avez donné à temps.

LEAR.--Je vous ai fait mes gardiennes, mes dépositaires, mais j'ai mis
la réserve de me faire suivre par un nombre de chevaliers. Quoi! je n'en
pourrais amener chez vous que vingt-cinq? Régane, est-ce vous qui l'avez
dit?

RÉGANE.--Et qui le répète, seigneur: pas un de plus chez moi.

LEAR.--Les méchantes créatures se présentent encore à nous sous un
aspect favorable, quand il s'en trouve de plus méchantes qu'elles: c'est
avoir quelque titre aux éloges que de n'être pas ce qu'il y a de pis.
_(A Gonerille.)_--J'irai chez toi. Tes cinquante sont le double de
vingt-cinq: tu as le double de sa tendresse.

GONERILLE.--Écoutez-moi, mon seigneur: qu'avez-vous besoin de vingt-cinq
personnes, de dix, de cinq, pour vous suivre dans une maison où deux
fois autant ont ordre de vous servir?

RÉGANE.--Qu'avez-vous même besoin d'une seule?

LEAR.--Ne calcule pas le besoin: le plus vil mendiant a du superflu dans
ses plus misérables jouissances. N'accorder à la nature que ce que la
nature demande pour ses besoins, c'est mettre la vie de l'homme à aussi
bas prix que celle des bêtes. Tu es une grande dame. Eh quoi! si la
magnificence consistait seulement à se tenir chaudement, la nature
a-t-elle besoin de ces vêtements magnifiques que tu portes, et qui
peuvent à peine te tenir chaud? Mais quant aux vrais besoins.....--Ciel!
donne-moi patience; c'est de patience que j'ai besoin. Vous me voyez
ici, ô dieux! un pauvre vieillard, aussi comblé de douleurs que
d'années, misérable par tous les deux! Si c'est vous qui excitez le
coeur de ces filles contre leur père, ne m'abaissez pas au point de le
supporter patiemment; animez-moi d'une noble colère. Oh! ne souffrez pas
que des pleurs, armes des femmes, souillent mon visage d'homme!--Non,
sorcières dénaturées, je tirerai de vous une telle vengeance, que le
monde entier saura....--Je ferai de telles choses.... Ce que ce sera,
je ne le sais pas encore; mais ce sera l'épouvante de la terre.--Vous
croyez que je pleurerai; non, je ne pleurerai pas. J'ai bien amplement
de quoi pleurer; mais ce coeur éclatera par cent mille ouvertures avant
que je pleure.--O fou, je perdrai la raison!

(Sortent Lear, Glocester, Kent et le fou.)

CORNOUAILLES.--Retirons-nous; il va faire de l'orage.

(On entend dans le lointain le bruit du tonnerre.)

RÉGANE.--Cette maison est petite; le vieillard et sa suite ne peuvent
s'y loger commodément.

GONERILLE.--C'est sa propre faute; il a quitté de lui-même le lieu où il
pouvait être tranquille: il faut qu'il porte la peine de sa folie.

RÉGANE.--Pour lui personnellement, je le recevrai avec plaisir; mais pas
un seul de ses serviteurs.

GONERILLE.--C'est aussi mon intention.--Mais où est lord Glocester?

CORNOUAILLES.--Il a suivi le vieillard.--Mais le voilà qui revient.

(Glocester rentre.)

GLOCESTER.--Le roi est dans une violente fureur.

CORNOUAILLES.--Où va-t-il?

GLOCESTER.--Il ordonne qu'on monte à cheval, mais il veut aller je ne
sais où.

CORNOUAILLES.--Le mieux est de lui céder; il se conduira lui-même.

GONERILLE.--Milord, ne le pressez nullement de rester.

GLOCESTER.--Hélas! la nuit approche; un vent glacé agite violemment les
airs, à plusieurs milles aux environs à peine se trouve-t-il un buisson.

RÉGANE.--Oh! seigneur! il faut bien que les hommes opiniâtres reçoivent
quelques leçons des maux qu'ils se sont attirés à eux-mêmes. Fermez
vos portes. Il a avec lui une suite de gens déterminés à tout: facile
à tromper comme il l'est, la sagesse nous ordonne de redouter ce qu'ils
pourraient obtenir de sa colère.

CORNOUAILLES.--Fermez vos portes, milord.--Il fera mauvais temps cette
nuit; ma chère Régane est de bon conseil: mettons-nous à l'abri de
l'orage.

(Ils sortent.)

FIN DU SECOND ACTE.




                            ACTE TROISIÈME


SCÈNE I

Une bruyère.--On entend le bruit d'un orage accompagné de tonnerre et
d'éclairs.

KENT ET UN GENTILHOMME se _rencontrant_.


KENT.--Qui est ici malgré le mauvais temps?

LE GENTILHOMME.--Un homme dont l'âme est, comme le temps, pleine
d'agitation.

KENT.--Ah! je vous reconnais. Où est le roi?

LE GENTILHOMME.--Luttant contre les éléments irrités, il conjure les
vents de précipiter la terre dans les flots, ou de soulever les vagues
gonflées au-dessus de leurs rivages, afin que les choses changent
ou s'anéantissent. Il arrache ses cheveux blancs que les tourbillons
impétueux, dans leur aveugle rage, saisissent et font aussitôt
disparaître. De toutes les forces de cet étroit univers renfermé en
lui-même, il insulte aux vents et à la pluie qui se combattent dans tous
les sens. Dans cette nuit horrible où l'ourse même, épuisée de lait par
ses petits, demeure dans sa tanière; où le lion et le loup, au ventre
vide, tiennent leur fourrure à sec, il court tête nue, et appelle toutes
les chances de la mort.

KENT.--Mais qui est avec lui?

LE GENTILHOMME.--Personne que son fou, qui tâche, par des bouffonneries,
de distraire son coeur navré d'injures.

KENT.--Je vous connais, monsieur, et, sur la foi de mon discernement,
j'ose vous confier une affaire d'un bien cher intérêt. Il y a de la
mésintelligence entre les ducs d'Albanie et de Cornouailles, quoiqu'elle
se cache encore sous le voile d'une dissimulation réciproque: ils ont
(et qui n'en a pas parmi ceux que la supériorité de leur étoile a placés
sur le trône et dans la grandeur?), ils ont des serviteurs non moins
dissimulés qui servent à la France d'espions et de miroirs intelligents
de notre situation, ce qu'on a vu des aversions ou des manoeuvres
secrètes des deux ducs, ou la dureté avec laquelle ils se sont gouvernés
à l'égard du bon vieux roi, ou quelque chose de plus profond dont tout
ceci n'est que l'apparence extérieure. Ce qu'il y a de certain, c'est
qu'une armée envoyée par la France va entrer dans ce royaume divisé.
Déjà les ennemis, profitant sagement de notre négligence, se sont assuré
un accès secret dans quelques-uns de nos meilleurs ports, et sont sur le
point de déployer ouvertement leurs bannières.--Voici maintenant ce que
j'ai à vous dire: Si j'ai pu vous inspirer assez de confiance pour
vous y rendre promptement; vous trouverez une personne qui recevra avec
reconnaissance le récit fidèle des outrages désespérants et dénaturés
dont le roi a sujet de se plaindre. Je suis un gentilhomme bien né et
bien élevé; et c'est parce que je vous connais et me fie à vous que je
vous propose cette mission.

LE GENTILHOMME.--Nous en reparlerons.

KENT.--Non, c'est assez de paroles. Afin de vous prouver que je suis
beaucoup plus que je ne parais, ouvrez cette bourse et prenez ce qu'elle
contient. Si vous voyez Cordélia, et soyez certain que vous la verrez,
montrez-lui cet anneau; vous saurez d'elle quel est celui que vous
avez eu pour compagnon, et que vous ne connaissez pas encore.--Infâme
tempête! je vais chercher le roi.

LE GENTILHOMME.--Donnez-moi votre main. N'avez-vous plus rien à me dire?

KENT.--Peu de mots, mais au fait plus importants que tout le reste:
veuillez bien prendre ce chemin, je vais suivre celui-ci. Le premier de
nous deux qui trouvera le roi en avertira l'autre par un cri.

(Ils sortent.)


SCÈNE II

La tempête redouble.

LEAR, LE FOU.


LEAR.--Soufflez, vents, jusqu'à ce que vos joues en crèvent. Ouragans,
cataractes, versez vos torrents jusqu'à ce que vous ayez inondé nos
clochers, noyé leurs coqs! Feux sulfureux, rapides comme la pensée,
bruyants avant-coureurs des coups de foudre qui brisent les chênes,
venez roussir mes cheveux blancs. Et toi, tonnerre, qui ébranles tout,
aplatis le globe du monde, brise tous les moules de la nature, disperse
d'un seul coup tous les germes qui produisent l'homme ingrat!

LE FOU.--O noncle, de l'eau bénite de cour dans une maison bien sèche
vaut mieux que cette eau de pluie quand on est dehors. Bon noncle,
rentrons et implorons la bonne volonté de tes filles. Voilà une nuit qui
n'a pitié ni du fou, ni du sage.

LEAR.--Gronde tant que tes entrailles y pourront suffire. Éclate, feu!
jaillis, pluie! la pluie, le vent, le tonnerre, les feux, ne sont point
mes filles; éléments, je ne vous accuse point d'ingratitude; je ne vous
ai point appelés mes enfants; vous ne me devez point de soumission:
laissez donc tomber sur moi votre horrible plaisir: me voici votre
esclave, un pauvre et faible vieillard infirme, méprisé. Mais non, je
vous traiterai de lâches ministres, vous dont les armées sont venues des
hauts lieux de leur naissance s'unir à deux filles détestables, contre
une tête aussi vieille et aussi blanche que la mienne.--Oh! oh! cela est
odieux!

LE FOU.--Celui qui a une maison pour y mettre sa tête a une tête bien
garnie.

  Celui qui veut avoir une femme
  Avant que sa tête ait une maison,
  Perdra et tête et tout:
  Ainsi se sont mariés beaucoup de mendiants.
  Celui qui fait pour son orteil
  Ce qu'il devrait faire pour son coeur,
  Criera bientôt misère des cors aux pieds
  Et changera son sommeil en veilles.

Car il n'y a jamais eu une belle femme qui n'ait fait la grimace devant
la glace.

(Entre Kent.)

LEAR, _au fou_.--Non, je veux être un modèle de toute patience; je ne
dirai plus rien.

KENT.--Qui est là?

LE FOU.--Une seigneurie et un malotru, c'est-à-dire, un sage et un fou.

KENT.--Hélas! seigneur, vous voilà donc! Rien de ce qui aime la nuit
n'aime de pareilles nuits. Les cieux en colère ont effrayé jusqu'aux
hôtes errants des ténèbres, et les forcent à se tenir dans leurs
cavernes. Depuis que je suis un homme, je ne me souviens pas d'avoir vu
de telles nappes de feu, d'avoir entendu d'aussi effroyables éclats
de tonnerre, de telles plaintes, de tels mugissements du vent et de la
pluie. La nature de l'homme n'en saurait supporter ni les souffrances ni
les terreurs.

LEAR.--Que les dieux puissants, qui font naître au-dessus de nos têtes
cet épouvantable tumulte, distinguent en ce moment leurs ennemis!
Tremble, toi, misérable qui renfermes dans ton sein des crimes ignorés
qui ont échappé à la verge de la justice; cache-toi, main sanglante; et
toi, parjure; et toi, hypocrite, qui du masque de la vertu as couvert
un inceste. Tremble et meurs de peur, scélérat, qui, en secret et
sous d'honorables semblants, as dressé des piéges à la vie de l'homme.
Forfaits soigneusement enveloppés, déchirez le voile qui vous cache et
demandez grâce à ces voix terribles qui vous appellent.--Moi, je suis un
homme à qui l'on a fait plus de mal qu'il n'en a fait.

KENT.--Hélas! tête nue? Mon bon maître, tout près d'ici est une hutte;
elle vous prêtera quelque abri contre la tempête. Allez vous y reposer,
tandis que moi je vais retourner à cette dure maison, plus dure que
la pierre de ses murailles, et qui tout à l'heure, quand je vous
ai demandé, m'a refusé l'entrée; et je forcerai la main à son avare
hospitalité.

LEAR.--Ma raison commence à revenir.--Viens, mon enfant; comment te
trouves-tu, mon enfant? As-tu froid; j'ai froid aussi. Où est cette
paille, mon ami? Que la nécessité est étrangement habile à nous rendre
précieuses les choses les plus viles!--Montrez-moi votre hutte.--Pauvre
fou, pauvre garçon, j'ai encore dans mon coeur une place qui souffre
pour toi.

LE FOU.

  Celui qui a un petit peu de bon sens
  Doit recevoir en chantant le vent et la pluie,
  Et se contenter de sa situation,
  Car la pluie tombe tous les jours.

LEAR.--Oui, tu as raison, mon bon garçon. Allons, conduisez-nous à cette
hutte.

(Lear et Kent sortent.)

LE FOU.--Voilà une honnête nuit pour rafraîchir une courtisane. Il faut
qu'avant de m'en aller je fasse une prédiction.

  Quand les prêtres auront plus de paroles que de science;
  Quand les brasseurs gâteront leur bière avec de l'eau;
  Quand les nobles donneront des idées à leurs tailleurs;
  Quand les hérétiques ne seront plus brûlés, mais bien ceux
  qui suivent les filles;
  Quand tous les procès seront bien jugés;
  Qu'il n'y aura pas d'écuyers endettés,
  Ni de chevaliers pauvres;
  Quand les langues ne répandront plus la médisance;
  Que les coupeurs de bourses ne chercheront plus la foule;
  Que les usuriers compteront leur or en plein champ;
  Que les entremetteurs et les prostituées bâtiront des églises;
  Alors le royaume d'Albion
  Tombera en grande confusion,
  Alors viendra le temps, qui vivra verra,
  Où l'usage sera de marcher sur ses pieds.

Merlin fera un jour cette prédiction, car je vis avant lui.

(Il sort.)


SCÈNE III

Une salle du château de Glocester.

_Entrent_ GLOCESTER, EDMOND.


GLOCESTER.--Hélas! hélas! Edmond, cette conduite dénaturée me déplaît.
Quand je leur ai demandé la permission d'avoir pitié de lui, ils m'ont
interdit l'usage de ma propre maison; ils m'ont défendu, sous peine de
leur éternel ressentiment, de leur parler de lui, de solliciter pour
lui, et de le soulager en rien.

EDMOND.--Cela est bien cruel et dénaturé!

GLOCESTER.--Allez, ne dites rien: il y a une mésintelligence entre les
deux ducs; il y a pis encore. J'ai reçu cette nuit une lettre.... Il
serait dangereux seulement d'en parler.... J'ai enfermé la lettre
dans mon cabinet. Le roi va être vengé des injures qu'il souffre en ce
moment. Déjà une armée est en partie débarquée. Il faut nous attacher
au roi. Je vais le chercher et le consoler en secret. Vous, allez
entretenir le duc, pour qu'il ne s'aperçoive pas de mes charitables
soins. S'il me demande, je suis malade et je suis allé me
coucher.--Quand j'en devrais mourir, et l'on ne m'a pas menacé de moins
que cela, il faut que je secoure le roi mon vieux maître.--Il va
arriver quelque chose d'extraordinaire, Edmond; je vous en prie, soyez
circonspect.

(Il sort.)

EDMOND.--En dépit de toi, le duc va être instruit à l'heure même de
cette courtoisie, et de cette lettre aussi. Ce sera, ce me semble, assez
bien mériter de lui, et j'y dois gagner tout ce que va perdre mon père;
oui, tout, sans exception: les jeunes gens s'élèvent quand les vieux
s'en vont.

(Il sort.)


SCÈNE IV

Une partie de la bruyère où l'on voit une hutte.--L'orage continue.

_Entrent_ LEAR, KENT, LE FOU.


KENT.--Voici l'endroit, mon seigneur. Mon bon seigneur, entrez: une nuit
si rigoureuse passée en plein air est trop rude pour les forces de la
nature.

LEAR.--Laisse-moi tranquille.

KENT.--Mon bon maître, entrez.

LEAR.--Veux-tu briser mon coeur?

KENT.--Je briserais plutôt le mien. Mon bon seigneur, entrez.

LEAR.--Tu crois que c'est grand'chose que cette tempête mutinée qui nous
pénètre jusqu'aux os. C'est beaucoup pour toi; mais là où s'est
fixée une plus grande douleur, une moindre se fait à peine sentir. Tu
chercherais à éviter un ours; mais si ta fuite te conduisait vers la
mer en furie, tu reviendrais affronter l'ours en face. Quand l'âme est
libre, le corps est délicat; mais la tempête qui agite mon âme ne laisse
à mes sens aucune autre impression que celles qui se combattent au
dedans de moi.--L'ingratitude de nos enfants!.... n'est-ce pas comme si
ma bouche déchirait ma main pour lui avoir porté la nourriture? Mais je
punirai bientôt.--Non, je ne veux plus pleurer.--Par une nuit semblable,
me mettre à la porte!--Verse tes torrents, je les supporterai.--Dans
une nuit semblable!--O Régane! Gonerille! votre bon vieux père, dont le
coeur sans méfiance vous a tout donné!--Oh! c'est de ce côté qu'est la
folie; évitons-le, n'en parlons plus.

KENT.--Mon bon seigneur, entrez ici.

LEAR.--Je te prie, entre toi-même; et cherche tes aises. Cette tempête
ne me laisse pas le temps de m'arrêter sur des choses qui me feraient
bien plus de mal.--Cependant je vais entrer. _(Au fou_.)--Va, mon
enfant, entre le premier.--Va, indigence sans asile!--Allons, entre
donc. Je vais prier, et je dormirai après. _(Le fou entre.)_--Pauvres
misérables privés de tout, quelque part que vous soyez, qui endurez les
coups redoublés de cet orage impitoyable, comment vos têtes sans abri,
vos flancs vides de nourriture, vos haillons ouverts de toutes parts, se
défendront-ils contre des temps aussi cruels? Ah! je n'ai pas pris
assez de soin de cela! Orgueil somptueux, viens essayer de ce remède;
expose-toi à sentir ce que sentent les malheureux, afin d'apprendre à
leur jeter tout ton superflu, et à nous montrer les cieux plus justes.

EDGAR, _derrière le théâtre_.--Une brasse et demie, une brasse et demie!
Le pauvre Tom!

LE FOU, _sortant de la hutte avec précipitation_.--N'entrez pas, noncle;
il y a là un esprit. Au secours! au secours!

KENT.--Donne-moi ta main. Qui est là!

LE FOU.--Un esprit, un esprit: il dit qu'il s'appelle le pauvre Tom.

KENT.--Qui es-tu, toi qui es là à grommeler dans la paille? Sors.

(Entre Edgar vêtu comme un fou.)

EDGAR.--Va-t'en; le malin esprit me suit. A travers l'aubépine piquante
souffle le vent froid. Hum! va à ton lit tout froid, et réchauffe-toi.

LEAR.--As-tu donné tout à tes deux filles? en es-tu réduit là?

EDGAR.--Qui donne quelque chose au pauvre Tom, que le malin esprit a
promené à travers les feux et les flammes, à travers les gués et les
tourbillons, sur les marais et les étangs? Il a mis des couteaux sous
son oreiller, des cordes sur son banc, et de la mort aux rats près de sa
soupe. Il l'a rendu orgueilleux de monter un cheval bai qui trottait sur
des ponts de quatre pouces de large, pour courir après son ombre qu'il
prenait pour un traître.--Dieu te conserve tes cinq sens.--Tom a froid;
oh! oh! oh! oh! euh! euh!--Que le ciel te préserve des ouragans, des
astres malfaisants et des rhumatismes.--Faites quelque charité au pauvre
Tom que tourmente le malin esprit. Oh! si je pouvais le tenir ici, et
là,--et là,--et encore là,--et puis encore là!

(La tempête continue.)

LEAR.--Quoi! ses filles l'ont-elles réduit à cette extrémité?--N'as-tu
pu rien garder? leur as-tu donné tout?

LE FOU.--Non, il s'est réservé une couverture; autrement nous aurions
tous honte de le regarder.

LEAR.--Puissent tous les fléaux que, dans les airs flottants, une
fatale destinée tient suspendus sur les crimes des hommes, se précipiter
aujourd'hui sur tes filles!

KENT.--Il n'avait pas de filles, seigneur.

LEAR.--Par la mort! traître! rien dans le monde que des filles ingrates
ne pouvait réduire la nature à ce point de dégradation. Est-ce donc la
coutume aujourd'hui que les pères chassés trouvent si peu de pitié pour
leur corps?--Juste châtiment! c'est ce corps qui a engendré ces filles
de pélican.

EDGAR.--Pillicock[37] était sur la montagne de Pillicock. Holà! holà!
hoé! hoé!

[Note 37: Nom d'un démon. Edgar en nommera encore plusieurs autres,
qu'on reconnaîtra sans qu'il soit nécessaire de l'indiquer.]

LE FOU.--Cette froide nuit fera de nous tous des fous et des
frénétiques.

EDGAR.--Garde-toi du malin esprit; obéis à tes parents; garde loyalement
ta foi; ne jure point; ne commets point le péché avec celle qui a promis
à un autre homme la fidélité d'épouse; ne donne point de vaine parure à
ta maîtresse.--Tom a froid.

LEAR.--Qui étais-tu?

EDGAR.--Un homme de service, vain de coeur et d'esprit: je frisais mes
cheveux, je portais des gants à mon chapeau[38]; je servais les ardeurs
de ma maîtresse, et commettais avec elle l'acte de ténèbres.--Je
proférais autant de serments que de mots, et je me parjurais à la face
débonnaire du ciel. J'étais un homme qui s'endormait dans des projets de
volupté, et se réveillait pour les exécuter. J'aimais passionnément
le vin, les dés avec ardeur; et quant aux femmes, j'avais plus de
maîtresses qu'un Turc: faux de coeur, l'oreille crédule, la main
sanguinaire, pourceau pour la paresse, renard pour la ruse, loup pour
la voracité, un chien dans ma rage, un lion pour saisir ma proie. Ne
permets pas que le bruit d'un soulier ou le frôlement de la soie livre
ton pauvre coeur aux femmes. Tiens ton pied éloigné des mauvais lieux,
ta main des collerettes[39], ta plume des livres des prêteurs, et défie
le malin esprit.--Mais toujours à travers l'aubépine souffle la bise
aiguë. Elle fait _mun... zuum_... Ah! non, nenni, dauphin, mon garçon,
cesse, laisse-le passer[40].

[Note 38: On portait à son chapeau ou le gant qu'on avait reçu de
sa maîtresse, ou celui qu'un ennemi vous avait jeté comme un gage de
combat. Probablement les domestiques des grandes maisons imitaient en
cela les manières de leurs maîtres.]

[Note 39: _Plackets_.]

[Note 40: _Ah no nonny, dolphin my boy, my boy sessa; let him
trot by_. Jargon mêlé d'anglais et de français: c'est le refrain d'une
vieille ballade, où l'on suppose que, dans un combat entre les Anglais
et les Français, le roi de France ne se souciant pas d'exposer à des
hasards trop difficiles la valeur de son fils le dauphin, lui cherche un
adversaire dont il puisse triompher facilement. Tous les chevaliers qui
se présentent successivement sur le champ de bataille lui paraissent
trop forts, et chaque fois il répète le refrain. Enfin il ne trouve pas
de meilleur expédient que de faire tenir sur les pieds, à l'aide d'un
arbre, un mort contre lequel il envoie le dauphin exercer sa prouesse.]

(L'orage continue.)

LEAR.--Tu serais mieux dans ton tombeau qu'ici le corps nu en butte à
toutes ces violences du ciel. L'homme est-il donc si peu de chose que
cela? Considérons-le bien.--Tu ne dois point de soie aux vers, de peaux
aux bêtes sauvages, de parfums à la civette.--Ah! trois de nous ici sont
déguisés; toi, tu es la chose comme elle est. L'homme réduit à lui-même
n'est autre chose qu'un pauvre animal nu, fourchu comme toi.--Loin de
moi, apparences empruntées; allons, défaites-vous.

(Il arrache ses habits.)

LE FOU.--Noncle, je te prie, calme-toi; c'est une mauvaise nuit pour y
nager. Maintenant un peu de feu dans une plaine sauvage ressemblerait
bien au coeur d'un vieux débauché; une légère étincelle, et le reste du
corps glacé.--Regardez, regardez; voici un feu qui marche.

EDGAR.--Oh! c'est le malin esprit Flibbertigibbet; il commence sa course
à l'heure du couvre-feu, et rôde jusqu'au premier chant du coq: c'est
de lui que viennent la taie et la cataracte; il fait loucher les yeux et
donne le bec-de-lièvre; il jette la nielle sur le froment et endommage
le pauvre enfant de la terre.

  Saint Withold parcourut trois fois la plage;
  Il rencontra le cauchemar et ses neuf lutins;
  Il lui ordonna de rentrer en terre,
  Et lui en fit jurer sa foi.
  Et décampe, sorcière, décampe.

KENT.--Comment se trouve Votre Seigneurie?

(Entre Glocester avec un flambeau.)

LEAR.--Quel est cet homme?

KENT.--Qui est là? que cherchez-vous?

GLOCESTER.--Qui êtes-vous? vos noms?

EDGAR.--Le pauvre Tom, qui mange la grenouille nageuse, le crapaud, le
têtard, le lézard de murailles et le lézard d'eau. Quand le malin esprit
fait rage, il mange, dans la furie de son coeur, la bouse de vache en
guise de salade; il avale le vieux rat et le chien jeté dans le fossé;
il boit le manteau verdâtre des eaux stagnantes; il est chassé à coups
de fouet de district en district; il est mis dans les ceps, puni,
emprisonné; lui qui a eu jadis trois habits sur son dos, six chemises à
son corps, un cheval entre ses jambes et une épée à son côté.

  Mais les souris et les rats, et tout ce menu gibier,
  Ont été la nourriture de Tom depuis sept longues années.

Prenez garde à celui qui est auprès de moi.--Paix, Smolkin; paix, démon.

GLOCESTER.--Quoi! Votre Seigneurie n'a pas meilleure compagnie?

EDGAR.--Le prince des ténèbres est gentilhomme: on l'appelle Modo et
Mahu.

GLOCESTER.--Seigneur, notre chair et notre sang se sont tellement
pervertis, qu'ils prennent en haine ceux qui les ont engendrés.

EDGAR.--Pauvre Tom a froid.

GLOCESTER.--Venez avec moi; mon devoir ne peut me permettre d'obéir en
tout aux ordres cruels de vos filles. Quoiqu'elles m'aient enjoint de
fermer les portes de ma maison, et de vous laisser à la merci de cette
cruelle nuit, je me suis pourtant hasardé à venir vous chercher, pour
vous conduire dans un lieu où vous trouverez du feu et des aliments.

LEAR.--Laissez-moi d'abord m'entretenir avec ce philosophe.--Quelle est
la cause du tonnerre?

KENT.--Mon bon maître, acceptez son offre, rendez-vous dans cette
maison.

LEAR.--J'ai un mot à dire à ce savant Thébain.--Quelle est votre étude?

EDGAR.--D'échapper au malin esprit et de tuer la vermine.

LEAR.--Laissez-moi vous dire un mot à part.

KENT, _à Glocester_.--Pressez-le encore une fois de venir, milord; sa
raison commence à se troubler.

GLOCESTER.--Peux-tu le blâmer? ses filles veulent sa mort.--Ah! ce brave
Kent, il avait bien prédit qu'il en serait ainsi. Pauvre banni! Tu
dis que le roi devient fou. Ami, je te dirai que je suis presque fou
moi-même. J'avais un fils que j'ai proscrit de mon sang: dernièrement,
tout dernièrement il a cherché à m'assassiner. Je l'aimais, mon ami:
jamais un père n'aima plus chèrement son fils. Pour te dire la vérité,
le chagrin a affaibli ma raison.--Quelle nuit! (_A Lear_.)--Je conjure
Votre Seigneurie...

LEAR.--Oh! je vous demande pardon.--Noble philosophe, honorez-moi de
votre compagnie.

EDGAR.--Tom a froid.

GLOCESTER, _à Edgar_.--Va, l'ami. A ta hutte; va t'y réchauffer.

LEAR.--Allons, entrons-y tous.

KENT.--C'est par ici, seigneur.

LEAR.--Avec lui: je veux rester avec mon philosophe.

KENT.--Mon bon seigneur, calmez-le; laissez prendre cet homme avec lui.

GLOCESTER.--Emmenez-le.

KENT, _à Edgar_.--Allons, l'ami, viens avec nous.

LEAR.--Venez, bon Athénien.

GLOCESTER.--Silence! silence! chut.

EDGAR.

  Le jeune chevalier Roland vint à la tour ténébreuse;
  Il disait toujours, fi! foh! fum!
  Je sens ici le sang d'un Breton.

(Ils sortent.)


SCÈNE V

Un appartement du château de Glocester.

_Entrent_ CORNOUAILLES, EDMOND.


CORNOUAILLES.--Je serai vengé avant de quitter sa maison.

EDMOND.--Mais, seigneur, je pourrai être blâmé d'avoir ainsi fait céder
la nature à la fidélité: je m'effraye un peu de cette pensée.

CORNOUAILLES.--Je vois maintenant que ce n'était pas uniquement le
mauvais naturel de votre frère qui le portait à en vouloir à la vie de
son père, mais que les vices de celui-ci ont provoqué la condamnable
méchanceté de l'autre.

EDMOND.--Que ma destinée est cruelle, qu'il faille me repentir
d'être juste!--Voici la lettre dont il m'a parlé, et qui prouve ses
intelligences avec le parti qui sert les intérêts de la France. Oh!
cieux! s'il avait été possible que cette trahison n'existât pas ou ne
fût pas découverte par moi!

CORNOUAILLES.--Suivez-moi chez la duchesse.

EDMOND.--Si le contenu de cette lettre est véritable, vous avez de
grandes affaires sur les bras.

CORNOUAILLES.--Faux ou vrai, il t'a fait comte de Glocester. Découvre où
peut être ton père, afin que je n'aie qu'à le faire prendre.

EDMOND, _à part_.--Si je le trouve assistant le roi, cette circonstance
augmentera encore les soupçons. (_Haut_.)--Je continuerai de vous être
fidèle, quoique j'aie un rude combat à soutenir entre vous et la nature.

CORNOUAILLES.--Va, je mets toute ma confiance en toi, et mon affection
te rendra un meilleur père.

(Ils sortent.)


SCÈNE VI

Une chambre dans une ferme joignant au château.

_Entrent_ GLOCESTER, LEAR, KENT, LE FOU ET EDGAR.


GLOCESTER.--Il fait meilleur ici qu'en plein air: sachez-m'en quelque
gré. Je vais vous fournir autant que je pourrai les moyens de rendre
ceci plus commode. Je ne vous quitte pas pour longtemps.

KENT.--Toutes les puissances de la raison ont cédé en lui à la violence
du chagrin.--Que le ciel récompense votre bonté.

(Glocester sort.)

EDGAR.--Ratèrent m'appelle: il me dit que Néron joue du triangle dans le
lac de ténèbres[41]. Priez, innocents, et gardez-vous du malin esprit.

[Note 41: Selon Rabelais, c'est du violon que Néron joue en enfer et
Trajan du triangle.]

LE FOU.--Noncle, dis-moi, je t'en prie, un fou est-il noble ou roturier?

LEAR.--C'est un roi, c'est un roi.

LE FOU.--Non, c'est un roturier qui a pour fils un gentilhomme; car
c'est un fou que le roturier qui consent à voir devant lui son fils
gentilhomme.

LEAR.--Il m'en faut faire venir mille avec des broches rougies au feu
qui siffleront contre eux.

EDGAR.--Le malin esprit me mord dans le dos.

LE FOU.--Il est fou celui qui se fie à la douceur d'un loup apprivoisé,
à la santé d'un cheval, à l'amitié d'un jeune homme et au serment d'une
prostituée.

LEAR.--Cela sera; je vais les sommer de comparaître à l'instant.--(_A
Edgar_.) Viens, assieds-toi là, très-savant justicier.--(_Au fou_.) Et
toi, sage seigneur, assieds-toi là.--Eh bien! traîtresses...

EDGAR.--Voyez comme il reste là, comme il fixe ses yeux ardents...
Désires-tu des spectateurs à ton procès, madame?...

  Viens à moi en traversant le ruisseau, Bessy.

LE FOU.

  Elle a une fente à son bateau,
  Et ne peut pas dire
  Pourquoi elle n'ose venir à toi.

EDGAR.--Le malin esprit poursuit le pauvre Tom avec la voix d'un
rossignol. Hopdance crie dans le ventre de Tom pour avoir deux harengs
blancs. Cesse de croasser, ange noir; je n'ai rien à manger pour toi.

KENT, _à Lear_.--Eh bien! comment vous trouvez-vous, seigneur? Ne
demeurez pas ainsi dans la stupeur. Voulez-vous vous coucher et reposer
sur ces coussins?

LEAR.--Voyons d'abord leur procès.--Qu'on amène les témoins. (_A
Edgar_.)--Toi, juge en robe, prends ta place; et toi qui es
accouplé avec lui au joug de l'équité, prends siége à ses côtés. (_A
Kent_.)--Vous êtes de la commission; asseyez-vous aussi.

EDGAR.--Procédons avec justice.

  Dors-tu ou veilles-tu, gentille pastourelle?
  Tes brebis sont dans le blé.
  Un souffle seulement de ta petite bouche,
  Et tes brebis sont préservées de mal.

  Pouff! le chat est gris!

LEAR.--- Citez d'abord celle-ci; c'est Gonerille. J'affirme ici par
serment, devant cette honorable assemblée, qu'elle a chassé à coups de
pied le pauvre roi son père.

LE FOU.--Avancez, maîtresse; votre nom est-il Gonerille?

LEAR.--Elle ne peut pas le désavouer.

LE FOU.--Je vous demande pardon; je vous prenais pour un escabeau.

LEAR.--Tenez, en voici une autre dont les yeux hagards annoncent de
quelle trempe est son coeur. Arrêtez-la ici: aux armes! aux armes, fer,
flamme!--La corruption est entrée ici.--Juge inique, pourquoi l'as-tu
laissée échapper?

EDGAR.--Dieu bénisse tes cinq sens!

KENT.--O pitié! Seigneur, où est donc maintenant cette patience que vous
vous êtes vanté si souvent de conserver?

EDGAR, _à part_.--Mes larmes commencent à se mettre tellement de son
parti, qu'elles vont gâter mon personnage.

LEAR.--Les petits chiens tout comme les autres: voyez, Tray, Blanche,
Petit-Coeur; les voilà qui aboient contre moi.

EDGAR.--Tom va leur jeter sa tête.--Allez-vous-en, roquets.

  Que ta gueule soit blanche ou noire,
  Que tes dents empoisonnent quand tu mords,
  Mâtin, lévrier, métis hargneux,
  Chien courant ou épagneul, braque ou limier,
  Mauvais petit chien à la queue coupée ou la queue en trompette,
  Tom les fera tous hurler et gémir;
  Car lorsque je leur jette ainsi ma tête,
  Les chiens sautent par-dessus la porte et tous se sauvent.

Don don don do. C'est çà. Allons aux veillées, aux foires, aux villes de
marché. Pauvre Tom, ta corne est à sec.

LEAR.--Maintenant qu'on dissèque Régane.--Voyez de quoi se nourrit son
coeur. Y a-t-il dans la nature quelques éléments qui puissent former des
coeurs si durs? (_A Edgar._)--Vous, mon cher, je vous prends au nombre
de mes cent chevaliers: seulement la mode de votre habit ne me plaît
point. Vous me direz peut-être que c'est un costume persan; cependant
changez-en.

KENT.--Maintenant, mon bon maître, couchez-vous ici, et prenez un peu de
repos.

LEAR.--Point de bruit, point de bruit. Tirez les rideaux; ainsi, ainsi,
ainsi, nous irons souper dans la matinée; ainsi, ainsi, ainsi.

LE FOU.--Et je me coucherai à midi.

(Entre Glocester.)

GLOCESTER.--Approche, ami. Où est le roi, mon maître?

KENT.--Le voilà, seigneur; mais ne le troublez pas; sa raison est
perdue.

GLOCESTER.--Mon bon ami, je te conjure, prends-le dans tes bras: je
viens d'entendre un complot pour le mettre à mort. Il y a ici une
litière toute prête: porte-le dedans, et conduis-le promptement vers
Douvres, ami, où tu trouveras un bon accueil et des protecteurs. Enlève
ton maître: si tu diffères seulement d'une demi-heure, lui, toi et
quiconque osera prendre sa défense, êtes assurés de périr.--Prends-le,
prends-le, et suis-moi. Je vais le conduire en peu d'instants au lieu où
j'ai tout fait préparer.

KENT.--La nature épuisée s'est assoupie. Le sommeil aurait pu remettre
quelque baume dans tes organes blessés. Si les circonstances ne le
permettent pas, ta guérison sera difficile. (_Au fou_.) Allons, aide-moi
à porter ton maître; il ne faut pas que tu restes en arrière.

GLOCESTER.--Allons, allons, partons.

(Sortent Kent, Glocester et le fou, emportant le roi.)

EDGAR.--Quand nous voyons nos supérieurs endurer les mêmes maux que
nous, à peine conservons-nous quelque amertume sur nos misères. Celui
qui souffre seul souffre surtout dans son âme, en laissant derrière lui
des êtres libres et le spectacle du bonheur. Mais l'âme surmonte bien
plus facilement la douleur, quand le malheur a des compagnons, et que
l'on souffre en société. Que mes peines me semblent maintenant légères
et supportables, quand je vois le roi incliné sous le même poids qui me
fait courber. Il a des enfants comme moi j'ai un père.--Tom, pars;
sois attentif à ces grands événements, et découvre-toi quand l'opinion
trompeuse qui te flétrit de ses injurieuses pensées, détruite à bon
droit par tes actions, rapportera son jugement et reconnaîtra ton
innocence. Arrive ce qui pourra cette nuit, si du moins le roi se
sauve!--Cachons-nous, cachons-nous.

(Il sort.)


SCÈNE VII

Un appartement du château de Glocester.

_Entrent_ CORNOUAILLES, RÉGANE, GONERILLE, EDMOND, DES DOMESTIQUES.


CORNOUAILLES, _à Gonerille_.--Partez promptement; allez trouver le
duc votre époux, et montrez-lui cette lettre. L'armée française est
débarquée. Qu'on cherche ce traître de Glocester.

(Quelques domestiques sortent.)

RÉGANE.--Qu'on le pende à l'instant.

GONERILLE.--Qu'on lui arrache les yeux.

CORNOUAILLES.--Laissez-le à mon ressentiment.--Edmond, accompagnez notre
soeur; il ne convient pas que vous soyez témoin de la vengeance que nous
sommes obligés de tirer de votre perfide père. Avertissez le duc chez
qui vous allez vous rendre de hâter le plus possible ses préparatifs.
Nous, nous nous engageons à en faire autant: nous établirons entre nous
des courriers rapides et intelligents. Adieu, chère soeur; adieu, comte
de Glocester. (_Entre Oswald_.)--Eh bien! où est le roi?

OSWALD.--Le comte de Glocester vient de le faire partir d'ici;
trente-cinq ou trente-six de ses chevaliers qui le cherchaient avec
ardeur l'ont joint à la porte, et ils sont tous partis pour Douvres avec
quelques-uns des gens du comte. Ils se vantent d'y trouver des amis bien
armés.

CORNOUAILLES.--Préparez des chevaux pour votre maîtresse.

GONERILLE.--Adieu, cher lord; adieu, ma soeur.

(Gonerille et Édouard sortent.)

CORNOUAILLES.--Adieu, Edmond.--Qu'on cherche le traître Glocester.
Garrottez-le comme un voleur, et amenez-le devant nous. (_Sortent encore
quelques domestiques_.)--Quoique nous ne puissions pas trop disposer
de sa vie sans les formes de la justice, notre pouvoir fera une grâce
à notre colère. On peut nous en blâmer, mais non pas nous en empêcher.
(_Rentrent les domestiques avec Glocester_.) Qui vient ici? Est-ce le
traître?

RÉGANE.--C'est lui-même.--Fourbe ingrat!

CORNOUAILLES.--Serrez-bien ses bras de liége.

GLOCESTER.--Que veulent dire Vos Seigneuries? Mes bons amis, considérez
que vous êtes mes hôtes; ne me faites point d'indignes traitements,
amis.

CORNOUAILLES.--Liez-le, vous dis-je.

(Les domestiques le lient.)

RÉGANE.--Ferme, ferme.--O l'infâme traître!

GLOCESTER.--Impitoyable dame, je ne suis point un traître.

CORNOUAILLES.--Attachez-le à cette chaise.--Scélérat, tu verras...

(Régane lui arrache la barbe.)

GLOCESTER.--Par les dieux propices, c'est me traiter bien indignement
que de m'arracher ainsi la barbe.

RÉGANE.--L'avoir si blanche, et être un pareil traître!

GLOCESTER.--Méchante dame, ces poils dont tu dépouilles mon menton
s'animeront pour t'accuser. Je suis votre hôte: devriez-vous ainsi
d'une main déloyale insulter à ma bienveillance hospitalière? Que
prétendez-vous?

CORNOUAILLES.--Voyons, mon gentilhomme; quelles lettres avez-vous
dernièrement reçues de France?

RÉGANE.--Répondez franchement, car nous savons la vérité.

CORNOUAILLES.--Quelle intelligence avez-vous avec les traîtres qui
viennent de débarquer dans ce royaume?

RÉGANE.--A quelles mains envoyez-vous remettre votre lunatique de roi?

GLOCESTER.--J'ai reçu une lettre où l'on m'entretient de conjectures:
elle me vient d'une personne tout à fait neutre, et non d'aucun de vos
ennemis.

CORNOUAILLES.--Artifice.

RÉGANE.--Mensonge.

CORNOUAILLES.--Où as-tu envoyé le roi?

GLOCESTER.--A Douvres.

RÉGANE.--Pourquoi à Douvres? N'étais-tu pas chargé, sous peine...

CORNOUAILLES.--Pourquoi à Douvres?--Qu'il réponde d'abord à cela.

GLOCESTER.--Je suis attaché au poteau; il me faut soutenir l'attaque.

RÉGANE.--Pourquoi à Douvres?

GLOCESTER.--Parce que je ne voulais pas voir tes ongles cruels arracher
ses pauvres vieux yeux, et ta soeur féroce enfoncer dans sa chair sacrée
ses défenses de sanglier. Par une tempête semblable à celle que sa tête
nue a supportée pendant cette nuit noire comme l'enfer, la mer soulevée
serait allée éteindre et entraîner les feux des étoiles; et cependant
son pauvre vieux coeur secondait encore la pluie du ciel.--Si dans
cette rude nuit les loups avaient hurlé à ta porte, tu aurais dit: «Bon
portier, tourne-leur la clef.»--Tout ce qu'il y a de cruel, excepté
vous, avait cédé.--Mais je verrai les ailes de la vengeance atteindre de
pareils enfants.

CORNOUAILLES.--Tu ne le verras jamais.--Vous autres, tenez bien cette
chaise.--J'écraserai tes yeux sous mon pied.

(On tient Glocester retenu sur la chaise, tandis que le duc lui arrache
un oeil et l'écrase avec son pied.)

GLOCESTER.--Que celui qui espère parvenir à la vieillesse me donne
quelque secours!--O cruels! O dieux!

RÉGANE.--Un côté se moquerait de l'autre: l'autre aussi.

CORNOUAILLES.--Si tu vois la vengeance...

UN DES DOMESTIQUES.--Arrêtez, seigneur: je vous sers depuis mon enfance;
mais je ne vous rendis jamais un plus grand service qu'en vous priant de
vous arrêter...

RÉGANE.--Qu'est-ce que c'est, chien que vous êtes?

LE DOMESTIQUE.--Si vous portiez barbe au menton, je la secouerais dans
cette occasion.--Que prétendez-vous?

CORNOUAILLES.--Quoi! un vilain qui est à moi!

(Il tire son épée et court sur lui.)

LE DOMESTIQUE.--Eh bien! avancez donc, et subissez les hasards de la
colère.

(Ils se battent et le duc est blessé.)

RÉGANE, _à un autre domestique_.--Donne-moi ton épée.--Un paysan tenir
tête ainsi!

(Elle se saisit d'une épée et le frappe par derrière.)

LE DOMESTIQUE.--Oh! je suis mort!--Milord, il vous reste encore un oeil
pour voir quelque malheur tomber sur lui.

(Il meurt.)

CORNOUAILLES.--De peur qu'il n'en voie davantage encore, il faut le
prévenir. (_Il lui arrache l'autre oeil et le jette à terre_.)--A terre,
vile marmelade; où est maintenant ton éclat?

GLOCESTER.--Plus rien que ténèbres et affliction! Où est mon fils
Edmond?--Edmond, allume en toi toutes les étincelles de la nature pour
payer cette horrible action.

RÉGANE.--Va-t'en, traître, scélérat! Tu appelles à ton secours celui qui
te hait: c'est lui-même qui nous a dévoilé tes trahisons; il est trop
honnête homme pour avoir pitié de toi.

GLOCESTER.--O insensé que j'étais! j'ai donc fait injure à Edgar! Dieux
cléments, pardonnez-le-moi, et le rendez heureux.

RÉGANE.--Allez, jetez-le hors des portes, et qu'il flaire son chemin
d'ici à Douvres.--Qu'est-ce donc, seigneur? Qu'avez-vous?

CORNOUAILLES.--Je suis blessé.--Venez avec moi, madame.--Qu'on mette
dehors ce coquin aveugle.--(_Montrant le corps du domestique_.)
Jetez-moi cet esclave sur le fumier.--Régane, mon sang coule en
abondance: cette blessure est venue mal à propos. Donnez-moi votre bras.

(Il sort en s'appuyant sur le bras de Régane.)

(Les domestiques délient Glocester et le conduisent dehors.)

PREMIER DOMESTIQUE.--Si cet homme vient à bien, je ne m'embarrasse plus
de toutes les méchancetés que je pourrai faire.

SECOND DOMESTIQUE.--Si elle vit longtemps et à la fin trouve une mort
naturelle, toutes les femmes vont devenir des monstres.

PREMIER DOMESTIQUE.--Suivons le vieux comte, et chargeons le mendiant de
Bedlam de le conduire où il voudra: la folie de ce drôle-là se prête à
tout.

SECOND DOMESTIQUE.--Va, toi: je vais chercher un peu de filasse et de
blanc d'oeuf pour mettre sur son visage tout ensanglanté; et puis, que
le ciel ait pitié de lui.
                
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