William Shakespear

Troïlus et Cressida
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AJAX.--Trompette, voilà ma bourse. Maintenant crève tes poumons et brise
ta trompe d'airain. Souffle, coquin, jusqu'à ce que tes joues arrondies
se gonflent plus que celles de l'aquilon essoufflé. Allons, enfle ta
poitrine, et que le sang jaillisse de tes yeux; c'est Hector que tu
appelles.

(La trompette sonne.)

ULYSSE.--Aucune trompette ne répond.

ACHILLE.--Il est bien matin encore.

AGAMEMNON.--N'est-ce pas Diomède qu'on aperçoit là-bas, avec la fille de
Calchas?

ULYSSE.--C'est lui-même; je le reconnais à sa tournure: il marche en
s'élevant sur la pointe du pied; c'est son ambitieuse fierté qui l'élève
ainsi au-dessus de la terre.

(Diomède s'avance avec Cressida.)

AGAMEMNON.--Est-ce là la jeune Cressida?

DIOMÈDE.--Oui, c'est elle.

AGAMEMNON.--Vous êtes la bienvenue chez les Grecs, belle dame.

NESTOR.--Notre général vous salue d'un baiser.

ULYSSE.--Ce n'est là qu'une courtoisie particulière: il vaudrait bien
mieux qu'elle fût baisée par tous en général[45].

[Note 45: Notre général et en général, jeu de mots.]

NESTOR.--Et c'est là un conseil bien galant. Allons, c'est moi qui
commencerai.--Voilà pour Nestor.

ACHILLE.--Je veux chasser l'hiver de vos lèvres, belle dame. Achille
vous souhaite la bienvenue.

MÉNÉLAS.--J'avais jadis de bonnes raisons pour mes baisers.

PATROCLE.--Mais ce n'est pas une raison pour baiser aujourd'hui; Pâris
est arrivé tout d'un coup si effrontément qu'il vous a séparés, vous et
vos raisons?

ULYSSE.--Amère pensée, sujet de tous nos affronts; nous perdons nos
têtes pour dorer ses cornes.

PATROCLE.--Le premier était le baiser de Ménélas, celui-ci est le mien;
c'est Patrocle qui vous embrasse.

MÉNÉLAS.--Oh! cela est joli!

PATROCLE.--Pâris et moi, nous baisons toujours pour Ménélas.

MÉNÉLAS.--Je veux avoir le mien, seigneur; belle dame, permettez....

CRESSIDA.--En embrassant, donnez-vous, ou recevez-vous?

MÉNÉLAS.--Je prends, et je donne.

CRESSIDA.--Je veux faire un marché où je puisse gagner ma vie. Le baiser
que vous prenez vaut mieux que celui que vous donnez; ainsi point de
baiser.

MÉNÉLAS.--Je vous payerai l'excédant; je vous en donnerai trois pour un.

CRESSIDA.--Donnez juste autant, ou n'en donnez point. Vous êtes un homme
impair.

MÉNÉLAS.--Un homme impair, dites-vous, belle? tout homme l'est.

CRESSIDA.--Non, Pâris ne l'est pas; car vous savez qu'il est très-vrai
que vous êtes impair, et que lui est au pair avec vous.

MÉNÉLAS.--Vous me donnez des chiquenaudes sur le front.

ULYSSE.--La partie ne serait pas égale, votre ongle contre sa corne.
Puis-je, belle dame, vous demander un baiser?

CRESSIDA.--Vous le pouvez.

ULYSSE.--Je le désire.

CRESSIDA.--Allons, demandez-le.

ULYSSE.--Eh bien! pour l'amour de Vénus, donnez-moi un baiser, quand
Hélène sera redevenue vierge, et en sa possession.

(Montrant Ménélas.)

CRESSIDA.--Je suis votre débitrice: réclamez votre payement quand il
sera échu.

ULYSSE.--Jamais le jour n'arrivera, ni votre baiser.

DIOMÈDE.--Madame, un mot.--Je vais vous conduire à votre père.

(Diomède emmène Cressida.)

NESTOR.--C'est une femme d'un esprit vif.

ULYSSE.--Fi donc, fi donc! tout parle en elle, ses yeux, ses joues,
ses lèvres, jusqu'au mouvement de son pied. Ses penchants déréglés se
décèlent dans tous ses muscles, dans tous les mouvements de sa personne.
Oh! ces hardies assaillantes, si libres de la langue, qui vous font
ainsi les premières avances, et qui ouvrent les tablettes de leurs
pensées toutes grandes au premier venu qui les flatte, regardez-les
comme la proie complaisante de la première occasion, et de vraies filles
du métier.

(On entend une trompette au dehors.)

TOUS.--La trompette du Troyen.

AGAMEMNON.--Voilà sa troupe qui vient.

(Entrent Hector armé, Énée, Troïlus, d'autres Troyens et suite.)

ÉNÉE.--Salut! vous tous, princes de la Grèce. Quel sera le prix de
celui qui remportera la victoire? ou vous proposez-vous de déclarer
un vainqueur? voulez-vous que les deux champions se poursuivent l'un
l'autre jusqu'à la dernière extrémité: ou seront-ils séparés par quelque
voix, quelque signal du champ de bataille? Hector m'a ordonné de vous le
demander.

AGAMEMNON.--Quel est le désir d'Hector?

ÉNÉE.--Cela lui est indifférent: il obéira aux conventions.

ACHILLE.--C'est bien là Hector; mais il agit bien tranquillement,
avec un peu de fierté et il ne fait pas grand cas du chevalier son
adversaire.

ÉNÉE.--Si vous n'êtes pas Achille, seigneur, quel est votre nom?

ACHILLE.--Si je ne suis pas Achille, je n'en ai point.

ÉNÉE.--Eh bien, Achille soit: mais qui que vous soyez, sachez ceci: que
les deux extrêmes en valeur et en orgueil excellent chez Hector: l'un
monte presque jusqu'à l'infini; l'autre descend jusqu'au néant. Faites
bien attention à ce héros, et ce qui en lui ressemble à de l'orgueil
est courtoisie. Cet Ajax est à demi-formé du sang d'Hector, et par amour
pour ce sang la moitié d'Hector reste à Troie: c'est la moitié de
son courage, de sa force, la moitié d'Hector, qui vient chercher ce
chevalier de sang mêlé, moitié Grec et moitié Troyen.

ACHILLE.--Ce ne sera donc qu'un combat de femme?--Oh! je vous comprends.

(Diomède revient.)

AGAMEMNON.--Voici Diomède.--Allez, noble chevalier: tenez-vous près de
notre Ajax. Il en sera comme vous déciderez, vous et le seigneur Énée,
sur l'ordre du combat; soit que vous arrêtiez qu'ils doivent se battre
à outrance ou que les deux champions pourront reprendre haleine: les
combattants étant parents, leur combat est à moitié arrêté avant que les
coups aient commencé.

(Ajax et Hector entrent dans la lice.)

ULYSSE.--Les voilà déjà prêts à en venir aux mains.

AGAMEMNON.--Quel est ce Troyen qui a l'air si triste?

ULYSSE.--C'est le plus jeune des fils de Priam, un vrai chevalier; il
n'est pas mûr encore et il est déjà sans égal: ferme dans sa parole,
parlant par ses actions et sans langue pour les vanter; lent à
s'irriter, mais lent à se calmer quand il est provoqué: son coeur et
sa main sont tous deux ouverts et tous deux francs; ce qu'il a, il le
donne, ce qu'il pense, il le montre: mais il ne donne que lorsque son
jugement éclaire sa bienfaisance, et il n'honore jamais de sa voix
une pensée indigne de son caractère: courageux comme Hector et plus
dangereux que lui. Hector, dans la fougue de sa colère, cède aux
impressions de la tendresse: mais lui, dans la chaleur de l'action, il
est plus vindicatif que l'amour jaloux: on le nomme Troïlus, et Troie
fonde sur lui sa seconde espérance, avec autant de confiance que sur
Hector même: ainsi le peint Énée, qui connaît ce jeune homme de la tête
aux pieds, et tel est le portrait qu'il m'a fait de lui en confidence,
dans le palais d'Ilion.

(Bruit de guerre. Hector et Ajax combattent.)

AGAMEMNON.--Les voilà aux prises.

NESTOR.--Allons, Ajax, tiens-toi bien sur tes gardes.

TROÏLUS.--Hector, tu dors; réveille-toi.

AGAMEMNON.--Ses coups sont bien ajustés.--Ici, Ajax.

DIOMÈDE, _aux deux champions_.--Il faut vous en tenir là.

(Les trompettes cessent.)

ÉNÉE.--Princes, c'est assez, je vous prie.

AJAX.--Je ne suis pas encore échauffé. Recommençons le combat.

DIOMÈDE.--Comme il plaira à Hector.

HECTOR.--Eh bien! moi, je veux en rester là.--Noble guerrier, tu es le
fils de la soeur de mon père, cousin-germain des enfants de l'auguste
Priam. Les devoirs du sang défendent entre nous deux une émulation
sanguinaire. Si tu étais mélangé d'éléments grecs et troyens, de
manière à pouvoir dire: «Cette main est toute grecque et celle-ci toute
troyenne: les muscles de cette jambe sont de Troie et les muscles de
celle-ci sont de la Grèce: le sang de ma mère colore la joue droite, et
dans les veines de cette joue gauche bouillonne le sang de mon père,»
par le tout-puissant Jupiter, tu ne remporterais pas un seul de tes
membres grecs, sans que mon épée y eût marqué l'empreinte de notre
haine irréconciliable; mais que les dieux ne permettent pas que mon épée
homicide répande une goutte du sang que tu as emprunté de ta mère, la
tante sacrée d'Hector.--Que je t'embrasse, Ajax! par le Dieu qui tonne,
tu as des bras vigoureux, et voilà comme Hector veut qu'ils tombent sur
lui. Cousin, honneur à toi!

AJAX.--Je te remercie, Hector: tu es trop franc et trop généreux.
J'étais venu pour te tuer, cousin, et pour remporter, par ta mort, de
nouveaux titres de gloire.

HECTOR.--L'admirable Néoptolème lui-même, dont la renommée montre le
panache brillant, criant de sa voix éclatante: c'est lui, ne pourrait
pas se promettre d'ajouter à sa gloire un laurier de plus enlevé à
Hector.

ÉNÉE.--Les deux partis sont dans l'attente de ce que vous allez faire.

HECTOR.--Nous allons y satisfaire. L'issue du combat est notre
embrassement. Adieu, Ajax.

AJAX.--Si je puis me flatter d'obtenir quelque succès par mes prières,
bonheur qui m'arrive rarement, je désirerais voir mon illustre cousin
dans nos tentes grecques.

DIOMÈDE.--C'est le désir d'Agamemnon, et le grand Achille languit de
voir le vaillant Hector désarmé.

HECTOR.--Énée, appelez-moi mon frère Troïlus; et allez annoncer à ceux
du parti troyen qui nous attendent cette entrevue d'amitié; priez-les
de rentrer dans Troie.--(_A Ajax.)_ Donne-moi ta main, cousin, je veux
aller dîner avec toi, et voir vos guerriers.

AJAX.--Voilà l'illustre Agamemnon qui vient au-devant de nous.

HECTOR.--Nomme-moi l'un après l'autre les plus braves d'entre eux: mais
pour Achille, mes yeux le chercheront et le reconnaîtront seuls à sa
haute et robuste taille.

AGAMEMNON.--Digne guerrier, soyez le bienvenu autant que vous pouvez
l'être d'un homme qui voudrait être délivré d'un tel ennemi. Mais ce
n'est pas là un bon accueil; écoutez ma pensée en termes plus clairs.
Le passé et l'avenir sont couverts d'un voile et des ruines informes de
l'oubli: mais dans le moment présent, la foi et la franchise,
purifiées de toute intention détournée, t'adressent, grand Hector, avec
l'intégrité la plus divine, un salut sincère, du plus profond du coeur.

HECTOR.--Je te rends grâces, royal Agamemnon.

AGAMEMNON, _à Troïlus_.--Illustre prince de Troie, soyez aussi le
bienvenu.

MÉNÉLAS.--Laissez-moi confirmer le salut du roi mon frère; noble couple
de frères belliqueux, soyez les bienvenus ici.

HECTOR.--A qui avons-nous à répondre?

MÉNÉLAS.--Au noble Ménélas.

HECTOR.--Ah! c'est vous, seigneur? Par le gantelet de Mars, je vous
remercie. Ne vous moquez pas de moi si je choisis ce serment peu
ordinaire. Celle qui fut naguère votre femme jure toujours par le gant
de Vénus: elle est en pleine santé; mais elle ne m'a point chargé de
vous saluer de sa part.

MÉNÉLAS.--Ne la nommez pas: c'est un sujet fatal d'entretien.

HECTOR.--Ah! pardon, je vous offense.

NESTOR.--Brave Troyen, je vous avais vu souvent, travaillant pour la
destinée, ouvrir un chemin sanglant à travers les rangs de la jeunesse
grecque; je vous avais vu, ardent comme Persée, pousser votre coursier
phrygien, mais dédaignant bien des exploits et bien des défaites quand
une fois vous aviez suspendu votre épée en l'air, et ne la laissant
point retomber sur ceux qui étaient tombés, voilà ce qui me faisait dire
à ceux qui étaient près de moi: Voyez Jupiter qui distribue la vie!
je vous avais vu, enfermé dans un cercle de Grecs, vous arrêter et
reprendre haleine, comme un lutteur dans les jeux olympiques. Voilà
comme je vous avais vu. Mais je n'avais pas encore vu votre visage,
qui était toujours caché par l'acier. J'ai connu votre aïeul et j'ai
combattu une fois contre lui, c'était un bon soldat; mais j'en jure
par le dieu Mars, notre chef à tous, il ne vous fut jamais comparable.
Permettez qu'un vieillard vous embrasse; venez, digne guerrier, soyez le
bienvenu dans notre camp.

ÉNÉE, _à Hector_.--C'est le vieux Nestor.

HECTOR.--Laisse-moi t'embrasser, bon vieillard, chronique antique, qui
as si longtemps marché en donnant la main au temps; vénérable Nestor, je
suis heureux de te serrer dans mes bras.

NESTOR.--Je voudrais que mes bras pussent lutter contre les tiens dans
le combat, comme ils luttent avec toi d'amitié.

HECTOR.--Je le voudrais aussi.

NESTOR.--Ah! par cette barbe blanche, je combattrais contre toi dès
demain. Allons, sois le bienvenu: j'ai vu le temps, où...

ULYSSE.--Je suis étonné que cette ville là-bas soit encore debout,
lorsque nous avons ici près de nous sa colonne et sa base.

HECTOR.--Je reconnais bien vos traits, seigneur Ulysse. Ah! seigneur, il
y a bien des Grecs et des Troyens de morts; depuis que je vous vis pour
la première fois avec Diomède dans Ilion, lorsque vous y vîntes député
par les Grecs.

ULYSSE.--Oui; je vous prédis alors ce qui devait arriver. Ma prophétie
n'est encore qu'à la moitié de son cours; car ces murs que nous voyons
là-bas entourer fièrement votre Troie, et les cimes de ces tours
ambitieuses qui vont baiser les nuages devront bientôt baiser leur base.

HECTOR.--Je ne suis pas obligé de vous croire. Les voilà encore debout;
et je crois, sans vanité, que la chute de chaque pierre phrygienne
coûtera une goutte de sang grec. La fin couronne l'oeuvre. Et cet
antique et universel arbitre, le temps, amènera un jour la fin.

ULYSSE.--Oui; abandonnons-lui les événements.--Noble et vaillant Hector,
soyez le bienvenu: je vous conjure de venir dans ma tente, de m'honorer
de votre seconde visite, en quittant notre général, et d'y partager mon
repas.

ACHILLE.--Je passerai avant vous, seigneur Ulysse; avant vous.--A
présent, Hector, mes yeux sont rassasiés de te considérer: je t'ai
examiné en détail, Hector, et j'ai observé jointure par jointure.

HECTOR.--Est-ce Achille?

ACHILLE.--Je suis Achille.

HECTOR.--Tiens-toi droit, je te prie, laisse-moi te regarder.

ACHILLE.--Regarde tant que tu voudras.

HECTOR.--J'ai déjà fini.

ACHILLE.--Tu vas trop vite: moi je veux encore une fois te contempler
membre par membre, comme si je voulais t'acheter.

HECTOR.--Tu veux me parcourir tout entier, comme un livre d'amusement;
mais il y a en moi plus de choses que tu n'en comprends: pourquoi
m'opprimes-tu de tes regards?

ACHILLE.--Ciel! montre-moi dans quelle partie de son corps je dois le
détruire; si c'est ici, ou là, ou là? afin que je puisse donner un nom à
la blessure suivant son lieu, et rendre distincte la brèche par laquelle
aura fui la grande âme d'Hector. Ciel! réponds-moi.

HECTOR.--Les dieux bienheureux se déshonoreraient en répondant à
une pareille question; homme superbe, arrête encore: penses-tu donc
conquérir ma vie si facilement que tu puisses nommer d'avance avec une
exactitude si précise, l'endroit où tu veux me frapper de mort?

ACHILLE.--Oui, te dis-je!

HECTOR.--Tu serais un oracle que je ne t'en croirais pas: désormais,
sois bien sur tes gardes, car moi je ne te tuerai pas ici, ou là, ou
là; mais par les forges qui ont fabriqué le casque de Mars, je te
tuerai partout ton corps; oui, partout ton corps.--Vous, sages Grecs,
pardonnez-moi cette bravade, c'est son insolence qui arrache des folies
à mes lèvres; mais je tâcherai que mes actions confirment mes paroles;
ou puissé-je ne jamais...

AJAX.--Ne vous irritez point, cousin.--Et vous, Achille, laissez-là vos
menaces jusqu'à ce que l'occasion où votre volonté vous mettent à portée
de les exécuter. Vous pouvez chaque jour vous rassasier d'Hector, si
vous en avez tant d'envie; et le conseil de la Grèce, j'en ai peur,
aurait quelque peine à obtenir de vous d'en venir aux mains avec lui.

HECTOR.--Je vous prie, qu'on vous voie sur le champ de bataille:
nous n'avons livré que des combats insignifiants depuis que vous avez
abandonné la cause des Grecs.

ACHILLE.--M'en pries-tu, Hector? Demain, je te rencontrerai, cruel comme
la mort; ce soir nous sommes tous amis.

HECTOR.--Donne-moi ta main pour gage de ta promesse.

AGAMEMNON.--D'abord, vous tous, nobles Grecs, venez dans ma tente et
livrons-nous ensemble à la joie des festins; ensuite, fêtez Hector,
chacun à votre tour, suivant son loisir et votre libéralité. Que les
tambours battent, que les trompettes sonnent, et que ce grand guerrier
sache qu'il est le bienvenu.

(Ils sortent, excepté Troïlus et Ulysse.)

TROÏLUS.--Seigneur Ulysse, dites-moi, je vous prie, dans quelle partie
du camp se trouve Chalcas?

ULYSSE.--Dans la tente de Ménélas, noble Troïlus. Diomède y soupe avec
lui ce soir: Diomède ne regarde plus ni le ciel ni la terre; toute son
attention et ses amoureux regards sont fixés sur la belle Cressida.

TROÏLUS.--Aimable seigneur, vous aurais-je l'obligation infinie de m'y
conduire au sortir de la tente d'Agamemnon?

ULYSSE.--Je serai à vos ordres, seigneur: répondez à ma complaisance
en me disant quelle considération l'on avait à Troie pour Cressida? N'y
avait-elle pas un amant qui pleure à présent son absence?

TROÏLUS.--Ah! seigneur, ceux qui, pour se vanter, montrent leurs
cicatrices, méritent qu'on se moque d'eux. Voulez-vous que nous
marchions, seigneur? Elle était aimée, elle aimait: elle est aimée, elle
aime; mais le tendre amour est toujours la proie de la fortune.

(Ils sortent.)

FIN DU QUATRIÈME ACTE.




                            ACTE CINQUIÈME


SCÈNE I

Le camp des Grecs.--La scène se passe devant la tente d'Achille.

ACHILLE, PATROCLE.


ACHILLE.--Je vais lui échauffer le sang ce soir avec du vin grec; et
demain je le lui rafraîchirai avec mon épée.--Patrocle, fêtons-le à
toute outrance.

(Entre Thersite.)

PATROCLE.--Voici Thersite.

ACHILLE.--Eh bien! coeur de l'envie, pâte mal pétrie par la nature,
quelles nouvelles?

THERSITE.--Allons, toi, portrait de ce que tu parais, idole adorée par
des imbéciles, voilà une lettre pour toi.

ACHILLE.--De la part de qui, avorton?

THERSITE.--De Troie, plat de fou.

PATROCLE.--Qui garde la tente maintenant?

THERSITE.--L'étui du chirurgien, ou la blessure du patient[46].

[Note 46: _Tent_, appareil de chirurgie et tente.]

PATROCLE.--Bien dit, seigneur contrariant. Et quel besoin avons-nous de
ces tours d'esprit?

THERSITE.--Je t'en prie, tais-toi, mon garçon: je ne gagne rien à tes
propos: tu passes pour être le varlet mâle d'Achille.

PATROCLE.--Varlet mâle! Insolent que veux-tu dire par là?

THERSITE.--Eh bien! que tu es sa concubine mâle. Que toutes les
gangrènes du Midi, les coliques, les hernies, les catarrhes, la gravelle
et les sables des reins, les léthargies, les froides paralysies, la
chassie des yeux, la pourriture du foie, l'enrouement des poumons, les
apostumes, les sciatiques, les calcinantes ardeurs dans la paume des
mains, l'incurable carie des os, et les rides de la lèpre soient la
punition de ces horribles inventions!

PATROCLE.--Détestable boîte à envie, qui prétends-tu maudire ainsi?

THERSITE.--Est-ce que je te maudis, toi?

PATROCLE.--Non, borne en ruine; non, chien difforme, fils de prostituée.

THERSITE.--Non! Alors pourquoi t'emportes-tu, toi, écheveau léger de
soie floche, bandeau de taffetas vert pour un oeil malade, glands de
la bourse d'un prodigue! Ah! comme le pauvre monde est importuné de ces
moucherons d'eau, atomes de la nature!

PATROCLE.--Va-t'en, fiel!

THERSITE.--Va-t'en, oeuf de chardonneret[47]!

[Note 47: On ne sait trop quel sens injurieux Shakspeare attachait à
cette dénomination.]

ACHILLE.--Mon cher Patrocle, me voilà traversé dans mon grand projet de
combat pour demain. Voici une lettre de la reine Hécube, et un gage de
sa fille, ma belle maîtresse, qui m'imposent et m'adjurent de tenir un
serment que j'ai fait. Je ne veux pas le violer: tombez, Grecs; gloire,
éclipse-toi: honneur, fuis ou reste; mon premier voeu est engagé ici;
c'est à lui que je veux obéir.--Allons, allons, Thersite, aide à parer
ma tente; il faut passer toute cette nuit dans les festins.--Viens,
Patrocle.

(Ils sortent.)

THERSITE.--Avec trop de sang, et trop peu de cervelle, ces deux
compagnons peuvent devenir fous; mais s'ils le deviennent jamais par
trop de cervelle, et par trop peu de sang, je consens à me faire médecin
de fous.--Voici Agamemnon, un assez honnête homme, et grand amateur de
cailles[48]. Mais il n'a pas autant de cervelle qu'il a de cire dans
l'oreille; et cette belle métamorphose de Jupiter qui est là, son frère,
le taureau, patron primitif et emblème des hommes déshonorés, maigre
chausse-pied dans une chaîne, pendant à la jambe de son frère, sous
quelle autre forme que celle qu'il a, l'esprit lardé de malice, ou la
malice farcie d'esprit, le métamorphoseraient-ils? En âne? ce ne serait
rien; il est à la fois âne et boeuf. En boeuf? ce ne serait rien encore;
il est à la fois boeuf et âne. Être chien, mulet, chat, putois,
crapaud, lézard, chouette, buse, ou un hareng sans laite; je ne m'en
embarrasserais pas: mais être un Ménélas, oh! je conspirerais contre la
destinée. Ne me demandez pas ce que je voudrais être, si je n'étais pas
Thersite; car je consens à être le pou d'un mendiant, pourvu que je ne
sois pas Ménélas.--Ouais! Esprits et feux[49]!

[Note 48: La caille est un oiseau très-lascif; _caille coiffée_,
sobriquet qu'on donne aux femmes. En vieux français, _caille_ signifiait
fille de joie.]

[Note 49: Exclamation de Thersite en apercevant les torches dans le
lointain.]

(Entrent Hector, Troïlus, Ajax, Agamemnon, Ulysse, Nestor, Ménélas et
Diomède, avec des flambeaux.)

AGAMEMNON.--Nous nous trompons, nous nous trompons.

AJAX.--Non, c'est là-bas, où vous voyez de la lumière.

HECTOR.--Je vous dérange.

AJAX.--Non, non, pas du tout.

ULYSSE.--Le voilà, qui vient lui-même nous guider.

(Entre Achille.)

ACHILLE.--Soyez le bienvenu, brave Hector: soyez tous les bienvenus,
princes.

AGAMEMNON.--A présent, beau prince de Troie, je vous souhaite une bonne
nuit. Ajax commande la garde qui doit vous escorter.

HECTOR.--Merci, et bonne nuit au général des Grecs.

MÉNÉLAS.--Bonne nuit, seigneur.

HECTOR.--Bonne nuit, aimable Ménélas.

THERSITE, _à part_.--Aimable! Est-ce aimable qu'il a dit? Aimable égout,
aimable cloaque!

ACHILLE.--Bonne nuit, et salut à ceux qui s'en vont, ou qui restent.

AGAMEMNON.--Bonne nuit.

(Agamemnon et Ménélas s'en vont.)

ACHILLE.--Le vieux Nestor reste, et vous aussi Diomède, tenez compagnie
à Hector, une heure ou deux.

DIOMÈDE.--Je ne le puis, seigneur. J'ai une affaire importante dont
voici l'heure. Bonne nuit, brave Hector.

HECTOR.--Donnez-moi votre main.

ULYSSE, _à part, à Troïlus_.--Suivez sa torche; il va à la tente de
Calchas. Je vais vous accompagner.

TROÏLUS.--Aimable seigneur, vous me faites honneur.

HECTOR.--Adieu donc, bonne nuit.

(Diomède sort suivi d'Ulysse et de Troïlus.)

ACHILLE.--Allons, allons, entrons dans ma tente.

(Achille sort avec Hector, Ajax et Nestor.)

THERSITE.--Ce Diomède est un misérable au coeur faux, un scélérat sans
foi; je ne me fie pas plus à lui quand il vous regarde de travers,
qu'à un serpent quand il siffle. Il fera grand bruit de paroles et de
promesses, comme un mauvais limier; mais lorsqu'il les tient, oh! les
astronomes l'annoncent, c'est un prodige, cela doit amener quelque
révolution: le soleil emprunte sa lumière de la lune, quand Diomède
tient sa parole. J'aime mieux manquer de voir Hector que de ne pas le
suivre: on dit qu'il entretient une fille troyenne, et qu'il emprunte la
tente du traître Calchas; je veux le suivre. Il n'y a que des débauchés
ici: ce sont tous des valets incontinents.


SCÈNE II

Devant la tente de Calchas.

_Entre_ DIOMÈDE.


DIOMÈDE.--Est-on levé ici? Holà, répondez.

CALCHAS.--Qui appelle?

DIOMÈDE.--Diomède.--C'est Calchas, je crois.--Où est votre fille?

CALCHAS.--Elle vient à vous.

(Troïlus et Ulysse arrivent à quelque distance, Thersite est derrière
eux.)

ULYSSE.--Tenons-nous à l'écart pour que la torche ne nous fasse pas
apercevoir.

(Cressida entre.)

TROÏLUS.--Cressida va au-devant de lui!

DIOMÈDE.--Comment allez-vous, mon joli dépôt?

CRESSIDA.--Et vous, mon cher gardien? Écoutez, un mot en secret.

(Elle lui parle à l'oreille.)

TROÏLUS.--Ah! tant de familiarité!

ULYSSE.--Elle chantera de même au premier venu, à première vue.

THERSITE, _à part_.--Et tout homme la fera chanter s'il peut saisir sa
clef; elle est notée.

DIOMÈDE.--Vous souvenez-vous?...

CRESSIDA.--Si je m'en souviens! Oui.

DIOMÈDE.--Eh bien! faites-le donc, et que les effets répondent à vos
paroles.

TROÏLUS.--De quoi doit-elle se souvenir?

ULYSSE.--Écoutez!

CRESSIDA.--Grec doux comme le miel, ne me tentez pas davantage de faire
une folie.

THERSITE, _à part_.--Scélératesse!

DIOMÈDE.--Quoi! mais...

CRESSIDA.--Je vous dirai comment...

DIOMÈDE.--Bah! bah! allons, je m'en soucie comme d'une épingle, vous
êtes parjure...

CRESSIDA.--En bonne foi, je ne le puis! Que voulez-vous que je fasse?

THERSITE, _à part_.--Un tour d'escamotage... se faire ouvrir
secrètement.

DIOMÈDE.--Qu'avez-vous juré de m'accorder?

CRESSIDA.--Je vous prie, ne me forcez pas à tenir mon serment;
commandez-moi toute autre chose, doux Grec.

DIOMÈDE.--Bonsoir.

TROÏLUS.--Allons, patience!

ULYSSE.--Eh bien! Troyen?

CRESSIDA.--Diomède...

DIOMÈDE.--Non, non, bonsoir: je ne serai plus votre dupe.

TROÏLUS.--Meilleur que toi l'est bien.

CRESSIDA.--Écoutez: un mot à l'oreille.

TROÏLUS.--O peste et fureur!

ULYSSE.--Vous êtes ému, prince! Partons, je vous en prie, de peur que
votre ressentiment n'éclate en paroles forcenées: ce lieu est dangereux:
le moment est mortel: je vous en conjure, partons.

TROÏLUS.--Voyons, je vous prie.

ULYSSE.--Seigneur, allons-nous-en: vous volez à une mort certaine;
venez, seigneur.

TROÏLUS.--Je vous prie, demeurez.

ULYSSE.--Vous n'avez pas assez de patience: venez.

TROÏLUS.--De grâce, attendez: par l'enfer, et par tous les tourments de
l'enfer, je ne dirai pas une parole.

DIOMÈDE.--Et là-dessus, bonne nuit.

CRESSIDA.--Oui, mais vous me quittez en colère.

TROÏLUS.--C'est donc là ce qui t'afflige! O foi corrompue!

ULYSSE.--Eh bien! seigneur, vous allez...

TROÏLUS.--Par Jupiter, je serai patient.

CRESSIDA.--Mon gardien!... Eh bien! Grec?

DIOMÈDE.--Bah! bah! adieu. Vous me jouez.

CRESSIDA.--En vérité, non: revenez ici.

ULYSSE.--Quelque chose, seigneur, vous agite: voulez-vous partir? Vous
allez éclater.

TROÏLUS.--Elle lui caresse la joue!

ULYSSE.--Venez, venez.

TROÏLUS--Non, attendez: par Jupiter, je ne dirai pas un mot: il y a
entre ma volonté et tous les outrages un rempart de patience.--Restons
encore un moment.

THERSITE, _à part_.--Comme le démon de la luxure avec sa croupe arrondie
et ses doigts de pommes de terre les chatouille tous les deux[50]!
Multiplie, luxure, multiplie!

[Note 50: Les pommes de terre passaient alors pour porter à
l'incontinence.]

DIOMÈDE.--Mais vraiment, vous le ferez?...

CRESSIDA.--Sur ma foi, je le ferai, là, ou ne vous fiez jamais à moi.

DIOMÈDE.--Donnez-moi quelque gage pour sûreté de votre parole.

CRESSIDA.--Je vais vous en chercher un.

(Cressida sort.)

ULYSSE.--Vous avez juré d'être patient.

TROÏLUS.--Ne craignez rien, seigneur: je ne serai pas moi-même, et
j'ignorerai ce que je sens. Je suis tout patience.

(Cressida rentre.)

THERSITE, _à part_.--Voilà le gage! voyons, voyons!

CRESSIDA.--Tenez, Diomède: gardez cette manche.

TROÏLUS.--O beauté, où est ta foi?

ULYSSE.--Seigneur...

TROÏLUS.--Je serai patient: je le serai du moins extérieurement.

CRESSIDA.--Vous regardez cette manche! Considérez-la bien.--Il
m'aimait!... O fille perfide!... Rendez-la moi.

DIOMÈDE.--A qui était-elle?

CRESSIDA.--Peu importe, je la tiens: je ne vous recevrai pas demain. Je
vous en prie, Diomède, cessez vos visites.

THERSITE, _à part_.--Voilà qu'elle aiguise son désir.--Bien dit, pierre
à aiguiser.

DIOMÈDE.--Je veux l'avoir.

CRESSIDA.--Quoi, ce gage?

DIOMÈDE.--Oui, cela même.

CRESSIDA.--O dieux du ciel!... O joli, joli gage! ton maître maintenant
est dans son lit songeant à toi et à moi; et il soupire, il prend mon
gant, et le baise doucement en souvenir de moi, comme je te baise ici...
Non, ne me l'arrachez pas: celui qui m'enlève ceci doit m'enlever mon
coeur en même temps.

DIOMÈDE.--J'avais votre coeur auparavant: ce gage doit le suivre.

TROÏLUS.--J'ai juré que je serais patient.

CRESSIDA.--Vous ne l'aurez pas, Diomède: non, vous ne l'aurez pas: je
vous donnerai quelque autre chose.

DIOMÈDE.--Je veux avoir ceci.--A qui était-ce?

CRESSIDA.--Peu importe.

DIOMÈDE.--Allons, dites-moi à qui cela appartenait.

CRESSIDA.--Cela appartenait à un homme qui m'aimait plus que vous ne
m'aimerez.--Mais, maintenant que vous l'avez, gardez-le.

DIOMÈDE.--A qui était-ce?

CRESSIDA.--Par toutes les suivantes de Diane qui brillent là-haut, et
par Diane elle-même, je ne vous le dirai pas!

DIOMÈDE.--Demain je veux le porter sur mon casque, et tourmenter le
coeur de son maître, qui n'osera pas le revendiquer.

TROÏLUS.--Tu serais le diable, et tu le porterais sur tes cornes, qu'il
serait revendiqué.

CRESSIDA.--Allons, allons, c'est fait, c'est fini... Et cependant non,
pas encore.--Je ne veux pas tenir ma parole.

DIOMÈDE.--En ce cas, adieu donc. Tu ne te moqueras plus de Diomède.

CRESSIDA.--Vous ne vous en irez pas.--On ne peut dire un mot, que vous
ne vous courrouciez.

DIOMÈDE.--Je n'aime point toutes ces plaisanteries.

THERSITE, _à part_.--Ni moi, par Pluton: mais c'est ce que vous n'aimez
pas, qui me plaît le plus.

DIOMÈDE.--Eh bien! viendrai-je? A quelle heure?

CRESSIDA.--Oui, venez... O Jupiter!... Oui, venez... Que je vais être
tourmentée!

DIOMÈDE.--Adieu, jusque-là.

(Il sort.)

CRESSIDA.--Bonne nuit. Je vous en prie, allons... _(Diomède sort_.)
Adieu, Troïlus! Un de mes yeux te regarde encore, mais c'est par l'autre
que mon coeur voit. O notre pauvre sexe! Je sens que c'est notre défaut,
de laisser guider notre âme par l'erreur de nos yeux, et ce que l'erreur
guide doit s'égarer. Oh! concluons donc que les coeurs, dirigés par les
yeux, sont pleins de turpitude!

(Elle sort.)

THERSITE, _à part_.--Elle ne pouvait pas donner une preuve plus forte, à
moins de dire: «Mon âme est maintenant changée en prostituée.»

ULYSSE.--Tout est fini, seigneur.

TROÏLUS.--Oui.

ULYSSE.--Pourquoi restons-nous alors?

TROÏLUS.--Pour repasser dans mon âme chaque syllabe qui a été prononcée.
Mais si je raconte la manière dont ils se sont concertés, ne mentirai-je
pas en publiant la vérité! Car il est encore une foi dans mon coeur, une
espérance si fatalement obstinée qu'elle renverse le témoignage de mes
oreilles et de mes yeux: comme si ces organes avaient des fonctions
trompeuses, créées uniquement pour la calomnie. Était-ce bien Cressida
qui était ici?

ULYSSE.--Je n'ai pas le pouvoir d'évoquer des fantômes, prince.

TROÏLUS.--Elle n'y était pas, j'en suis sûr.

ULYSSE.--Très-certainement elle y était.

TROÏLUS.--En le niant, je ne parle point en insensé.

ULYSSE.--Ni moi, en l'affirmant, seigneur; Cressida était ici, il n'y a
qu'un moment.

TROÏLUS.--Que l'on ne le croie pas pour l'honneur du sexe! Pensez que
nous avons eu des mères. Ne donnons point cet avantage à ces censeurs
acharnés et enclins, sans aucune cause et par dépravation, à juger de
tout le sexe sur l'exemple de Cressida. Croyons plutôt que ce n'est pas
là Cressida.

ULYSSE.--Ce qu'elle a fait, prince, peut-il déshonorer nos mères?

TROÏLUS.--Rien du tout, à moins que ce ne fût elle.

THERSITE, _à part_.--Quoi! veut-il donc braver le témoignage de ses
propres yeux?

TROÏLUS.--Elle, Cressida? Non, c'est la Cressida de Diomède; si la
beauté a une âme, ce n'est point là Cressida: si l'âme dicte les voeux,
si ces voeux sont des actes sacrés, si ces actes sacrés sont le
plaisir des dieux, s'il est vrai que l'unité soit une, ce n'était point
Cressida. O délire de raisonnements, par lesquels l'homme plaide pour et
contre soi-même: autorité équivoque, où la raison peut se soulever sans
se perdre, et où la raison perdue peut se croire sagesse! C'est et
ce n'est pas Cressida. Il s'élève dans mon âme un combat d'une nature
étrange, qui sépare une chose indivisible par un espace aussi immense
que celui qui sépare la terre et les cieux. Et cependant la vaste
largeur de cette division ne laisse pas d'ouverture à une pointe aussi
fine que la trame rompue d'Arachné. O preuve! preuve forte comme les
portes de Pluton! Cressida est à moi, elle tient à moi par les noeuds du
ciel. O preuve! preuve forte comme le ciel même! Les noeuds du ciel sont
relâchés et dénoués; et, par un autre noeud que ses cinq doigts viennent
de former, les restes de sa foi, les fragments de son amour, les débris
et les rebuts graisseux de sa fidélité sont attachés à Diomède.

ULYSSE.--Le sage Troïlus peut-il éprouver réellement la moitié des
sentiments qu'exprime ici sa passion?

TROÏLUS.--Oui, Grec; et cela sera divulgué en caractères aussi rouges
que le coeur de Mars enflammé par Vénus. Jamais jeune homme n'aima
d'une âme aussi constante, aussi fidèle. Grec, écoutez: autant j'aime
Cressida, autant, par la même raison, je hais Diomède. Cette manche,
qu'il veut porter sur son cimier, est à moi; et son casque, fût-il
l'ouvrage de l'art de Vulcain, mon épée saura l'entamer; et le terrible
ouragan, que les marins appellent trombe, condensé en une masse par le
tout-puissant soleil, n'étourdit pas l'oreille de Neptune d'un bruit
plus retentissant, que ne le fera mon épée en tombant à coups pressés
sur Diomède.

THERSITE, _à part_.--Il le chatouillera pour le punir de sa paillardise.

TROÏLUS.--O Cressida! ô perfide Cressida! perfide, perfide, perfide!
Qu'on place toutes les faussetés à côté de ton nom souillé, elles
paraîtront glorieuses.

ULYSSE.--Ah! de grâce, contenez-vous. Votre fureur attire les oreilles
de notre côté.

(Énée entre.)

ÉNÉE.--Je vous cherche depuis une heure, seigneur. Hector, à l'heure
qu'il est, s'arme dans Troie. Ajax, votre gardien, attend pour vous
reconduire dans la ville.

TROÏLUS.--Je suis à vous, prince.--Adieu, mon courtois seigneur.--Adieu,
beauté parjure! Et toi, Diomède, sois ferme et porte un château[51] sur
ta tête.

[Note 51: _Castle_, espèce de casque juste qui enfermait toute la
tête.]

ULYSSE.--Je veux vous accompagner jusqu'aux portes du camp.

TROÏLUS.--Agréez des remerciements troublés.

(Troïlus, Énée et Ulysse sortent.)

THERSITE.--Je voudrais rencontrer ce vaurien de Diomède; je croasserais
comme un corbeau; je lui présagerais malheur. Patrocle me donnera
tout ce que je voudrai si je lui fais connaître cette prostituée.
Un perroquet n'en ferait pas plus pour une amande, que lui, pour se
procurer une courtisane facile. Luxure, luxure! Toujours guerre et
débauche: rien autre ne reste à la mode! Qu'un diable brûlant les
emporte!

(Il sort.)


SCÈNE III

Troie.--Devant le palais de Priam.

HECTOR, ANDROMAQUE.


ANDROMAQUE.--Quand donc mon seigneur fut-il d'assez mauvaise humeur
pour fermer son oreille aux conseils? Désarmez-vous, désarmez-vous: ne
combattez point aujourd'hui.

HECTOR.--Vous me poussez à vous offenser: rentrez. Par tous les dieux
immortels, j'irai!

ANDROMAQUE.--Mes songes, j'en suis sûre, sont aujourd'hui des présages
certains.

HECTOR.--Cessez, vous dis-je.

(Entre Cassandre.)

CASSANDRE.--Où est mon frère Hector?

ANDROMAQUE.--Le voici, ma soeur, tout armé, et ne respirant que le
carnage. Unissez-vous à mes cris et à mes tendres prières: conjurons-le
à genoux; car j'ai rêvé de combats sanglants, et toute cette nuit je
n'ai vu que des spectres de mort et de carnage.

CASSANDRE.--Oh! c'est la vérité.

HECTOR.--Allez, dites à mon héraut de sonner la trompette.

CASSANDRE.--Oh! qu'elle ne sonne point le signal d'une sortie, au nom du
ciel, mon cher frère.

HECTOR.--Retirez-vous, vous dis-je; les dieux ont entendu mon serment.

CASSANDRE.--Les dieux sont sourds aux voeux d'une témérité obstinée; ce
sont des offrandes impures, plus abhorrées du ciel que les taches sur le
foie des victimes.

ANDROMAQUE.--Ah! laissez-vous persuader: ne croyez pas que ce soit un
acte pieux de faire le mal par respect pour un serment; il serait aussi
légitime pour nous de donner beaucoup au moyen de violents larcins, et
de voler au profit de la charité.

CASSANDRE.--C'est l'intention qui fait la force du serment; mais tous
les serments ne doivent point s'accomplir. Désarmez-vous, cher Hector.

HECTOR.--Tenez-vous tranquilles, vous dis-je! c'est mon honneur qui
règle mes destins. Tout homme tient à la vie; mais l'homme vertueux
attache plus de prix à l'honneur qu'à la vie. _(Entre Troïlus_.) Eh
bien! jeune homme, as-tu l'intention de combattre aujourd'hui?

ANDROMAQUE.--Cassandre, va chercher mon père pour persuader Hector.

(Cassandre sort.)

HECTOR.--Non, en vérité, jeune Troïlus; dépouille ton armure, jeune
homme, je suis aujourd'hui en veine de courage; laisse grossir tes
muscles jusqu'à ce que leurs noeuds soient robustes, et ne risque
pas les chocs terribles de la guerre; désarme-toi, va, et n'aie pas
d'inquiétude, brave jeune homme, je combattrai aujourd'hui pour toi,
pour moi, et pour Troie.

TROÏLUS.--Mon frère, vous avez en vous un vice de générosité qui sied
mieux à un lion qu'à un homme.

HECTOR.--Quel est ce vice, cher Troïlus? reproche-le-moi.

TROÏLUS.--Mille fois, quand les Grecs captifs tombent au seul sifflement
de votre belle épée, vous leur ordonnez de se lever et de vivre.

HECTOR.--Oh! c'est le franc jeu!

TROÏLUS.--Un jeu d'insensé, par le ciel, Hector!

HECTOR.--Comment donc? pourquoi?

TROÏLUS.--Pour l'amour de tous les dieux, Hector, laissons la compassion
à nos mères; et lorsqu'une fois nous avons revêtu nos armures, que la
vengeance la plus envenimée chevauche sur nos glaives; poussons-les aux
actes sanguinaires, et défendons-leur la pitié.

HECTOR.--Fi donc, barbare! fi!

TROÏLUS.--Hector, c'est ainsi qu'on fait la guerre.

HECTOR.--Troïlus, je ne veux pas que vous combattiez aujourd'hui.

TROÏLUS.--Qui pourrait me retenir? Ni la destinée, ni l'obéissance, ni
le bras de Mars, quand il me donnerait le signal de la retraite avec son
glaive enflammé, ni Priam ni Hécube à mes genoux, les yeux rougis par
les pleurs; ni vous, mon frère, avec votre fidèle épée nue et pointée
contre moi pour m'en empêcher, vous ne pourriez arrêter ma marche, qu'en
me tuant.

(Cassandre revient avec Priam.)

CASSANDRE.--Emparez-vous de lui, Priam, retenez-le. Il est votre bâton
de vieillesse; si vous le perdez, vous qui êtes appuyé sur lui, et Troie
entière qui l'est sur vous, vous tombez tous ensemble.

PRIAM.--Allons, Hector, allons, reviens sur tes pas; ta femme a eu des
songes, ta mère des visions. Cassandre prévoit l'avenir, et moi-même je
me sens saisi soudain d'un transport prophétique, pour t'annoncer que ce
jour est sinistre; ainsi rentre.

HECTOR.--Énée est au champ de bataille, et ma parole est engagée à
plusieurs Grecs, sur la foi de la valeur, de me présenter ce matin
devant eux.

PRIAM.--Tu n'iras point.

HECTOR.--Je ne dois pas violer ma parole. Vous me savez soumis: ainsi,
père chéri, ne me forcez pas à outrager le respect, mais accordez-moi la
grâce de suivre avec votre suffrage et votre consentement, le chemin que
vous voulez m'interdire, ô roi Priam!

CASSANDRE.--O Priam, ne lui cédez pas.

ANDROMAQUE.--Oh! non, mon bon père.

HECTOR.--Andromaque, je suis fâché contre vous; au nom de l'amour que
vous me portez, rentrez.

(Andromaque sort.)

TROÏLUS, _montrant Cassandre_.--Cette fille insensée, superstitieuse,
occupée de songes, crée tous ces vains présages.

CASSANDRE.--Adieu, cher Hector. Vois, comme te voilà mourant! comme tes
yeux s'éteignent! comme ton sang coule par mille blessures! Écoute les
gémissements de Troie, les sanglots d'Hécube: comme la pauvre Andromaque
exhale sa douleur dans ses cris aigus! Vois, le désespoir, la frénésie,
la consternation s'abordent comme des acteurs ignorants, tous crient:
Hector, Hector est mort! ô Hector!

TROÏLUS.--Va t'en! va t'en!

CASSANDRE.--Adieu!... Non, arrêtons-nous. Hector, je prends congé de
toi; tu te trompes toi-même, et notre Troie...

(Elle sort.)

HECTOR, _à Priam_.--Vous êtes consterné, mon père, de ses exclamations.
Rentrez, et rassurez les habitants: nous allons sortir pour combattre,
et faire des exploits dignes de louanges, que nous vous raconterons ce
soir.

PRIAM.--Adieu, que les dieux t'environnent et protégent tes jours!

(Priam sort, ainsi qu'Hector d'un côté opposé.--On entend des bruits
d'armes.)

TROÏLUS.--Les voilà à l'action, écoutez!--Présomptueux Diomède, sois sûr
que je viens pour perdre ce bras, ou regagner ma manche.

(Comme Troïlus va pour sortir, Pandare entre du côté opposé.)

PANDARE.--Entendez vous, seigneur? entendez-vous?

TROÏLUS.--Quoi donc?

PANDARE.--Voici une lettre de cette pauvre fille.

TROÏLUS.--Lisons.

PANDARE.--Une misérable phthisie, une coquine de phthisie me tourmente
horriblement, et de plus, la fortune de cette sotte fille; et soit une
chose, soit une autre, je vous ferai mes adieux un de ces jours; j'ai
encore une humeur dans les yeux et un tel mal dans les os, que je ne
sais qu'en penser, à moins qu'on ne m'ait jeté un sort.--Eh bien! que
dit-elle là-dedans?

TROÏLUS.--Des mots, des mots, rien que des mots; rien qui vienne du
coeur. (_Il déchire la lettre_.) L'effet est le contraire de ce qu'elle
croit. Allez, vent, avec le vent; changez et tournez ensemble. Elle
nourrit mon amour de paroles et de perfidies, mais elle consacre ses
actions à un autre.

(Ils sortent séparément.)


SCÈNE IV

Plaine entre Troie et le camp des Grecs.

(Bruits d'armes; mouvements de troupes.)

THERSITE _entre_.


THERSITE.--Maintenant ils sont à se tarabuster l'un l'autre; je veux
aller voir cela. Cet abominable hypocrite; ce faquin de Diomède a planté
sur son casque la manche de ce jeune imbécile de Troie, de cet amoureux
extravagant; je serais curieux de les voir aux prises, et que ce jeune
ânon de Troyen, qui aime cette prostituée-là, pût envoyer ce maître
fourbe de Grec débauché avec sa manche, vers sa courtisane, lui porter
un message sans manche. D'un autre côté, la politique de ces rusés et
déterminés coquins... de Nestor, ce vieux morceau de fromage sec et
rongé des rats, et de ce renard d'Ulysse... ne vaut pas une mûre de
haie. Ils ont, par finesse, opposé ce roquet métis, Ajax, à cet autre
roquet d'aussi mauvaise race, Achille: le roquet Ajax est aussi fier que
le roquet Achille, et ne s'armera pas aujourd'hui. Les Grecs mécontents
commencent à être tentés d'invoquer la barbarie; la politique a bien
perdu dans leur esprit. Doucement.--Doucement, voici la manche, et
l'autre aussi.

(Entrent Diomède et Troïlus.)

TROÏLUS.--Ne fuis pas, car tu passerais le fleuve du Styx que je me
jetterais à la nage sur ta trace.

DIOMÈDE.--Tu donnes à tort le nom de fuite à ma retraite; je ne fuis
pas: c'est le soin de mon avantage qui m'a fait éviter la mêlée: à toi!

THERSITE, _à part_.--Garde ta prostituée, Grec!... Allons, bravo pour ta
prostituée, Troyen!... allons, la manche, la manche!

(Diomède et Troïlus sortent en combattant.)

(Hector survient.)

HECTOR.--Qui es-tu, Grec? Es-tu fait pour te mesurer avec Hector? es-tu
d'un sang noble? as-tu de l'honneur?

THERSITE.--Non, non; je suis un misérable, un pauvre bouffon qui n'aime
qu'à railler, un vrai vaurien.

HECTOR.--Je te crois; vis.

(Il sort.)

THERSITE.--Les dieux soient loués de ce que tu veux bien m'en croire;
mais que la peste t'étrangle pour m'avoir effrayé! Que sont devenus ces
champions de filles? Je crois qu'ils se sont avalés l'un l'autre: je
rirais bien de ce miracle. Cependant, en quelque façon, la débauche se
dévore elle-même. Je vais les chercher.

(Il sort.)


SCÈNE V

Une autre partie du champ de bataille.

DIOMÈDE, UN VALET.


DIOMÈDE.--Va, va, mon valet, prends le cheval de Troïlus; présente ce
beau coursier à madame Cressida; songe à vanter mes services à cette
belle; dis-lui que j'ai châtié l'amoureux Troyen, que je suis son
chevalier par mes preuves.

LE VALET.--Je pars, seigneur.

(Le valet sort.)

(Entre Agamemnon.)

AGAMEMNON.--De nouveaux guerriers! de nouveaux guerriers! Le fougueux
Polydamas a terrassé Menon. Le bâtard Margarelon a fait Doréus
prisonnier; et debout comme un colosse, il brandit sa lance sur les
corps défigurés des rois Épistrophe et Cedius; Polixène est tué;
Amphimaque et Thoas sont mortellement blessés; Patrocle est pris ou tué;
Palamède est cruellement blessé et meurtri; le terrible Sagittaire[52]
épouvante nos soldats: hâtons-nous, Diomède, de voler à leur secours, ou
nous périrons tous.

[Note 52: C'était, suivant le roman de la _guerre de Troie_, une
bête prodigieuse qui avait le buste de l'homme et la croupe du cheval,
et qui tirait de l'arc à merveille.]

(Entre Nestor.)

NESTOR.--Allez, portez à Achille le corps de Patrocle; et dites à cet
Ajax, lent comme un limaçon, de s'armer s'il craint la honte. Il y a
mille Hector dans le champ de bataille. Ici, il combat sur son coursier
galate, et bientôt il manque de victimes; il combat ailleurs à pied, et
tous fuient ou meurent comme des poissons fuyant par troupes devant la
baleine vomissante. Il reparaît plus loin; et là, les Grecs légers et
mûrs pour son glaive tombent devant lui comme l'herbe sous la faux; il
est ici, là et partout, quitte et revient avec une dextérité si fidèle
à sa volonté, que tout ce qu'il veut il le fait; et il en fait tant, que
ce qu'il a exécuté paraît encore impossible.

(Entre Ulysse.)

ULYSSE.--Courage, courage, princes! le grand Achille s'arme en pleurant,
en maudissant, en jurant vengeance. Les blessures de Patrocle ont
réveillé son sang assoupi, ainsi que la vue de ses Myrmidons, qui,
mutilés, hachés et défigurés, sans nez, sans mains, courent à lui en
criant après Hector. Ajax a perdu un ami, et il est tout écumant de
rage; il est armé, et il est à l'oeuvre, rugissant après Troïlus, qui a
fait aujourd'hui des prodiges de témérité et d'extravagance, s'engageant
sans cesse dans la mêlée et s'en retirant toujours avec une fougue
insouciante et une prudence sans force, comme si la fortune, en dépit de
toute précaution, lui ordonnait de tout vaincre.

(Entre Ajax.)

AJAX.--Troïlus! lâche Troïlus!

(Il sort.)

DIOMÈDE.--Oui, par là, par là.

NESTOR.--Allons, allons, nous serons ensemble.

(Ils sortent.)

(Entre Achille.)

ACHILLE.--Où est cet Hector? allons, viens, meurtrier d'enfants,
montre-moi ton visage! Apprends ce que c'est que d'avoir affaire à
Achille irrité. Hector! où est-il, Hector? Je ne veux qu'Hector.


SCÈNE VI

Une autre partie du champ de bataille.

AJAX _reparaît_.--Troïlus, lâche Troïlus, montre donc ta tête!


DIOMÈDE _arrive_.--Troïlus, dis-tu? où est Troïlus?

AJAX.--Que lui veux-tu?

DIOMÈDE.--Je veux le châtier.

AJAX.--Je serais le général que tu m'arracherais ma dignité avant que je
te laissasse ce soin... Troïlus! dis-je; Troïlus!

(Entre Troïlus.)

TROÏLUS.--O traître Diomède! tourne ton visage perfide, traître, et
paye-moi ta vie, que tu me dois pour m'avoir enlevé mon cheval!

DIOMÈDE.--Ah! te voilà?

AJAX.--Je veux le combattre seul, arrête, Diomède.

DIOMÈDE.--Il est ma proie; je ne veux pas vous regarder faire.

TROÏLUS.--Venez tous deux, Grecs perfides[53], voilà pour tous les deux.

[Note 53: _Græcia mendax_. (Cicéron.)]

(Ils sortent en combattant.)

(Entre Hector.)

HECTOR.--Ah! c'est toi, Troïlus! oh! bien combattu, mon jeune frère.

(Achille paraît.)

ACHILLE.--Enfin, je t'aperçois.--Allons, défends-toi, Hector.

(Ils combattent.)

HECTOR.--Arrête, si tu veux.

ACHILLE--- Je dédaigne ta courtoisie, orgueilleux Troyen. Tu es heureux
que mes armes soient hors d'usage; ma négligence et mon repos te servent
en ce moment, mais bientôt tu entendras parler de moi; en attendant, va,
suis ta fortune.

(Il sort.)

HECTOR.--Adieu. Je t'aurais offert un adversaire plus frais et plus
dispos, si je t'eusse attendu. (_Troïlus paraît_.) Eh bien! mon frère?

TROÏLUS.--Ajax a pris Énée. Le souffrirons-nous? Non, par les feux de ce
ciel glorieux, il n'emmènera pas son prisonnier; je serai pris aussi,
ou je le délivrerai.--Destin, écoute ce que je dis: peu m'importe que ma
vie finisse aujourd'hui.

(Il sort.)

(Paraît un autre guerrier revêtu d'une armure somptueuse.)

HECTOR.--Grec, arrête: tu es un beau but.--Non, tu ne veux pas? Je suis
épris de ton armure; je veux la briser et en faire sauter toutes les
agrafes jusqu'à ce que j'en sois maître. (_L'autre fuit_.) Tu ne veux
pas rester, animal? Eh bien! fuis donc, je vais te faire la chasse pour
avoir ta dépouille.

(Il le poursuit.)


SCÈNE VII

La scène est dans une autre partie de la plaine.

ACHILLE, _suivi de ses Myrmidons_.


ACHILLE.--Venez ici, autour de moi, mes Myrmidons, et faites attention
à ce que je dis. Suivez mon char. Ne frappez pas un seul coup, mais
tenez-vous en haleine; et lorsqu'une fois j'aurai trouvé le sanglant
Hector, environnez-le de vos armes: soyez cruels et ne ménagez
rien.--Suivez-moi, amis, et voyez-moi agir. C'est décrété; il faut que
le grand Hector périsse.

(Ils sortent.)


SCÈNE VIII

Un autre côté de la plaine.

MÉNÉLAS ET PARIS _entrent en combattant, puis vient_ THERSITE.


THERSITE.--Ah! Ménélas et celui qui lui a fait cadeau de ses cornes
sont aux prises. Allons, taureau! allons, dogue! allons Pâris! allons,
courage, moineau à double femelle: allons, Pâris! allons. Le taureau a
l'avantage: gare les cornes. Holà!

(Pâris et Ménélas sortent.)

MARGARÉLON _survient_.--Tourne-toi, esclave, et combats.
                
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