William Shakespear

Troïlus et Cressida
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Note du transcripteur.

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    Ce document est tiré de:


    OEUVRES COMPLÈTES DE
    SHAKSPEARE

    TRADUCTION DE
    M. GUIZOT

    NOUVELLE ÉDITION ENTIÈREMENT REVUE
    AVEC UNE ÉTUDE SUR SHAKSPEARE
    DES NOTICES SUR CHAQUE PIÈCE ET DES NOTES

    Volume 4

    Mesure pour mesure.--Othello.--Comme il vous plaira.
    Le conte d'hiver.--Troïlus et Cressida.

    PARIS
    A LA LIBRAIRIE ACADÉMIQUE
    DIDIER ET Cie, LIBRAIRES-ÉDITEURS
    35, QUAI DES AUGUSTINS
    1863


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                         TROÏLUS ET CRESSIDA

                              TRAGÉDIE



                               NOTICE
                                SUR
                         TROÏLUS ET CRESSIDA


Si, dans _Troïlus et Cressida_, le poëte traite un peu lestement les
héros de l'_Iliade_, si ces grands noms lui ont si peu imposé qu'il est
douteux que cette composition dramatique ne soit pas une parodie, ne
croyons pas que Shakspeare ait blasphémé contre la divinité d'Homère;
rappelons-nous que nos anciens romanciers avaient fait des demi-dieux
et des héros de l'antiquité de véritables chevaliers errants, et
qu'Hercule, Thésée, Jason, Achille, conservaient, pendant dix gros
volumes, les mêmes moeurs que les Lancelot, les Roland, les Olivier, et
d'autres paladins chrétiens.

C'est à Chaucer que Shakspeare nous semble en grande partie redevable de
l'idée de _Troïlus et Cressida_; mais les grands traits avec lesquels
il dessine les caractères de ses autres héros, Hector, Achille, Ajax,
Diomède, Agamemnon, Nestor, le lâche et satirique Thersite, l'amitié
d'Achille et de Patrocle, l'éloquence d'Ulysse, que la Minerve d'Homère
n'eût pas si bien inspiré; enfin, quelques traits historiques qu'on ne
trouve ni dans Chaucer, ni dans Caxton, ni dans aucun des romanciers du
moyen âge, font conjecturer que Shakspeare aurait bien pu connaître par
la traduction quelques livres de l'_Iliade_.

Quoi qu'il en soit, jamais Shakspeare ne s'est moins occupé de l'effet
théâtral que dans cette pièce. Nous passons en revue avec lui tous ces
héros, que nos souvenirs classiques nous rendent sacrés, sans pouvoir
résister à la tentation de les trouver parfois ridicules, et cependant
naturels.

Hector, qui paraît d'abord digne de concentrer sur lui tout l'intérêt,
parce qu'il est représenté comme le plus aimable, nous surprend tout à
coup en refusant de se battre avec Ajax, parce qu'il est son cousin.
On ne pardonnerait point à Shakspeare cette excuse, s'il ne faisait en
quelque sorte réparation d'honneur à ce héros en le faisant périr d'une
mort sublime.

Ajax est un des caractères les plus originaux de la pièce, et s'accorde
assez bien avec celui de l'_Iliade_. Il forme avec Achille un
contraste habilement ménagé. On trouverait encore de nos jours à faire
l'application de son portrait tel que l'esquisse Alexandre.

Achille est bien aussi l'Achille de l'_Iliade_; mais il se déshonore en
excitant les bouffonneries de Patrocle et la méchanceté de Thersite; et
il y a quelque chose de révoltant dans la froide férocité avec laquelle
il égorge Hector.

Le vieux roi de Pylos ne paraît que pour nous montrer sa barbe blanche
et recevoir les compliments d'Ulysse. Celui-ci possède à lui seul
l'éloquence et la raison de la pièce; mais il faut bien que ses discours
soient sublimes, car il ne fait que des discours. Les autres héros de
Troie et du camp des Grecs jouent un rôle encore moins important, et
pour la prise de Troie, et pour l'intrigue des deux amants.

Troïlus lui-même a pour caractère de n'en point avoir. Sa patience nous
fait sourire; on a peine à croire à ses emportements qui, du reste,
comme l'observe Schlegel, ne font mal à personne. Mais les caractères
de Cressida et de Pandarus sont frappants de vérité et d'originalité; le
nom de celui-ci est devenu dans la langue anglaise un mot honnête pour
exprimer un métier qui ne l'est guère, et qui n'a point d'équivalent
dans la nôtre; car le _Bonneau_ de _la Pucelle_ de Voltaire n'est pas
encore proverbial parmi nous.

Cressida nous amuse par son étourderie; elle devient amoureuse de
Troïlus par désoeuvrement, et le quitte par pure légèreté. Sa passion
pour Diomède n'est pas plus sérieuse que la première; un troisième
galant n'aurait qu'à s'offrir pour le supplanter aussi facilement que
l'a été Troïlus.

On peut lui appliquer le vers de lord Byron:

  _Thou art not false, but thou art fickle_.
  Tu n'es point perfide, tu n'es que légère.

Si cette pièce n'est pas une des plus morales et des plus fortement
conçues de Shakspeare, elle n'est pas une des moins amusantes et des
moins instructives. Naturellement, Shakspeare ne se passionne pour aucun
de ses personnages; nulle part, peut-être, il n'est entièrement sérieux
ou entièrement comique; mais c'est ici surtout qu'il s'est fait un jeu
du caprice de ses idées, et qu'il semble avoir voulu donner un double
sens à sa composition.

Johnson observe que le style de Shakspeare, dans _Troïlus et Cressida_,
est plus correct que dans la plupart de ses pièces; on doit y remarquer
aussi une foule d'observations politiques et morales, cachet d'un génie
supérieur.

Dryden a refait cette tragédie avec des changements. Il a donné au
fond une nouvelle forme; il a omis quelques personnages, et ajouté
Andromaque: en général, il y a plus d'ordre et de liaison dans ses
scènes, et quelques-unes sont neuves et du plus bel effet.

Selon Malone, Shakspeare aurait composé _Troïlus et Cressida_ en
1602[1].

[Note 1: _Troïlus and Cressida, or Truth found too late_ (ou la
_Vérité connue trop tard)._ London, 1679.]



TROÏLUS ET CRESSIDA

TRAGÉDIE



  PERSONNAGES

  PRIAM, roi de Troie.
  HECTOR,     )
  TROÏLUS,    )
  PARIS,      )  ses fils.
  DÉIPHOBE,   )
  HÉLÉNUS,    )

  ÉNÉE,       )
  ANTÉNOR,    )  chefs troyens.

  PANDARE, oncle de Cressida.
  CALCHAS, prêtre troyen du parti des Grecs.
  MARGARÉLON, fils naturel de Priam.
  AGAMEMNON, général des Grecs.
  MÉNÉLAS, son frère.

  ACHILLE,    )
  AJAX,       )
  ULYSSE,     )   chefs des Grecs.
  NESTOR,     )
  DIOMÈDE,    )
  PATROCLE,   )

  THERSITE, Grec difforme et lâche.
  ALEXANDRE, serviteur de Cressida.
  UN SERVITEUR DE TROÏLUS.
  UN SERVITEUR DE PARIS.
  UN SERVITEUR DE DIOMÈDE.
  HÉLÈNE, femme de Ménélas.
  ANDROMAQUE, femme d'Hector.
  CASSANDRE, fille de Priam, proph.
  CRESSIDA, fille de Calchas.--SOLDATS GRECS ET TROYENS, etc.

La scène est tantôt dans Troie, et tantôt dans le camp des Grecs.




                              PROLOGUE.


Troie est le lieu de la scène. Des îles de la Grèce, une foule de
princes enflammés d'orgueil et de courroux ont envoyé au port d'Athènes
leurs vaisseaux chargés de combattants et des apprêts d'une guerre
cruelle. Soixante-neuf chefs, rois couronnés d'autant de petits empires,
sont sortis de la baie athénienne et ont vogué vers la Phrygie, tous
liés par le voeu solennel de saccager Troie. Dans ses fortes murailles,
Hélène, l'épouse du roi Ménélas, dort en paix dans les bras de son
ravisseur Pàris; et voilà la cause de cette grande querelle. Les Grecs
abordent à Ténédos, et là leurs vaisseaux vomissent de leurs larges
flancs sur le rivage tout l'appareil de la guerre. Déjà les Grecs,
pleins d'ardeur et fiers de leurs forces encore entières, plantent leurs
tentes guerrières sur les plaines de Dardanie. Les six portes de la cité
de Priam, la porte Dardanienne, la Thymbrienne, l'Ilias, la Chétas, la
Troyenne et l'Anténoride, avec leurs lourds verroux et leurs barres de
fer, enferment et défendent les enfants de Troie.--Maintenant l'attente
agite les esprits inquiets dans l'un et l'autre parti; Grecs et Troyens
sont disposés à livrer tout aux hasards de la fortune:--Et moi je viens
ici comme un Prologue armé;--mais non pas pour vous faire un défi dans
la confiance que m'inspire la plume de l'auteur, ou le jeu des acteurs,
mais simplement pour offrir le costume assorti au sujet, et pour vous
dire, spectateurs bénévoles, que notre pièce, franchissant tout l'espace
antérieur et les premiers germes de cette querelle, court se placer au
milieu même des événements, pour se replier ensuite sur tout ce qui peut
entrer et s'arranger dans un plan. Approuvez ou blâmez, faites à votre
gré; maintenant, bonne ou mauvaise fortune, c'est la chance de la
guerre.




                             ACTE PREMIER


SCÈNE I

La scène est devant le palais de Priam.

_Entrent_ TROÏLUS _armé et_ PANDARE.


TROÏLUS.--Appelez mon varlet[2]; je veux me désarmer. Eh! pourquoi
ferais-je la guerre hors des murs de Troie, lorsque j'ai à soutenir de
si cruels combats ici dans mon sein? Que le Troyen qui est maître de son
coeur aille au champ de bataille: le coeur de Troïlus, hélas! n'est plus
à lui.

[Note 2: Ci-gît Hakin et son varlet Tout déarmé et tout défaict Avec
son espée et sa loche.]

PANDARE.--N'y a-t-il point de remède à toutes ces plaintes?

TROÏLUS.--Les Grecs sont forts, habiles autant que forts, fiers autant
qu'habiles, et vaillants autant que fiers. Mais moi, je suis plus faible
que les pleurs d'une femme, plus paisible que le sommeil, plus crédule
que l'ignorance. Je suis moins brave qu'une jeune fille pendant la nuit,
et plus novice que l'enfance sans expérience.

PANDARE.--Allons! je vous en ai assez dit là-dessus: quant à moi, je
ne m'en mêlerai plus. Celui qui veut faire un gâteau du froment doit
attendre la mouture.

TROÏLUS.--Ne l'ai-je pas attendu?

PANDARE.--Oui, la mouture; mais il faut attendre le blutage.

TROÏLUS.--N'ai-je pas attendu?

PANDARE.--Oui, le blutage: mais il vous faut attendre la levure.

TROÏLUS.--Je l'ai attendue aussi.

PANDARE.--Oui, la levure: mais ce n'est pas tout, il faut encore pétrir,
faire le gâteau, chauffer le four, cuire; et il faut bien attendre
encore que le gâteau se refroidisse, ou vous risquez de vous brûler les
lèvres.

TROÏLUS.--La patience elle-même, toute déesse qu'elle est, supporte la
souffrance moins paisiblement que moi. Je m'assieds à la table royale
de Priam, et lorsque la belle Cressida vient s'offrir à ma pensée,--que
dis-je, traître, quand elle vient?--Quand en est-elle jamais absente?

PANDARE.--Eh bien! elle était plus belle hier au soir que je ne l'ai
jamais vue, ni elle ni aucune autre femme.

TROÏLUS.--J'en étais à vous dire...--Quand mon coeur, comme ouvert
par un violent soupir, était prêt à se fendre en deux; dans la crainte
qu'Hector, ou mon père, ne me surprissent, j'ai enseveli ce soupir dans
le pli d'un sourire, comme le soleil lorsqu'il éclaire un orage: mais
le chagrin, que voile une gaieté apparente, est comme une joie que le
destin change en une tristesse soudaine.

PANDARE.--Si ses cheveux n'étaient pas d'une nuance plus foncée que ceux
d'Hélène, allons, il n'y aurait pas plus de comparaison à faire entre
ces deux femmes... mais, quant à moi, elle est ma parente: je ne
voudrais pas, comme on dit, trop la vanter.--Mais je voudrais que
quelqu'un l'eût entendue parler hier, comme je l'ai entendue, moi... Je
ne veux pas déprécier l'esprit de votre soeur Cassandre.--Mais...

TROÏLUS.--O Pandare, je vous le déclare... Pandare, quand je vous dis
que là sont ensevelies toutes mes espérances, ne me répliquez pas, pour
me dire à combien de brasses de profondeur elles sont plongées. Je vous
dis que je suis fou d'amour pour Cressida; vous me répondez qu'elle est
belle, vous versez dans la plaie ouverte de mon coeur tout le charme de
ses yeux, de sa chevelure, de ses joues, de son port, de sa voix. Vous
parlez de sa main! auprès de laquelle toutes les blancheurs sont de
l'encre qui trahit elle-même sa noirceur; auprès de la douceur de
son toucher, le duvet du cygne même est rude, et la sensation la plus
exquise est grossière comme la main du laboureur.--Voilà ce que vous me
dites. Et tout ce que vous me dites est la vérité, comme lorsque je dis
que je l'aime.--Mais en me parlant ainsi, au lieu de baume et d'huile,
vous plongez dans chaque blessure que m'a faite l'amour le couteau qui
les a ouvertes.

PANDARE.--Je ne dis que la vérité.

TROÏLUS.--Vous n'en dites pas encore assez.

PANDARE.--Ma foi, je ne veux plus m'en mêler: qu'elle soit ce qu'elle
voudra; si elle est belle, tant mieux pour elle; si elle ne l'est pas,
elle a le remède dans ses propres mains.

TROÏLUS.--Bon Pandare! eh bien! Pandare?

PANDARE.--J'en suis pour mes peines: je suis mal vu d'elle et mal vu de
vous: je me suis mêlé de négocier entre vous deux, mais on me sait fort
peu gré de mes soins.

TROÏLUS.--Quoi! seriez-vous fâché, Pandare? Le seriez-vous contre moi?

PANDARE.--Parce qu'elle est ma parente, elle n'est pas aussi belle
qu'Hélène. Si elle n'était pas ma parente, elle serait aussi belle le
vendredi qu'Hélène le dimanche. Mais qu'est-ce que cela me fait à moi?
Fût-elle noire comme un nègre, peu importe: cela m'est bien égal.

TROÏLUS.--Est-ce que je dis qu'elle n'est pas belle?

PANDARE.--Peu importe que vous le disiez ou que vous ne le disiez pas;
c'est une sotte de rester ici sans son père, qu'elle aille trouver les
Grecs; et je le lui dirai, la première fois que je la verrai; pour ce
qui est de moi, c'est fini, je ne m'en mêlerai plus.

TROÏLUS.--Pandare...

PANDARE.--Non, jamais.

TROÏLUS.--Mon cher Pandare...

PANDARE.--Je vous en prie, ne m'en parlez plus, je veux tout laisser là,
comme je l'ai trouvé; et tout est fini.

(Pandare sort.)

(Bruit de guerre.)

TROÏLUS.--Silence, odieuses clameurs! silence, rudes sons! insensés des
deux partis! Il faut bien qu'Hélène soit belle, puisque vous la fardez
tous les jours de votre sang. Moi, je ne puis combattre pour un pareil
sujet: il est trop chétif pour mon épée. Mais Pandare... O dieux, comme
vous me tourmentez! Je ne puis arriver à Cressida que par Pandare; et il
est aussi difficile de l'engager à lui faire la cour pour moi, qu'elle
est obstinée dans sa vertu contre toute sollicitation. Au nom de ton
amour pour ta Daphné, dis-moi, Apollon, ce qu'est Cressida, ce qu'est
Pandare, et ce que je suis. Le lit de cette belle est l'Inde: elle est
la perle qui y repose; je vois l'errant et vaste Océan, dans l'espace
qui est entre Ilion et le lieu de sa demeure: moi, je suis le marchand,
et ce Pandare, qui vogue de l'un à l'autre bord, est ma douteuse
espérance; mon remorqueur et mon vaisseau.

(Bruit de guerre. Entre Énée.)

ÉNÉE.--Quoi donc, prince Troïlus! pourquoi n'êtes-vous pas sur le champ
de bataille?

TROÏLUS.--Parce que je n'y suis pas; cette réponse de femme est à
propos, car c'est pour une femme que l'on sort de ces murs. Quelles
nouvelles, aujourd'hui, Énée, du champ de bataille?

ÉNÉE.--Que Pâris est rentré blessé dans la ville.

TROÏLUS.--Par qui, Énée?

ÉNÉE.--Par Ménélas, Troïlus.

TROÏLUS.--Que le sang de Pâris coule: c'est une blessure à dédaigner.
Pâris a été percé par la corne de Ménélas.

ÉNÉE.--Écoutez, quelle belle chasse on donne aujourd'hui hors de la
ville!

TROÏLUS.--Il y en aurait une plus belle dans la ville si _vouloir_ était
_pouvoir_.--Mais allons à la chasse de la plaine!--Vous y rendez-vous?

ÉNÉE.--En toute hâte.

TROÏLUS.--Venez, allons-y ensemble.

(Ils sortent.)


SCÈNE II

Une rue de Troie.

_Entrent_ CRESSIDA et ALEXANDRE[3].

[Note 3: Alexandre est ici un valet, ce n'est pas Alexandre Pâris,
il est vrai que Pandare va tout à l'heure lui dire bonjour, mais les
gens comme Pandare sont les plus affables du monde.]


CRESSIDA.--Qui étaient celles qui viennent de passer près de nous?

ALEXANDRE.--La reine Hécube et Hélène.

CRESSIDA.--Et où vont-elles?

ALEXANDRE.--Elles vont voir la bataille, de la tour de l'Orient, dont la
hauteur commande en souveraine toute la vallée; Hector, dont la patience
est inébranlable, comme la vertu même, était ému aujourd'hui. Il a
grondé Andromaque et frappé son écuyer; et comme s'il était question
d'économie de ménage dans la guerre, il s'est levé avant le soleil pour
s'armer à la légère et se rendre sur le champ de bataille dont chaque
fleur pleurait, comme si elle pressentait prophétiquement les effets du
courroux d'Hector.

CRESSIDA.--Et quel était le sujet de sa colère?

ALEXANDRE.--Voici le bruit qui s'est répandu. Il y a, dit-on, parmi les
Grecs, un héros du sang troyen, neveu d'Hector: on le nomme Ajax.

CRESSIDA.--Fort bien; et que dit-on de lui?

ALEXANDRE.--On dit que c'est un homme _perse_, et qui se tient tout
seul[4].

[Note 4: _Stands alone, stat solus_, proéminent; _to stand_ veut
dire aussi se tenir debout, de là l'équivoque.]

CRESSIDA.--On en peut dire autant de tous les hommes, à moins qu'ils ne
soient ivres, malades, ou sans jambes.

ALEXANDRE.--Cet homme, madame, a volé à plusieurs animaux leurs qualités
distinctives. Il est aussi vaillant que le lion, aussi grossier que
l'ours, aussi lent que l'éléphant: c'est un homme en qui la nature a
tellement accumulé les humeurs diverses, qu'en lui la valeur se mêle à
la folie, et que la folie est assaisonnée de prudence: il n'y a pas un
homme qui ait une vertu dont il n'ait une étincelle, un défaut dont
il n'ait quelque teinte. Il est mélancolique sans sujet et gai à
rebrousse-poil. Il a des jointures pour tous ses membres; mais tout en
lui est si démanché, que c'est un Briarée goutteux avec cent bras dont
il ne peut faire usage, un Argus aveugle avec cent yeux dont il ne voit
pas clair.

CRESSIDA.--Mais comment cet homme, qui me fait sourire, peut-il exciter
le courroux d'Hector?

ALEXANDRE.--On dit qu'il a lutté hier avec Hector dans le combat et
qu'il l'a terrassé. Furieux et honteux depuis cet affront, Hector n'en a
ni mangé ni dormi.

(Entre Pandare.)

CRESSIDA.--_Qui_ vient à nous?

ALEXANDRE.--Madame, c'est votre oncle Pandare.

CRESSIDA.--Hector est un brave guerrier.

ALEXANDRE.--Autant qu'homme au monde, madame.

PANDARE.--Que dites-vous là? que dites-vous là?

CRESSIDA.--Bonjour, mon oncle Pandare.

PANDARE.--Bonjour, ma nièce Cressida. De quoi parlez-vous?--Ah! bonjour,
Alexandre.--Eh bien! ma nièce, comment vous portez-vous? Depuis quand
êtes-vous à Ilion[5]?

[Note 5: Ilion était le palais de Troie.]

CRESSIDA.--Depuis ce matin, mon oncle.

PANDARE.--De quoi parliez-vous quand je suis arrivé?--Hector était-il
armé et sorti avant que vous vinssiez à Ilion? Hélène n'était pas levée?
n'est-ce pas?

CRESSIDA.--Hector était parti; mais Hélène n'était pas encore levée.

PANDARE.--Oui, Hector a été bien matinal.

CRESSIDA.--C'était de lui que nous causions, et de sa colère.

PANDARE.--Est-ce qu'il était en colère?

CRESSIDA.--Il le dit, lui.

PANDARE.--Oui, cela est vrai. J'en sais aussi la cause; il en couchera
par terre aujourd'hui, je peux le leur promettre; et il y a aussi
Troïlus qui ne le suivra pas de loin: qu'ils prennent garde à Troïlus;
je peux leur dire cela aussi.

CRESSIDA.--Quoi! est-ce qu'il est en colère aussi?

PANDARE.--Qui, Troïlus? Troïlus est le plus brave des deux.

CRESSIDA.--O Jupiter, il n'y a pas de comparaison.

PANDARE.--Comment! pas de comparaison entre Troïlus et Hector?
Reconnaîtriez-vous un homme si vous le voyiez?

CRESSIDA.--Oui, si je l'avais jamais vu auparavant et si je le
connaissais.

PANDARE.--Eh bien! je dis que Troïlus est Troïlus.

CRESSIDA.--Oh! vous dites comme moi; car je suis sûre qu'il n'est pas
Hector.

PANDARE.--Non; et Hector n'est pas Troïlus, à quelques égards.

CRESSIDA.--Cela est exactement vrai de tous deux: il est lui-même, et
pas un autre.

PANDARE.--Lui-même? Hélas! le pauvre Troïlus! je voudrais bien qu'il le
fût.

CRESSIDA.--Il l'est aussi.

PANDARE.--S'il l'est, je veux aller nu-pieds jusqu'à l'Inde.

CRESSIDA.--Il n'est pas Hector.

PANDARE.--Lui-même? Oh! non, il n'est pas lui-même.--Plût au ciel qu'il
fût lui-même! Allons, les dieux sont au-dessus de nous; le temps amène
les biens ou finit les maux. Allons, Troïlus, allons... je voudrais que
mon coeur fût dans son sein!--Non, Hector ne vaut pas mieux que Troïlus.

CRESSIDA.--Pardonnez-moi.

PANDARE.--Il est plus âgé.

CRESSIDA.--Pardonnez-moi, pardonnez-moi.

PANDARE.--L'autre n'est pas encore parvenu à son âge; vous m'en direz
des nouvelles quand il y sera venu: Hector n'aura jamais son esprit de
toute l'année.

CRESSIDA.--Il n'en aura pas besoin s'il a le sien.

PANDARE.--Ni ses qualités.

CRESSIDA.--N'importe.

PANDARE.--Ni sa beauté.

CRESSIDA.--Elle ne lui siérait pas; la sienne lui va mieux.

PANDARE.--Vous n'avez pas de jugement, ma nièce: Hélène elle-même jurait
l'autre jour que Troïlus, pour un teint brun (car son teint est brun, il
faut que je l'avoue), et pas brun, pourtant...

CRESSIDA.--Non; mais brun.

PANDARE.--D'honneur, pour dire la vérité, il est brun et pas brun.

CRESSIDA.--Oui, pour dire la vérité, cela est vrai et n'est pas vrai.

PANDARE.--Enfin elle vantait son teint au-dessus de celui de Pâris.

CRESSIDA.--Mais Pâris a assez de couleurs.

PANDARE.--Oui, il en a assez.

CRESSIDA.--Eh bien! en ce cas, Troïlus en aurait trop. Si elle l'a mis
au-dessus de Pâris, son teint est plus vif que le sien; si Pâris a assez
de couleurs et Troïlus davantage, c'est un éloge trop fort pour un beau
teint. J'aimerais autant que la langue dorée d'Hélène eût vanté Troïlus
pour un nez de cuivre.

PANDARE.--Je vous jure que je crois qu'Hélène l'aime plus qu'elle n'aime
Pâris.

CRESSIDA.--C'est donc une joyeuse Grecque?

PANDARE.--Oui, je suis sûr qu'elle l'aime. Elle alla l'aborder l'autre
jour dans l'embrasure de la fenêtre.--Et vous savez, qu'il n'a pas plus
de trois ou quatre poils au menton.

CRESSIDA.--Oh! oui, l'arithmétique d'un garçon de cabaret peut trouver
le total de tout ce qu'il en possède.

PANDARE.--Il est bien jeune, et cependant, à trois livres près, il
enlève autant que son frère Hector.

CRESSIDA.--Quoi! si jeune et déjà si vieux voleur[6]?

[Note 6: _Lifter_, voleur. _Illistus_, en langue gothique, voulait
dire voleur; équivoque sur le mot.]

PANDARE.--Mais pour vous prouver qu'Hélène est amoureuse de lui, elle
l'aborda, et elle lui passa sa main blanche sous la fente du menton.

CRESSIDA.--Que Junon ait pitié de nous! comment! a-t-il le menton fendu?

PANDARE.--Hé! vous savez bien qu'il a une fossette: je ne crois pas
qu'il y ait un homme, dans toute la Phrygie, à qui le sourire aille
mieux.

CRESSIDA.--Oh! il a un fier sourire.

PANDARE.--N'est-ce pas?

CRESSIDA.--Oh! oui; c'est comme un nuage en automne.

PANDARE.--Allons, poursuivez.--Mais pour prouver qu'Hélène aime
Troïlus...

CRESSIDA.--Troïlus acceptera la preuve, si vous voulez en venir là.

PANDARE.--Troïlus? Il n'en fait pas plus de cas que je ne fais d'un oeuf
de serpent.

CRESSIDA.--Si vous aimiez un oeuf de serpent autant que vous aimez une
tête vide, vous mangeriez les petits dans la coque.

PANDARE.--Je ne peux m'empêcher de rire, quand je songe comme elle lui
chatouillait le menton.--Il est vrai qu'elle a une main d'une blancheur
divine, il faut en faire l'aveu.

CRESSIDA.--Sans qu'il soit besoin de vous donner la question pour cela.

PANDARE.--Et elle voulait à toute force découvrir un poil blanc sur son
menton.

CRESSIDA.--Hélas! pauvre menton: il y a mainte verrue plus riche que lui
en poils.

PANDARE.--Mais, on se mit tant à rire.--La reine Hécube en a tant ri,
que ses yeux en pleuraient.

CRESSIDA.--Des meules de moulin!

PANDARE.--Et Cassandre riait!

CRESSIDA.--Mais c'était un feu plus doux qu'on voyait dans le creux de
ses yeux: ses yeux ont-ils pleuré aussi?

PANDARE.--Et Hector riait...

CRESSIDA.--Et pourquoi tous ces éclats de rire?

PANDARE.--Eh! à cause du poil blanc qu'Hélène avait découvert sur le
menton de Troïlus.

CRESSIDA.--Si ç'avait été un poil vert, j'en aurais ri aussi.

PANDARE.--Ils n'ont pas tant ri du poil que de la jolie réponse de
Troïlus.

CRESSIDA.--- Quelle fut sa réponse?

PANDARE.--Elle lui dit: «Il n'y a que cinquante et un poils sur votre
menton, et il y en a un de blanc.»

CRESSIDA.--C'était là le propos d'Hélène?

PANDARE.--Oui, n'en doutez pas. «Cinquante et un poils, répond Troïlus,
et un blanc? Ce poil blanc est mon père, et tous les autres sont
ses enfants.--Jupiter! dit-elle, lequel de ces poils est Pâris, mon
époux?--Le fourchu, répliqua-t-il: arrachez-le, et le lui donnez.» Mais
on en rit tant, on en rit tant! et Hélène rougit si fort, et Pâris fut
si courroucé, et toute l'assemblée poussa tant d'éclats de rire, que
cela passe toute idée.

CRESSIDA.--Allons, laissons cela: car il y a longtemps que cela dure.

PANDARE.--Eh bien! ma nièce; je vous ai dit quelque chose hier,
pensez-y.

CRESSIDA.--C'est ce que je fais.

PANDARE.--Je vous jure que c'est la vérité, il vous pleurerait comme
s'il était né en avril.

CRESSIDA.--Et moi je pousserais sous ses larmes comme si j'étais une
ortie du mois de mai.

(On entend résonner la retraite.)

PANDARE.--Écoutez, les voilà qui reviennent du champ de bataille: nous
tiendrons-nous ici, pour les voir passer et défiler vers Ilion? Restons,
ma chère nièce, ma bonne nièce Cressida.

CRESSIDA.--Comme cela vous fera plaisir.

PANDARE.--Oh! voici, voici une place excellente: nous pouvons d'ici voir
à merveille; je vais vous les nommer l'un après l'autre, à mesure qu'ils
vont passer. Mais surtout remarquez bien Troïlus.

(Énée passe le premier sur le théâtre.)

CRESSIDA.--Ne parlez pas si haut.

PANDARE.--Voilà Énée. N'est-ce pas un bel homme? C'est une des fleurs de
Troie. Je puis vous dire....--Mais remarquez Troïlus: vous allez le voir
bientôt.

(Anténor suit.)

CRESSIDA.--Quel est celui-là?

PANDARE.--C'est Anténor: il a l'esprit fin, je puis vous dire, et c'est
un homme d'assez de mérite: c'est une des têtes les plus solides qu'il y
ait dans Troie; et il est bien fait de sa personne.--Quand donc viendra
Troïlus? Je vais tout à l'heure vous montrer Troïlus. S'il m'aperçoit,
vous le verrez me faire un signe de tête.

CRESSIDA.--Vous donnera-t-il un signe de tête.

PANDARE.--Vous verrez.

CRESSIDA.--Alors le moins fou en donnera à l'autre[7].

[Note 7: Jeu de mots sur _noddy_, niais, et nod, signe de tête,
etc.]

(Suit Hector.)

PANDARE.--Voilà Hector; le voilà: c'est lui, lui; regardez, c'est lui.
Voilà un homme!--Va ton chemin, Hector.--Voilà un brave homme, ma nièce!
O brave Hector! Voyez son regard! Voilà une contenance! N'est-ce pas un
brave guerrier?

CRESSIDA.--Oh! très-brave!

PANDARE.--N'est-il pas vrai? cela fait du bien au coeur de le voir.
Regardez combien d'entailles il y a sur son casque. Voyez là-bas:
voyez-vous? Regardez bien! il n'y a pas à plaisanter: ce n'est pas un
jeu; ce sont des coups, les ôtera qui voudra, comme on dit: mais ce sont
bien là des entailles.

CRESSIDA.--Sont-ce des coups d'épée?

(Pâris passe.)

PANDARE.--D'épée? de quelque arme que ce soit, il ne s'en embarrasse
guère. Que le diable l'attaque, cela lui est bien égal. Par la paupière
d'un dieu, cela met la joie au coeur, de le voir.--Là-bas, c'est Pâris
qui passe.--Regardez là-bas, ma nièce. N'est-ce pas un beau cavalier
aussi? N'est-ce pas?... Hé! c'est bon, cela.--Qui donc disait qu'il
était rentré blessé dans la ville aujourd'hui? Il n'est pas blessé.
Allons, cela fera du bien au coeur d'Hélène. Ah! je voudrais bien voir
Troïlus à présent: vous allez voir Troïlus tout à l'heure.

CRESSIDA.--Quel est celui-là?

(Hélénus passe.)

PANDARE.--C'est Hélénus.--Je voudrais bien savoir où est Troïlus:--C'est
Hélénus.--Je commence à croire que Troïlus ne sera pas sorti des murs
aujourd'hui.--C'est Hélénus.

CRESSIDA.--Hélénus est-il homme à se battre, mon oncle?

PANDARE.--Hélénus? Non,--oui, il se bat passablement bien.--Je me
demande où est Troïlus.--Ah! écoutez, n'entendez-vous pas le peuple
crier, _Troïlus_?--Hélénus est un prêtre.

CRESSIDA.--Quel est ce faquin qui vient là-bas?

(Troïlus passe.)

PANDARE.--Où? là-bas? C'est Déiphobe. Oh! c'est Troïlus! Voilà un homme,
ma nièce! Hem! le brave Troïlus: le prince des chevaliers!

CRESSIDA.--Silence; de grâce, silence!

PANDARE.--Remarquez-le: considérez-le bien.--O brave Troïlus!
Regardez-le bien, ma nièce: voyez-vous comme son épée est sanglante, et
son casque haché de plus de coups que celui d'Hector! Et son regard, sa
démarche! O admirable jeune homme! il n'a pas encore vu ses vingt-trois
ans! Va ton chemin, Troïlus, va ton chemin. Si j'avais pour soeur une
grâce, ou pour fille une déesse, il pourrait choisir. O l'admirable
guerrier! Pâris... Pâris est de la boue au prix de lui; et je gage
qu'Hélène, pour changer, donnerait un oeil par-dessus le marché.

(Suivent une troupe de combattants, soldats, etc.)

CRESSIDA.--En voici encore.

PANDARE.--Ânes, imbéciles, benêts, paille et son, paille et son! de la
soupe après dîner. Je pourrais vivre et mourir sous les yeux de Troïlus:
ne regardez plus, ne regardez plus: les aigles sont passés; buses et
corbeaux, buses et corbeaux! J'aimerais mieux être Troïlus qu'Agamemnon
et tous ses Grecs.

CRESSIDA.--Il y a Achille parmi les Grecs. C'est un héros qui vaut mieux
que Troïlus.

PANDARE.--Achille? un charretier, un crocheteur, un vrai chameau.

CRESSIDA.--Bien, bien.

PANDARE.--Bien, bien?--Avez-vous quelque discernement? Avez-vous des
yeux? Savez-vous ce que c'est qu'un homme? La naissance, la beauté, la
bonne façon, le raisonnement, le courage, l'instruction, la douceur, la
jeunesse, la libéralité et autres qualités semblables; ne sont-elles pas
comme les épices et le sel, qui assaisonnent un homme?

CRESSIDA.--Oui, un homme en hachis, pour être cuit sans dattes[8] dans
le pâté; car alors la date de l'homme ne compte plus.

PANDARE.--Vous êtes une drôle de femme; on ne sait pas sur quelle garde
vous vous tenez[9].

[Note 8: Pour comprendre ce jeu de mots, il faut savoir qu'autrefois
les dattes étaient un ingrédient qui entrait dans les pâtés.]

[Note 9: Expression empruntée à l'escrime; mais il y a le verbe
_to lie_, qui est employé dans un sens très-étendu ici, comme presque
toujours quand Shakspeare a quelque calembour en tête.]

CRESSIDA.--Je me tiens sur mon dos pour défendre mon ventre; sur mon
esprit pour défendre mes ruses; sur mon secret pour défendre ma vertu;
sur mon masque pour défendre ma beauté, et sur vous pour défendre tout
cela; je me tiens enfin sur mes gardes, et je ne cesse de veiller.

PANDARE.--Nommez-moi une de vos gardes.

CRESSIDA.--Je m'en garderai bien, et c'est là une de mes principales
gardes. Si je ne puis garder ce que je ne voudrais pas laisser toucher,
je puis bien me garder de vous dire comment j'ai reçu le coup, à moins
que l'enflure ne soit si grande que je ne puisse le cacher, et alors il
est impossible de s'en garder.

PANDARE.--Vous êtes de plus en plus étrange.

(Entre le page de Troïlus.)

LE PAGE.--Seigneur, mon maître voudrait vous parler à l'instant même.

PANDARE.--Où?

LE PAGE.--Chez vous. Il est là qui se désarme.

PANDARE.--Bon page, va lui dire que je viens. _(Le page sort.)--_Je
crains qu'il ne soit blessé. Adieu, ma chère nièce.

CRESSIDA.--Adieu, mon oncle.

PANDARE.--Je vais venir vous rejoindre tout à l'heure, ma nièce.

CRESSIDA.--Pour m'apporter, mon oncle...

PANDARE.--Oui, un gage de Troïlus.

CRESSIDA.--Par ce gage!... vous êtes un entremetteur. (_Pandare sort_.)
Promesses, serments, présents, larmes, et tous les sacrifices de
l'amour, il les offre pour un autre que lui. Mais je vois plus de mérite
dans Troïlus, dix mille fois, que dans le miroir des éloges de Pandare:
et pourtant je le tiens à distance. Les femmes sont des anges quand on
leur fait la cour; sont-elles obtenues, tout finit là. L'âme du plaisir
est dans la recherche même. La femme aimée ne sait rien, si elle ne
sait pas cela: les hommes prisent l'objet qu'ils ne possèdent pas bien
au-dessus de sa valeur: jamais il n'exista de femme qui ait connu
tant de douceurs dans l'amour satisfait qu'il y en a dans le désir.
J'enseigne donc cette maxime d'amour: la servitude suit la conquête;
l'humble prière accompagne la recherche.--Ainsi, quoique mon coeur
satisfait lui porte un amour inébranlable, aucun indice ne s'en
manifestera dans mes yeux.

(Elle sort.)


SCÈNE III

Le camp grec devant la tente d'Agamemnon. Les trompettes sonnent.

_Paraissent_ AGAMEMNON, NESTOR, ULYSSE MÉNÉLAS _et autres chefs_.


AGAMEMNON.--Princes, quel chagrin jaunit ainsi vos visages? Dans toutes
les entreprises commencées sur la terre, les vastes promesses que fait
l'espérance ne sont jamais complétement remplies; les obstacles et les
revers naissent du sein même des actions les plus élevées: comme les
noeuds formés par la rencontre de la séve déforment le pin robuste,
et détournent du cours naturel de sa croissance sa veine errante et
tortueuse. Il n'est pas nouveau, à nos yeux, princes, de nous être si
fort trompés dans nos conjectures, qu'après sept années de siége, les
murs de Troie sont encore debout. Dans toutes les entreprises qui
nous ont devancé, dont nous avons la tradition, l'exécution a toujours
rencontré des obstacles et des traverses, et n'a point répondu au but
qu'on se proposait, ni à cette vague figure imaginaire à laquelle
la pensée avait donné une forme imaginaire. Pourquoi donc, princes,
contemplez-vous notre ouvrage d'un front si consterné? Pourquoi
voyez-vous autant d'affronts dans ce qui n'est en effet qu'une épreuve
prolongée par le grand Jupiter, pour trouver la constante persévérance
chez les hommes? Ce n'est point dans les faveurs de la fortune que la
trempe de cette vertu se reconnaît; car alors le lâche et le brave,
le sage et l'insensé, le savant et l'ignorant, l'homme dur et l'homme
sensible, paraissent tous se ressembler et être de la même famille.
C'est dans les vents d'orage qu'excite son courroux que la Gloire, armée
d'un large van, sépare et rejette toute la balle; mais ce qui a de la
consistance et du corps reste seul riche en vertu et sans mélange.

NESTOR.--Avec le respect qui est dû à votre place suprême, illustre
Agamemnon, Nestor fera l'application de vos dernières paroles. Les
vicissitudes de la fortune sont la véritable épreuve des hommes. Lorsque
la mer est calme, combien de légers esquifs osent se hasarder sur son
sein patient, et faire route à côté des vaisseaux de haut bord[10].
Mais que l'impétueux Borée vienne à courroucer la paisible Thétis, voyez
alors les vaisseaux aux robustes flancs fendre les montagnes liquides,
et, comme le coursier de Persée[11], bondir entre les deux humides
éléments. Où est alors la présomptueuse nacelle dont la faible structure
osait, il n'y a qu'un moment, rivaliser avec la grandeur? Elle a fui
dans le port, ou bien elle est déjà engloutie par Neptune. De même,
c'est dans les orages de l'adversité que la valeur apparente et la
valeur réelle se distinguent. Sous l'éclat brillant de ses rayons, le
troupeau est plus tourmenté par le taon que par le tigre; mais,
lorsque le vent destructeur fait ployer le genou au chêne noueux et que
l'insecte se met à l'abri, l'animal courageux[12], excité par la fureur
de la tempête, s'irrite avec elle, et répond sur le même ton à la
fortune ennemie.

[Note 10: Stace a la même comparaison.]

  Sic ubi magna novum Phario de littore puppis
  Solvit iter jamque innumeros utrinque rudentes
  Lataque veliferi porrexit brachia mali,
  Invasitque vias, it eodem angusta Phalesus
  Æquore, immensi partem sibi vindicat Austri.

[Note 11: Allusion à la fable des ailes prêtées à Persée par
Minerve.]

[Note 12: On dit que le tigre redouble de fureur dans les tempêtes;
cette opinion n'est nullement fondée.]

ULYSSE.--Agamemnon, illustre général, toi qui es les os et les nerfs
de la Grèce, le coeur de nos soldats, l'âme et l'esprit dans lesquels
doivent se concentrer tous les caractères et toutes les volontés,
écoute ce que dit Ulysse.--D'abord je dois donner l'approbation et les
applaudissements qui sont dus à vos harangues, à la tienne, ô toi le
plus puissant par ton rang et ton autorité, et à la tienne, Nestor,
vénérable par tes longues années. Il faudrait les graver sur une table
de bronze que montreraient Agamemnon et la main de la Grèce. Nestor
aussi mériterait d'être représenté sur l'argent, enchaînant toutes les
oreilles des Grecs à sa langue éloquente par un lien d'air aussi fort
que le pivot sur lequel tourne le ciel[13]. Cependant, sous votre bon
plaisir à tous deux, toi, puissant roi, et toi, sage vieillard, daignez
écouter Ulysse.

[Note 13: Le bronze est le symbole de la force et de la durée,
l'argent celui de la douceur; on dit en anglais une _bouche d'argent_,
comme en grec, en latin et en français une _bouche d'or_; _Chrysostôme_:
il y a dans le texte le verbe _to hatch_ (hacher), ancienne expression
de graveur. Les commentateurs ont pris ce passage pour texte de leurs
dissertations, et ont fini par n'être plus d'accord.]

AGAMEMNON.--Parle, prince d'Ithaque; nous sommes bien plus certains
que tu ne prends pas la parole pour traiter des sujets inutiles et sans
importance, que nous ne le sommes de n'entendre aucun trait d'ingénieuse
éloquence, ni aucun oracle de sagesse, quand le grossier Thersite ouvre
sa mâchoire de dogue.

ULYSSE.--Troie, debout encore sur ses fondements, serait en ruines, et
l'épée du grand Hector n'aurait plus de maître, sans les obstacles que
je vais nommer. La règle et les droits de l'autorité ont été méprisés:
voyez combien de tentes grecques s'élèvent sur cette plaine; eh bien,
comptez autant de factions. Lorsque celle du général ne ressemble pas
à la ruche, où doivent revenir toutes les abeilles dispersées dans les
champs, quel miel peut-on espérer? Quand la distinction des rangs est
méconnue, le plus indigne paraît beau sous le masque. Les cieux mêmes,
les planètes et ce globe, centre de l'univers[14], observent les degrés,
les prééminences et les distances respectives; régularité dans leurs
cours divers, marche constante, proportions, saisons, formes, tout
suit un ordre invariable. Et c'est pourquoi le soleil, cette glorieuse
planète, sur son trône, brille en roi au milieu des autres qui
l'environnent: son oeil réparateur corrige les malins aspects des
planètes malfaisantes, et son influence souveraine, telle que l'ordre
d'un monarque, agit et gouverne, sans obstacle ni contradiction, les
bonnes et les mauvaises étoiles.--Mais lorsque les planètes, troublées
et confondues, sont errantes et en désordre, alors que de pestes, que de
prestiges, que de séditions! La mer est furieuse, la terre tremblante et
les vents déchaînés; les terreurs, les changements, les horreurs brisent
l'unité, déchirent et déracinent de fond en comble la paix des États
arrachés à leur repos. De même, quand la subordination est troublée,
elle qui est l'échelle de tous les grands projets, alors l'entreprise
languit. Par quel autre moyen, que par la subordination, les degrés
dans les écoles, les communautés et les corporations dans les villes, le
commerce paisible entre des rivages séparés, les droits de la naissance
et de la primogéniture, les prérogatives de l'âge, des couronnes,
des sceptres et des lauriers peuvent-ils être maintenus à leur rang
légitime? Otez la subordination, mettez cette corde hors de l'unisson,
et écoutez quelle dissonance va suivre. Toutes choses se rencontrent
pour se combattre: les eaux renfermées dans leur lit enflent leur sein
plus haut que leurs bords et trempent la masse solide de ce globe: la
force devient la maîtresse de la faiblesse, et le fils brutal va étendre
son père mort à ses pieds. La violence s'érige en droit, ou plutôt le
juste et l'injuste, que sépare la justice assise au milieu de leur choc
éternel, perdent leurs noms, et la justice anéantie périt aussi; alors
chacun se revêt du pouvoir, le pouvoir de la volonté, la volonté de la
passion, et la passion, ce loup insatiable, ainsi secondée du pouvoir
et de la volonté, doit nécessairement faire sa proie de toutes choses et
finir par se dévorer elle-même. Grand Agamemnon, voilà le chaos qui est
inévitable, lorsque la subordination est étouffée; c'est ce mépris de
la subordination qui fait reculer d'un pas, lorsqu'on a le projet
de monter. Le général est méprisé par l'officier qui est à un pas
au-dessous de lui, celui-ci par le suivant, le suivant par celui qui est
au-dessous de lui, ainsi chacun suivant l'exemple du premier, qui
s'est dégoûté de son supérieur, est pris d'une fièvre d'envie et d'une
émulation pâle et sans énergie: c'est cette fièvre qui maintient Troie
sur sa base, et non pas sa propre puissance. Pour conclure ce discours
déjà trop long, Troie subsiste par notre faiblesse et non par sa force.

[Note 14: Le système de Ptolémée était alors en vogue.]

NESTOR.--Ulysse a parlé avec sagesse, il a découvert le mal dont toute
notre armée est infectée.

AGAMEMNON.--La nature du mal étant connue, Ulysse, quel en est le
remède?

ULYSSE.--Le grand Achille, que l'opinion couronne, comme la force et
le bras droit de notre armée, ayant l'oreille remplie du bruit de sa
renommée, devient délicat sur son propre mérite, et reste étendu dans sa
tente à se moquer de nos desseins. A ses côtés, nonchalamment couché sur
un lit, Patrocle, tout le long du jour, fait assaut avec lui de propos
bouffons; et ce calomniateur appelle imitation les traits ridicules
et gauches sous lesquels il prétend nous contrefaire. Tantôt, illustre
Agamemnon, il se met à jouer ta mission souveraine; semblable à un
acteur affecté, dont tout le mérite est dans son jarret, et qui croit
que c'est une merveille d'entendre les planches retentir et répondre
à l'impulsion de son pied tendu; c'est par cette farce chargée et
déplorable qu'il contrefait ta majesté.--Lorsqu'il parle, c'est comme un
carillon qu'on raccommode; et il exhale des termes si outrés que,
dans la bouche mugissante de Typhon même, ils paraîtraient encore des
hyperboles. A ces mauvaises plaisanteries, le vaste Achille, étendu
sur son lit gémissant, applaudit en tirant de sa poitrine profonde
un bruyant éclat de rire, et s'écrie: «Excellent! c'est Agamemnon au
naturel.--Allons, joue-moi Nestor à présent; fais hem! hem! et caresse
ta barbe[15] comme le vieillard, lorsqu'il se prépare à nous débiter
sa harangue.» Patrocle obéit, et se rapproche de Nestor comme les
extrémités de deux lignes parallèles[16], il lui ressemble comme Vulcain
à sa femme. Cependant le bon Achille s'écrie toujours: «Excellent!
c'est Nestor en personne! allons, représente-le-moi, Patrocle, lorsqu'il
s'arme pour répondre à une alarme nocturne.» Et alors, les infirmités
mêmes de la vieillesse deviennent un objet de risée; Patrocle
de tousser, de cracher, de tâtonner d'une main paralytique son
gorgerin[17], sans pouvoir en ajuster l'agrafe; et à ce jeu, notre
chevalier La Valeur de mourir de rire et de s'écrier: «Oh! assez,
Patrocle, ou donne-moi des côtes d'acier: je briserai les miennes en me
dilatant la rate[18].» C'est de cette manière que tous nos talents, nos
facultés, nos caractères, nos personnes, toutes nos qualités les plus
estimables, nos exploits, nos inventions, nos ordres, nos défenses, nos
défis au combat, ou nos négociations pour les trêves, nos succès ou nos
pertes, ce qui est et ce qui n'est pas sert de matière aux bouffonneries
de ces deux personnages.

[Note 15: Tange manu inentum, tangunt quo more precantes. Optabis
merito cum mala multa viro. (OVIDE.)]

[Note 16: «Les parallèles dont il s'agit semblent être les lignes
parallèles des cartes géographiques.» (JOHNSON.)]

[Note 17: Pièce d'armure pour défendre la gorge.]

[Note 18: La rate est, disait-on, l'organe du rire.]

NESTOR.--Et l'exemple de ce couple, que l'opinion, comme l'a dit Ulysse,
proclame de sa voix souveraine, infecte beaucoup de gens. Ajax est
devenu volontaire; il porte la tête tout aussi haut que le grand
Achille: comme lui, il garde sa tente, il y donne des festins séditieux,
il raille nos plans de guerre avec la hardiesse d'un oracle, et il
excite Thersite, ce vil esclave, dont le fiel forge sans cesse des
calomnies comme une monnaie, à nous comparer à la fange, à rabaisser et
discréditer notre conduite et nos actions, de quelque imminent péril que
nous soyons environnés.

ULYSSE.--Ils blâment notre prudence et la taxent de poltronnerie;
ils tiennent la sagesse comme inutile à la guerre, ils dédaignent la
prévoyance et n'estiment d'autres actes que ceux de la main. Les calmes
facultés intellectuelles qui règlent le nombre de ceux qui doivent
frapper, quand une occasion favorable les appelle, qui savent, par les
travaux de l'observation et de la pensée, peser les forces de l'ennemi,
tout cela ne vaut pas un seul doigt de la main: ils appellent tout cela
des ouvrages de lit, fatras géographique, guerre de cabinet: en sorte
que le bélier qui renverse les murailles par le grand élan et la force
de ses coups passe à leurs yeux avant la main qui a créé cette machine
et avant l'âme intelligente qui en guide à propos le mouvement.

NESTOR.--Si on accorde cela, bientôt le cheval d'Achille vaudra
plusieurs fils de Thétis.

(On entend une trompette.)

AGAMEMNON.--Quelle est cette trompette? Voyez, Ménélas.

MÉNÉLAS.--Elle vient de Troie.

(Entre Énée.)

AGAMEMNON.--Qui vous amène devant notre tente?

ÉNÉE.--Est-ce ici la tente du grand Agamemnon, je vous prie?

AGAMEMNON.--Ici même.

ÉNÉE.--Un guerrier, prince et héraut à la fois, peut-il faire entendre
un message loyal à son oreille royale?

AGAMEMNON.--Il le peut avec plus de sûreté que n'en pourrait garantir
le bras d'Achille à la tête de tous les Grecs, qui, d'une voix unanime,
nomment Agamemnon leur chef et leur général.

ÉNÉE.--Noble permission et sécurité étendue. Mais comment un étranger
pourra-t-il reconnaître les regards souverains de cet illustre chef et
le distinguer des yeux des autres mortels?

AGAMEMNON.--Comment?

ÉNÉE.--Oui, je le demande pour éveiller mon respect et tenir mes joues
prêtes à se colorer d'une rougeur modeste, comme celle de l'Aurore
quand elle regarde d'un oeil chaste le jeune Phoebus, qui est ce dieu
en dignité qui guide ici les hommes? qui est le grand et puissant
Agamemnon?

AGAMEMNON.--Ce Troyen se rit de nous, ou les guerriers de Troie sont de
cérémonieux courtisans.

ÉNÉE.--Désarmés, ils sont des courtisans aussi francs et aussi doux que
des anges qui s'inclinent; telle est leur renommée dans la paix; mais
dès qu'ils prennent le maintien des guerriers, ils sont pleins de fiel,
ils ont des bras robustes, des jarrets fermes et des épées fidèles; et
Jupiter sait que nul n'a plus de coeur. Mais silence, Énée; silence,
Troyen: pose ton doigt sur tes lèvres. L'éloge perd son lustre et son
mérite, lorsqu'il sort de la bouche même de l'homme qui en est l'objet:
la seule louange que la renommée publie est celle que l'ennemi accorde
avec peine: voilà la seule louange pure et transcendante.

AGAMEMNON.--Seigneur, qui êtes de Troie, vous vous appelez Énée?

ÉNÉE.--Oui, Grec; tel est mon nom.

AGAMEMNON.--Quelle affaire vous amène, je vous prie?

ÉNÉE.--Pardonnez: mon message est pour les oreilles d'Agamemnon.

AGAMEMNON.--Agamemnon ne donne point d'audience particulière à ceux qui
viennent de Troie.

ÉNÉE.--Et je ne viens pas non plus de Troie pour murmurer à son oreille.
J'apporte avec moi une trompette pour le réveiller, pour exciter ses
sens à une attention profonde, et alors je parlerai.

AGAMEMNON.--Parle aussi librement que les vents. Ce n'est pas ici
l'heure où Agamemnon est endormi: et pour te convaincre, Troyen, qu'il
est éveillé, c'est lui-même qui te le déclare.

ÉNÉE.--Trompette, retentis: que ta voix d'airain résonne dans toutes
ces tentes oisives, et que tout Grec courageux sache que les loyales
propositions offertes par Troie seront offertes tout haut. (_La
trompette sonne._) Illustre Agamemnon, nous avons à Troie un prince
nommé Hector, fils de Priam, qui se rouille dans l'inaction d'une trêve
trop prolongée. Il m'a ordonné d'amener avec moi un trompette, et de
vous parler ainsi:--Rois, princes et chefs! si parmi les premiers de la
Grèce, il en est un qui estime son honneur plus que son repos, qui soit
plus jaloux de gloire qu'alarmé des dangers, qui connaisse sa valeur et
ne connaisse pas la peur, qui aime sa maîtresse d'un amour plus vrai
que de simples protestations faites avec de vains serments aux lèvres
de celle qu'il aime, et qui ose soutenir sa beauté et sa vertu dans
d'autres bras que les siens, à lui ce défi: Hector, à la vue des Troyens
et des Grecs, prouvera (ou du moins il fera tous ses efforts pour le
faire) que sa dame est plus sage, plus belle, plus fidèle, que jamais
Grec n'en ait enlacée de ses bras; et demain matin, s'avançant à
mi-chemin des murs de Troie, il provoquera à son de trompe un Grec
fidèle en amour.--Si quelqu'un se présente, Hector l'honorera: s'il ne
vient personne, rentré dans Troie, il y publiera que les dames grecques
sont toutes brûlées par le soleil, et que pas une ne vaut la peine qu'on
brise une lance pour elle. J'ai dit.

AGAMEMNON.--Énée, on annoncera ce défi à nos amants. Si aucun d'eux n'a
le courage d'y répondre, nous les aurons laissés tous dans notre patrie.
Mais nous sommes soldats, et qu'il ne soit jamais qu'un lâche, le soldat
qui n'a pas été, qui n'est pas, ou qui ne se promet pas d'être amoureux.
S'il s'en trouve un seul qui soit, qui ait été ou qui se promette d'être
amoureux, c'est lui qui se mesurera avec Hector: s'il n'y en a aucun, ce
sera moi.
                
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