Note du transcripteur.
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Ce document est tiré de:
OEUVRES COMPLÈTES DE
SHAKSPEARE
TRADUCTION DE
M. GUIZOT
NOUVELLE ÉDITION ENTIÈREMENT REVUE
AVEC UNE ÉTUDE SUR SHAKSPEARE
DES NOTICES SUR CHAQUE PIÈCE ET DES NOTES
Volume 5
Le roi Lear--Cymbeline.
La méchante femme mise à la raison.
Peines d'amour perdues--Périclès
PARIS
A LA LIBRAIRIE ACADÉMIQUE
DIDIER ET Cie, LIBRAIRES-ÉDITEURS
35, QUAI DES AUGUSTINS
1862
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CYMBELINE
TRAGÉDIE
NOTICE SUR CYMBELINE
Une nouvelle du Décaméron de Boccace et une chronique d'Holinshed sont
les deux sources où Shakspeare a puisé cette tragédie. Le roi qui lui
donne son nom régnait du temps de César Auguste, selon Holinshed, ce qui
n'a pas empêché Shakspeare de peupler Rome d'Italiens modernes, Iachimo,
Philario, etc. Malgré cette confusion de temps, de noms et de moeurs;
malgré l'invraisemblance de la fable et l'absurdité du plan, Cymbeline
est une des tragédies les plus admirées de Shakspeare. Le personnage
d'Imogène a fait réellement des passions. Que les critiques comparent,
s'ils le veulent, cette pièce à un édifice irrégulier et informe, mais
qu'ils conviennent qu'Imogène est une divinité digne d'orner un temple
de la plus noble architecture. Quoique Posthumus semble le héros de la
pièce, c'est Imogène qui y répand le charme de sa pureté conjugale, de
sa douceur céleste, de son dévouement et de sa constance.
Sans artifice, comme l'innocence, elle a peine à croire à l'infidélité
de Posthumus; indulgente comme la vertu, elle pardonne à Iachimo ses
premières calomnies sans affecter une haine d'ostentation contre le
vice. Faussement accusée, elle ne sait se justifier qu'en disant combien
elle aime; modeste et timide sous son déguisement, elle apparaît dans la
grotte de Bélarius comme l'ange de la grâce, elle est belle dans le
désert comme à la cour, et ajoute encore à la beauté du paysage dans
lequel Shakspeare a placé les deux jeunes princes.
Les autres caractères de la pièce ne manquent pas de vérité. Posthumus
ne serait-il que l'époux adoré d'Imogène, il nous intéresserait; mais il
y a en lui le courage et la noblesse des héros. Philario est un de ces
serviteurs fidèles que Shakspeare a souvent pris plaisir à représenter,
et Iachimo un des plus adroits menteurs que l'Italie ait produits; son
effronterie a quelque chose d'amusant; Bélarius, opiniâtre dans son plan
de vengeance, offre un de ces caractères fermes qu'on voit avec plaisir
transplantés du milieu des montagnes et mis tout à coup en présence d'un
courtisan. Ses deux élèves ont déjà l'instinct des grandes âmes; et leur
amitié fraternelle est touchante.
La méchanceté de la reine et la crédulité conjugale du roi prêtent aussi
à l'analyse et forment un contraste piquant. Cloten, le seul personnage
comique de la pièce, peut être jugé de plus d'une manière: on voit en
lui la sottise et l'orgueil d'un prince privé d'éducation; mais il
semble que Shakspeare ait oublié qu'il nous l'a donné d'abord pour une
âme lâche et sans énergie, lorsque, dans le conseil royal, il lui fait
adresser à l'ambassadeur romain une réponse pleine de dignité; soit
qu'il ait cru que, vis-à-vis de l'étranger, l'honneur national peut
enflammer les âmes les plus communes; soit que le poëte ait voulu
insinuer que le rôle des princes leur est souvent tracé d'avance dans
les grandes occasions.
En général, l'intérêt qu'inspire la tragédie de _Cymbeline_, est d'une
nature douce et mélancolique plutôt que tragique. On s'échappe
volontiers de la cour avec Imogène, et l'on se sent disposé à rêver dans
l'asile romantique où elle retrouve ses frères sans les connaître.
Des sentiments noblement exprimés, quelques dialogues naturels et des
scènes charmantes rachètent les nombreux défauts de cette composition.
_Cymbeline_ est l'une des dix-sept pièces qui ont été publiées pour la
première fois dans l'édition in-folio de 1623. Il est impossible de
déterminer avec précision le moment où elle fut écrite; mais il paraît
probable que ce fut vers 1610 ou 1611. On a en effet de bonnes raisons
de croire que la _Tempête_ et le _Conte d'hiver_ furent composés à cette
époque, et l'on retrouve, entre ces deux pièces et _Cymbeline_, des
analogies de style, de pensée et d'allure qui semblent indiquer qu'elles
sont toutes trois sorties de la même veine d'esprit.
PERSONNAGES
CYMBELINE, roi de la Grande-Bretagne.
CLOTEN, fils de la reine, du premier lit.
LEONATUS POSTHUMUS, chevalier, marié secrètement à la princesse Imogène.
BELARIUS, seigneur, exilé par Cymbeline, et déguisé sous le nom de Morgan.
GUIDÉRIUS. }fils de Cymbeline, et
ARVIRAGUS, }crus fils de Bélarius
}sous les noms de Polydore et
}de Cadwal.
PHILARIO, ami de Posthumus, }
IACHIMO, ami de Philario, }Italiens
UN FRANÇAIS, ami de Philario.
CAIUS-LUCIUS, général de l'armée romaine.
UN OFFICIER ROMAIN.
PISANIO, attaché au service de Posthumus.
CORNÉLIUS, médecin.
DEUX GENTILSHOMMES.
DEUX GEOLIERS.
DEUX OFFICIERS ANGLAIS.
LA REINE, femme de Cymbeline.
IMOGÈNE, fille de Cymbeline, de son premier mariage.
HÉLÈNE, suivante d'Imogène.
LORDS, LADYS, SÉNATEURS, ROMAINS,
TRIBUNS, APPARITIONS, UN DEVIN,
UN GENTILHOMME HOLLANDAIS, UN
GENTILHOMME ESPAGNOL, MUSICIENS,
OFFICIERS, CAPITAINES, SOLDATS, MESSAGERS.
La scène est tantôt dans la Grande-Bretagne, tantôt en Italie.
ACTE PREMIER
SCÈNE I
La Grande-Bretagne.--Jardin derrière le palais de Cymbeline.
_Entrent_ DEUX GENTILSHOMMES.
LE PREMIER GENTILHOMME.--Vous ne rencontrez ici personne qui ne fronce
le sourcil. Nos visages n'obéissent pas plus que nos courtisans aux lois
du ciel. Tous retracent la tristesse peinte sur le visage du roi.
LE SECOND.--Mais quel est le sujet?...
LE PREMIER.--L'héritière de son royaume, sa fille qu'il destinait au
fils unique de sa femme (une veuve qu'il vient d'épouser), s'est donnée
à un pauvre, mais digne gentilhomme: elle est mariée;--son époux est
banni, elle emprisonnée. Tout présente les dehors de la tristesse; pour
le roi, je le crois, il est affligé jusqu'au fond du coeur.
LE SECOND.--Personne autre que le roi?
LE PREMIER.--Celui aussi qui a perdu la princesse; la reine aussi, qui
souhaitait le plus cette alliance; mais il n'est pas un des courtisans,
quoiqu'ils portent des visages composés sur celui du roi, qui n'ait le
coeur joyeux de ce dont ils affectent de paraître mécontents.
LE SECOND.--Et pourquoi cela?
LE PREMIER.--L'homme à qui la princesse échappe est un être trop mauvais
pour une mauvaise réputation; mais celui qui la possède (je veux dire
celui qui l'a épousée, ah! l'honnête homme! et qu'on bannit pour cela),
c'est une créature si accomplie qu'on aurait beau chercher son pareil
dans toutes les régions du monde, il manquerait toujours quelque chose à
celui qu'on voudrait lui comparer. Je ne pense pas qu'un extérieur aussi
beau et une âme aussi noble se trouvent réunis dans un autre homme.
LE SECOND.--Vous le vantez beaucoup.
LE PREMIER.--Je ne le vante, seigneur, que d'après l'étendue de son
mérite; je le rapetisse plutôt que je ne le déroule tout entier.
LE SECOND.--Quel est son nom, sa naissance?
LE PREMIER.--Je ne puis remonter jusqu'à sa première origine. Sicilius
était le nom de son père, qui s'unit avec honneur à Cassibelan contre
les Romains. Mais il reçut ses titres d'honneur de Ténantius, qu'il
servit avec gloire et avec un succès admiré, et il obtint le surnom de
Léonatus. Il eut, outre le chevalier en question, deux autres fils qui,
dans les guerres de ce temps, moururent l'épée à la main. Leur père,
vieux alors et aimant ses enfants, en conçut tant de chagrin qu'il
quitta la vie: son aimable épouse, alors enceinte du gentilhomme dont
nous parlons, mourut en lui donnant le jour. Le roi prit l'enfant sous
sa protection, lui donna le nom de Posthumus, l'éleva, et l'attacha à sa
chambre: il l'instruisit dans toutes les sciences dont son âge pouvait
être susceptible; et il les reçut comme nous recevons l'air aussitôt
qu'elles lui furent offertes; dès son printemps, il porta une moisson:
il vécut à la cour loué et aimé (chose rare), modèle des jeunes gens,
miroir redouté des hommes d'un âge mûr; et pour les vieillards, un
enfant qui guidait les radoteurs. Quant à sa maîtresse, pour laquelle il
est banni aujourd'hui, ce qu'elle lui a donné proclame le cas qu'elle
faisait de sa personne et de ses vertus. On peut lire dans son choix, et
juger au vrai quel homme est Posthumus.
LE SECOND.--Je l'honore sur votre seul récit. Mais, dites-moi, je vous
prie, la princesse est-elle le seul enfant du roi?
LE PREMIER.--Son seul enfant. Il avait deux fils; et si ce détail vous
intéresse, écoutez-moi. Tous deux furent dérobés de leur chambre; l'aîné
à l'âge de trois ans, et l'autre encore au maillot; jusqu'à cette heure,
pas la moindre conjecture sur ce qu'ils sont devenus.
LE SECOND.--Combien y a-t-il de cela?
LE PREMIER.--Vingt ans environ.
LE SECOND.--Qu'on enlève ainsi les enfants d'un roi! qu'ils fussent si
négligemment gardés, et qu'on ait été si lent dans les recherches qu'on
n'ait pu retrouver leur trace!
LE PREMIER.--Quelque étrange que cela vous semble, et quoique cette
négligence soit vraiment ridicule, le fait est vrai, seigneur.
LE SECOND.--Je vous crois.
LE PREMIER.--Il faut nous taire, voici Posthumus, la reine et la
princesse.
(Ils sortent.)
(La reine, Posthumus, Imogène entrent avec leur suite.)
LA REINE.--Non; soyez-en sûre, ma fille, vous ne trouverez jamais en
moi, comme on le reproche à la plupart des marâtres, un oeil malveillant
pour vous. Vous êtes ma captive; mais votre geôlière vous confiera les
clefs qui ferment votre prison. Pour vous, Posthumus, aussitôt que je
pourrai fléchir le courroux du roi, on me verra plaider votre cause;
mais le feu de la colère est encore en lui; et il serait à propos de
vous soumettre à son arrêt, avec toute la patience que votre prudence
pourra vous inspirer.
POSTHUMUS.--Si Votre Majesté le trouve bon, je partirai d'ici
aujourd'hui.
LA REINE,--Vous connaissez le danger.--Je vais faire un tour dans les
jardins, compatissant aux angoisses des amours qu'on traverse, quoique
le roi ait ordonné de ne pas vous laisser ensemble.
(Elle sort.)
IMOGÈNE.--O feinte complaisance! Comme ce tyran sait caresser au moment
où elle blesse! Mon cher époux, je crains un peu la colère de mon père,
mais, soit dit sans blesser mes devoirs sacrés envers lui, je ne redoute
rien des effets de sa colère sur moi. Il vous faut partir; et moi je
soutiendrai ici à toute heure le trait de ses regards irrités, n'ayant
rien qui me console de vivre, si ce n'est la pensée qu'il existe dans le
monde un trésor que je puis revoir encore.
POSTHUMUS.--Ma reine! mon amante! Ah! madame, ne pleurez plus; si vous
ne voulez m'exposer à me faire soupçonner de plus de faiblesse qu'il ne
convient à un homme. Je veux être l'époux le plus fidèle, qui jamais ait
engagé sa foi. Ma résidence sera à Rome, chez un nommé Philario, qui fut
l'ami de mon père; moi, je ne le connais que par lettres. Écrivez-moi
là, ô ma reine! mes yeux en dévoreront les mots que vous enverrez, dût
l'encre être de fiel.
(La reine entre.)
LA REINE.--Abrégez, je vous prie. Si le roi survenait, je ne sais pas où
s'arrêterait sa colère contre moi. _(À part.)_ Cependant je saurai
diriger ici sa promenade; je ne l'offense jamais qu'il ne paye mes
offenses pour nous réconcilier; il achète chèrement tous mes torts.
(Elle sort.)
POSTHUMUS.--Quand nous passerions à nous dire adieu tout le temps qui
nous reste encore à vivre, la douleur de nous séparer ne ferait
qu'augmenter... Adieu.
IMOGÈNE.--Ah! demeure un moment. Quand tu monterais à cheval uniquement
pour aller prendre l'air, cet adieu serait encore trop court.--Vois, mon
ami, ce diamant était à ma mère; prends-le, mon bien-aimé, mais garde-le
jusqu'à ce que tu épouses une autre femme quand Imogène sera morte.
POSTHUMUS.--Quoi! quoi! une autre femme? Dieux bienfaisants,
accordez-moi seulement de posséder celle qui est à moi; que les liens de
la mort me préviennent dans mes embrassements si j'en cherche une autre.
(_Il met le diamant à son doigt._) Reste, reste à cette place tant que
le sentiment pourra t'y conserver. (_A Imogène_.) Et vous, la plus
tendre, la plus belle, qui, à votre perte infinie, n'avez reçu que moi
en échange de vous; je gagne encore sur vous quand il s'agit de ces
bagatelles; pour l'amour de moi, portez ceci; c'est une chaîne; je veux
la mettre moi-même à ce beau prisonnier d'amour.
(Il lui attache un bracelet.)
IMOGÈNE.--O dieux! quand nous reverrons-nous?
(Entrent Cymbeline et les seigneurs de la cour.)
POSTHUMUS.--Hélas! le roi!...
CYMBELINE.--Vil objet, va-t'en; disparais de ma vue. Si, après cet ordre
encore, tu fatigues la cour de ton indigne présence, tu meurs. Fuis, ta
vue empoisonne mon sang.
POSTHUMUS.--Que les dieux vous protègent et bénissent les hommes de bien
que je laisse à votre cour; je m'en vais.
(Il sort.)
IMOGÈNE.--La mort n'a point d'angoisses plus douloureuses que celles-ci.
CYMBELINE.--Fille déloyale, toi qui devrais rajeunir ma vieillesse, tu
accumules un siècle sur ma tête.
IMOGÈNE.--Seigneur, je vous en conjure, ne vous faites point de mal par
ces emportements; car je suis insensible à votre courroux: un sentiment
plus rare étouffe en moi toute peine, toute crainte.
CYMBELINE.--Au delà de toute grâce! de toute obéissance!
IMOGÈNE.--Au delà de l'espérance! au désespoir!... Dans ce sens, au delà
de toute grâce!
CYMBELINE.--Tu pouvais épouser le fils unique de la reine.
IMOGÈNE.--Oh! bienheureuse de ne pas le pouvoir: j'ai choisi un aigle,
et j'ai évité un faucon dégénéré.
CYMBELINE.--Tu as choisi un misérable; tu voulais asseoir l'ignominie
sur mon trône.
IMOGÈNE.--Dites que j'en ai relevé l'éclat.
CYMBELINE.--O âme vile!
IMOGÈNE.--Seigneur, c'est votre faute si j'ai aimé Posthumus; vous
l'avez élevé comme le compagnon de mes jeux: il n'est point de femme
dont il ne soit digne; il m'achète plus que je ne vaux, presque de tout
le prix que je lui coûte.
CYMBELINE.--Quoi! as-tu perdu la raison?
IMOGÈNE.--Peu s'en faut, seigneur: veuille le ciel me guérir! Oh! que je
voudrais être fille d'un paysan, et que Posthumus fût le fils du berger
voisin!
(La reine paraît.)
CYMBELINE.--Femme imprudente, je les ai trouvés encore ensemble; vous
n'avez pas suivi mes ordres, retirez-vous avec elle, et l'enfermez.
LA REINE, _à Cymbeline_.--J'implore votre patience. (_A Imogène_.)
Silence, ma chère fille, silence.--Bon souverain, laissez-nous seules,
et cherchez dans votre raison quelque consolation pour vous-même.
CYMBELINE.--Qu'elle languisse en perdant chaque jour une goutte de sang,
et que vieille avant le temps elle meure de sa folie!
(Il sort.)
LA REINE, _à Imogène_.--Allons, il faut que vous laissiez passer...
(_Pisanio entre._) Voici votre serviteur. Eh bien! Pisanio, quelles
nouvelles?
PISANIO.--Le prince, votre fils, a tiré l'épée contre mon maître.
LA REINE.--Ah! j'espère qu'il n'y a pas de mal?
PISANIO.--Il aurait pu y en avoir; mais mon maître n'a fait que jouer
plutôt que de combattre, et il n'était pas soutenu par la colère; des
gentilshommes qui se sont trouvés là les ont séparés.
LA REINE.--J'en suis bien aise.
IMOGÈNE.--Votre fils est l'ami de mon père; il prend son parti! Tirer
l'épée sur un proscrit! ô le brave prince!--Je voudrais les voir tous
deux dans les déserts de l'Afrique, et moi près d'eux, avec une
aiguille, pour en piquer le premier qui reculerait.--Pourquoi avez-vous
quitté votre maître?
PISANIO.--Par son ordre. Il n'a pas voulu que je l'accompagne jusqu'au
port; il m'a laissé une note des ordres que j'aurai à remplir quand il
vous plaira d'accepter mon service.
LA REINE.--Cet homme, jusqu'ici, a été pour vous un serviteur fidèle.
J'ose garantir, sur mon honneur, qu'il le sera toujours.
PISANIO.--Je remercie humblement Votre Majesté.
LA REINE, _à Imogène_.--Je vous prie, promenons-nous un moment ensemble.
(Elles sortent.)
SCÈNE II
Une place publique.
_Entre_ CLOTEN, DEUX SEIGNEURS.
IMOGÈNE, _à Pisanio_.--Avant une demi-heure, je vous prie, revenez me
parler: du moins vous irez voir mon époux à bord. Pour le moment,
laissez-moi.
(La reine et Imogène sortent ensemble, Pisanio sort par un autre côté.)
PREMIER SEIGNEUR.--Je vous conseille, seigneur, de changer de chemise.
La chaleur de l'action vous a fait fumer comme la victime d'un
sacrifice. Quand un air sort, un air entre; et il n'en est point au
dehors qui soit aussi sain que celui qui sort de vous.
CLOTEN.--Si ma chemise était ensanglantée, alors j'en changerais...
L'ai-je blessé?
SECOND SEIGNEUR, _à part_.--Non, d'honneur, pas même sa patience.
PREMIER SEIGNEUR.--Blessé? Ah! s'il ne l'est pas, il faut qu'il ait un
corps perméable; c'est un grand chemin pour l'acier s'il n'est pas
blessé.
SECOND SEIGNEUR, à _part_.--Son acier avait des dettes; il est sorti par
les derrières de la ville.
CLOTEN.--Le lâche n'osait pas m'attendre.
SECOND SEIGNEUR, _à part_.--Non, il allait toujours; mais en avant, vers
ta face.
PREMIER SEIGNEUR.--Vous attendre? vous avez assez de terres à vous; mais
il a ajouté à vos domaines, il vous a cédé du terrain.
SECOND SEIGNEUR, _à part_.--Autant de pouces de terre que tu as
d'océans! Les fats!
CLOTEN.--Que je voudrais qu'on ne se fût pas mis entre nous!
SECOND SEIGNEUR, _à part_.--Et moi aussi, jusqu'à ce que tu eusses pris
par terre la mesure d'un imbécile.
CLOTEN.--Mais comment peut-elle aimer ce misérable, et me rebuter, moi?
SECOND SEIGNEUR, _à part_.--Oh! si c'est un péché de bien choisir, elle
est damnée.
PREMIER SEIGNEUR.--Seigneur, comme je vous l'ai toujours dit, son esprit
et sa beauté ne vont pas ensemble: c'est une belle enseigne; mais je
n'ai vu en elle qu'un esprit peu lumineux.
SECOND SEIGNEUR, _à part_.--Elle ne luit pas pour les imbéciles de peur
que la réflexion ne lui fasse tort.
CLOTEN.--Venez, je vais dans ma chambre: je voudrais bien qu'il y eût un
peu de mal.
SECOND SEIGNEUR, _à part_.--Je ne fais pas le même voeu, à moins que ce
n'eût été la chute d'un âne, ce qui ne serait pas un grand mal.
CLOTEN.--Voulez-vous nous suivre?
PREMIER SEIGNEUR.--J'accompagnerai Votre Altesse.
CLOTEN.--Oui, venez: allons ensemble.
SECOND SEIGNEUR.--Volontiers, prince.
(Ils sortent.)
SCÈNE III
L'appartement d'Imogène.
IMOGÈNE, PISANIO.
IMOGÈNE.--Je voudrais que tu te tinsses sur le port pour interroger
toutes les voiles.--S'il m'écrivait, et que sa lettre ne me parvînt pas,
ce serait une aussi grande perte que si c'était des lettres de grâce.
Qu'est-ce qu'il t'a dit en dernier lieu?
PISANIO.--_Ma reine! ma reine!_
IMOGÈNE.--Et alors il agitait son mouchoir.
PISANIO.--Et il le baisait, madame.
IMOGÈNE.--Insensible tissu, tu étais plus heureux que moi!--Et ce fut
tout?
PISANIO.--Non, madame; car aussi longtemps qu'il a pu se faire
distinguer des autres, à mes yeux ou à mes oreilles, il est resté sur le
pont, et me faisant des signes de son gant, de son chapeau, de son
mouchoir, il exprimait de son mieux, par les transports et les
mouvements de son coeur, combien son âme était lente et le vaisseau
prompt à s'éloigner de vous.
IMOGÈNE.--Tu aurais dû le suivre de l'oeil, et ne le quitter que
lorsqu'il t'aurait paru petit comme une corneille, ou moins encore.
PISANIO.--C'est ce que j'ai fait, madame.
IMOGÈNE.--J'aurais brisé les fibres de mes yeux seulement pour le voir,
jusqu'à ce qu'il fût devenu, par l'éloignement, mince comme mon
aiguille. Oui, mes regards l'auraient suivi, jusqu'à ce que de la
grosseur d'un moucheron, il se fût tout à fait évanoui dans l'air; et
alors j'aurais détourné mes yeux et pleuré...--Mais bon Pisanio, quand
recevrons-nous de ses nouvelles?
PISANIO.--Soyez-en sûre, madame, à la première occasion qu'il pourra
trouver.
IMOGÈNE.--Je ne lui ai point fait mes adieux. J'avais tant de choses
tendres à lui dire! Avant que j'aie pu lui dire comment je songerai à
lui à certaines heures; quelles seront mes pensées; avant que j'aie pu
lui faire jurer qu'aucune femme d'Italie ne lui ferait trahir mon amour
et son honneur; lui recommander de s'unir à moi en prières, à six heures
du matin, à midi, à minuit (car alors je suis dans les cieux pour lui);
avant que j'aie pu lui donner ce baiser d'adieu, que j'aurais placé
entre deux mots charmants; mon père arrive, et, semblable au souffle
tyrannique du nord, il fait tomber tous nos boutons et les empêche de
pousser.
(Une dame de la reine entre.)
LA DAME.--La reine, madame, désire que Votre Altesse se rende auprès
d'elle.
IMOGÈNE, _à Pisanio_.--Allez exécuter les ordres dont je vous ai chargé,
je vais rejoindre la reine.
PISANIO.--Je vous obéirai, madame.
(Ils sortent.)
SCÈNE IV
Rome.--Appartement de la maison de Philario.
_Entrent_ PHILARIO, IACHIMO, UN FRANÇAIS, UN HOLLANDAIS ET UN ESPAGNOL.
IACHIMO.--Croyez-moi, seigneur; je l'ai vu en Angleterre, sa réputation
allait croissant, on s'attendait à lui voir prouver le mérite qu'on lui
reconnaît aujourd'hui; mais je pouvais alors le regarder encore sans
admiration, quand le catalogue de ses qualités eût été inscrit à son
côté et que j'eusse parcouru article par article.
PHILARIO.--Vous parlez d'un temps où il n'était pas encore, comme
aujourd'hui, revêtu de tout ce qui en fait un homme accompli, au dedans
et au dehors.
LE FRANÇAIS.--Je l'ai vu en France; et nous avions là bien des gens qui
pouvaient fixer le soleil d'un oeil aussi ferme que lui.
IACHIMO.--Cette affaire, d'avoir épousé la fille de son roi, le fait
valoir, je n'en doute point, fort au delà de son mérite; on l'apprécie
d'après la valeur de son amante, bien plus que d'après la sienne.
LE FRANÇAIS.--Et puis son bannissement...
IACHIMO.--Oui, oui; les suffrages de ceux qui, sous la bannière de la
princesse, pleurent ce douloureux divorce; tout cela sert
merveilleusement à exalter Posthumus. Ne fût-ce que pour prouver le bon
jugement d'Imogène, qu'il serait autrement aisé de nier si elle avait
pris pour époux un mendiant sans autres qualités. Mais comment
arrive-t-il, Philario, qu'il vienne s'établir chez vous? Où votre
liaison s'est-elle formée?
PHILARIO.--Son père et moi nous avons fait la guerre ensemble, et je ne
dois pas moins que la vie à son père, qui me l'a sauvée plus d'une fois.
Voici l'Anglais. (_Posthumus paraît._) Qu'il soit traité parmi vous avec
les égards que des gentilshommes comme vous doivent à un étranger de sa
qualité. Je vous exhorte tous à lier une plus étroite connaissance avec
ce cavalier, je vous le recommande comme mon digne ami. Je veux lui
donner le temps de montrer son mérite, plutôt que de faire son éloge en
sa présence.
LE FRANÇAIS, _à Posthumus_.--Seigneur, nous nous sommes connus à
Orléans.
POSTHUMUS.--Et depuis lors je vous suis resté redevable d'une foule
d'attentions dont je resterai toujours votre débiteur tout en
m'acquittant sans cesse.
LE FRANÇAIS.--Seigneur, vous estimez trop haut un faible service. Je me
félicitai de vous avoir réconcilié avec mon compatriote; c'eût été une
pitié que de vous laisser rencontrer avec les intentions meurtrières que
vous aviez alors tous deux pour une affaire aussi légère, une bagatelle.
POSTHUMUS.--Permettez, seigneur; j'étais alors un jeune voyageur:
j'évitais de m'en rapporter à mes propres lumières, aimant mieux me
laisser guider par l'expérience des autres; mais depuis que mon jugement
s'est formé, si je puis dire, sans offenser personne, qu'il s'est formé,
je ne trouve pas que la querelle fût si frivole.
LE FRANÇAIS.--D'honneur, elle l'était trop pour mériter d'être décidée
par le fer, surtout entre deux hommes dont l'un aurait très-probablement
immolé l'autre, ou qui seraient restés tous deux sur la place.
IACHIMO.--Pouvons-nous, sans indiscrétion, vous demander quel était le
sujet de ce différend?
LE FRANÇAIS.--Sans difficulté, je le pense; la querelle fut publique, et
dès lors on peut, sans blesser personne, en faire le récit. C'était à
peu près la même thèse qui fut agitée entre nous l'autre soir, lorsque
chacun de nous fit l'éloge des dames de son pays. Ce gentilhomme
soutenait en ce temps-là, et offrait de le soutenir aux dépens de son
sang, que la sienne était plus belle, plus vertueuse, plus spirituelle,
plus chaste, plus constante et moins abordable qu'aucune des dames les
plus accomplies de France.
IACHIMO.--Cette dame ne vit plus aujourd'hui, ou bien l'opinion qu'en
avait ce gentilhomme doit être usée à présent.
POSTHUMUS.--Elle conserve toujours sa vertu, et moi mon opinion.
IACHIMO.--Il ne faut pas que vous lui donniez si fort la préférence sur
nos dames d'Italie.
POSTHUMUS.--Quand je serais poussé au point où je le fus en France, je
ne rabattrais rien de son prix, quoique je me déclare ici non son ami,
mais son adorateur.
IACHIMO.--Aussi belle et aussi vertueuse puisque c'est une espèce de
comparaison qui se tient par la main, c'est trop beau et trop bon pour
quelque dame de Bretagne que ce soit. Si elle surpassait d'autres femmes
que j'ai connues, comme le diamant que vous portez là dépasse en éclat
beaucoup de diamants que j'ai vus, je croirais volontiers qu'elle
surpasse beaucoup de femmes; mais je n'ai pas vu le plus beau diamant,
ni vous la plus belle femme qui soit au monde.
POSTHUMUS.--Je l'ai louée d'après le cas que j'en fais, comme ce
diamant.
IACHIMO.--Et combien estimez-vous cette pierre?
POSTHUMUS.--Plus que les trésors du monde entier.
IACHIMO,--Ou votre incomparable maîtresse est morte, ou la voilà
au-dessous du prix d'une bagatelle.
POSTHUMUS.--Vous êtes dans l'erreur: l'une peut s'acheter ou se donner,
s'il se trouve assez de richesses pour la payer, ou de mérite pour
l'obtenir en don. L'autre n'est pas une chose qui se vende, et les dieux
seuls peuvent en faire don.
IACHIMO.--Et ce don, les dieux vous l'ont fait?
POSTHUMUS.--Oui, et avec leur secours je le conserverai.
IACHIMO.--Vous pouvez le posséder en titre. Mais, vous le savez, des
oiseaux étrangers viennent souvent s'abattre sur nos étangs voisins....
Votre bague aussi, on peut vous la voler: ainsi, de cette paire de
trésors inappréciables que vous possédez, l'un est bien fragile, et
l'autre est casuel. Un adroit filou et un cavalier accompli pourraient
tenter de vous les enlever tous deux.
POSTHUMUS.--Votre Italie n'a point de cavalier assez accompli pour
triompher de l'honneur de ma maîtresse, si c'est de la garde ou de la
perte de l'honneur que vous prétendez parler, en disant qu'elle est
fragile. Je ne doute pas que vous n'ayez des filous en abondance, et
pourtant je ne crains rien pour mon anneau.
PHILARIO.--Restons-en là, messieurs.
POSTHUMUS.--Très-volontiers. Ce noble seigneur, et je l'en remercie, ne
me traite point en étranger: nous voilà familiers dès l'abord.
IACHIMO.--En cinq entretiens, pas plus longs que le nôtre, je voudrais
m'établir dans le coeur de votre belle maîtresse, et voir sa vertu
fléchir et prête à céder, si j'avais seulement accès près d'elle et
l'occasion de lui faire ma cour.
POSTHUMUS.--Non, non.
IACHIMO.--J'ose parier là-dessus la moitié de ma fortune contre votre
diamant, qui, à mon avis, vaut quelque chose de moins. Mais je fais ma
gageure plutôt contre votre confiance que contre sa réputation; et de
peur que vous vous en offensiez, j'ajoute que j'oserais le tenter avec
quelque femme au monde que ce fût!
POSTHUMUS.--Vous êtes étrangement abusé par vos idées téméraires: et je
ne doute pas qu'il ne nous arrivât ce que vous méritez dans votre
tentative.
IACHIMO.--Et quoi?
POSTHUMUS.--D'être repoussé, quoique votre tentative, comme vous
l'appelez, méritât quelque chose de plus, un châtiment peut-être.
PHILARIO.--Messieurs, en voilà assez là-dessus: cette vaine dispute
s'est élevée trop tôt; qu'elle meure comme elle est née; je vous prie,
faites plus ample connaissance.
IACHIMO.--Je voudrais avoir engagé ma fortune et celle de mon voisin au
soutien de ce que j'ai avancé.
POSTHUMUS.--Quelle dame choisiriez-vous pour l'assaillir?
IACHIMO.--La vôtre, que vous croyez si bien affermie dans sa constance.
Voulez-vous seulement me recommander à la cour où est votre dame? je
gagerai dix mille ducats contre votre diamant, que, sans autres
avantages que deux entretiens avec elle, je rapporterai de là cet
honneur que vous croyez si bien défendu.
POSTHUMUS.--Je consens à parier de l'or, contre votre or. Pour mon
anneau, il m'est aussi cher que mon doigt; il en fait partie.
IACHIMO.--Vous êtes amant, et de là vient votre prudence.--Quand vous
auriez acheté le corps d'une femme un million la drachme, vous ne
pourriez l'empêcher de se corrompre. Mais, je le vois, vous avez dans
l'âme quelques scrupules puisque vous avez peur.
POSTHUMUS.--Tout ceci n'est qu'un jargon d'habitude; vous portez,
j'espère, des sentiments plus réfléchis.
IACHIMO.--Je suis maître de mes paroles; et je jure que je veux tenter
l'épreuve dont j'ai parlé.
POSTHUMUS.--Vous le voulez?--Je ne fais que prêter mon diamant jusqu'à
votre retour.--Qu'on dresse entre nous des conventions. Ma maîtresse
surpasse en vertu toute l'étendue de vos indignes pensées. Je vous défie
dans cette gageure; voilà ma bague.
PHILARIO.--Je ne souffrirai point qu'elle serve de gage.
IACHIMO.--Par les dieux, c'en est un. Si je ne vous rapporte pas des
preuves suffisantes que j'ai joui des plus chers appas de votre
maîtresse, mes dix mille ducats sont à vous, et votre diamant aussi; si
je la quitte en laissant sans atteinte cet honneur auquel vous vous
fiez, elle qui est votre joyau, le joyau que voilà et mon or, tout est à
vous; mais il me faut votre recommandation, afin de me procurer un plus
libre accès.
POSTHUMUS.--J'accepte ces conditions. Faisons des conventions entre
nous. Voici seulement ce dont vous me répondrez. Si vous faites ce
voyage pour la séduire, et que vous me démontriez clairement que vous
avez triomphé, je ne suis plus votre ennemi, et elle ne mérite pas notre
dispute. Mais si elle reste fidèle, et que vous ne puissiez me prouver
le contraire, vous me répondrez l'épée à la main, et de votre mauvaise
opinion, et de l'attaque que vous aurez livrée à sa pudeur.
IACHIMO.--Votre main; l'accord est fait. Nous allons faire régler tout
cela dans les formes, et je pars sur-le-champ pour la Grande-Bretagne,
de peur que notre marché ne prît froid et ne se rompît. Je vais chercher
mon or et faire inscrire le pari.
POSTHUMUS.--Convenu.
(Posthumus et Iachimo sortent.)
LE FRANÇAIS.--Le pari tiendra-t-il? Croyez-vous?
PHILARIO.--Le seigneur Iachimo ne reculera pas. Je vous prie,
suivons-les.
(Ils sortent.)
SCÈNE V
Grande-Bretagne.--Appartement dans le palais de Cymbeline.
LA REINE _paraît avec ses_ DAMES ET CORNÉLIUS _tenant une fiole_.
LA REINE, _à ses femmes_.--Tandis que la rosée est encore sur la terre,
allez cueillir ces fleurs; hâtez-vous. Qui de vous en a la liste?
UNE DES FEMMES.--Moi, madame.
LA REINE.--Allez. (_Les dames sortent._) Maintenant, monsieur le
docteur, avez-vous apporté ces drogues?
CORNÉLIUS.--Sous le bon plaisir de Votre Majesté, les voici. (_Il
présente une petite boîte._) Mais si Votre Majesté me le permet, et
j'espère qu'elle ne s'en offensera pas, ma conscience me force à vous
demander pour quel usage vous avez exigé de moi ces potions
empoisonnées, qui amènent une mort languissante, et sont mortelles
quoique lentes.
LA REINE.--Je m'étonne, docteur, que vous me fassiez une pareille
question. N'ai-je pas été longtemps votre disciple? Ne m'avez-vous pas
enseigné l'art de composer des parfums, de distiller, de conserver les
fruits? Si bien que notre grand roi lui-même me fait souvent la cour
pour mes confitures? En étant arrivée là, serez-vous étonné, à moins que
vous ne me supposiez une âme infernale, que je cherche à perfectionner
ma science par de nouvelles expériences? Je veux faire l'essai de ces
compositions sur de vils animaux qui ne valent pas la peine d'être
pendus; jamais sur aucune créature humaine, afin de connaître leur
force, d'opposer des antidotes à leur activité, et par là d'apprendre
leurs diverses vertus et leurs effets.
CORNÉLIUS.--Votre Majesté, par ces expériences, ne fera que s'endurcir
le coeur; d'ailleurs on ne voit point ces résultats sans dégoût ni sans
danger.
LA REINE.--Oh! soyez tranquille.--(_Entre Pisanio._) (_A part_.) Voici
un flatteur de valet; c'est sur lui que je ferai mon premier essai; il
appartient à son maître, et est l'ennemi de mon fils.... Eh bien!
Pisanio? (_A Cornélius_.) Docteur, votre office auprès de moi est fini
pour le moment; allez votre chemin.
CORNÉLIUS, _s'éloignant et à part_.--Vous m'êtes suspecte, madame; mais
vous ne ferez aucun mal.
LA REINE, _à Pisanio_.--Écoute, un mot.
CORNÉLIUS, _à part_.--Je n'aime point cette femme.... Elle croit tenir
des poisons lents et étranges; je connais bien son âme, je ne confierai
pas à une personne aussi perverse des ingrédients d'une nature aussi
infernale; ceux qu'elle possède assoupiront et alourdiront un moment les
sens; peut-être ses essais commenceront-ils par des chiens et des chats,
pour monter ensuite plus haut; mais il n'y a aucun danger dans la mort
apparente qu'elle donnera; elle ne fera que suspendre pour un temps les
esprits, qui renaîtront plus actifs. Elle est trompée par ces faux
effets; et moi, en la trompant ainsi, je n'en suis que plus fidèle.
LA REINE.--Docteur, je n'ai plus besoin de votre présence jusqu'à ce que
je vous fasse rappeler.
CORNÉLIUS.--Je prends humblement congé de vous.
(Il se retire.)
LA REINE.--Elle pleure donc toujours, dis-tu? Penses-tu qu'avec le temps
ses larmes ne s'arrêteront pas, pour laisser entrer les conseils de la
raison là où règne maintenant la folie? Travaille à cela: et quand tu
viendras me dire qu'elle aime mon fils, je te dirai à l'instant même que
tu es aussi grand que ton maître; plus grand que lui; car sa fortune est
gisante et sans voix, et sa renommée est à l'agonie: il ne peut revenir
ici, ni demeurer où il est.... En changeant d'existence, il ne fera que
changer de misère; et chaque jour en arrivant vient ruiner un jour de sa
vie. Quel est ton espoir, en t'appuyant sur une colonne qui penche et
qu'il sera impossible de relever?--sur un homme qui n'a pas même assez
d'amis pour l'étayer? (_La reine laisse tomber une boîte: Pisanio la
ramasse._) Tu ne connais pas ce que tu tiens là; reçois-le de moi pour
tes services, c'est un élixir de ma composition: il a déjà arraché cinq
fois le roi à la mort: je ne connais pas de cordial plus efficace. Non,
je te prie, prends-le, comme un gage des faveurs plus grandes que je te
destine:--fais sentir à ta maîtresse quelle est sa position; fais-le
comme de toi-même: songe quelle chance t'offre la fortune, songe
seulement que tu conserves toujours ta maîtresse, et de plus tu gagnes
mon fils, qui se souviendra de toi.... J'intéresserai le roi à ton
avancement, quoi que tu puisses désirer; et moi-même alors, moi surtout
qui t'aurai mis sur la voie de mériter les grâces, je m'engage à
récompenser richement ton mérite. Appelle mes femmes: songe à mes
paroles. (_Pisanio sort._) Un valet fin et fidèle qu'on ne peut
ébranler: l'agent de son maître auprès d'elle, et qui lui rappelle sans
cesse de conserver sa main et sa foi à son seigneur. Je lui ai fait là
un don qui, s'il en fait usage, enlèvera à la belle son émissaire auprès
de son doux ami; et elle-même, dans la suite, si elle ne plie pas son
humeur, peut être sûre d'en goûter aussi. (_Pisanio reparaît avec les
dames, qui rapportent des paniers de fleurs._) Fort bien, fort bien:
portez dans mon cabinet ces violettes, ces primevères, ces pervenches:
adieu, Pisanio; songe à ce que je t'ai dit.
(La reine sort suivie de ses femmes.)
PISANIO _seul_.--J'y songerai, mais quand je deviendrai infidèle à mon
bon maître, je m'étoufferai de mes propres mains: c'est là tout ce que
je ferai pour toi.
(Il sort.)
SCÈNE VI
Un autre appartement du palais.
IMOGÈNE _seule_.
IMOGÈNE.--Un père cruel, une belle-mère perfide, un stupide soupirant
près d'une femme mariée, dont l'époux est banni: oh! mon époux! le
comble et la couronne de tous mes chagrins! et des vexations qui se
renouvellent à chaque instant!--Si j'avais été dérobée par des voleurs,
comme mes deux frères, je serais heureuse: mais malheureux ceux que
leurs désirs élèvent trop haut! Heureux, quelque humble que soit leur
état, ceux qui voient accomplir leurs modestes voeux que chaque saison
satisfait.... Quel peut être cet homme? Fi donc!
(Iachimo entre précédé par Pisanio.)
PISANIO.--Madame, un noble gentilhomme de Rome vous apporte des lettres
de mon maître.
IACHIMO.--Vous changez de couleur, madame? Le noble Léonatus est en
sûreté: il salue tendrement Votre Altesse.
(Il lui présente une lettre.)
IMOGÈNE.--Je vous remercie, bon seigneur: vous êtes le très-bienvenu.
IACHIMO, _à part_.--Tout ce qu'elle laisse voir est parfait: si elle est
munie d'une âme aussi rare, c'est ici le phénix de l'Arabie, et j'ai
perdu la gageure. Hardiesse, sois mon amie; audace, arme-moi de pied en
cap, ou bien, comme le Parthe, je ne combattrai qu'en fuyant, ou plutôt
je fuirai sans avoir combattu.
IMOGÈNE, _lisant tout haut la lettre_.--_C'est un cavalier de la plus
haute distinction, et auquel de bons offices m'ont infiniment attaché.
Traitez-le en conséquence comme vous estimez votre fidèle_ Léonatus.
Je ne lis que cela tout haut; mais mon coeur est réchauffé jusqu'au fond
par le reste de la lettre: il est tout ému de reconnaissance.--Vous êtes
le bienvenu, digne seigneur, autant que peuvent l'exprimer mes paroles;
et vous l'éprouverez dans tout ce que je pourrai faire pour vous.
IACHIMO.--Je vous rends grâces, belle dame.--Eh quoi! les hommes
sont-ils insensés? La nature leur aura donné des yeux pour voir l'arche
voûtée des cieux et les richesses de la terre et des mers, pour
distinguer les globes enflammés sur nos têtes, et les pierres semées sur
les rivages; et avec des organes si précieux, nous ne pourrons pas faire
la différence de la laideur et de la beauté!
IMOGÈNE.--D'où vient votre étonnement?
IACHIMO.--Cela ne peut être la faute des yeux: des singes et des guenons
placés entre deux créatures semblables bavarderaient de ce côté, et
repousseraient l'autre par des grimaces. Ce n'est pas la faute du
jugement: l'idiot devant cette beauté saurait faire son choix. Ce n'est
pas la passion; car la laideur, mise à côté de cette beauté parfaite,
exciterait le désir à vomir à vide au lieu de le pousser à se
satisfaire.
IMOGÈNE.--Quelle est donc la cause...?
IACHIMO.--Le vice blasé, ce désir rassasié mais non satisfait (comme un
vase plein et qui fuit), dévore d'abord l'agneau, et puis est avide de
charogne.
IMOGÈNE.--Quelle est donc, digne seigneur, la cause de votre agitation?
Êtes-vous bien?
IACHIMO.--Bien, merci, madame. (_A Pisanio_.) Ami, je vous prie,
ordonnez à mon serviteur de m'attendre là où je l'ai laissé: il est
étranger et susceptible.
PISANIO.--J'allais sortir, seigneur, pour lui faire accueil.
(Il sort.)
IMOGÈNE.--La santé de mon seigneur continue-t-elle à être bonne? De
grâce, dites-le-moi.
IACHIMO.--Bonne, madame.
IMOGÈNE.--Est-il disposé à la gaieté? J'espère qu'il l'est.
IACHIMO.--Excessivement gai: Rome n'a point d'étranger aussi jovial,
aussi folâtre: on l'appelle le _joyeux Anglais_.
IMOGÈNE.--Lorsqu'il était ici, il était enclin à la mélancolie, et
souvent sans savoir pourquoi.
IACHIMO.--Jamais je ne l'ai vu triste. Il y a un Français, son
compagnon, un _monsieur_ d'un rang éminent, qui aime fort à ce qu'il
paraît une jeune Française restée dans son pays; il pousse de profonds
soupirs, comme la flamme d'une fournaise; pendant que le joyeux Anglais
(votre époux, veux-je dire) rit aux éclats et s'écrie: «Comment mes
côtes y résisteront-elles, lorsqu'on songe que l'homme, qui sait par
l'histoire, par tous les récits, par sa propre expérience, ce qu'est la
femme et ce qu'il lui est impossible de ne pas être, va languir en
livrant ses heures de liberté à un esclavage volontaire!»
IMOGÈNE.--Est-ce que mon époux dit cela?
IACHIMO.--Oui, madame, en riant jusqu'aux larmes. C'est un amusement que
de se trouver là, et de le voir se moquer du Français. Mais le ciel sait
qu'il est des hommes qui sont bien blâmables.
IMOGÈNE.--Ce n'est pas lui, j'espère?
IACHIMO.--Lui? Non. Cependant il devrait recevoir avec plus de
reconnaissance les bontés du ciel envers lui: il y a en lui et en
vous,--que je regarde comme son bien au-dessus de toutes les
richesses;--oui, il y a pour moi des motifs d'admirer et en même temps
de plaindre.
IMOGÈNE.--Et qui plaignez-vous, seigneur?
IACHIMO.--Deux créatures du fond du coeur.
IMOGÈNE.--Suis-je une des deux, seigneur? Vous me regardez; quel ravage
discernez-vous en moi qui mérite votre pitié?
IACHIMO.--C'est lamentable! Quoi? Fuir le soleil radieux et se plaire
dans un cachot auprès d'une chandelle!
IMOGÈNE.--Je vous prie, seigneur, énoncez plus clairement vos réponses à
mes questions? Pourquoi me plaignez-vous?
IACHIMO.--Parce que d'autres, j'allais le dire, jouissent de votre...;
mais c'est l'office des dieux d'en tirer vengeance, et ce n'est pas le
mien de parler.
IMOGÈNE.--Vous paraissez savoir quelque chose qui me concerne ou qui
m'intéresse. Je vous prie, parlez: puisque soupçonner que les choses
vont mal fait souvent plus souffrir que la certitude qu'il en est ainsi;
les faits certains sont au-dessus des remèdes, ou bien connus à temps on
peut y appliquer le remède. Ah! découvrez-moi ce secret qui vous pousse
à parler et que vous retenez.
IACHIMO.--Si j'avais cette joue pour y reposer mes lèvres; cette main
dont le toucher, le seul toucher devrait forcer un homme au serment de
fidélité; si je possédais cet objet qui captive les regards errants de
mes yeux et les tient attachés sur lui seul; irais-je souiller ma
bouche, comme un réprouvé, sur des lèvres aussi publiques que les degrés
qui conduisent au Capitole; presserais-je de mes mains des mains
flétries par le travail, et plus encore par des parjures journaliers; si
j'allais fixer mes regards sur des yeux, sur des yeux abjects et ternes
comme la lueur opaque de ces flambeaux que nourrit un suif fétide, ne
serait-il pas bien juste que tous les fléaux de l'enfer punissent une
fois une telle trahison?
IMOGÈNE.--Mon seigneur, je le crains, a oublié la Bretagne.
IACHIMO.--Et lui-même. Ce n'est pas mon penchant qui me porte à vous
éclairer, à révéler la bassesse de son changement, ce sont vos grâces
qui, du fond de ma conscience muette, attirent malgré moi sur mes lèvres
cet aveu.
IMOGÈNE.--Je ne veux pas en entendre davantage.
IACHIMO.--O chère âme, votre sort touche mon coeur d'une pitié qui me
fait mal. Une princesse aussi belle et née dans la puissance, qui
doublerait la grandeur du plus grand roi, être ainsi associée avec de
viles créatures louées avec l'argent même que fournissent vos coffres;
avec d'infâmes aventurières, qui, pour de l'or, jouent avec tous les
maux dont la corruption souille la nature; pestes contagieuses, qui
pourraient empoisonner le poison; vengez-vous, ou celle qui vous porta
n'était pas reine, et vous dégénérez de votre illustre origine.
IMOGÈNE.--Me venger! et comment me venger? Si ce récit est vrai, car je
porte un coeur qui doit craindre de se laisser trop vite abuser par mes
deux oreilles; si ce récit est vrai, comment pourrais-je me venger?
IACHIMO.--Quoi! vous ferait-il vivre comme une vestale de Diane entre
des draps glacés, tandis qu'il se livre à de capricieuses prostituées,
au mépris de votre personne, aux dépens de votre bourse? Vengez-vous. Je
me consacre à votre bon plaisir. Amant plus noble que ce déserteur de
votre lit, je resterai fidèle à votre tendresse, toujours discret et
toujours constant.
IMOGÈNE.--Holà! Pisanio!
IACHIMO.--Souffrez que je jure sur vos lèvres mon dévouement.
IMOGÈNE.--Va-t'en!--J'en veux à mes oreilles de t'avoir écouté si
longtemps. Si tu avais de l'honneur, tu m'aurais fait ce récit par
vertu, et non pour la fin que tu te proposes, aussi basse qu'étrange! Tu
outrages un gentilhomme qui est aussi loin de ta calomnie que tu l'es de
l'honneur, et tu tentes de séduire ici une femme qui te méprise comme le
démon. Holà! Pisanio!... Le roi mon père sera instruit de ton audace;
s'il trouve bon qu'un étranger téméraire marchande à sa cour comme dans
une mauvaise maison de Rome, et nous dévoile ses brutales pensées, il a
une cour dont il ne se soucie guère, et une fille qu'il estime bien peu.
Holà! Pisanio!
IACHIMO.--O heureux Léonatus! je puis bien le dire, la confiance que ta
dame a en toi mérite bien la tienne, et ta parfaite vertu mérite bien
aussi sa tranquille confiance! Vivez longtemps heureuse, vous la dame du
plus digne chevalier dont jamais se soit vanté un pays; vous, sa
maîtresse digne seulement du plus noble coeur. Accordez-moi mon pardon;
je n'ai parlé ainsi que pour éprouver si votre fidélité était bien
enracinée; je vais rendre votre époux ce qu'il est déjà, l'homme le plus
aimable et le plus fidèle; il possède la charmante sorcellerie de
charmer toutes les sociétés; la moitié du coeur de tous les hommes est à
lui.
IMOGÈNE.--Vous réparez vos fautes.
IACHIMO.--Il est assis au milieu des hommes comme un dieu descendu du
ciel, il est paré d'une sorte d'honneur qui surpasse sa beauté mortelle;
ne soyez pas offensée, auguste princesse, si j'ai osé éprouver quel
accueil vous feriez à un faux rapport. Il n'a servi qu'à confirmer
honorablement votre bon jugement dans le choix que vous avez fait d'un
époux si rare, que vous saviez ne pouvoir faillir. C'est l'amitié que
j'ai pour lui qui m'a porté à vous éprouver; mais les dieux vous ont
formée différente de toutes les autres femmes, exempte de faiblesse; je
vous prie, pardonnez-moi.
IMOGÈNE.--Tout est réparé, seigneur. Disposez de mon pouvoir dans cette
cour.
IACHIMO.--Recevez mes humbles actions de grâces.--J'avais presque oublié
de faire à Votre Altesse une petite prière, et qui pourtant est
importante, car elle intéresse votre époux; plusieurs amis et moi avons
part aussi à cette affaire.
IMOGÈNE.--Je vous prie, de quoi s'agit-il?
IACHIMO.--Une douzaine de nos Romains et votre époux (la meilleure plume
de notre aile), nous avons tous contribué pour une somme destinée à
acheter un présent pour l'empereur; agent des autres, j'en ai fait
l'emplette en France. C'est de la vaisselle d'un rare dessin, et des
bijoux d'une forme exquise et riche; leur valeur est considérable;
étranger comme je suis, je serais désireux de les voir en lieu sûr; vous
plairait-il de les prendre sous votre protection?
IMOGÈNE.--Volontiers, et j'engage mon honneur à leur sûreté, puisque mon
seigneur y est intéressé; je veux les garder dans ma chambre à coucher.
IACHIMO.--Ils sont renfermés dans un coffre escorté par mes gens. Je
prendrai la liberté de vous les envoyer, seulement pour cette nuit.
Demain je dois me rembarquer.
IMOGÈNE.--Oh! non, non.
IACHIMO.--Il le faut, daignez me le permettre, ou je manquerais à ma
parole en différant mon retour. J'ai traversé les mers en venant de
France, pour tenir ma promesse de voir Votre Altesse.
IMOGÈNE.--Je vous remercie de votre peine; mais vous ne partirez pas dès
demain?
IACHIMO.--Oh! il le faut, madame. Ainsi, si vous voulez saluer votre
époux dans une lettre, je vous supplie, écrivez-la ce soir; j'ai déjà
passé le terme marqué pour mon séjour, et le temps presse pour offrir
notre présent.
IMOGÈNE.--J'écrirai; envoyez-moi votre coffre, il sera gardé avec soin
et fidèlement rendu. Vous êtes le bienvenu.
FIN DU PREMIER ACTE.
ACTE DEUXIÈME
SCÈNE I
Une cour devant le palais de Cymbeline.
_Entre_ CLOTEN _avec_ DEUX SEIGNEURS.
CLOTEN.--Jamais homme a-t-il autant joué de malheur? Je frise le but[1],
et puis je me vois rouler au loin! J'avais sur le coup cent livres de
pari, et il faudra encore qu'un impertinent faquin vienne m'entreprendre
pour avoir juré, comme si je lui empruntais mes serments; et que je ne
fusse pas le maître de les prodiguer à mon gré!
[Note 1: _I kissed the jack_, cochonnet, but.]
PREMIER SEIGNEUR.--Qu'a-t-il gagné à cela? Vous lui avez cassé la tête
avec votre boule.
SECOND SEIGNEUR, _à part_.--S'il n'eût pas eu plus de cervelle que celui
qui lui a cassé la tête, il ne lui en serait pas resté.
CLOTEN.--Lorsqu'un gentilhomme est en humeur de jurer, il n'appartient
pas à aucun des spectateurs de venir interrompre[2] ses jurements, je
crois?
SECOND SEIGNEUR.--Non, seigneur, (_à part_) ni de leur couper les
oreilles[3].
CLOTEN.--Ce chien de bâtard!--Moi! lui donner satisfaction? Que n'est-il
quelqu'un de mon rang!
SECOND SEIGNEUR, _à part_.--Il serait au rang des fous[4]!
[Note 2: _To curtail his oath_, mot à mot, couper la queue à ses
jurements, les mutiler.]