William Shakespear

La méchante femme mise à la raison Comédie
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GRUMIO, _à part_.--Oh! il n'en craint aucun.

GREMIO.--Hortensio, écoutez: ce gentilhomme est heureusement arrivé, à
ce que me dit mon pressentiment, pour son avantage et pour le nôtre.

HORTENSIO.--J'ai promis de l'aider de nos services et de porter une
partie du fardeau de ses avances, quoi qu'il en soit.

GREMIO.--Et j'y consens aussi, moi, bien volontiers, pourvu qu'il vienne
à bout de l'obtenir.

GRUMIO, _à part_.--Je voudrais être aussi sûr d'un bon dîner. (Entrent
Tranio, richement vêtu, et Biondello.)

TRANIO.--Salut, messieurs. Si vous le permettez, dites-moi, je vous en
conjure, quel est le chemin le plus court pour se rendre à la maison du
seigneur Baptista Minola?

GREMIO.--Celui qui a deux filles si belles? (_A part, à Tranio_.) Est-ce
lui que vous demandez?

TRANIO.--Lui-même.--Biondello!

GREMIO.--Écoutez-moi, monsieur; vous ne demandez pas celle...

TRANIO.--Peut-être lui et elle; que vous importe?

PETRUCHIO.--Non pas celle qui est si querelleuse, monsieur, je vous en
prie, en aucune façon.

TRANIO.--Je n'aime pas les querelleurs, monsieur.--Biondello, marchons.

LUCENTIO, _à part_.--Fort bien débuté, Tranio.

HORTENSIO.--Monsieur, un mot avant de nous quitter.--Êtes-vous un
prétendant à la fille dont vous parlez, oui ou non?

TRANIO.--Et si cela était, monsieur, vous en offenseriez-vous?

GREMIO.--Non, pourvu que sans une parole de plus vous prissiez le large.

TRANIO.--Comment, monsieur! Est-ce que les rues ne sont pas ouvertes
pour moi comme pour vous?

GREMIO.--Mais non pas elle.

TRANIO.--Et pour quelle raison, je vous prie?

GREMIO.--Pour la raison, si vous voulez le savoir, qu'elle est choisie
par le seigneur Gremio.

HORTENSIO.--Et parce qu'elle est choisie par le seigneur Hortensio.

TRANIO.--Doucement, messieurs. Si vous êtes d'honnêtes gentilshommes,
faites-moi la grâce de m'écouter avec patience. Baptista est un noble
citoyen à qui mon père n'est pas tout à fait inconnu, et si sa fille
était plus belle qu'elle n'est, elle pourrait avoir plus d'amants
encore, sans que je dusse renoncer à être du nombre. La fille de la
belle Léda eut mille soupirants: la charmante Bianca peut bien en avoir
un de plus, et elle l'aura aussi. Lucentio se mettra sur les rangs,
quand Pâris viendrait se présenter avec l'espoir d'être seul à faire sa
cour.

GREMIO.--Quoi! ce jeune homme nous fermera la bouche à tous?

LUCENTIO.--Monsieur, lâchez-lui la bride; je sais qu'il n'ira pas bien
loin.

PETRUCHIO.--Hortensio, à quoi bon tant de paroles?

HORTENSIO, _à Tranio_.--Monsieur, permettez-moi de vous faire une
question: avez-vous jamais vu la fille de Baptista?

TRANIO.--Non, monsieur; mais j'apprends qu'il a deux filles: l'une
fameuse par sa méchante langue, autant que l'autre l'est par sa modestie
et sa beauté.

PETRUCHIO.--Monsieur, monsieur, la première est pour moi; mettez-la de
côté.

GREMIO.--Oui, laissez cette tâche au grand Hercule, et ce sera plus que
ses douze travaux.

PETRUCHIO.--Monsieur, écoutez et comprenez bien ce que je vais vous
dire.--La plus jeune fille, à laquelle vous prétendez, est tenue par son
père loin de tout accès aux demandes; et son père ne la promettra à
personne que sa soeur aînée ne soit mariée la première. Ce ne sera
qu'alors que la cadette sera libre, et non avant.

TRANIO.--Si cela est ainsi, monsieur, et que vous soyez l'homme qui
deviez nous servir tous, et moi comme les autres, si vous rompez la
glace, et que vous veniez à bout de cet exploit, que vous fassiez la
conquête de l'aînée, et que vous nous ouvriez l'accès auprès de la
cadette; celui qui aura le bonheur de la posséder ne sera pas assez mal
né pour être un ingrat.

HORTENSIO.--Monsieur, vous parlez à merveille, et vous avez bien
compris. Puisque vous vous déclarez ici pour un des aspirants, vous
devez, comme nous, servir ce cavalier à qui nous sommes tous redevables.

TRANIO.--Monsieur, je ne resterai point en arrière; et pour vous le
prouver, voulez-vous que nous passions l'après-dînée ensemble, que nous
vidions à la ronde des rasades à la santé de notre maîtresse, et que
nous agissions comme les avocats qui combattent avec chaleur au barreau,
et puis mangent et boivent en bons amis.

GREMIO.--O l'excellente motion! Amis, partons.

HORTENSIO.--La motion est bonne en effet; accédons-y.--Petruchio, je
serai votre _bon venuto_.

(Ils sortent.)

FIN DU PREMIER ACTE.




                            ACTE DEUXIÈME


SCÈNE I

Padoue.--Appartement dans la maison de Baptista.

CATHERINE et BIANCA.


BIANCA.--Chère soeur, ne me faites pas l'injure, ne vous la faites pas à
vous-même, de me réduire à l'état de servante et d'esclave; cela révolte
mon coeur. Mais pour ces vains ornements, ces bagatelles de parure,
déliez-moi les mains, et vous me verrez m'en dépouiller moi-même: oui,
de tout mon ajustement, jusqu'à ma jupe; en un mot, je ferai tout ce que
vous me commanderez, tant je suis pénétrée du respect que je dois à mon
aînée!

CATHERINE.--Je t'enjoins de me déclarer ici quel est celui de tous tes
galants que tu aimes le mieux; songe bien à ne pas dissimuler la vérité.

BIANCA.--Croyez-moi, ma soeur, parmi tous les hommes qui respirent, je
n'ai pas encore vu le visage qui me plairait plus que les autres.

CATHERINE.--Mignonne, vous mentez: n'est-ce pas Hortensio?

BIANCA.--Si vous avez du goût pour lui, ma soeur, je jure ici que je
parlerai moi-même pour vous, et ferai tous mes efforts pour vous le
procurer.

CATHERINE.--Oh! en ce cas, apparemment que vous préférez les richesses.
Vous voulez avoir Gremio, afin d'être parée.

BIANCA.--Est-ce pour lui que vous êtes si jalouse de moi? Allons, c'est
une plaisanterie de votre part; et je commence à m'apercevoir que vous
n'avez fait que badiner jusqu'ici. Je t'en prie, ma bonne soeur, laisse
mes mains libres.

CATHERINE (_Elle la frappe_.)--Si ces coups sont un badinage, le reste
en était un.

(Baptista survient.)

BAPTISTA.--Eh quoi! mademoiselle, d'où vient tant d'insolence?--Bianca,
éloignez-vous.--La pauvre enfant! elle pleure.--Va, reprends ton
ouvrage: n'aie jamais affaire avec elle. Fi! la grossière d'esprit
diabolique, pourquoi la maltraites-tu, elle qui ne t'a jamais fait la
moindre peine? Quand t'a-t-elle jamais contredite par le moindre mot de
reproche?

CATHERINE.--Son silence m'insulte, et je m'en vengerai.

(Elle court après Bianca.)

BAPTISTA.--Quoi! sous mes yeux?--Bianca, rentre dans ta chambre.

(Bianca sort.)

CATHERINE.--Vous ne voulez donc pas me souffrir? Oh! je le vois bien,
qu'elle est votre bijou, qu'elle aura un mari, que moi, il me faudra
danser pieds nus au jour de ses noces, et qu'à cause de la prédilection
que vous avez pour elle, il me faudra mener des singes en enfer[19].
Tenez, ne me parlez pas; je vais aller me renfermer, et pleurer de rage,
jusqu'à ce que je puisse trouver l'occasion de me venger.

[Note 19: Vieillir fille. Vieux proverbe.]

(Catherine sort.)

BAPTISTA.--Y eut-il jamais homme aussi affligé que moi?--Mais qui vient
là?

(Entrent Gremio, Lucentio assez mal vêtu, Petruchio avec Hortensio,
déguisé en musicien, Tranio et Biondello portant des livres et un luth.)

GREMIO.--Bonjour, voisin Baptista.

BAPTISTA.--Bonjour, voisin Gremio.--Dieu vous garde, messieurs.

PETRUCHIO.--Salut, monsieur; je vous prie, n'avez-vous pas une fille
nommée Catherine, belle et vertueuse?

BAPTISTA.--J'ai une fille, monsieur, qui s'appelle Catherine.

GREMIO, _à Petruchio_.--Vous débutez trop brusquement; procédez par
ordre.

PETRUCHIO.--Vous me faites injure, seigneur Gremio; laissez-moi parler.
(_A Baptista_.) Je suis un citoyen de Vérone, monsieur, qui, entendant
vanter sa beauté, son esprit, son affabilité, sa pudeur et sa modestie,
ses rares qualités enfin, et la douceur de son caractère, ai pris la
liberté de m'introduire sans façon dans votre maison, pour voir par mes
yeux la vérité de l'éloge que j'ai tant de fois entendu d'elle; et pour
prélude à mon entrée chez vous, je vous présente (_présentant
Hortensia_) un homme de mes gens très-habile en musique et dans les
mathématiques, capable d'instruire à fond votre fille dans les sciences,
dont je sais qu'elle a déjà une teinture; acceptez-le, je vous prie, ou
vous me feriez affront: son nom est Licio; il est de Mantoue.

BAPTISTA.--Vous êtes le bienvenu, monsieur; et lui aussi, à votre
considération; mais, pour ma fille Catherine, je sais bien une chose,
c'est qu'elle n'est pas votre fait, et j'en suis bien fâché.

PETRUCHIO.--Je vois que vous ne voulez pas vous séparer d'elle, ou bien
que je ne suis pas l'homme qui vous plaît.

BAPTISTA.--Ne vous méprenez pas, monsieur; je parle comme je
pense.--D'où êtes-vous, monsieur? peut-on savoir votre nom?

PETRUCHIO.--Je m'appelle Petruchio; je suis le fils d'Antonio, un homme
bien connu dans toute l'Italie.

BAPTISTA.--Je le connais très-bien, et, à sa considération, vous pouvez
compter sur mon accueil.

GREMIO.--Sans faire tort à votre récit, Petruchio, je vous prie,
permettez-nous aussi de parler, à nous qui sommes de pauvres suppliants.
Baccare[20]! vous êtes extraordinairement pressé.

[Note 20: _Baccare_, veut dire proverbialement _en arrière!_]

PETRUCHIO.--Ah! pardon, seigneur Gremio, je serais bien aise d'achever.

GREMIO.--Je n'en doute pas, monsieur, mais vous maudirez votre
demande.--(_A Baptista_.) Voisin, ce présent de monsieur vous sera fort
agréable, j'en suis sûr; pour vous montrer la même affection, moi qui
vous ai plus d'obligations qu'aucun autre, je vous présente ce jeune
savant qui a étudié longtemps à Reims (_lui présentant Lucentio_); il
est aussi versé dans le grec, le latin et les autres langues, que
l'autre peut l'être dans la musique et les mathématiques; son nom est
Cambio: je vous prie, agréez ses services.

BAPTISTA.--Mille remerciements, seigneur Gremio; vous êtes le bienvenu,
bon Cambio.--(_A Tranio_.) Mais vous, mon aimable seigneur, vous m'avez
l'air d'un étranger: serait-il indiscret de vous demander ce qui vous
amène dans notre ville?

TRANIO.--Daignez m'excuser, monsieur; c'est moi qui ai l'indiscrétion,
étant étranger dans cette ville, de me présenter comme un adorateur de
votre fille, la belle et vertueuse Bianca; et je n'ignore pas la ferme
résolution que vous avez prise de pourvoir sa soeur la première. Toute
la grâce que je vous demande, c'est qu'après avoir appris quelle est ma
famille, vous daigniez me souffrir parmi les rivaux qui la recherchent,
et me permettre l'accès et la faveur que vous accordez à tous les
autres. Et, pour l'éducation de vos filles, j'ose vous offrir ce simple
instrument, et cette petite collection de livres grecs et latins: si
vous voulez bien les accepter, ils deviendront d'un grand prix[21].

[Note 21: On sait que du temps d'Élisabeth les femmes apprenaient
les langues mortes, et la reine était elle-même versée dans les études
classiques.]

BAPTISTA.--Lucentio est votre nom? De quel pays, je vous prie?

TRANIO.--De Pise, monsieur; je suis le fils de Vincentio.

BAPTISTA.--Un homme considérable de Pise! je le connais très-bien de
réputation. Vous êtes le bienvenu, monsieur. (_A Hortensio_.) Prenez le
luth, (_A Lucentio_) et vous, ce paquet de livres: vous allez voir vos
élèves dans l'instant. (_Il appelle_.) Holà, quelqu'un! (_Paraît un
domestique_.) Allons, drôle, conduis ces messieurs à mes filles, et
dis-leur à toutes deux que ce sont leurs maîtres; recommande-leur de les
bien traiter. (_Le domestique sort, conduisant Hortensio, Lucentio et
Biondello_.) Nous allons faire un tour de promenade dans le verger, et
ensuite nous irons dîner.... Vous êtes les bienvenus.... de tout mon
coeur... et je vous prie tous d'en être bien persuadés.

PETRUCHIO.--Seigneur Baptista, mon affaire exige de la célérité, et je
ne puis venir tous les jours faire ma cour. Vous avez bien connu mon
père, et en lui vous me connaissez, moi son fils, qu'il a laissé seul
héritier de toutes ses terres et de tous ses biens, que j'ai plutôt
améliorés que diminués; ainsi, dites-moi, si je gagne l'amour de votre
fille, quelle dot me donnerez-vous avec elle?

BAPTISTA.--Après ma mort, la moitié de mes terres, et dès à présent,
vingt mille écus.

PETRUCHIO.--Et moi, en retour de cette dot, je lui assurerai pour
douaire, dans le cas où elle me survivrait, toutes mes terres et rentes
quelconques. Ainsi, dressons entre nous ces articles, afin qu'on
remplisse des deux parts ces engagements.

BAPTISTA.--Oui, quand le point principal sera obtenu, c'est-à-dire
l'amour de ma fille: car tout dépend de là.

PETRUCHIO.--Bon! cela n'est rien, car je vous annonce, mon père, que je
suis aussi entêté qu'elle est fière et hautaine: et lorsque deux feux
violents viennent à se rencontrer, ils consument l'objet qui nourrit
leur furie. Bien qu'un petit feu grandisse au souffle d'un petit vent,
de violentes bouffées emportent feu et flamme: c'est ce que je ferai, et
il faudra bien qu'elle me cède, car je suis rude, et je ne fais pas ma
cour comme un enfant.

BAPTISTA.--Puisses-tu réussir auprès d'elle! Bonne chance! mais sois
armé contre quelques mots malheureux.

PETRUCHIO.--Je suis à l'épreuve, comme les montagnes contre les vents
qui ne peuvent les ébranler malgré leur souffle continuel.

(Hortensio paraît avec une contusion sanglante à la tête.)

BAPTISTA.--Quoi donc, mon ami? Pourquoi as-tu l'air si pâle?

HORTENSIO.--C'est de peur, je vous le promets, si j'ai l'air pâle.

BAPTISTA.--Eh bien! ma fille deviendra-t-elle bonne musicienne?

HORTENSIO.--Je crois qu'elle sera plus tôt un bon soldat: le fer pourra
résister avec elle, mais non pas les luths.

BAPTISTA.--Vous ne pouvez donc pas la rompre au luth?

HORTENSIO.--Non, c'est elle qui a rompu le luth sur moi; je n'ai fait
que lui dire qu'elle se méprenait sur les touches, et prendre sa main
pour lui montrer à placer ses doigts, lorsque dans un transport
d'emportement diabolique: «Quoi! s'est-elle écriée, vous appelez cela
les touches? Oh! je vais bien les trouver, moi, les touches;» et, à ces
mots, elle m'a frappé à la tête, si bien que ma caboche a passé à
travers l'instrument; je suis resté étourdi et confondu comme un homme
attaché au pilori, regardant à travers le luth, pendant qu'elle
m'appelait coquin de ménétrier, mauvais racleur, avec cent autres
épithètes injurieuses, comme si elle eût pris à tâche de m'insulter
ainsi.

PETRUCHIO.--Ma foi, par l'univers, c'est une robuste fille; je l'en aime
dix fois mieux que je ne faisais. Oh! que j'aspire à avoir un petit
entretien avec elle!

BAPTISTA, _à Hortensio_.--Allons, venez avec moi et ne soyez pas si
déconfit. Venez continuer vos leçons à ma seconde fille; elle a des
dispositions pour apprendre, et elle est reconnaissante du bien qu'on
lui fait.--Seigneur Petruchio, voulez-vous nous suivre? ou vous
enverrai-je ici ma fille Catherine vous parler?

PETRUCHIO.--Oui, envoyez-la moi, je vous prie: je vais l'attendre ici
(_Baptista sort avec Gremio, Tranio et Hortensio_), et je vais lui faire
ma cour avec quelque entrain quand elle viendra. Mettons qu'elle
m'injurie, je lui dirai tout simplement que son chant est aussi doux que
la voix du rossignol. Mettons qu'elle fronce le sourcil, je lui dirai
qu'elle est aussi riante, aussi sereine que la rose du matin rafraîchie
par la rosée nouvelle. Mettons qu'elle affecte de rester muette, et
s'obstine à ne pas ouvrir la bouche, je vanterai la volubilité de son
éloquence persuasive. Si elle me dit de déloger de sa présence, je lui
rendrai mille grâces, comme si elle me priait de rester auprès d'elle
pendant une semaine. Si elle me refuse de m'épouser, je la supplierai de
fixer le jour où je ferai publier les bans, et celui de notre mariage.
Mais la voici. Allons, Petruchio, parle. (_Entre Catherine_.) Bonjour,
Cateau; car c'est votre nom, m'a-t-on dit?

CATHERINE.--Vous avez assez bien entendu, mais pourtant pas tout à fait
juste: ceux qui parlent de moi me nomment Catherine.

PETRUCHIO.--Vous en avez menti, sur ma parole, car on vous appelle
Cateau tout court, et la gentille Cateau, et quelquefois aussi la
maudite Cateau; mais Cateau, la plus jolie Cateau de toute la
chrétienté, Cateau de Château-Cateau, ma friande Cateau, car les
gâteaux[22] sont des friandises, Cateau, apprends donc, Cateau, toi ma
consolation,--apprends qu'ayant entendu, dans toutes les villes, vanter
ta douceur, parler de tes vertus et célébrer ta beauté (bien moins que
tu ne le mérites cependant), je me suis senti mu à venir te faire la
cour et demander ta main.

CATHERINE.--Mu! Fort à propos.--Que celui qui vous a mu vous remue et
vous emporte. J'ai bien vu tout d'abord à votre air que vous étiez un
meuble[23].

PETRUCHIO.--Qu'est-ce que c'est qu'un meuble?

CATHERINE.--C'est un escabeau[24].

[Note 22: _Kate_, Cateau, et _cates_, friandises.]

[Note 23: _Mov'd, remove, moveable_].

[Note 24: _Joint-Stool_. Expression proverbiale dont le sel est
perdu pour nous.]

PETRUCHIO.--Vous avez deviné juste: venez donc vous asseoir sur moi.

CATHERINE.--Les ânes sont faits pour porter, et vous aussi.

PETRUCHIO.--Les femmes sont faites pour porter et vous aussi.

CATHERINE.--Pas assez rosse pour vous, au moins, si c'est de moi que
vous parlez.

PETRUCHIO.--Hélas! bonne Cateau, je ne vous chargerais pas beaucoup; je
sais trop que vous êtes jeune et légère.

CATHERINE.--Trop légère pour être attrapée par un rustre comme vous, et
cependant je pèse mon poids.

PETRUCHIO.--Votre poids! votre bourdonnement, buzz!

CATHERINE.--Vous voilà pris comme un busard.

PETRUCHIO.--O tourterelle aux lentes ailes! un busard te prendra donc?

CATHERINE.--Oui, pour une tourterelle, comme il prend un busard.

PETRUCHIO.--Allons, allons; guêpe: oh! par ma foi, vous êtes trop
colère.

CATHERINE.--Si je tiens de la guêpe, défiez-vous donc de mon aiguillon.

PETRUCHIO.--J'y sais un remède: c'est de l'arracher.

CATHERINE.--Oui, si le sot peut trouver la place où il est.

PETRUCHIO.--Qui ne sait où la guêpe a son aiguillon? Au bout de sa
queue.

CATHERINE.--Au bout de sa langue.

PETRUCHIO.--La langue de qui?

CATHERINE.--La vôtre, si vous parlez de queues; et là-dessus, adieu.

(Elle va pour s'éloigner.)

PETRUCHIO.--Quoi! ma langue à votre queue?--Allons, revenez, bonne
Cateau, je suis gentilhomme.

CATHERINE, _revenant_.--C'est ce que je vais voir.

(Elle lui donne un soufflet.)

PETRUCHIO.--Je vous jure que je vous donnerai une taloche si vous
frappez encore.

CATHERINE.--Vous pourriez y perdre vos bras: si vous me frappez, vous
n'êtes point gentilhomme, et si vous n'êtes pas gentilhomme, vous n'avez
pas d'armes[25].

[Note 25: _Arms_. Bras et armes.]

PETRUCHIO.--Vraiment, Cateau, vous êtes savante en l'art héraldique. Oh!
je vous prie, mettez-moi dans vos livres de blason.

CATHERINE.--Quel est votre cimier? une crête de coq?

PETRUCHIO.--Un coq sans crête; et alors, Cateau sera ma poule.

CATHERINE.--Vous ne serez point mon coq; vous chantez trop sur le ton
d'un poltron.

PETRUCHIO.--Allons, Cateau, allons, n'ayez pas l'air si aigre.

CATHERINE.--C'est mon habitude quand je vois un sauvageon.

PETRUCHIO.--Allons, il n'y a point ici de pomme sauvage; ainsi, point de
regard si aigre.

CATHERINE.--Oh! il y en a, il y en a.

PETRUCHIO.--Allons, montrez-la moi.

CATHERINE.--Si j'avais un miroir, je vous le ferais voir.

PETRUCHIO.--Quoi! voulez-vous parler de mon visage?

CATHERINE.--Oui, cela s'adresse au visage de certain jeune homme.

PETRUCHIO.--Par saint George, je suis trop jeune pour vous.

CATHERINE.--Et cependant, vous êtes bien flétri.

PETRUCHIO.--Ce sont les _soucis_.

CATHERINE.--Je ne m'en _soucie_ guère, moi.

PETRUCHIO.--Écoutez, Catherine, vous ne m'échapperez point ainsi.

CATHERINE.--Je vous mettrai en colère, si je reste davantage, ainsi
laissez-moi partir.

PETRUCHIO.--Non, non, pas du tout. Je vous trouve excessivement aimable.
On m'avait dit que vous étiez revêche, taciturne et sombre, et je vois à
présent que la renommée est une menteuse, car vous êtes agréable,
enjouée, on ne peut pas plus polie, lente à parler, mais douce dans vos
paroles, comme les fleurs du printemps; vous ne pouvez pas seulement
froncer le sourcil, ni regarder de travers, ni vous mordre les lèvres,
comme font les filles colères, et vous n'avez aucun plaisir à contredire
mal à propos; mais vous accueillez avec douceur vos amants, et vous les
entretenez de doux propos, avec une politesse et une affabilité rares.
Pourquoi le monde dit-il que Cateau est boiteuse? O monde calomniateur
Cateau est droite et élancée comme une tige de noisetier; elle est d'une
nuance aussi brune que l'écorce de ses noix, et plus douce que ses
amandes. Oh! que je vous voie marcher.--Vous ne boitez point.

CATHERINE.--Allez, sot, allez donner des ordres à ceux qui dépendent de
vous.

PETRUCHIO.--Jamais Diane a-t-elle embelli un bocage comme Cateau
embellit cet appartement de son port majestueux? Ah! soyez Diane, vous,
et que Diane devienne Cateau; et qu'alors Cateau soit chaste, et Diane
folâtre.

CATHERINE.--Où avez-vous étudié tout ce beau discours?

PETRUCHIO.--C'est un impromptu, formé de l'esprit de ma mère.

CATHERINE.--Une mère vraiment spirituelle! sans elle son fils n'aurait
pas le sens commun.

PETRUCHIO.--Ne suis-je pas plein de sens?

CATHERINE.--Oui; tenez-vous chaudement.

PETRUCHIO.--Vraiment, douce Catherine, c'est bien mon intention, dans
votre lit. Et, en conséquence, laissant là tout ce vain babil, je vous
déclare tout uniment que votre père a donné son consentement à ce que
vous soyez ma femme: votre dot est un article arrêté, et bon gré mal
gré, je vous épouserai. Oh! Cateau, je suis le mari qu'il vous faut;
car, par cette lumière par laquelle je vois votre beauté (votre beauté
qui fait que vous me plaisez beaucoup), je jure que vous ne devez être
mariée à aucun autre homme qu'à moi, car je suis l'homme né exprès,
Cateau, pour vous apprivoiser et vous convertir de Cateau sauvage en
Cateau douce et aimable, comme les autres Cateaux qui font bon ménage.
Voici votre père; n'allez pas me refuser; je veux avoir, et j'aurai
Catherine pour ma femme.

(Entrent Baptista, Gremio et Tranio.)

BAPTISTA.--Eh bien! seigneur Petruchio, comment vont vos affaires avec
ma fille?

PETRUCHIO.--Comment? fort bien, monsieur. Comment voulez-vous qu'elles
n'aillent pas bien? Il est impossible que je ne réussisse pas.

BAPTISTA.--Eh bien! qu'en dites-vous, ma fille Catherine? Êtes-vous dans
un de vos mauvais moments?

CATHERINE.--Vous m'appelez votre fille? en effet, vous m'avez donné
vraiment une belle preuve de tendresse paternelle, en voulant me marier
à un homme à demi-fou, à un vaurien sans cervelle, à un impertinent qui
ne fait que jurer, et qui s'imagine vous déconcerter avec ses jurements.

PETRUCHIO.--Beau-père, voici ce que c'est:--Vous, et tout le monde qui
avez parlé d'elle, vous vous êtes trompés sur son compte: si elle est
bourrue, c'est par politique: car elle n'est point hardie; elle est
modeste comme une colombe; elle n'est point violente, mais calme comme
le matin; elle serait, en patience, une seconde Griselidis et une
Lucrèce romaine en chasteté; et, pour conclure, nous nous sommes si bien
convenus, que dimanche est le jour de nos noces.

CATHERINE.--Je te verrai d'abord pendre dimanche.

GREMIO.--Entendez-vous, Petruchio? elle dit qu'elle vous verra d'abord
pendre.

TRANIO.--Est-ce là votre succès? Allons, je vois bien qu'il faut dire
adieu à nos propres espérances.

PETRUCHIO.--Un peu de patience, messieurs; je la choisis pour moi; si
elle en est contente et moi aussi, que vous importe à vous? C'est un
marché fait entre nous deux, lorsque nous étions tête à tête, qu'elle
fera toujours la méchante en compagnie. Je vous dis que cela est
incroyable, à quel excès elle m'aime. O la tendre Cateau! elle se
suspendait à mon cou, et puis elle me donnait baisers sur baisers,
protestant, avec force serments, qu'en un clin d'oeil elle s'était prise
d'amour pour moi: oh! vous n'êtes que des novices. C'est une merveille
de voir comment un pauvre diable, timide, craintif, peut, dans le
tête-à-tête, apprivoiser la femme la plus diablesse.--Donnez-moi votre
main, Catherine; je vais aller à Venise pour faire les emplettes des
noces.--Beau-père, préparez la fête, et invitez les convives; je réponds
que ma Catherine sera belle.

BAPTISTA.--Je ne sais que dire: mais donnez-moi tous deux la main. Dieu
vous rende heureux, Petruchio! C'est un mariage conclu.

GREMIO ET TRANIO.--Nous disons _amen_; nous serons les témoins.

PETRUCHIO.--Adieu, beau-père,--adieu, ma femme,--adieu, messieurs; je
vais à Venise: dimanche sera bientôt venu. Nous aurons des anneaux et
des bijoux, et une riche parure: et embrasse-moi, Cateau; nous serons
mariés dimanche.

(Petruchio et Catherine sortent par des côtés opposés.)

GREMIO.--A-t-on jamais vu un mariage conclu si rapidement?

BAPTISTA.--D'honneur, messieurs, je fais ici le rôle d'un marchand, et
j'aventure à tout hasard mon bien sur une entreprise désespérée.

TRANIO.--C'était une denrée qui se gâtait près de vous, et qui vous
rapportera du gain, ou qui périra sur les mers.

BAPTISTA.--Tout le gain que je cherche, c'est la paix en cette affaire.

GREMIO.--Oh! sûrement: il s'est là donné une conquête fort
pacifique.--Mais à présent, Baptista, parlons de votre cadette.--Le
voici enfin venu le jour après lequel nous avons tant soupiré: je suis
votre voisin, et je suis le premier en date.

TRANIO.--Et moi, je suis un amant qui aime plus Bianca que les paroles
ne peuvent l'exprimer, ou vos pensées le concevoir.

GREMIO.--Allons, marmot, vous ne pouvez l'aimer aussi tendrement que
moi.

TRANIO.--Allons, barbon, votre amour est glacé.

GREMIO.--Et le vôtre se frit: allons, gamin, retirez-vous; c'est la
vieillesse qui nourrit.

TRANIO.--Mais c'est la jeunesse qui fleurit aux yeux des belles.

BAPTISTA.--Apaisez-vous, messieurs, je concilierai cette dispute: ce
sont les actions qui doivent gagner le prix; et celui des deux qui peut
assurer à ma fille le plus riche douaire aura la tendresse de
Bianca.--Parlez, seigneur Gremio, quels avantages lui assurez-vous?

GREMIO.--D'abord, comme vous le savez très-bien, ma maison de ville est
richement fournie de vaisselle d'or et d'argent, de bassins et
d'aiguières pour laver ses délicieuses mains. Mes tentures sont des
tapisseries de Tyr; j'ai logé mes écus dans des coffres d'ivoire: des
caisses de cyprès renferment mes tentures de haute lice, mes
courtes-pointes: de riches parures, des tapis, des canapés, de belles
toiles, des coussins de Turquie en bosses de perles, des draperies de
Venise brochées en or, force ustensiles d'étain[26] et de cuivre, et
généralement tous les meubles qui peuvent appartenir à une maison et au
ménage. Ensuite, à ma ferme de campagne, j'ai cent vaches à lait, cent
vingt boeufs gras dans mes étables, et tout le reste à proportion. Je
suis âgé, il faut que je l'avoue, et si je meurs demain, tous ces biens
sont à elle, si pendant ma vie elle veut être seulement à moi.

[Note 26: L'étain n'était pas aussi commun que de nos jours.]

TRANIO.--Ce seulement est venu à propos. (_A Baptista_.) Monsieur,
écoutez-moi: je suis l'unique fils et héritier de mon père; si je peux
obtenir votre fille pour mon épouse, je lui laisserai, dans l'enceinte
de l'opulente Pise, des maisons trois ou quatre fois aussi belles, aussi
bien meublées qu'aucune de celles que possède dans Padoue le vieux
seigneur Gremio; en outre, deux mille ducats de revenu par année sur une
terre fertile; tous ces avantages formeront son douaire. Eh bien!
seigneur Gremio, vous ai-je pincé?

GREMIO.--Deux mille ducats de revenu en terre! Ma terre tout entière ne
monte pas à cette somme; mais ma terre sera à elle, et en outre un
vaisseau, qui maintenant vogue sur la route de Marseille. Eh bien, le
vaisseau ne vous coupe-t-il pas la parole?

TRANIO.--Gremio, tout le monde sait que mon père n'a pas moins de trois
vaisseaux à lui, outre deux vastes galiotes, et douze belles galères; je
lui en ferai don, et deux fois autant encore, après votre dernière
offre.

GREMIO.--Moi, j'ai tout offert; je n'ai plus rien à offrir, et elle ne
peut avoir plus que je n'ai moi-même.--(_A Baptista_.) Si vous m'agréez,
elle m'aura avec tout mon bien.

TRANIO.--Cela étant, la jeune personne est à moi, par l'univers! D'après
votre promesse, je dame le pion à Gremio.

BAPTISTA.--Je dois convenir que votre offre est la plus forte; et si
votre père veut lui en cautionner l'assurance, elle est à vous:
autrement, vous voudrez bien m'excuser; car si vous mouriez avant elle,
où serait son douaire?

TRANIO.--C'est une mauvaise chicane: mon père est vieux, et moi je suis
jeune.

GREMIO.--Et les jeunes gens ne peuvent-ils pas mourir aussi bien que les
vieux?

BAPTISTA.--Enfin, messieurs, voici ma dernière résolution.--Dimanche
prochain, vous le savez, ma fille Catherine doit être mariée: eh bien,
le dimanche suivant, Bianca vous épousera, si vous me donnez cette
caution: sinon, elle est au seigneur Gremio; et sur ce, je prends congé
de vous, et vous fais mes remerciements à tous les deux.

(Baptista sort.)

GREMIO.--Adieu, bon voisin.--(_A Tranio_.) Maintenant je n'ai pas peur
de vous: allons donc, jeune badin, votre père serait un fou de vous
abandonner tout son bien, et d'aller, dans le déclin de ses vieux ans,
se faire votre pensionnaire. Bah! quelles sornettes! un vieux renard
italien ne sera pas si complaisant, mon enfant.

(Gremio sort.)

TRANIO.--Le diable emporte ta vieille peau de renard! Cependant je lui
ai riposté avec une carte de dix.--Je me suis mis dans la tête de faire
le bonheur de mon maître.--Je ne vois pas de raison pourquoi le supposé
Lucentio ne pourrait pas s'engendrer un père qui serait un supposé
Vincentio;--ce sera un prodige, car ordinairement ce sont les pères qui
engendrent leurs enfants; mais dans cette intrigue d'amour, c'est un
fils qui s'engendrera un père, si mon adresse me sert heureusement.

(Il sort.)

FIN DU DEUXIÈME ACTE.




                           ACTE TROISIÈME


SCÈNE I

Appartement de la maison de Baptista.

LUCENTIO, HORTENSIO, BIANCA.


LUCENTIO.--Monsieur le musicien, arrêtez; vous allez trop vite,
monsieur: avez-vous sitôt oublié la manière dont sa soeur Catherine vous
a accueilli?

HORTENSIO.--- Mais, pédant querelleur, c'est ici la déesse tutélaire de
la céleste harmonie; ainsi, permettez-moi d'avoir la préférence; et
lorsque nous aurons employé une heure à la musique, vous pourrez en
consacrer une autre à me faire la leçon.

LUCENTIO.--Ane ridicule, qui n'as pas seulement assez lu pour connaître
la cause qui a fait ordonner la musique! N'est-ce pas pour rafraîchir
l'esprit de l'homme, fatigué de ses études ou des peines de la vie?
Laisse-moi donc donner ma leçon de philosophie, et lorsque je
m'arrêterai, sers alors ton harmonie.

HORTENSIO.--Drôle, je n'endurerai pas ces bravades de ta part.

BIANCA.--Allons, messieurs, vous me faites une double injure de vous
quereller pour une chose qui doit dépendre de mon choix; je ne suis pas
un écolier sujet à la correction; je ne suis pas enchaînée aux heures,
ni à des temps marqués; je puis prendre mes leçons aux heures qu'il me
plaît; et pour terminer tout débat, asseyez-vous ici tous les deux.
Vous, prenez votre instrument, commencez à jouer: la leçon de monsieur
sera finie, avant que vous vous soyez mis d'accord.

HORTENSIO, _à Bianca_.--Vous abandonnerez sa leçon quand mon instrument
sera d'accord.

(Hortensio se retire.)

LUCENTIO.--C'est ce qui n'arrivera jamais.--Accordez toujours votre
instrument.

BIANCA.--Où en sommes-nous restés la dernière fois?

LUCENTIO.--Ici, madame?

    Hac ibat Simoïs; hic est Sigeïa tellus;
    Hic steterat Priam regia celsa senis[27].

[Note 27: Là coulait le Simoïs; ici est la terre de Sigée; plus loin
le superbe palais du vieux Priam.]

BIANCA.--Faites la construction.

LUCENTIO.--_Hac ibat_, comme je vous l'ai déjà dit.--Simoïs, je suis
Lucentio.--_Hic est_, fils de Vincentio de Pise.--_Sigeïa tellus_,
déguisé pour obtenir votre amour.--_Hic steterat_, et ce Lucentio qui
vient vous rechercher en mariage.--_Priami_, est mon domestique
Tranio.--_Regia_, vêtu de mes habits.--_Celsa senis_, afin de pouvoir
tromper le vieux Pantalon.

HORTENSIO, se _rapprochant_.--Madame, mon instrument est d'accord.

BIANCA.--Voyons, jouez.--(_Hortensio joue_.) Oh! fi; le dessus est
horriblement faux.

LUCENTIO.--Ami, crachez dans le trou, et accordez-le de nouveau.

BIANCA.--Laissez-moi voir à mon tour si je peux faire la construction.
_Hac ibat Simoïs_, je ne vous connais pas.--_Hic est Sigeïa tellus_, je
ne me fie point à vous.--_Hic steterat Priami_, prenez garde qu'il ne
vous entende.--_Regia_, ne présumez pas trop.--_Celsa senis_, et ne
désespérez pas non plus.

HORTENSIO.--Madame, il est d'accord à présent.

LUCENTIO.--Oui, sauf dans le bas.

HORTENSIO.--Le _bas_ est bien.--(_A demi-voix_.) C'est ce _bas_ filou
qui détonne ici. Comme notre pédant est enflammé et entreprenant! Sur ma
vie! il fait sa cour à l'objet de mon amour.--_Pedascule_[28], va, je
vais te veiller de plus près.

[Note 28: Petit pédant, diminutif latin inventé par Shakspeare.]

BIANCA.--Plus tard, je vous croirai peut-être, mais pour le moment je me
méfie de vous.

LUCENTIO.--N'ayez nulle défiance; car certainement... Æacides était
Ajax: on l'appelait ainsi du nom de son grand-père.

BIANCA.--Il faut bien que je m'en rapporte à mon maître: sans cela je
vous promets que j'argumenterais encore sur ce doute; mais laissons
cela.--Allons, Licio, à vous.--Bons maîtres, ne le prenez pas en
mauvaise part, je vous prie, si j'ai ainsi badiné avec vous.

HORTENSIO.--Vous pourriez aller faire un tour, et me laisser libre un
moment; je ne donne point de leçon de musique à trois parties.

LUCENTIO.--Êtes-vous si prompt à vous formaliser, monsieur? (_A part_.)
Eh bien! moi, il faut que je reste et que je veille; car si je ne
m'abuse, notre beau musicien devient amoureux.

HORTENSIO.--Madame, avant de toucher l'instrument pour apprendre l'ordre
dans lequel je place mes doigts, il faut que je commence par les
premiers éléments de l'art. Je veux vous montrer la gamme par une
méthode plus courte, plus agréable, plus efficace et plus rapide que
celle adoptée jusqu'ici par les gens de ma profession; et la voici
lisiblement tracée sur ce papier.

BIANCA.--Mais il y a longtemps que j'ai passé la gamme.

HORTENSIO.--N'importe, lisez celle d'Hortensio.

BIANCA _lit_.--_Gamme_. Je suis la base fondamentale de tous les
accords. _A. ré_, pour déclarer la passion d'Hortensio. _B. mi_, Bianca,
acceptez-le pour votre époux. _C. fa, ut_; il vous aime avec toute
l'affection du monde. _D. sol, ré_, sur une clef j'ai deux notes. _E.
la, mi_, montrez-moi de la pitié ou je meurs.--Est-ce que vous appelez
cela la gamme? Bah! elle ne me plaît pas; j'aime mieux les anciennes
méthodes; je ne suis pas assez délicate pour changer les vieilles règles
contre les inventions bizarres.

(Un domestique entre.)

LE DOMESTIQUE.--Ma maîtresse, votre père vous prie de quitter vos
livres, et d'aider à arranger l'appartement de votre soeur: vous savez
que c'est demain le jour de ses noces.

BIANCA.--Adieu, chers maîtres; il faut que je vous quitte.

(Elle sort.)

LUCENTIO.--Vraiment, mademoiselle, si vous vous en allez, je n'ai nulle
raison de rester.

(Il sort.)

HORTENSIO.--Moi, j'en ai d'observer un peu ce pédant; il me semble que
tout dans ses yeux annonce qu'il est amoureux.--Mais Bianca, si tes
pensées sont assez basses pour jeter tes yeux errants sur le premier
aventurier qui se présente, te prenne qui voudra: si une fois je te
trouve volage, Hortensio en sera quitte avec toi pour changer.

(Il sort.)


SCÈNE II

Devant la maison de Baptista.

BAPTISTA, GREMIO, TRANIO, CATHERINE, LUCENTIO, BIANCA _et sa suite_.


BAPTISTA, _à Tranio_.--Seigneur Lucentio, voici le jour marqué où
Catherine et Petruchio doivent se marier; et cependant nous n'avons
point de nouvelles de notre gendre: qu'en penser? Quelle insulte que le
fiancé manque à sa parole, lorsque le prêtre attend pour accomplir les
rites du mariage? Que dit Lucentio de cet affront qui nous est fait?

CATHERINE.--L'affront n'est que pour moi. Il faut aussi qu'on me force à
donner ma main, contre l'inclination de mon coeur, à un écervelé brutal,
plein de caprices, qui, après avoir hâté sa déclaration, se propose
d'épouser à loisir! Je vous l'avais bien dit, que c'était un fou, un
enragé, qui cachait, sous une apparence de brusquerie, ses insultes
amères; afin de passer pour un plaisant, il courtisera mille femmes,
fixera le jour du mariage, assemblera ses amis, les invitera, fera même
publier les bans, bien résolu de ne pas épouser là où il a fait sa cour.
Il faudra donc maintenant que le monde montre au doigt la malheureuse
Catherine, et dise: «_Tenez, voilà l'épouse de ce fou de Petruchio,
quand il lui plaira de revenir l'épouser_.»

TRANIO.--Patience, bonne Catherine, et vous aussi, Baptista. Sur ma vie,
Petruchio n'a que de bonnes intentions, quel que soit le hasard qui
l'empêche d'être exact à sa parole: tout rude qu'il est, je le connais
pour un homme sensé; et quoique jovial, il n'en est pas moins honnête.

CATHERINE.--Plût au ciel que Catherine ne l'eût jamais vu!

(Elle sort en pleurant, suivie de Bianca et autres.)

BAPTISTA.--Va, ma fille, je ne puis blâmer tes larmes; car la patience
d'un saint ne tiendrait pas à cette insulte; encore moins une femme de
ton humeur impatiente.

(Entre Biondello.)

BIONDELLO.--Mon maître, mon maître, des nouvelles, de vieilles
nouvelles, et telles que vous n'en avez jamais entendu de pareilles.

BAPTISTA.--Que dis-tu, vieilles et nouvelles à la fois! Comment cela se
peut-il?

BIONDELLO.--Quoi! ne sont-ce pas des nouvelles, que de vous apprendre
l'arrivée de Petruchio?

BAPTISTA.--Est-il arrivé?

BIONDELLO.--Et vraiment non, monsieur.

BAPTISTA.--Quoi donc?

BIONDELLO.--Mais il arrive.

BAPTISTA.--Quand sera-t-il ici?

BIONDELLO.--Quand il sera à la place où je suis, et qu'il vous verra,
comme je vous vois.

TRANIO.--Mais voyons, qu'entends-tu par tes vieilles nouvelles?

BIONDELLO.--Eh bien! Petruchio arrive avec un chapeau neuf, un vieux
justaucorps, un haut-de-chausses retourné pour la troisième fois: une
paire de bottes qui ont longtemps servi d'étui aux bouts de chandelles,
l'une bouclée, l'autre lacée; une vieille épée rouillée, prise dans
l'arsenal de la ville, dont la garde est rompue, sans fourreau; un
cheval déhanché avec une selle rongée des mites, et des étriers qui ne
s'accordent pas; le cheval qui est infecté de la morve, et efflanqué des
reins comme un rat, affligé d'un lampas au palais, atteint du farcin,
rempli d'écorchures, empêtré d'épervins, rayé de jaunisse, avec des
avives incurables, tout à fait pelé par les vertigos, rongé par les
tranchées, tout contrefait, les épaules déboîtées, les jambes serrées à
se couper, avec une bride qui n'a qu'une guide, et une têtière de peau
de mouton, et qui, pour le tenir de court, afin de l'empêcher de
broncher, a été cent fois rompue et raccommodée avec des noeuds; une
sangle en six morceaux, et une croupière de velours pour femme, marquée
de deux lettres de son nom, bien garnie de clous, et rapiécée en mille
endroits avec de la ficelle.

BAPTISTA.--Qui vient avec lui?

BIONDELLO.--Oh! monsieur, son laquais, qui, ma foi, est caparaçonné
comme son cheval, avec un bas de fil à une jambe, et un bas de grosse
laine à l'autre, une jarretière de lisière rouge et bleue, un vieux
feutre, avec _les humeurs de quarante fantaisies_[29] attachées au lieu
de plumet. Enfin un monstre, un vrai monstre dans son accoutrement, et
n'ayant rien du valet d'un chrétien, du laquais d'un gentilhomme.

[Note 29: Titre d'une ballade.]

TRANIO.--Ce sera quelque idée bizarre qui l'aura porté à s'accoutrer de
cette manière.--Cependant il va souvent fort mesquinement vêtu.

BAPTISTA.--Je suis toujours bien aise qu'il soit venu, de quelque façon
qu'il vienne.

BIONDELLO.--Quoi! monsieur, il ne vient pas.

BAPTISTA.--N'as-tu pas dit qu'il venait?

BIONDELLO.--Qui? que Petruchio venait?

BAPTISTA.--Oui, que Petruchio venait.

BIONDELLO.--Non, monsieur: je dis que son cheval l'apporte sur son dos.

BAPTISTA.--Bah! c'est tout un.

BIONDELLO.--Non par saint Jacques: je vous gagerai un sou, qu'un homme
et un cheval font plus qu'un, et cependant ne font pas deux.

(Entrent Petruchio et Grumio.)

PETRUCHIO.--Allons, où sont ces messieurs? qui est ici au logis?

BAPTISTA.--Vous êtes le bienvenu, monsieur.

PETRUCHIO.--Et cependant, je ne viens pas bien.

BAPTISTA.--Vous ne boitez pourtant pas.

TRANIO.--Vous n'êtes pas aussi bien paré que je le souhaiterais.

PETRUCHIO.--Il valait bien mieux me hâter d'arriver.--Mais où est
Catherine? où est mon aimable fiancée? Comment se porte mon père?--Quoi,
messieurs, vous me paraissez sombres: et pourquoi toute cette honnête
compagnie me regarde-t-elle d'un air surpris comme si elle voyait
quelque prodige étonnant, quelque comète, quelque phénomène
extraordinaire?

BAPTISTA.--Mais, monsieur, vous savez que c'est aujourd'hui le jour de
votre mariage: nous étions tristes d'abord, dans la crainte que vous ne
vinssiez pas; mais nous le sommes encore plus maintenant, de vous voir
venir si mal préparé. Allons donc; ôtez cet accoutrement qui déshonore
votre fortune et qui attriste notre fête solennelle.

TRANIO.--Et dites-nous quel sujet important vous a tenu si longtemps
éloigné de votre future, et vous a fait venir ici si différent de
vous-même?

PETRUCHIO.--L'histoire en serait ennuyeuse à raconter, et fâcheuse à
entendre. Il suffit que me voilà venu pour tenir ma parole, quoique
j'aie été forcé de manquer, en quelque partie, à ma promesse. Dans un
moment où j'aurai plus de loisir, je vous donnerai du tout de si bonnes
raisons qu'elles vous satisferont.--Mais où est donc Catherine? Je reste
trop longtemps loin d'elle: la matinée se passe: nous devrions déjà être
à l'église.

TRANIO.--Ne vous offrez pas à votre fiancée dans ces vêtements
ridicules: montez dans ma chambre et mettez un de mes habits.

PETRUCHIO.--Non vraiment, je vous le garantis: voilà comme je lui ferai
visite.

BAPTISTA.--Mais j'espère du moins que ce ne sera pas dans ce costume que
vous vous marierez.

PETRUCHIO.--D'honneur, tout comme me voilà. Ainsi, abrégeons les
discours: c'est moi qu'elle épouse, et non pas mes habits. Oh! si je
pouvais réparer ce qu'elle usera en ma personne, comme il m'est aisé de
changer ce mauvais habit, Catherine s'en trouverait bien, et moi encore
mieux. Mais je suis bien fou de m'arrêter à bavarder avec vous, lorsque
je devrais être à dire bonjour à ma fiancée et à sceller ce titre par un
tendre baiser.

(Petruchio sort avec Grumio et Biondello.)

TRANIO.--Il y a quelque intention dans son bizarre équipage: nous le
déterminerons, si cela est possible, à se vêtir plus décemment avant
d'aller à l'église.

BAPTISTA.--Je vais le suivre, et voir l'issue de tout ceci.

(Il sort.)

TRANIO.--Mais, monsieur, il est intéressant d'ajouter à votre amour le
consentement de son père; et pour y parvenir, je vais, suivant
l'expédient dont je vous ai fait part, me procurer un homme. Quel qu'il
soit, peu nous importe, nous le mettrons à même de nous seconder; il
sera Vincentio de Pise, et il cautionnera ici à Padoue de plus grandes
sommes que je n'en ai promis; par ce moyen, vous jouirez tranquillement
de l'objet de votre espoir, et vous épouserez l'aimable Bianca de l'aveu
de son père.

LUCENTIO.--Si ce n'est que l'autre maître, mon collègue, observe de si
près les pas de Bianca, il serait bon, je pense, de nous marier
clandestinement; et la chose une fois faite, le monde entier aurait beau
dire non, je serais maître de mon bien, en dépit de tout le monde.

TRANIO.--Nous verrons par degrés à en venir là, et nous saisirons notre
avantage dans cette affaire.--Nous attraperons la barbe grise, Gremio,
Minola, dont l'oeil paternel est aux aguets, le bizarre musicien,
l'amoureux Licio; et le tout pour servir mon maître Lucentio. (_Rentre
Gremio_.) Seigneur Gremio, venez-vous de l'église?

GREMIO.--Ah! d'aussi bon coeur que je suis jamais revenu de l'école.

TRANIO.--Et le marié et la mariée reviennent-ils au logis?

GREMIO.--Le marié, dites-vous? oh! c'est un vrai palefrenier, et un
palefrenier brutal; et la pauvre fille en saura quelque chose.

TRANIO.--Quoi! plus bourru qu'elle? Oh! cela est impossible.

GREMIO.--Bon! c'est un diable, un vrai diable, un démon.

TRANIO.--Eh bien! elle, c'est une diablesse, une diablesse, la femme du
diable.

GREMIO.--Bah! elle, c'est un agneau, une colombe, une sotte auprès de
lui. Je vais vous conter, seigneur Lucentio: lorsque le prêtre a demandé
s'il voulait Catherine pour son épouse, _oui_, a-t-il crié, _par tous
les éléments!_ et il a juré si horriblement, que, tout confondu, le
prêtre a laissé tomber son livre de ses mains; et comme il se baissait
pour le ramasser, ce cerveau brûlé d'époux lui a porté un si furieux
coup de poing, que livre et prêtre, prêtre et livre sont tombés par
terre: _allons, ramassez-les_, a-t-il dit, _si quelqu'un en a envie_.

TRANIO.--Hé! qu'a dit la fille quand le prêtre s'est relevé?

GREMIO.--Elle tremblait de tous ses membres; car il frappait du pied et
jurait comme si le vicaire eût eu intention de le duper. Enfin, après
plusieurs cérémonies, il a demandé du vin: _une santé!_ a-t-il crié,
comme s'il eût été à bord d'un vaisseau, buvant à la ronde avec ses
camarades après une tempête; il a avalé des rasades de vin muscat, et il
en jetait les rôties à la face du sacristain, sans en avoir d'autre
raison, sinon que sa barbe était claire et aride, et avait l'air,
disait-il, de lui demander ses rôties lorsqu'il buvait. Cela fait, il
vous a pris sa future par le cou, lui a embrassé si bruyamment la
bouche, que quand leurs lèvres se séparaient, l'église retentissait du
bruit. Moi, voyant cela, je me suis enfui de honte, et je sais qu'après
moi vient toute la compagnie. Jamais on n'a vu un mariage si
extravagant.--Ecoutez, écoutez, les musiciens jouent.

(On entend de la musique.)

(Entrent Petruchio, Catherine, Bianca, Hortensio, Baptista et leur
suite.)

PETRUCHIO.--Mes amis, et vous messieurs, je vous remercie de vos peines
et de votre complaisance: je sais que vous comptez dîner avec moi
aujourd'hui, et que vous avez fait tous les apprêts d'un festin de
noces; mais la vérité est que des affaires pressantes m'appellent loin
d'ici, et que je me propose de prendre congé de vous.

BAPTISTA.--Est-il possible que vous vouliez partir ce soir?

PETRUCHIO.--Il faut que je parte aujourd'hui avant que la nuit soit
venue; n'en soyez pas étonné: si vous connaissiez mes affaires, vous
m'exhorteriez plutôt à partir qu'à rester; et je vous rends grâces, et à
toute l'honnête compagnie, qui avez été témoins de la foi que j'ai
donnée à cette épouse vertueuse, si patiente et si douce. Dînez avec mon
père, buvez à ma santé, car il faut que je vous quitte: et... adieu
tous.

TRANIO.--Accordez-nous de rester jusqu'après le dîner.

PETRUCHIO.--Cela ne se peut pas.

GREMIO.--Souffrez que je vous en prie.

PETRUCHIO.--Cela n'est pas possible.

CATHERINE.--Je vous en supplie.

PETRUCHIO.--Ah! je suis satisfait.

CATHERINE.--Êtes-vous satisfait de rester?

PETRUCHIO.--Je suis satisfait de ce que vous me priez de rester: mais
bien décidé à ne pas rester; vous avez beau m'en prier.

CATHERINE.--S'il est vrai que vous m'aimiez, vous resterez.

PETRUCHIO.--Grumio, mes chevaux.

GRUMIO.--Oui, monsieur, ils sont prêts: l'avoine a mangé les chevaux.

CATHERINE.--Non, faites ce que vous voudrez, je ne partirai point
aujourd'hui, non; ni demain non plus: je ne partirai que lorsqu'il me
plaira. Les portes sont ouvertes, monsieur; voilà votre chemin; vous
pouvez partir au trot, tandis que vos bottes sont fraîches.--Pour moi,
je ne partirai que quand il me plaira. Il paraît que vous deviendrez un
joli brutal de mari, puisque vous y allez si rondement le premier jour.

PETRUCHIO.--O ma Cateau! calme-toi; je t'en prie, ne te fâche pas!

CATHERINE.--Je me fâcherai. Qu'avez-vous à faire?--Mon père, soyez
tranquille, il attendra mon loisir.

GREMIO.--Oui, oui, monsieur, cela commence à prendre.

CATHERINE.--Messieurs, allons commencer le dîner des noces. Je vois
qu'on pourrait faire d'une femme une sotte, si elle n'avait pas de
fermeté pour tenir bon.

PETRUCHIO.--Ces messieurs vont aller dîner, Catherine, suivant ton
ordre.--Obéissez à la mariée, vous qui l'avez accompagnée à la
cérémonie; allez au banquet, divertissez-vous bien, et livrez-vous à la
bonne humeur; buvez à pleine coupe à sa virginité; soyez gais jusqu'à la
folie... ou allez au diable, si vous voulez.--Mais pour ma belle Cateau
il faut qu'elle vienne avec moi. Oui, ne me regardez pas de travers, ne
frappez pas du pied, ne me fixez pas d'un oeil menaçant, ne vous mettez
pas en courroux, je serai le maître de ce qui m'appartient, j'espère;
elle est mon bien, mon mobilier; elle est ma maison, mon ménage, mon
champ, ma grange, mon cheval, mon boeuf, mon âne, mon tout enfin; et la
voilà ici près de moi, qu'aucun de vous ose la toucher: je mettrai à la
raison le plus hardi qui osera m'arrêter sur mon chemin à travers
Padoue.--Grumio, tire ton arme, nous sommes assiégés de voleurs; délivre
ta maîtresse, si tu es un homme de coeur.--N'aie pas peur, ma fille; ils
ne te toucheront pas, Catherine: je serai ton bouclier contre un million
d'ennemis.
                
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