William Shakespear

Peines d'amour perdues Comédie
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MOTH.--Voilà un message bien assorti: un cheval pour être ambassadeur
d'un âne.

ARMADO.--Ha, ha! que dis-tu?

MOTH--Allons, monsieur, il vaudrait mieux envoyer l'âne sur le cheval,
car il a l'allure fort lente.--Mais j'y vais.

ARMADO.--Le chemin est très-court; allons, pars.

MOTH.--Aussi vite que le plomb, monsieur.

ARMADO.--Ton idée, ingénieux jouvenceau? Le plomb n'est-il pas un métal
pesant et lent?

MOTH.--_Minimè_, mon honorable maître, ou plutôt, non, mon maître.

ARMADO.--Je dis, moi, que le plomb est lent.

MOTH.--Vous y allez trop vite, monsieur, en disant cela; est-il lent, le
plomb qui est lancé par le canon?

ARMADO.--Belle vapeur de rhétorique! Il me prend pour un canon; et le
boulet, ce sera lui.--Allons, je t'ai tiré sur ce berger.

MOTH.--Allons, faites donc feu, et je vole.

(Moth sort.)

ARMADO.--Jouvenceau des plus subtils, plein de volubilité et de
grâce!--Par ta bonté, doux ciel, pardonne, il faut que je soupire devant
toi; dure et farouche mélancolie, la valeur te cède le terrain.--Voici
mon héraut qui revient.

(Moth rentre avec Costard.)

MOTH.--Un prodige, mon maître!--Voici une grosse tête[24] avec le tibia
brisé.

ARMADO.--Quelque énigme, quelque noeud. Allons, ton envoi[25]; commence.

[Note 24: _Costard_ veut dire grosse tête.]

[Note 25: Mot emprunté du français; on sait ce qu'est _l'envoi_ d'une
Pièce de poésie.]

COSTARD.--Point d'énigme, point de noeud, point d'envoi. Point de
drogues dans le sac, monsieur.--Ah! monsieur, du plantain, du simple
plantain. Point d'envoi, ni de drogues, monsieur; mais du plantain.

ARMADO.--Par la vertu, tu forces le rire, et ton impertinente idée
double ma bile.--Le soulèvement de flancs m'excite à des éclats de rire
ridicules: ô mes étoiles, pardonnez-moi. Le fou prend-il le _salve_ pour
l'envoi, et l'envoi pour le _salve_[26]?

[Note 26: _Salve_, salut, onguent.]

MOTH.--Le sage les prend-il pour deux choses différentes? L'envoi
n'est-il pas un _salve_? un salut.

ARMADO.--Non, page, c'est un épilogue ou discours, pour éclaircir
quelque chose qui précède et qui a été dit auparavant. Je veux t'en
donner un exemple:

    Le renard, le singe et l'humble abeille
    Formaient un nombre impair, n'étant que trois.

Voilà la moralité, venons à l'envoi.

MOTH.--J'ajouterai l'envoi; répétez la moralité.

(Armado répète ce qu'il vient de dire.)

                       MOTH.

    Jusqu'à ce que l'oison sortît de la porte,
    Et fît cesser l'impair en faisant quatre.

A présent, je vais commencer votre moralité; et suivez, vous, avec mon
envoi.

    Le singe, le renard et l'humble abeille
    Formaient un nombre impair n'étant que trois.

                  ARMADO.

    Jusqu'à ce que l'oison sortît de la porte,
    Et fît cesser l'impair en faisant quatre.

MOTH.--Fort bon envoi, qui termine par un oison: en voulez-vous
davantage?

COSTARD.--Le page lui a vendu un oison qui est plat.--Bien vendu au
marché; c'est être aussi fin qu'un trompeur. Voyons le gros envoi; oui,
c'est une oie grasse.

ARMADO.--Viens çà; allons, comment as-tu commencé ce raisonnement?

MOTH.--En disant qu'une grosse tête avait le tibia brisé, et alors vous
avez demandé l'envoi.

COSTARD.--Cela est vrai, cela est vrai, et moi, du plantain. Voilà la
suite de votre raisonnement.

Donc le page est le gras envoi, l'oison que vous avez acheté, et il a
complété le marché[27].

[Note 27: «Allusion au proverbe: trois femmes et une oie forment un
marché. _Tre donne ed un' occa fan un mercato_.» (STEEVENS.)]

ARMADO.--Mais dis-moi comment il y avait un Costard avec le tibia brisé?

MOTH.--Je vais vous l'expliquer d'une manière sensible.

COSTARD.--Vous n'avez aucune sensibilité de cela, Moth, je vais dire
l'envoi. Moi, Costard, en courant dehors, moi qui étais en sûreté
dedans, je suis tombé sur le seuil et me suis brisé le tibia.

ARMADO.--Nous ne traiterons plus de cette matière.

COSTARD.--Non, jusqu'à ce qu'il y ait plus de matière dans mon tibia.

ARMADO.--Ami Costard, je veux t'affranchir.

COSTARD.--Oh! mariez-moi à une Française; je sens quelque envoi, quelque
oie en ceci.

ARMADO.--Écoute, Costard, par ma chère âme, je suis dans l'intention de
te mettre en liberté, en affranchissant ta personne; tu étais
claquemuré, garrotté, captivé, resserré.

COSTARD.--Cela est vrai, cela est vrai; et maintenant vous voulez être
ma purgation et me relâcher[28].

[Note 28: _Bound_ et _loot_.]

ARMADO.--Je te donne ta liberté; je t'élargis de prison, et pour ce
bienfait je ne t'impose que cette condition: porte cette missive à la
jeune paysanne Jacquinette. Voilà la rémunération. (_Il lui donne
quelque argent_.) Car le plus beau fleuron de mon rang honorable est de
récompenser ceux qui me servent.--Moth, suis-moi.

MOTH.--En façon de suite, moi tout seul.--Seigneur Costard, adieu.

(Il sort.)

COSTARD.--Ma douce livre de chair humaine! ma chère petite.--Maintenant
je veux regarder à sa rémunération. Rémunération! oh! c'est le mot latin
qui signifie trois liards.--Trois liards.--La rémunération. Quel est le
prix de ce ruban de fil? un sol.--Non, je vous donnerai la rémunération.
Eh bien! elle l'emporte.--La rémunération! comment, c'est un plus beau
nom qu'une couronne de France[29]! je ne veux jamais ni vendre, ni
acheter sans ce mot.

[Note 29: _Crown_, écu, couronne, et _corona Veneris_.]

(Entre Biron.)

BIRON.--O mon cher ami Costard, que je suis ravi de te trouver ici!

COSTARD.--Je vous prie, monsieur, dites-moi combien de rubans de couleur
de chair un homme peut-il acheter pour une rémunération?

BIRON.--Qu'est-ce que c'est qu'une rémunération?

COSTARD.--Hé mais, monsieur, c'est un demi-sol et un liard.

BIRON.--Oh bien! c'est trois liards de soie.

COSTARD.--Je remercie bien Votre Seigneurie. Dieu soit avec vous.

BIRON.--Oh! reste ici, maraud, j'ai besoin de t'employer.--Si tu veux
gagner mes bonnes grâces, mon cher Costard, fais, pour m'obliger, une
chose que je te vais recommander.

COSTARD.--Quand voulez-vous qu'elle soit faite, monsieur?

BIRON.--Oh! cette après-midi.

COSTARD.--Allons, monsieur, je la ferai; adieu.

BIRON.--Hé mais, tu ne sais pas encore ce que c'est.

COSTARD.--Je le saurai bien, monsieur, quand je l'aurai faite.

BIRON.--Coquin, il faut que tu saches auparavant ce que c'est.

COSTARD.--Je viendrai trouver Votre Seigneurie demain au matin.

BIRON.--Il faut que cela se fasse cette après-midi. Écoute, maraud, ce
n'est pas autre chose que ceci.--La princesse vient chasser ici dans le
parc, et elle a une aimable dame à sa suite. Quand les langues
adoucissent leur voix, elles prononcent son nom, et rappellent Rosaline;
demande-la, et songe à remettre dans sa belle main ce secret
cacheté.--Voilà ton salaire, va.

(Il lui donne de l'argent.)

COSTARD.--Salaire.--O doux salaire! il vaut mieux que la rémunération!
Onze sols et un liard valent bien mieux. O le très-doux salaire!--Je le
ferai, monsieur, ponctuellement.--Salaire! rémunération!

(Il sort.)

BIRON.--Oh! je suis vraiment amoureux! moi, qui ai été le fléau de
l'amour, le prévôt qui châtiait un soupir amoureux; un censeur, un
constable de gardes nocturnes, un pédant impérieux pour cet enfant, le
souverain des mortels, cet enfant, voilé, pleureur, aveugle et mutin; ce
géant-nain, jeune et vieux! don Cupidon, régent des rimes d'amour,
seigneur des bras entrelacés, le monarque légitime des soupirs et des
gémissements, le suzerain des paresseux et des mécontents, prince
redoutable des jupes, roi des hauts-de-chausses, seul empereur et grand
général des appariteurs[30].--O mon petit coeur! et moi je suis destiné
à être caporal dans son armée et à porter sa livrée et ses couleurs,
comme le cerceau d'un escamoteur. Quoi! moi, aimer! moi, prier! moi,
chercher une épouse! une femme qui ressemble à une montre d'Allemagne,
où il y a toujours à refaire, toujours dérangée, et qui ne va jamais
bien[31], à moins qu'on ne veille à la faire toujours aller bien. Et
pourquoi? pour devenir parjure, ce qui est le pis de tout, et pour être
celui des trois qui aime la pire de toutes; une blanche et folle
créature, avec deux boules de poix attachées à sa face en façon d'yeux.
Oui, et par le ciel, une femme qui saura tout faire, quand Argus même
serait son eunuque et son gardien, moi, soupirer pour elle! moi, prier
pour l'obtenir! veiller pour elle!--Allons, c'est un fléau dont Cupidon
veut m'affliger, pour me punir d'avoir montré trop peu de respect pour
son terrible et tout-puissant petit pouvoir. Allons, j'aimerai,
j'écrirai, je soupirerai, je prierai, je solliciterai et je gémirai; il
faut bien que les uns aiment madame et les autres Jeanneton.

[Note 30: Appariteur, nom de l'officier de l'évêque qui porte les
assignations.]

[Note 31: _Watch_, guet et montre.]

FIN DU TROISIÈME ACTE.




                           ACTE QUATRIÈME


SCÈNE I

Une autre partie du parc.

LA PRINCESSE, ROSALINE, MARIE, CATHERINE, SEIGNEURS, _suite_, et UN
GARDE-FORÊT.


LA PRINCESSE.--Était-ce le roi qui piquait si vivement son cheval et lui
faisait gravir cette colline escarpée?

BOYET.--Je ne sais pas bien; mais je ne crois pas que ce fût lui.

LA PRINCESSE.--Quel qu'il fût, il annonçait une âme qui aspire à monter.
Allons, nobles seigneurs, nous aurons aujourd'hui notre congé, et samedi
nous repartirons pour la France. Garde, mon ami, où est le bois, afin
que nous puissions nous y poster et y jouer le rôle de meurtriers?

LE GARDE.--Ici près, sur le bord de ce taillis qui est là-bas: c'est le
poste où vous pouvez faire la plus belle chasse.

LA PRINCESSE.--Je rends grâces à ma beauté: je suis une belle qui dois
tirer, et voilà pourquoi tu dis la plus belle chasse?

LE GARDE.--Pardonnez-moi, madame: ce n'est pas là ce que j'entendais.

LA PRINCESSE.--Comment? comment? me louer d'abord et ensuite se
rétracter! O courte jouissance de mon orgueil! Je ne suis donc pas
belle? hélas! je suis bien malheureuse!

LE GARDE.--Oui, madame, vous êtes belle.

LA PRINCESSE.--Non, ne te charge plus de faire mon portrait. Un visage
sans beauté ne peut jamais être embelli par le pinceau de la louange.
Allons, mon fidèle miroir[32], tiens, voilà pour avoir dit la vérité.
(_Elle lui donne de l'argent_.) De bel argent pour de laides paroles,
c'est payer généreusement.

[Note 32: La princesse s'adresse au garde; mais Johnson veut voir ici
une allusion à la coutume des dames de porter des miroirs à leurs
ceintures.]

LE GARDE.--Tout ce que vous possédez est beau.

LA PRINCESSE.--Voyez, voyez, ma beauté se sauvera par le mérite de mes
dons. O hérésie dans le jugement du beau, bien digne de ces temps! Une
main qui donne, fût-elle laide, est sûre d'être louée. Mais allons,
donnez-moi l'arc.--Maintenant la bonté va tuer; et bien tirer est un
mal.--Ainsi, je sauverai la gloire de mon habileté à tirer; car, si je
ne blesse pas, ce sera la pitié qui n'aura pas voulu me laisser faire;
et si je blesse, c'est que j'aurai voulu montrer mon habileté, qui aura
consenti à tuer une fois, plutôt pour s'attirer des éloges que par
l'envie de tuer; et, sans contredit, c'est ce qui arrive quelquefois. La
gloire se rend coupable de crimes détestables, lorsque, pour obtenir la
renommée, pour gagner la louange, biens extérieurs, nous dirigeons vers
ce but tous les mouvements du coeur, comme je fais aujourd'hui, moi qui,
dans la seule vue d'être louée, cherche à répandre le sang d'un pauvre
daim, à qui mon coeur ne veut aucun mal.

BOYET.--N'est-ce pas uniquement par amour de la gloire, que les maudites
femmes aspirent à la souveraineté exclusive, lorsqu'elles bataillent
pour être les maîtresses de leurs maîtres?

LA PRINCESSE.--Oui, c'est uniquement par amour de la gloire; et nous
devons le tribut de nos louanges à toute dame qui subjugue son maître.
(_Entre Costard_.) Voilà un membre de la république[33].

[Note 33: _Commonwealth_.]

COSTARD.--Bien le bonsoir à tous. Je vous prie, laquelle est la
princesse qui est la tête de toute la troupe?

LA PRINCESSE.--Tu la reconnaîtras, ami, par les autres qui n'ont point
de tête.

COSTARD.--Quelle est ici la plus grande, la plus haute dame?

LA PRINCESSE.--La plus grosse, et la plus grande?

COSTARD.--La plus grosse et la plus grande! Oui! cela même: la vérité
est la vérité. Si votre taille, madame était aussi mince que mon esprit,
une des ceintures de ces demoiselles serait bonne pour votre ceinture.
N'êtes-vous pas la principale femme? Vous êtes la plus grosse d'ici.

LA PRINCESSE.--Que voulez-vous, l'ami? que voulez-vous?

COSTARD.--J'ai une lettre de la part de M. Biron pour une dame Rosaline.

LA PRINCESSE.--Oh! donne ta lettre, donne ta lettre: c'est un de mes
bons amis. Tiens-toi à l'écart, mon cher porteur.--(_A Boyet_.) Boyet,
vous pouvez ouvrir; brisez-moi ce chapon[34].

BOYET.--Je suis dévoué à vos ordres.--Cette lettre est mal adressée:
elle n'est pour aucune des dames qui sont ici. Elle est écrite à
Jacquinette.

LA PRINCESSE.--Nous la lirons, je le jure.--Brisez le cou de la
cire[35], et que chacun prête l'oreille.

BOYET, _lit_.--«Par le ciel, que vous soyez belle, c'est une chose
infaillible; c'est une vérité que vous êtes belle; et la vérité même que
vous êtes aimable. Toi, plus belle que la beauté, plus gracieuse que la
grâce, plus vraie que la vérité même, prends pitié de ton héroïque
vassal. Le magnanime et très-illustre roi Cophétua fixa ses yeux sur la
pernicieuse et indubitable mendiante[36] Zénélophon; et ce fut lui qui
put dire à juste titre, _veni, vidi, vici_; ce qui, pour le réduire en
langage vulgaire (ô vil et obscur vulgaire!) signifie: il vint, vit et
vainquit; il vint, un; il vit, deux; il vainquit, trois. Qui vint? Le
roi. Pourquoi vint-il? pour voir. Pourquoi vit-il? pour vaincre. Vers
qui vint-il? vers la mendiante. Que vit-il? la mendiante. Qui
vainquit-il? la mendiante. La conclusion est la victoire. Du côté de
qui? du côté du roi. La captive est enrichie. Du côté de qui? du côté de
la mendiante. La catastrophe est une noce. Du côté de qui? du roi. Non;
du côté de tous les deux en un, ou d'un en deux. Je suis le roi; car
ainsi se comporte la comparaison. Toi, tu es la mendiante, car ton
humble situation l'atteste ainsi. Te commanderai-je l'amour? je le
pourrais. Forcerai-je ton amour? je le pourrais. Emploierai-je la prière
pour obtenir ton amour? c'est ce que je veux faire. Qu'échangeras-tu
contre des haillons? des robes. Contre des brimborions[37]? des titres.
Contre toi? moi. Ainsi, en attendant ta réponse, je profane mes lèvres
sur tes pieds, mes yeux sur ton portrait, et mon coeur sur toutes les
parties de toi-même. Tout à toi, dans le plus tendre empressement de te
servir.

[Note 34: Nous disons un poulet: les Italiens une _pollicetta amorosa_.]

[Note 35: Jeu de mots sur le poulet.]

[Note 36: Le vrai nom était Pénélophon.]

[Note 37: _Tittles_ et _titles_.]

    Don Adriano d'Armado à Jacquinette.»

C'est ainsi que tu entends le lion de Némée rugir contre toi, pauvre
agneau, destiné à être sa proie. Tombe avec soumission aux pieds du
monarque, et, au retour du carnage, il pourra être d'humeur de se jouer
avec toi; mais si tu résistes, pauvre infortuné, que deviens-tu alors?
La proie de sa rage et la provision de sa caverne.

LA PRINCESSE.--De quel plumage est celui qui a dicté cette lettre?
Quelle girouette! quel coq de clocher! Avez-vous jamais rien entendu de
mieux?

BOYET.--Je suis bien trompé si je ne reconnais pas le style.

LA PRINCESSE.--Je le crois sans peine; autrement votre mémoire serait
bien mauvaise, vous venez de le lire il n'y a qu'un moment.

BOYET.--Cet Armado est un Espagnol qui hante ici la cour. Un rêve-creux,
un monarcho[38]. Un homme qui sert de divertissement au prince et à ses
compagnons d'étude.

[Note 38: Caractère fantasque du temps, monarque italien, rodomont et
insolent.]

LA PRINCESSE, _à Costard_.--Toi, l'ami, un mot. Qui t'a donné cette
lettre?

COSTARD.--Je vous l'ai dit: monseigneur.

LA PRINCESSE.--A qui devais-tu la remettre?

COSTARD.--De la part de monseigneur, à madame.

LA PRINCESSE.--De quel seigneur et à quelle dame?

COSTARD.--De monseigneur Biron, mon bon maître, à une dame de France
qu'il appelle Rosaline.

LA PRINCESSE.--Tu t'es mépris sur l'adresse de cette lettre. Allons,
mesdames, partons.--(_A Costard_.) Mon ami, cède cette lettre, on te la
rendra une autre fois.

(La princesse sort avec sa suite.)

BOYET.--Quel est le galant[39]?

ROSALINE.--Vous apprendrez à le connaître.

BOYET.--Oui, mon continent de beauté[40].

[Note 39: _Suitor_ et _shooter_. La prononciation fait l'équivoque
_amant_ et _tireur_.]

[Note 40: Toi qui contiens, qui possèdes toute la beauté de la terre.]

ROSALINE.--Eh bien! celle qui tient l'arc.--Bien répliqué, n'est-ce pas?

BOYET.--La princesse va tuer des cornes; mais si vous vous mariez,
pendez-moi par le cou, si les cornes manquent cette année; bien riposté.

ROSALINE.--Eh bien! je suis le tireur.

BOYET.--Et quel est votre daim?

ROSALINE.--Si on le choisit aux cornes, c'est vous-même... Ne
m'approchez pas; riposté.

MARIE.--Vous disputez toujours avec elle, Boyet; et elle frappe au
front.

BOYET.--Mais elle-même est frappée plus bas, l'ai-je bien visée de ce
coup?

ROSALINE.--Voulez-vous que je vous attaque avec un vieux proverbe qui
dit: «Il était un homme, lorsque le roi Pépin de France n'était encore
qu'un petit garçon,» qui visa le but?

BOYET.--Je pourrais vous répliquer par un autre, qui dit: «Il était une
femme, lorsque la reine Genièvre de Bretagne n'était qu'une petite
fille,» qui visa le but?

ROSALINE, _chantant_.

    Tu ne peux le toucher, le toucher, le toucher,
    Tu ne peux le toucher, bonhomme.

BOYET, _chantant_.

    Si je ne le peux, si je ne le peux,
    Si je ne le peux, un autre le pourra.

(Rosaline et Catherine sortent.)

COSTARD.--Sur ma foi, cela est bien plaisant! comme tous deux l'ont
ajusté!

MARIE.--Un but merveilleusement visé! car tous deux l'ont touché.

BOYET.--Un but! Oh! remarquez bien le but; un but, dit cette dame.
Mettez une marque à ce but, pour le reconnaître, si cela se peut.

MARIE.--La main est à côté de l'arc: en vérité, la main est hors de la
ligne.

COSTARD.--Oui vraiment, il faut viser plus près, ou jamais il ne
touchera le blanc[41].

[Note 41: _Cloud_, le blanc que visent les archers, et _pin_, la
cheville qui le soutient en l'air.]

BOYET.--Si ma main est à côté de la ligne, il y a apparence que la vôtre
est dans la ligne.

COSTARD.--Alors elle aura gagné le prix, en fendant la cheville du
blanc.

MARIE.--Allons, allons, vos propos sont trop grossiers. Vos lèvres se
salissent.

COSTARD, _à Boyet_.--Elle est trop forte pour vous à la pointe,
monsieur. Défiez-la aux boules.

BOYET.--Je crains de trouver trop d'inégalités dans le terrain: bonne
nuit, ma chère chouette.

(Boyet et Marie sortent.)

COSTARD, _seul_.--Par mon âme, un simple berger, un pauvre paysan! ô
seigneur, seigneur! Comme les dames et moi nous l'avons battu! Oh! sur
ma vie, excellentes plaisanteries! Un esprit sale et vulgaire quand il
coule si uniment, si obscènement, comme qui dirait, si à propos. Armado
d'un côté. Oh! c'est un élégant des plus raffinés! Il faut le voir
marcher devant une dame et porter son éventail! Il faut le voir envoyer
des baisers; et avec quelle grâce il lui fait des serments! et son page
de l'autre côté: cette poignée d'esprit! Ah! ciel! c'est la lente la
plus pathétique! «Sol, la, sol, la.»

(On entend des cris à l'intérieur.--Costard sort en courant.)


SCÈNE II

DULL, HOLOFERNE et NATHANIEL.


NATHANIEL.--En vérité, une fort honorable chasse! et exécutée d'après le
témoignage d'une bonne conscience!

HOLOFERNE.--La bête était, comme vous le savez, _in sanguis,_ en sang:
mûre comme une «pomme d'eau[42]»; qui pend comme un joyau à l'oreille du
_coelum_, c'est-à-dire le ciel, le firmament, l'empyrée; et tout à coup
tombe comme un fruit sauvage sur la face de la _terra_, le sol, le
continent, la terre.

[Note 42: Espèce de pomme jadis très-estimée.]

NATHANIEL.--En vérité, maître Holoferne, vous variez agréablement vos
épithètes, comme le ferait un savant pour le moins; mais je puis vous
assurer que c'était un chevreuil de deux ans.

HOLOFERNE.--Monsieur Nathaniel, _haud credo_.

DULL.--Ce n'était pas un _haud credo_, c'était un petit chevreuil.

HOLOFERNE.--Voilà une remarque des plus barbares: et cependant une
espèce d'insinuation, comme par forme, _in viâ_, en manière
d'explication pour _facere_ comme qui dirait une réplique; ou plutôt,
_ostentare_, pour montrer, comme qui dirait son inclination; d'après sa
manière mal instruite, mal polie, mal élevée, mal cultivée, mal
disciplinée, ou plutôt illettrée; ou plutôt encore, mal assurée, d'aller
insérer là pour un chevreuil, mon _haud credo!_

DULL.--J'ai dit que le chevreuil n'était point un _haud credo_, mais un
petit chevreuil de trois ans.

HOLOFERNE.--Double bêtise renforcée; _bis coctus_; ô monstrueuse
ignorance, comme tu es difforme!

NATHANIEL.--Monsieur, il ne s'est jamais nourri de ces délicates
friandises qu'on amasse dans les livres: il n'a point, comme qui dirait,
mangé de papier, ni bu d'encre: son intellect n'est point garni de
provisions: ce n'est qu'un animal, qui n'est sensible que dans ses
parties grossières. Et lorsque nous voyons sous nos yeux ces plantes
stériles, cela doit nous inspirer de la reconnaissance (à nous, qui
avons du goût et du sens) pour les talents qui fructifient en nous,
plutôt qu'en lui; car il me siérait aussi mal d'être vain, indiscret et
insensé, qu'un manant serait déplacé dans une école et au milieu de la
science: mais _omne benè_, c'est le sentiment d'un vieux père, que bien
des gens supportent la tempête, qui n'aiment pas le vent.

DULL.--Vous êtes deux hommes de livres et de science: pouvez-vous, avec
tout votre esprit, deviner qui est-ce qui était âgé d'un mois à la
naissance de Caïn, et qui aujourd'hui n'a pas encore cinq semaines?

HOLOFERNE.--C'est Dictynna, mon cher Dull: Dictynna, mon cher Dull.

DULL.--Qu'est-ce que c'est que Dictynna?

NATHANIEL.--C'est un titre de Phébé, de _luna_, de la lune.

HOLOFERNE.--La lune avait un mois lorsqu'Adam n'avait pas davantage, et
elle n'avait pas atteint cinq semaines, quand Adam avait ses cent ans:
l'allusion a été la même malgré le changement des noms.

DULL.--Cela est ma foi vrai. La collusion tient les noms changés.

HOLOFERNE.--Dieu veuille corroborer ta capacité! je dis que l'allusion
reste malgré les noms changés.

DULL.--Et moi je dis que la _pollusion_ est dans le changement de noms,
car la lune n'est jamais âgée de plus d'un mois; et je dis en outre que
c'était un petit chevreuil de deux ans que la princesse a tué.

HOLOFERNE.--Monsieur Nathaniel, voulez-vous entendre une épitaphe
impromptu sur la mort du chevreuil? Et pour plaire aux ignorants, j'ai
appelé le chevreuil que la princesse a tué un _pricket_.

NATHANIEL.--_Perge_, mon digne monsieur Holoferne, _perge_; comme cela
vous abrogerez toute bouffonnerie.

HOLOFERNE.--Je m'attacherai un peu à l'allitération, car cela dénote de
la facilité.

    La digne princesse a percé et abattu un joli daguet[43].

    Il en est qui disent que c'est un chevreuil de trois ans,
    mais ce n'est pas un chevreuil de trois ans tant qu'il n'est
    pas blessé.

    Les chiens aboyèrent: ajoutez une L, un chevreuil sortira
    du bois.

    Daguet, blessé ou chevreuil, le peuple se met à crier: si
    chevreuil est blessé, alors une L de plus fait cinquante blessures,
    ô L blessé!

    D'un I blessé faites-en cent en ajoutant seulement une L!

[Note 43: Ce sonnet, rempli d'équivoques, n'a aucun sens en français:
cependant nous n'avons pas cru pouvoir nous dispenser de le traduire.]

NATHANIEL.--Rare talent!

DULL.--Si le talent est une griffe, voyez comme il le déchire avec un
talent.

HOLOFERNE.--C'est un don que je possède; fort simple, ah! fort simple;
un esprit fou, extravagant, plein de formes, de figures, d'images,
d'objets, d'idées, d'appréhensions, de mouvements, de révolutions; et
tout cela est engendré dans le ventricule de la mémoire, nourri dans le
sein de la _pia mater_[44], et mis au jour à la maturité de l'occasion;
mais ce talent est bon pour ceux dans lesquels il est aigu, et je
remercie le ciel de me l'avoir donné.

[Note 44: _Pie-mère,_ membrane du cerveau.]

NATHANIEL.--Monsieur, j'en loue Dieu pour vous; et mes paroissiens
pourraient en faire autant; car leurs garçons sont fort bien élevés par
vous, et leurs filles profitent considérablement sous vous. Vous êtes un
bon membre de la république.

HOLOFERNE.--_Meherclè_, si leurs garçons ont des dispositions, ils ne
manqueront pas d'instruction: et si leurs filles ont de la capacité, je
saurai leur insinuer la science; mais, _vir sapit qui pauca loquitur_,
voilà une âme féminine qui nous salue?

(Entre Jacquinette avec Costard.)

JACQUINETTE.--Dieu vous donne le bonjour, monsieur Personne[45]!

[Note 45: Ce dialogue est une série d'équivoques comme le sonnet. Elles
roulent principalement sur _pierson_ et _pierce_.]

HOLOFERNE.--Monsieur Personne, _quasi_ perce-un. Qui est cet un qu'on
veut percer?

COSTARD.--Ma foi, monsieur le maître d'école, c'est celui qui ressemble
le plus à un tonneau.

HOLOFERNE.--Percer un tonneau! belle invention pour une motte de terre,
assez de feu pour un caillou, assez de perles pour un pourceau; c'est
joli, c'est bien.

JACQUINETTE.--Mon bon monsieur le curé, faites-moi la grâce de me lire
cette lettre; elle m'a été donnée par Costard, et elle m'est envoyée de
la part de don Armado. Je vous en prie, lisez-la.

HOLOFERNE.--_Fauste, precor, gelidâ quando pecus omne sub umbrâ
ruminat_, et la suite.--Ah! digne et sublime Mantouan, je puis dire de
toi ce que le voyageur dit de Venise:

    _Vinegia! Vinegia!
    Chi non te vide, ei non te pregia_.

Vieux Mantouan! vieux Mantouan[46]! qui ne t'entend pas, ne t'aime
pas.--_Ut, re, sol, la, mi, fa_.--Avec votre permission, monsieur, quel
est le contenu de la lettre? Ou plutôt, comme dit Horace, dans son...
Quels sont les vers, mon coeur?

[Note 46: Baptista Spagnolus, surnommé Mantuanus, de Mantoue, sa ville
natale, était un poëte de la fin du XVe siècle, et si célèbre alors que
les pédants préféraient ses églogues à l'_Énéide_.]

NATHANIEL.--Oui, des vers, monsieur, et de fort savants.

HOLOFERNE.--Ah! que j'en entende une strophe, une stance, un vers!
_Lege, domine_.

NATHANIEL _lit les vers_.

    Si l'amour m'a rendu parjure, comment pourrai-je faire serment d'aimer?
    Ah! il n'est de serments constants que ceux qui sont faits à la beauté,
    Quoique parjure à moi-même, je n'en serai pas moins fidèle à toi.
    Ces pensées, qui étaient pour moi comme des chênes, s'inclinent devant
      toi comme des roseaux.
    L'étude abandonne ses livres pour ne lire que dans tes yeux
    Où brillent tous les plaisirs que l'art peut comprendre.
    Si la science est le but de l'étude, te connaître suffit pour
        l'atteindre.
    Savante est la langue qui peut te bien louer.
    Ignorante est l'âme qui te voit sans surprise
    (Et c'est un éloge pour moi de savoir admirer ton mérite).
    Ton oeil lance l'éclair de Jupiter, et ta voix son redoutable tonnerre.
    Mais, quand tu n'es point en courroux, ta voix est une douce musique,
    Et ton regard communique une douce chaleur.
    Tu es céleste, ô mon amour! pardonne si je te fais injure
    En chantant avec une voix mortelle les louanges d'un objet céleste.

HOLOFERNE.--Vous ne sentez pas les apostrophes, et vous ne mettez pas
l'accent: laissez-moi parcourir cette chanson; il n'y a ici que le
nombre et la mesure d'observés; mais pour l'élégance, la facilité et la
cadence dorée de la poésie, _caret_. Ovide Nason, c'était là un homme!
Et pourquoi s'appelle-t-il Nason? si ce n'est parce qu'il savait sentir
les fleurs odorantes de l'imagination, les élans de l'invention.
_Imitari_ n'est rien; le chien imite son maître, le singe son gardien,
et le cheval enrubanné[47] son cavalier. Mais _damosella_ vierge, est-ce
à vous que cette épître est adressée?

JACQUINETTE.--Oui, monsieur; de la part d'un M. Biron, un des seigneurs
de la princesse étrangère[48].

[Note 47: Nouvelle allusion au cheval de Banks.]

[Note 48: Ceci est une inadvertance de Shakspeare. Jacquinette ne
connaît pas Biron, et vient de dire que la lettre lui a été remise par
Costard, de la part d'Armado.]

HOLOFERNE.--Je veux lancer un coup d'oeil sur l'adresse: «A la belle
main blanche de la très-belle dame Rosaline.» Je veux jeter encore les
yeux sur le contenu de la lettre, pour voir la dénomination de la partie
qui écrit à la personne suscrite.--«Le serviteur dévoué aux ordres de
votre seigneurie, Biron.»--Monsieur Nathaniel, ce Biron est un des
seigneurs qui ont fait voeu de retraite avec le roi. Et il a bâti ici
une lettre adressée à une dame de la suite de la reine étrangère,
laquelle lettre, par accident et dans le progrès de sa route, s'est
égarée.--Allons, trottez, courez, ma chère; remettez cet écrit dans les
royales mains du roi; cela peut être très-important: ne vous arrêtez pas
à faire votre compliment; je vous dispense de votre devoir.--Adieu.

JACQUINETTE.--Bon Costard, viens avec moi.--Dieu conserve vos jours!

COSTARD.--Je te suis, ma fille.

(Costard et Jacquinette sortent.)

NATHANIEL.--Monsieur, vous avez agi là dans la crainte de Dieu, fort
religieusement, et, comme dit un certain père...

HOLOFERNE, _l'interrompant_.--Monsieur, ne me parlez point de pères, je
crains les spécieuses apparences.--Mais pour revenir à ces vers, vous
ont-ils plu, monsieur Nathaniel?

NATHANIEL.--Merveilleusement bien, quant à la plume.

HOLOFERNE.--Je dois dîner aujourd'hui chez le père d'une élève à moi,
où, s'il vous plaît, avant le repas, de gratifier la table d'un
_benedicite_, je me chargerai, en vertu du privilège que j'ai auprès des
parents de la susdite enfant ou pupille, de vous faire bien accueillir;
et là je prouverai que ces vers sont très-peu savants, et n'ont aucune
teinture de poésie, d'esprit, ni d'invention; je vous demande votre
société.

NATHANIEL.--Et je vous remercie aussi de la vôtre; car la société, dit
l'Écriture, est le bonheur de la vie.

HOLOFERNE.--Et, certes, l'Ecriture dit là une chose très-vraie et
très-juste. (_A Dull_.) Monsieur, je vous invite aussi; vous ne me direz
pas non. _Pauca verba_. Partons; les nobles sont à leur plaisir, et nous
aussi, nous allons nous récréer.

(Ils sortent.)


SCÈNE III

Une autre partie du parc.

BIRON, _tenant un papier_.


Le roi chasse à la bête, et moi je cours après moi-même. Ils ont tendu
les toiles, et moi je m'embarrasse dans la poix[49], dans une poix qui
salit. Salir! ce mot n'est pas beau. Allons, apaise-toi, chagrin; car on
dit que le fou l'a dit; et je le dis aussi moi, et je suis le fou. Bien
raisonné, esprit!--Par le ciel, cet amour est aussi forcené qu'Ajax; il
tue les moutons; il me tue; et je suis un mouton. Bien raisonné encore
en ma faveur!--Je ne veux pas aimer: si j'aime, qu'on me pende; en
conscience, je ne le veux pas. Oh! mais son bel oeil... Par cette
lumière, s'il n'y avait que son oeil, je ne l'aimerais pas: bon pour ses
deux yeux. Allons, je ne fais rien au monde que mentir, et me mentir à
moi-même. Par le ciel, je suis amoureux, et cela m'a appris à rimer, et
à être mélancolique; et voici un échantillon de mes rimes et de ma
mélancolie. Fort bien: la belle a déjà un de mes sonnets; le bouffon le
lui a porté, et le fou le lui a envoyé, et la dame le tient en sa
possession. Cher bouffon, cher fou, dame plus chère encore.--Par
l'univers, je m'en moquerais comme d'une épingle, si les trois autres
partageaient ma folie.--En voici un avec un papier à la main! Dieu
veuille lui faire la grâce de gémir!

[Note 49: Allusion au teint brun de Rosaline.]

(Il monte et se cache dans un arbre.)

(Entre le roi.)

LE ROI, _soupirant_.--Hélas!

BIRON, _à part_.--Il est atteint, par le ciel! Poursuis, cher Cupidon.
Tu l'as frappé de ta petite flèche sous la mamelle gauche. Par ma foi,
des secrets!

LE ROI, _lisant des vers_.

    Le soleil doré ne donne point un aussi doux baiser
    Aux fraîches gouttes de la rosée du matin sur la rose
    Que le premier rayon de tes yeux
    Tombant sur la rosée de pleurs que la nuit a fait couler sur mes joues.
    La lune argentée brille avec moins d'éclat
    Au travers du sein transparent de l'onde
    Que l'éclat de ta beauté au travers de mes larmes.
    Tu brilles dans chaque larme que je verse.
    Il n'en est aucune qui ne te porte comme un char
    Dans lequel tu passes triomphant de mes peines.
    Daigne seulement regarder ces larmes qui se gonflent dans mes yeux,
    Et tu y verras ta gloire éclater dans mes douleurs.
    Garde-toi d'aimer, car alors mes larmes ne cesseront de couler,
    Et elles serviront de miroir pour réfléchir ta beauté.
    O reine des reines! que tu es incomparable!
    La pensée de l'homme ne peut le concevoir, ni sa langue l'exprimer.

Comment lui ferai-je connaître mes peines? Je vais laisser tomber ce
papier; douces feuilles, abritez ma folie.--Mais qui vient en ce lieu?
_(Le roi se met à l'écart. Entre Longueville qui se croit seul_.) Quoi!
c'est Longueville! et lisant! Écoute bien, mon oreille.

BIRON, _à part_.--Allons, voici un autre fou qui paraît sur la scène et
qui te ressemble!

LONGUEVILLE.--Malheureux que je suis! je suis parjure.

BIRON, _à part_.--Bon, il s'avance comme un parjure portant son écriteau
devant lui[50].

[Note 50: La punition du parjure était de porter un écriteau qui
annonçait son crime.]

LE ROI, _à part_.--Il est amoureux, j'espère. Heureuse société de honte!

BIRON, _à part_.--Un ivrogne aime un ivrogne comme lui.

LONGUEVILLE, _à part_.--Suis-je le premier qui me suis ainsi parjuré?

BIRON, _à part_.--Je pourrais, moi, servir à te consoler; sans compter
les deux parjures que je connais, tu complètes le triumvirat: tu es la
corne du chapeau de la société, la figure de la potence d'amour à
laquelle est pendue l'innocence.

LONGUEVILLE.--Je crains bien que ces vers impuissants ne manquent de
force pour t'émouvoir, ô aimable Marie, souveraine de mes tendres voeux!
Je veux déchirer ces rimes et lui écrire en prose.

BIRON, _à part_.--Oh! les rimes sont les sentinelles qui gardent le
haut-de-chausses du folâtre Cupidon; ne défigure pas son costume[51].

[Note 51: Allusion au costume habituel de Cupidon sur le théâtre.]

LONGUEVILLE.--Allons, ces vers peuvent passer.

(Il lit un sonnet.)

    N'est-ce pas la céleste éloquence de tes yeux,
    Contre laquelle l'univers n'a point de réplique,
    Qui a conduit mon coeur à ce parjure?
    Un voeu, rompu pour toi, ne mérite pas d'être puni.

    Mon voeu regardait une femme: mais je prouverai
    Que, toi étant une déesse, je n'ai pas commis un parjure.
    Mon voeu ne comprenait que les beautés mortelles, et tu es une
        beauté céleste.
    La conquête de tes grâces effacera en moi toute disgrâce.

    Les serments ne sont qu'un souffle, et le souffle n'est qu'une vapeur.
    C'est donc toi, beau soleil, qui brilles sur une terre,
    Et qui attires à toi ce serment de vapeur: elle monte vers toi.

    Si mon serment est rompu, ce n'est donc pas ma faute.
    Et si c'est moi qui l'ai violé, quel fou ne serait pas assez sage
    Pour perdre un serment afin de gagner un paradis!

BIRON, _à part_.--Voilà des vers qui ont coulé d'une veine du foie[52];
cela vous fait d'une chair mortelle une divinité, une déesse d'une jeune
oie. Pure, pure idolâtrie! Dieu nous amende, Dieu nous amende! nous
sommes bien loin du droit chemin.

[Note 52: Le foie était regardé comme le siège de l'amour.]

(Dumaine arrive avec un papier.)

LONGUEVILLE.--Par qui enverrai-je ce sonnet? Voilà
quelqu'un.--Doucement!

(Il s'éloigne à l'écart.)

BIRON, _à part_.--Tous cachés, tous cachés! ancien jeu d'enfant.--Je
suis ici comme un demi-dieu dans l'Olympe, d'où mon oeil attentif plonge
sur les malheureux insensés et pénètre leurs secrets. Encore des sacs au
moulin. O ciel! mes voeux sont remplis; Dumaine a subi aussi la
métamorphose; quatre bécasses dans un seul plat.

DUMAINE.--O divine Catherine!

BIRON, _à part_.--O profane misérable!

DUMAINE.--Par le ciel, une merveille faite pour étonner des yeux
mortels!

BIRON, _à part_.--Jure encore par la terre, qu'elle n'est pas un corps
mortel, et je te donne là un démenti net.

DUMAINE.--Sa chevelure d'ambre surpasse la noirceur de l'ambre même.

BIRON, _à part_.--Fort bien remarqué, un corbeau couleur d'ambre.

DUMAINE.--Aussi droite qu'un cèdre.

BIRON, _à part_.--Arrête, te dis-je, son épaule est dans un état de
grossesse.

DUMAINE.--Aussi belle que le jour.

BIRON, _à part_.--Oui, que certains jours où le soleil ne brille pas.

DUMAINE.--Oh! que mes voeux fussent remplis!

LONGUEVILLE, _à part_.--Et les miens aussi!

LE ROI, _à part_.--Et moi, les miens, par le ciel!

BIRON, _à part_.--Et que le ciel exauce les miens! N'est-ce pas là un
bon mot?

DUMAINE.--Je voudrais l'oublier; mais elle est une fièvre qui règne dans
mon sang et qui me force à me souvenir d'elle.

BIRON, _à part_.--Comme une fièvre dans votre sang! Eh bien, alors une
incision la ferait[53] couler dans la palette.--O charmante méprise!

[Note 53: C'était la mode, parmi les amoureux du temps, de se piquer au
bras ou ailleurs, pour boire son sang à la santé de sa belle, ou
d'écrire le nom de sa maîtresse avec son propre sang en signe d'amour.]

DUMAINE.--Je veux relire encore l'ode que j'ai composée.

BIRON, _à part_.--Je vais voir encore comment l'amour diversifie les
productions de l'esprit.

DUMAINE _lit sa pièce de vers_.

    Un jour de mai. Malheureux jour!
    L'amour, qui choisit toujours mai pour son mois,
    Vit une fleur des plus belles
    Se jouant dans le vague de l'air;
    Il vit le zéphyr folâtre
    S'ouvrir un passage
    A travers ses feuilles veloutées;
    L'amant, malade à en mourir, envia le souffle aérien.
    Zéphyr, dit-il, tu peux enfler tes joues;
    Que ne puis-je triompher avec toi!
    Mais, hélas! rose, ma main a juré
    De ne jamais te cueillir de ton épine:
    Serment, hélas! peu propre à la jeunesse:
    La jeunesse se plaît à cueillir ce qui est doux.
    Ah! ne me reproche pas mon crime:
    Si pour toi je suis devenu parjure.
    Jupiter même, en te voyant, jurerait
    Que Juno est une noire Éthiopienne;
    Il nierait être Jupiter,
    Et se ferait mortel pour l'amour de toi!

Je lui enverrai ces vers et quelques autres lignes encore plus simples
qui lui exprimeront les peines et les privations de mon sincère amour.
Oh! que je voudrais que le roi, et Biron, et Longueville fussent amants
aussi! Le mal, servant d'exemple au mal, laverait mon front de la honte
du parjure; la folie devient innocente quand tous sont en délire.

LONGUEVILLE, _se montrant tout à coup_.--Dumaine, ton amour n'est pas
charitable, de souhaiter des compagnons d'infortune en amour.--Vous
pouvez changer de couleur et pâlir: pour moi, je rougirais qu'on m'eût
entendu tenir pareil langage, et surpris dans ce sommeil.

LE ROI, _sortant à son tour et abordant brusquement
Longueville_.--Allons, l'ami, vous rougissez: vous êtes dans le même cas
que lui: vous le reprenez, et vous êtes deux fois plus coupable: vous
n'aimez pas Marie, non? Longueville n'a jamais composé de sonnet pour
elle? jamais il n'a serré ses bras en croix contre son sein amoureux,
pour contenir les élans de son coeur? J'étais enveloppé des ombres de ce
buisson et je vous observais tous deux, et j'ai rougi pour tous deux.
J'ai entendu vos coupables rimes, observé votre contenance, vu les
brûlants soupirs qu'exhalait votre sein; j'ai bien remarqué tous les
symptômes de votre passion. «Hélas!» s'écriait l'un; «ô Jupiter!» criait
l'autre: «sa chevelure est brillante comme l'or;» l'autre: «ses yeux
brillants comme le cristal.» (_A Longueville_.) Vous, vous voulez violer
votre foi et vos serments pour la conquête de ce paradis. (_A Dumaine_.)
Et vous: disiez-vous, «Jupiter, violerait ses serments pour l'amour de
ma belle.»--Que dira Biron, lorsqu'il viendra à apprendre que vous avez
violé une parole, jurée avec tant de zèle et d'ardeur? Oh! comme il vous
méprisera! comme son esprit s'égayera à vos dépens! comme il triomphera!
comme il sautera de joie! comme il rira aux éclats! Pour tous les
trésors que j'ai jamais vus, je ne voudrais pas qu'il pût m'en reprocher
autant.

BIRON.--Je m'avance pour châtier l'hypocrisie. (_Il descend de
l'arbre_.) Ah! mon cher souverain, je vous prie, daignez me pardonner...
Coeur généreux, vous sied-il bien de reprocher à ces malheureux reptiles
d'aimer, vous qui êtes le plus amoureux? Vos yeux ne portent-ils pas
l'image d'une belle? N'est-il pas certaine princesse qui se peint dans
vos larmes? Vous ne voudriez pas vous parjurer: c'est une chose odieuse;
allons, il n'y a que des ménestrels qui fassent des sonnets. Mais ne
rougissez-vous pas? Oui, tous trois, n'avez-vous pas honte de vous voir
ainsi surpris et convaincus? Vous, Longueville, vous avez vu une paille
dans l'oeil de Dumaine; le roi en a vu une dans vos yeux à tous deux;
mais moi, je découvre une poutre dans l'oeil de tous trois. Oh! à quelle
scène d'extravagance j'ai assisté! de combien de soupirs, de
gémissements, de douleur, de désespoir j'ai été le témoin! Avec quelle
patience je me suis tenu assis et coi, pour voir un roi métamorphosé en
moucheron! pour voir le robuste Hercule danser une gavotte, et le sage
Salomon fredonner une gigue, et Nestor jouer au jeu d'épingle avec les
enfants, et le cynique Timon rire de vains hochets!--Où gît ta douleur?
dis-le-moi, mon cher Dumaine; et toi, mon cher Longueville, où est la
peine? Et où est le mal de mon souverain? Tous au coeur, n'est-ce pas?
Holà! qu'on apporte un cordial, vite!

LE ROI.--Biron, tes railleries ont trop d'amertume: sommes-nous donc
ainsi trahis et exposés à tes regards!

BIRON.--Ce n'est pas vous qui êtes trahis par moi; c'est moi qui le suis
par vous; moi qui reste honnête à moi, qui regarde comme un crime de
violer le voeu dont je suis lié: je suis trahi, puisque je suis dans la
société d'hommes changeant comme la lune, et d'une rare inconstance!
Quand me verrez-vous rien écrire en rimes ou pousser des soupirs pour
une femme? ou dépenser une seule minute de mon temps à polir mes plumes?
Quand entendrez-vous dire que je loue une main, un pied, un visage, un
oeil, une démarche, une contenance, un sourcil, une gorge, une ceinture,
une jambe?...

(Biron va sortir.)

LE ROI.--Arrêtez.--Où courez-vous si vite? Est-ce un honnête homme, ou
un voleur, qui s'enfuit avec cette précipitation?

BIRON.--Je fuis l'amour: bel amoureux, laissez-moi partir.

(Entre Jacquinette et Costard.)

JACQUINETTE.--Dieu conserve le roi!

LE ROI.--Quel présent as-tu là?

COSTARD.--Une certaine trahison.

LE ROI.--Que fait la trahison ici?

COSTARD.--Elle n'y fait rien, seigneur.

LE ROI.--Si elle n'y fait rien non plus, la trahison et toi, allez tous
deux en paix ensemble.

JACQUINETTE.--Je conjure Votre Altesse de lire cette lettre, notre curé
a des soupçons sur elle, il a dit que c'était une trahison.

LE ROI, _la donnant à Biron_.--Biron, lisez-la.--(_A Jacquinette_.) D'où
tiens-tu cette lettre?

JACQUINETTE.--De Costard.

LE ROI, _à Costard_.--Où l'as-tu prise?

COSTARD.--De dun Adramadio, dun Adramadio.

LE ROI.--Eh bien! que se passe-t-il donc en vous? Pourquoi la
déchirez-vous?

BIRON.--Une bagatelle, mon souverain, une bagatelle: n'en concevez
aucune inquiétude.

LONGUEVILLE.--Elle lui a causé du trouble: il faut la voir.

DUMAINE, _la considérant_.--Eh! c'est l'écriture de Biron, et voilà son
nom au bas.

(Il ramasse les morceaux.)

BIRON, _à Costard_.--Ah! infâme bâtard, tu es né pour me déshonorer.--Je
suis coupable, mon souverain, coupable; je le confesse, je l'avoue.

LE ROI.--Et de quoi?

BIRON.--Vous êtes trois fous, qui vous moquez d'un quatrième fou, comme
moi, pour compléter le plat. Lui, et lui, et vous, mon souverain, et
moi, sommes des filous en amour, et nous méritons la mort. (_Montrant
Costard et Jacquinette_.) Congédiez, je vous prie, ce vil auditoire, et
je vous en dirai davantage.

DUMAINE.--A présent nous sommes en nombre pair.

BIRON.--Oh! oui, oui, nous sommes quatre.--Ces tourtereaux s'en
iront-ils?

LE ROI.--Allons, mes amis, retirez-vous.--Partez.

COSTARD.--Oui, que tous les honnêtes gens s'en aillent, et que les
traîtres restent.

(Costard et Jacquinette s'en vont.)

BIRON.--Mes chers seigneurs, mes chers amoureux, embrassons-nous: nous
sommes aussi fidèles à nos serments que le peuvent être la chair et le
sang. La mer aura toujours son flux et reflux; le ciel montrera toujours
sa face étoilée; le sang jeune et fougueux n'obéira jamais à un conseil
suranné. Nous ne pouvons nous écarter du but pour lequel nous sommes
nés. Ainsi, nous sommes contraints de toutes manières d'être parjures.

LE ROI.--Quoi, les lambeaux de cette lettre déchirée contiennent-ils
quelques rimes de ta composition?

BIRON.--Si elles en contiennent, dites-vous? Hé! qui peut voir la
céleste Rosaline, sans incliner devant elle sa tête vassale, comme le
grossier et sauvage Indien se prosterne à la première ouverture des
portes brillantes de l'orient? Qui peut, ébloui de son éclat, ne pas
humilier son front jusqu'à baiser la poussière? Quel oeil audacieux,
fût-il perçant comme celui de l'aigle, ose fixer son céleste front sans
être aveuglé de sa majesté?

LE ROI.--Quelle passion, quelle fureur s'est tout à coup emparée de toi?
Ma bien-aimée, la maîtresse de la tienne, est une lune gracieuse; ta
Rosaline n'est qu'une étoile de sa suite, dont l'éclat s'aperçoit à
peine.

BIRON.--Mes yeux ne sont donc pas des yeux, et je ne suis pas Biron. Que
le ciel voulût, pour mon amour, changer le jour en nuit! Les plus belles
couleurs de tous les teints s'assemblent dans ses belles joues, et de
cent attraits divers font une grâce unique, où rien ne manque de tout ce
que peut chercher le désir. Prêtez-moi la trompette à mille voix. Non,
loin de moi, rhétorique fardée! Elle n'en a pas besoin. Ce sont les
denrées communes qui ont besoin de l'éloge du vendeur: elle, elle
surpasse la louange; et un éloge imparfait la ternit. Un ermite flétri,
usé par cent hivers, pourrait, en se mirant dans son bel oeil, en
secouer cinquante. La vue de sa beauté rend à la vieillesse un coloris
qui la rajeunit, et ramène la béquille vers le berceau de l'enfance. Oh!
c'est le soleil qui fait briller tous les objets!

LE ROI.--Par le ciel! ta maîtresse est noire comme l'ébène.

BIRON.--L'ébène lui ressemble-t-il? O bois divin! Une femme faite de ce
bois serait le bonheur suprême. Qui peut ici me faire prêter serment: où
y a-t-il un livre, afin que je jure que la beauté est imparfaite, si
elle n'emprunte pas son regard de ses beaux yeux? Il n'est point de beau
visage, s'il n'est noir comme le sien.

LE ROI.--O paradoxe! La couleur noire est le symbole de l'enfer, la
couleur des prisons et du front de la nuit; la beauté suprême est seule
digne du ciel.

BIRON.--Les démons, pour nous tenter plus sûrement, prennent la forme
des anges de lumière. Si les sourcils de ma belle sont tendus du noir,
c'est de douleur de ce qu'un fard mensonger, une chevelure usurpée
séduisent les amants par une fausse apparence. Rosaline est née pour
ériger le noir en beauté; car les couleurs naturelles sont maintenant
prises pour un fard artificiel: aussi le rouge, pour éviter l'affront de
cette méprise, se peint en noir, afin d'imiter le sourcil de Rosaline.

DUMAINE.--C'est aussi pour lui ressembler que les ramoneurs sont noirs.

LONGUEVILLE.--Et c'est depuis elle que les charbonniers passent pour
beaux.

LE ROI.--Et que les Éthiopiens se vantent d'un aimable teint.

LONGUEVILLE.--Aujourd'hui l'obscurité n'a plus besoin de flambeaux, car
les ténèbres sont lumière.

BIRON.--Vos maîtresses n'osent jamais s'exposer à la pluie, de crainte
de voir leurs couleurs lavées s'effacer de leurs joues.

LE ROI.--Il ne serait pas mal que la vôtre lavât les siennes; car, à
vous parler franchement, je trouverai un plus beau visage que le sien
qui n'a pas été lavé d'aujourd'hui.

BIRON.--Je prouverai sa beauté ou je parlerai jusqu'au jour du jugement.

LE ROI.--Aucun démon ne te fera autant de peur qu'elle ce jour-là.

DUMAINE.--Je n'ai jamais vu d'homme faire tant de cas d'une drogue aussi
vile.

LONGUEVILLE, _montrant son pied_.--Tiens, voilà ta belle; vois mon
soulier et son visage.

BIRON.--Oh! si les rues étaient pavées avec des yeux comme les siens,
ses pieds seraient encore trop délicats pour fouler un tel pavé.

DUMAINE.--Fi donc! alors, sur son passage, la rue verrait bien des
mensonges à la face du ciel.

LE ROI.--A quoi bon tous ces propos? Ne sommes-nous pas tous amoureux?

BIRON.--Rien n'est plus certain; et par là tous parjures.

LE ROI.--Eh bien! finissez donc ce vain dialogue; et toi, cher Biron,
prouve-nous à présent que notre amour est légitime, et que notre foi
n'est pas violée.

DUMAINE.--Oui, vraiment, rends-nous ce service. Excuse et flatte un peu
notre faiblesse.

LONGUEVILLE.--Oui, quelque argument qui nous autorise à poursuivre;
quelques ruses, quelques chicanes pour duper le diable.

DUMAINE.--Quelque apologie pour notre parjure.
                
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