William Shakespear

Peines d'amour perdues Comédie
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BIRON.--Oh! il y a plus de raisons qu'il n'en faut. Allons, aux armes,
soldats de l'amour! Considérez ce que vous avez juré d'abord: de jeûner,
d'étudier et de ne voir aucune femme; trahison notoire contre l'empire
de la jeunesse. Dites, pouvez-vous jeûner? Vos estomacs sont trop
jeunes, et l'abstinence engendre des maladies. Et lorsque vous avez fait
voeu d'étudier, chers seigneurs, chacun de vous a fait un parjure à son
propre livre; pouvez-vous toujours rêver, réfléchir et méditer? Et quand
est-ce que vous, seigneur, ou vous, ou vous, avez trouvé le fondement de
l'excellence de l'étude, sans la beauté du visage d'une femme? C'est des
yeux des femmes que je tire cette doctrine. Elles sont le fond, le
texte, le livre, l'académie d'où jaillit la vraie flamme de Prométhée.
Tous les efforts de l'étude enchaînent les esprits de la vie dans les
artères[54], comme le mouvement et une action longtemps continués
fatiguent les nerfs et la vigueur du voyageur. En jurant de ne point
regarder le visage d'une femme, vous avez en cela fait un parjure à
l'usage de vos yeux, et à l'étude même, qui est le principe de votre
voeu; car, où est, dans le monde, l'auteur qui enseigne une beauté
comparable à l'oeil d'une femme? La science n'est qu'un accessoire à
notre individu, et partout où nous sommes, notre science y est aussi;
or, quand nous nous contemplons nous-mêmes dans les yeux d'une femme,
n'y voyons-nous pas aussi notre science? Nous avons fait voeu d'étudier,
chers seigneurs; et, par ce voeu, nous avons manqué de foi à nos livres.
Car, quand est-ce que vous, mon souverain, ou vous, ou vous, avez, dans
une pesante contemplation, découvert jamais autant de feu poétique, que
vous en ont communiqué les yeux brillants d'une belle maîtresse? Les
autres arts indolents restent emprisonnés et oisifs dans le cerveau, et
ne produisent que des savants stériles en pratique, qui montrent
rarement quelque moisson de leurs pénibles travaux; mais l'amour, étudié
d'abord dans les yeux d'une belle, ne vit pas emprisonné dans l'enceinte
du cerveau: porté par le mouvement de tous les éléments, il court aussi
vite que la pensée dans toutes les puissances de l'homme, et donne à
chaque faculté une double force, qui l'élève au-dessus de leurs
fonctions et de leurs offices; il ajoute une vue précieuse à l'organe de
l'oeil: les yeux d'un amant peuvent éblouir l'oeil d'un aigle; l'oreille
d'un amant saisit jusqu'au plus faible son, là où l'oreille soupçonneuse
du voleur n'entend rien. Le sens de l'amour est plus sensible que ne le
sont les cornes délicates du limaçon dans sa coquille. Le dieu Bacchus
lui-même n'a qu'un palais grossier au prix du goût délicat de l'Amour.
L'Amour n'est-il pas un Hercule en valeur, qui grimpe toujours sur les
arbres des Hespérides; subtil comme le Sphinx, aussi doux, aussi musical
que la lyre brillante d'Apollon, tendue de ses cheveux d'or? Et lorsque
l'Amour parle, tous les dieux de l'Olympe s'assoupissent aux doux
accents de sa voix. Jamais poëte n'osa toucher une plume pour écrire,
qu'il ne l'eût trempée dans les pleurs de l'Amour; mais alors ses vers
charmaient les oreilles les plus sauvages, et faisaient entrer la
douceur dans le coeur des tyrans. Voilà la science que je puise dans les
yeux des femmes. Elles étincellent comme le feu de Prométhée, elles sont
les livres, les arts et les académies qui expliquent, contiennent et
nourrissent tout l'univers; sans elles, nul homme n'excellera en rien.
Ainsi, vous étiez des insensés d'avoir violé la foi que vous deviez aux
femmes, ou vous serez des insensés en tenant votre serment. Au nom de la
Sagesse, mot qu'aiment tous les hommes, ou au nom de l'Amour, mot qui
les aime tous, ou au nom des hommes, les auteurs des femmes, ou au nom
des femmes, par lesquelles nous sommes hommes, perdons une bonne fois
nos serments pour nous retrouver nous-mêmes, ou bien nous nous perdons
nous-mêmes pour conserver nos serments. C'est religion de se parjurer
ainsi; car la charité elle-même accomplit la loi; et qui peut séparer
l'Amour de la charité?

[Note 54: Dans l'ancienne médecine, on attribuait aux artères les
fonctions données aujourd'hui aux nerfs.]

LE ROI.--Allons, crions donc tous: saint Cupidon! et en plaine, soldats!

BIRON.--Avancez vos étendards et fondons sur elles; allons, chaude
mêlée, renversons-les; mais prenez garde avant tout, dans ce choc, de
rencontrer un soleil, grâce à elles[55].

[Note 55: _A sun, a son_, équivoque sur ces deux mots: soleil et fils.]

LONGUEVILLE.--Allons, parlons clairement; laissons de côté les gloses.
Prendrons-nous le parti de faire notre cour à ces filles de France?

LE ROI.--Oui, et d'en faire la conquête aussi; ainsi, méditons quelque
divertissement pour les amuser dans leurs tentes.

BIRON.--D'abord, conduisons-les hors du parc jusqu'ici, et qu'ensuite,
sous les lambris du palais, chaque homme saisisse la main de sa belle
maîtresse; dans l'après-dînée, nous les égayerons par quelque
passe-temps nouveau, tel que la brièveté du temps pourra permettre de
le former; car les bals, les danses, les mascarades, les plaisirs
précèdent les pas du bel Amour et jonchent son chemin de fleurs.

LE ROI.--Partons, partons; nous ne perdrons point de temps, ni aucune
des occasions que nous pourrons employer à propos.

BIRON.--Allons, allons! quand on sème de l'ivraie, on ne recueille pas
de blé, et toujours la justice tient sa balance égale. Des filles
volages pourraient devenir le fléau d'hommes parjures; si cela arrive,
notre cuivre n'achètera pas de métal plus précieux.

FIN DU QUATRIÈME ACTE.




                             ACTE CINQUIÈME

SCÈNE I

Autre partie du parc.

HOLOFERNE, NATHANIEL, DULL.


HOLOFERNE.--_Satis quod sufficit_.

NATHANIEL.--Je bénis Dieu pour vous, monsieur. Vos arguments à dîner ont
été piquants et sentencieux, plaisants sans bouffonnerie, ingénieux sans
affectation, animés sans impudence, savants sans entêtement et neufs
sans hérésie. J'ai conversé un _quondam_ jour avec un homme de la suite
du roi, qui est intitulé, nommé, ou appelé don Adriano d'Armado.

HOLOFERNE.--_Novi hominem tanquam te_. Son humeur est hautaine, sa
conversation est tranchante, sa langue est impure, son oeil ambitieux,
sa démarche superbe, et tout son maintien est vain, ridicule et plein
d'emphase thrasonicale[56]. Il est trop tiré à quatre épingles, trop
élégant, trop affecté, trop singulier, pour ainsi parler, trop
pérégrinal, pourrais-je dire encore.

[Note 56: Comme le Thrason de Térence.]

NATHANIEL, _tirant ses tablettes pour écrire_.--Épithète singulière et
choisie!

HOLOFERNE.--Le fil de sa verbosité est plus beau et plus brillant que la
chaîne de ses raisonnements. J'abhorre ces gens fantasques et
fanatiques, ces puristes insociables et pleins d'affectation, qui
mettent l'orthographe à la torture, qui prononcent _doute_, lorsqu'il
faut dire doubte; _dette_, lorsqu'on doit prononcer debte, _d, e, b, t,
e_, et non pas _d, e, t_: ils vous appellent un cerf, _cer_, un boeuf,
_beu_. Froid, _vocatur fret_[57], paon, en abrége, est _pan_. Cela est
_abhominable_ (il dirait, lui, _abominable_), cela m'insinue la folie.
_Ne intelligis, domine_, il y a de quoi rendre frénétique, lunatique.

[Note 57: Il a fallu en beaucoup d'endroits de cette scène chercher des
équivalents.]

NATHANIEL.--_Laus Deo, bonè; intelligo_.

HOLOFERNE.--_Bone_?--_bone_ pour _benè_, c'est donner un soufflet à
Priscus; mais, fort bien.

(Entrent Armado, Moth et Costard.)

NATHANIEL.--_Videsne, quis venit_?

HOLOFERNE.--_Video et gaudeo_.

ARMADO, _grasseyant_.--_Dole_.

HOLOFERNE.--_Quare dole_, et non pas drôle?

ARMADO.--Gens de paix, soyez les bien-assaillis.

HOLOFERNE.--Voilà un salut des plus militaires, monsieur!

MOTH, _à part, à Costard_.--Ils se sont trouvés à un grand festin de
langues et ils en ont volé des bribes.

COSTARD, _à part_.--Oh! ils ont longtemps vécu de rebuts de mots! Je
m'étonne que ton maître ne t'ait pas pris et avalé pour un mot. Car tu
n'es pas aussi long que _honorificabilitudinitatibus_[58], tu es plus
facile à avaler qu'une mèche dans un verre de vin.

[Note 58: Ce mot est cité comme le plus long connu.]

MOTH.--Paix! le tonnerre gronde.

ARMADO, _à Holoferne_.--Monsieur, n'êtes-vous pas lettré?

MOTH.--Oui, oui; il enseigne aux enfants l'_Abc_; et ce que c'est qu'un
_a, b_, qu'on appelle à rebours avec une corne sur la tête.

HOLOFERNE.--_Ba, pueritia_, avec l'addition d'une corne.

MOTH.--_Ba_, impertinent bélier, avec une corne.--Vous entendez sa
science?

HOLOFERNE.--_Quis, quis_, toi, consonne.

MOTH.--La troisième des cinq voyelles, si c'est vous qui les répétez; et
la cinquième, si c'est moi.

HOLOFERNE.--Je vais les répéter: _a, e, i_.

MOTH.--Le bélier; les deux autres terminent la chose: _o, u, y_.

ARMADO.--Par les flots salés de la Méditerranée, un joli échantillon:
une vive botte d'esprit! une, deux, vite comme le vent, et portée au
corps. Cela réjouit mon intellect. Du véritable esprit!

MOTH.--Servi par un enfant à un vieux barbon qui est vieux d'esprit.

HOLOFERNE.--Quelle est la figure? quelle est la figure?

MOTH.--Des cornes.

HOLOFERNE.--Tu raisonnes comme un enfant; va fouetter ton sabot.

MOTH.--Prêtez-moi votre corne pour en faire un; et je fouetterai votre
ignominie tout alentour, _circum circa_. Une toupie de corne de cocu!

ARMADO.--Je n'aurais qu'un sou au monde, que je te le donnerais pour
t'acheter du pain d'épice; tiens, voilà la rémunération même que j'ai
reçue de ton maître, bourse d'esprit d'un demi-sou, oeuf de pigeon de
sagacité. Oh! si le ciel voulait que tu fusses seulement mon bâtard, que
tu ferais de moi un père joyeux! Va, tu as de l'esprit jusqu'à
_dunghill_[59], jusqu'au bout des doigts, comme on dit.

[Note 59: _Dunghill_, fumier, au lieu de _usque ad unguem_.]

HOLOFERNE.--Oh! je sens là du faux latin; _dunghill_, pour _unguem_.

ARMADO.--Homme lettré, _præambula_: nous nous séparerons des barbares.
N'élevez-vous pas la jeunesse à l'école privilégiée qui est sur le
sommet de la montagne?

HOLOFERNE.--Ou du mont de la colline.

ARMADO.--A votre choix; pour la montagne.

HOLOFERNE.--Oui, sans question.

ARMADO.--Monsieur, c'est le très-gracieux plaisir et penchant du roi de
congratuler la princesse dans sa tente vers la partie postérieure du
jour, que le grossier vulgaire appelle l'après-midi.

HOLOFERNE.--La partie postérieure du jour, mon très-illustre monsieur,
est une épithète très-propre et très-analogue à l'après-dînée. Ce mot
est bien rencontré, bien choisi, gracieux et juste, je vous l'assure,
monsieur, je vous l'assure.

ARMADO.--Monsieur, le roi est un brave gentilhomme, et mon intime, je
puis vous l'assurer, mon bon ami.--Quant à ce qu'il y a entre nous,
passons là-dessus. Je vous en prie, rappelez-vous votre science d'homme
de cour.--Je vous en prie, meublez votre tête.--Et parmi bien d'autres
discours importuns et très-sérieux...--Et d'une grande importance aussi,
vraiment.--Mais laissons cela.--Car il faut vous dire que ce sera le bon
plaisir de Son Altesse (j'en jure par l'univers!) de s'appuyer
quelquefois sur mon humble épaule; et, de son doigt royal, comme cela,
de caresser l'excrément de ma valeur[60], mes moustaches; mais, mon cher
coeur, laissons cela. Par l'univers! je ne vous débite pas des fables;
il plaît à Sa Grandeur de conférer certains honneurs particuliers à
Armado, un guerrier, un voyageur qui a vu le monde; mais passons
là-dessus.--Le résultat en est que... mais, mon cher coeur, j'implore le
secret;--que le roi veut me présenter à la princesse, mon cher poulet,
avec quelque agréable ostentation, ou spectacle, ou scène divertissante;
une farce gaie, ou un feu d'artifice. En conséquence, apprenant que le
curé, et vous-même, mon cher, êtes excellents pour les éruptions, et ces
soudains éclats de gaieté, pour ainsi parler, je vous en ai donné
connaissance dans la vue de solliciter votre assistance.

[Note 60: Dans le _marchand de Venise_, Shakspeare appelle la barbe
l'excrément de la valeur.]

HOLOFERNE.--Monsieur, il vous faut représenter devant elle les neuf
héros.--Monsieur Nathaniel, c'est par rapport à quelque divertissement
ou passe-temps, quelque spectacle dans la partie postérieure de ce jour,
pour être exécuté par notre assistance... à l'ordre du roi, et de ce
très-galant, très-illustre et très-savant gentilhomme... devant la
princesse: je dis que rien ne convient tant que de représenter les neuf
héros.

NATHANIEL.--Où trouverez-vous assez de grands hommes pour les
représenter?

HOLOFERNE.--Josué, vous-même; moi-même, ou ce galant gentilhomme, Judas
Machabée; ce berger, en ce qui concerne ses larges membres et ses forts
muscles, surpassera Pompée le Grand; le page fera Hercule.

MOTH.--Pardon, monsieur, il y a une erreur: l'individu mesquin de ce
page n'a pas assez de quantité pour représenter seulement le pouce de ce
héros: il n'est pas aussi gros que le bout de sa massue.

HOLOFERNE.--Aurai-je audience? Il représentera Hercule dans sa minorité:
son entrée et sa sortie seront l'étranglement d'un serpent; et j'aurai
une apologie pour cela.

MOTH.--Un excellent plan! Ainsi, si quelqu'un de l'auditoire siffle,
vous pourrez crier: «A merveille, Hercule! en ce moment tu écrases le
serpent;» c'est là le moyen de tirer parti d'un outrage, quoique peu de
gens aient le don de le faire.

ARMADO.--Et les autres héros?

HOLOFERNE.--J'en représenterai trois à moi seul.

MOTH.--Trois fois héroïque personnage!

ARMADO.--Vous dirai-je une chose?

HOLOFERNE.--Nous écoutons.

ARMADO.--Nous aurons, si cela ne réussit pas, une pantomime. Je vous
conjure, suivez.

HOLOFERNE.--_Via _[61]: bonhomme Dull, tu n'as pas dit un mot pendant
tout ce temps.

[Note 61: _Via!_ courage.]

DULL.--Ni n'en ai compris un, monsieur.

HOLOFERNE.--Allons, nous t'emploierons.

DULL.--J'en représenterai un dans une danse, ou à peu près. Ou je
battrai sur le tambourin pour ces dignes personnages et leur ferai
danser une ronde.

HOLOFERNE.--Tu es bien nommé[62], honnête Dull; à notre pièce; partons.

(Ils sortent.)

[Note 62: _Most dull_. Il joue sur le nom de Dull.]



SCÈNE II

Devant la tente de la princesse.

LA PRINCESSE, CATHERINE, ROSALINE et MARIE.


LA PRINCESSE.--Mes chères amies, nous serons riches avant notre départ
de ces lieux, si les cadeaux pleuvent ainsi sur nous. Une dame toute
incrustée en diamants! Voyez ce que j'ai reçu du roi amoureux.

ROSALINE.--Madame, n'y avait-il pas autre chose encore?

LA PRINCESSE.--Autre chose? Oui vraiment: autant d'amour en rimes qu'on
en peut entasser dans une feuille de papier, écrite des deux côtés et
sur la marge, et partout, qu'il lui a plu de sceller avec le nom de
Cupidon sur le cachet.

ROSALINE.--C'était le vrai moyen de faire grandir[63] sa divinité; car
il y a cinq mille ans qu'il est enfant.

[Note 63: Équivoque sur _wax_, cire et grandir.]

CATHERINE.--Oui, et un scélérat aussi, un filou.

ROSALINE.--Vous ne serez jamais amis: il a tué votre soeur.

CATHERINE.--Il l'a rendue mélancolique, triste et sombre; et elle en est
morte: si elle eût été légère comme vous, d'une humeur si joviale, si
alerte et si remuante, elle aurait pu se voir grand'mère avant de
mourir; et vous pourrez le devenir, vous, car un coeur léger vit
longtemps.

ROSALINE.--Quel sens obscur attribuez-vous à ce mot léger, souris?

CATHERINE.--Un coeur léger dans une sombre beauté.

ROSALINE.--Nous avons besoin de plus de lumière pour vous deviner.

CATHERINE.--Vous éteignez la lumière, si vous la prenez avec colère[64].
Je laisserai donc mon motif dans l'obscurité.

[Note 64: Équivoque sur _snuff_, mouchure de chandelle et accès de
colère.]

ROSALINE.--Songez bien à toujours faire ce que vous faites dans les
ténèbres.

CATHERINE.--N'en faites rien, vous; car vous êtes une fille légère.

ROSALINE.--En effet, je ne pèse pas autant que vous, et voilà en quoi je
suis légère.

CATHERINE.--Vous ne me pesez pas[65]; c'est-à-dire que vous ne vous
souciez pas de moi.

[Note 65: _To weigh_, peser et faire cas de.]

ROSALINE.--Avec grande raison; car, à mal incurable, il n'y a plus de
soin à avoir.

LA PRINCESSE.--Bien dit et bien répondu. Voilà de l'esprit bien employé,
Rosaline. Vous avez aussi reçu un présent: qui vous l'a envoyé? et
qu'est-ce que c'est?

ROSALINE.--Je voudrais que vous le connussiez. Si mon visage était aussi
beau que le vôtre, j'aurais les mêmes faveurs. En voici la preuve. Oui,
j'ai des vers aussi, grâce à Biron. La quantité des syllabes en est
juste; et si le contenu l'était aussi, je serais la plus belle déesse de
la terre: je suis comparée à vingt mille beautés. Oh! il a tracé mon
portrait dans sa lettre.

LA PRINCESSE.--Y a-t-il quelque ressemblance?

ROSALINE.--Beaucoup dans les lettres, mais rien dans l'éloge. Belle
comme l'encre! bonne conclusion.

CATHERINE.--Belle comme un B majuscule dans un manuscrit.

ROSALINE.--Gare les pinceaux! Comment! Que je ne meure pas votre
débitrice, ma majuscule rouge, ma lettre d'or! Plût à Dieu que votre
visage ne fût pas si rempli d'os[66]!

[Note 66: De boutons.]

CATHERINE.--Que la petite vérole vous récompense de cette saillie! et au
diable toutes les méchantes femmes!

LA PRINCESSE, _à Catherine_.--Et vous, quel est le cadeau que vous a
envoyé Dumaine?

CATHERINE.--Ce gant, madame.

LA PRINCESSE.--Est-ce qu'il ne vous en a pas envoyé deux?

CATHERINE,--Oui, madame; et, par-dessus le marché, quelques milliers de
vers d'un fidèle amant; une monstrueuse traduction d'hypocrisie, une
vile compilation, une niaiserie profonde.

MARIE.--Cette lettre et ces perles m'ont été envoyées à moi par
Longueville. La lettre est trop longue au moins d'un demi-mille.

LA PRINCESSE.--Je le crois comme vous. Ne souhaiteriez-vous pas, dans le
fond de votre coeur, que le collier fût plus long et la lettre plus
courte?

MARIE.--Oui, ou que ses mains jointes ne pussent jamais se séparer.

LA PRINCESSE.--Nous sommes des filles bien sages, de nous moquer ainsi
de nos amoureux!

ROSALINE.--Ils sont vraiment bien plus fous d'acheter ainsi nos
moqueries! Oh! je veux mettre ce Biron à la torture avant que je quitte
cette cour. Que je voudrais l'avoir à mes gages seulement une semaine!
Comme je le ferais ramper, supplier, solliciter, attendre l'occasion
favorable et épier les temps, dépenser son prodigue esprit en rimes sans
récompense; employer ses services à mon gré, et même être fier d'être le
jouet de mes railleries!... Je voudrais gouverner aussi despotiquement
toute son existence, que s'il était mon fou, et moi sa destinée.

LA PRINCESSE.--Il n'est point d'hommes aussi bien attrapés, quand une
fois ils le sont, que ces beaux esprits changés en fous: la folie,
éclose dans le sein de la sagesse, s'arme de toute son autorité et du
secours de la science; et tous les talents de l'esprit servent à décorer
ses écarts.

ROSALINE.--Le sang de la jeunesse ne s'enflamme jamais autant que celui
de la gravité révoltée en faveur de l'amour.

MARIE.--La folie n'a point dans les fous la même énergie qu'elle a dans
les sages; lorsque l'esprit radote, toute leur intelligence ne leur sert
qu'à paraître encore plus simples.

(Entre Boyet.)

LA PRINCESSE.--Voici Boyet, la gaieté sur le visage.

BOYET.--Oh! le rire m'assassine. Où est Son Altesse?

LA PRINCESSE.--Eh bien! qu'y a-t-il de nouveau, Boyet?

BOYET.--Préparez-vous, madame, préparez-vous. _(A ses femmes_.) Et vous,
belles, aux armes, aux armes! Des batteries sont dressées contre votre
paix. L'Amour s'avance masqué et armé d'arguments: vous allez être
surprises: passez en revue toutes les forces de vos esprits:
disposez-vous à faire une belle défense; ou, si le coeur vous manque,
cachez vos têtes comme des lâches, et fuyez vite.

LA PRINCESSE.--Allons, opposons saint Denis à saint Cupidon. Qui sont
donc ces ennemis qui viennent faire assaut de propos contre nous?
Parlez, espion, parlez.

BOYET.--Sous l'ombrage frais d'un sycomore, je voulais fermer mes yeux
une demi-heure, lorsque tout à coup, pour troubler le repos que je
voulais prendre, je vois s'avancer vers cet ombrage, le roi et ses
compagnons; je me glisse prudemment dans le buisson voisin, d'où j'ai
entendu tout ce que vous allez entendre: dans un moment, ils seront ici
déguisés: leur héraut est un joli petit fripon de page, qui a bien
appris par coeur son ambassade: ils lui ont fait sa leçon sur ses
gestes, sur son accent: «Voilà ce que tu dois dire, et voilà quel doit
être ton maintien;» et toujours ils craignaient fort, lui disaient-ils,
que la majesté de la princesse ne le déconcertât; car, lui disait le
roi: «C'est un ange que tu vas voir: cependant ne t'alarme pas, mais
parle avec hardiesse.» Le page a répondu: «Un ange n'est pas méchant,
j'aurais peur d'elle si c'était un démon.» A cette repartie, tous ont
éclaté de rire, et lui ont frappé sur l'épaule, inspirant, par leurs
éloges, plus de hardiesse au petit audacieux. L'un se frottait le coude,
comme ça, souriait d'un air moqueur, et jurait que jamais on n'avait
fait meilleure réponse; un autre, levant l'index et le pouce, criait:
«Courage, nous en viendrons à bout, «arrive que pourra.» Un troisième
cabriolait et criait: «Tout va au mieux.» Un quatrième pirouettait sur
son talon, et il est tombé: aussitôt les voilà qui tombent tous l'un
après l'autre sur la terre, avec des éclats de rire si immodérés, que
dans cet accès de rire, les larmes sérieuses sont venues réprimer leur
folie.

LA PRINCESSE.--Mais, quoi? quoi? Est-ce qu'ils viennent nous rendre
visite?

BOYET.--Oui, madame, ils y viennent: et ils sont accoutrés comme des
Moscovites, ou des Russes[67]: suivant ma conjecture, leur projet est de
vous adresser des compliments, de vous faire la cour, et de danser avec
vous; et chacun d'eux fera son offrande d'amour à sa maîtresse, qu'il
reconnaîtra à la couleur des cadeaux différents qu'ils vous ont envoyés.

[Note 67: Les Russes étaient alors peu connus en Europe, et cette
mascarade était piquante comme le serait aujourd'hui celle qui nous
mettrait sous les yeux un peuple lointain et nouvellement découvert.]

LA PRINCESSE.--Ah! c'est là leur projet? Les galants auront leur paquet.
Il faut, mesdames, nous masquer toutes; et pas un d'eux n'aura la
faveur, en dépit de ses prières, de voir un seul de nos visages.--Tenez,
Rosaline, vous porterez ce cadeau: et alors le roi, trompé, vous fera la
cour, croyant la faire à sa dame. Prenez celui-ci, ma chère, et
donnez-moi le vôtre; et Biron me prendra pour Rosaline.--Changez toutes
vos rubans et vos bijoux: grâce à ce moyen, vos galants trompés par ces
échanges, feront leur cour de travers, et prendront l'une pour l'autre.

ROSALINE, _à Catherine_.--Allons, changeons: portez vos cadeaux de
manière à les faire voir.

CATHERINE, _à la princesse_.--Mais quel est votre but dans cet échange?

LA PRINCESSE.--Mon projet est de traverser le leur. Ce qu'ils en font
n'est qu'un badinage pour s'amuser, tromper le trompeur est tout mon
but. Ils révéleront leurs secrets à celles que, dans leur méprise, ils
croiront leurs maîtresses, et ensuite, à la première occasion que nous
aurons de les revoir à visage découvert, pour leur parler et les
complimenter, ils seront l'objet de nos railleries.

ROSALINE.--Mais danserons-nous s'ils nous y invitent?

LA PRINCESSE.--Non; pour rien au monde, nous ne remuerons le pied, et ne
rendrons aucun compliment;--pas un mot de remerciement à leurs discours
étudiés: et détournons le visage, tandis qu'ils nous parleront.

BOYET.--Oh! le dédain tuera le courage de l'orateur, et lui fera oublier
tout son rôle.

LA PRINCESSE.--C'est bien là ce que je veux: et je suis sûre que le
reste du compliment ne pourra jamais paraître au jour, si l'orateur est
une fois hors de contenance. Il n'est rien de plus divertissant que de
dérouter un badinage par un autre: faisons-nous un amusement de leur
projet de s'amuser de nous sans qu'ils puissent prendre leur revanche.
Ainsi le rire sera pour nous seules, et nous nous divertirons du tour
qu'ils voulaient nous jouer; et eux, en se voyant bien raillés, ils s'en
retourneront avec leur honte.

(On entend des trompettes.)

BOYET.--La trompette sonne: masquez-vous: voilà les masques qui
viennent.

(La princesse et ses femmes se masquent.)

(Le roi, Biron, Longueville et Dumaine paraissent, déguisés et vêtus à
la moscovite, Moth les précède accompagné de musiciens, etc.)

MOTH.--«Hommage et salut, beautés les plus belles de la terre.»

BOYET.--Belles, comme peut l'être un masque de taffetas.

MOTH.--«Céleste élite des plus belles dames...» (les dames lui tournent
le dos) «qui aient jamais tourné leur dos aux regards des mortels.»

BIRON, _le reprenant_.--Leurs yeux, petit misérable, leurs yeux.

MOTH.--«Qui aient jamais tourné leurs yeux vers les regards des
mortels.--Par, par....

BOYET.--Oh! te voilà déconcerté.

MOTH.--«Par votre faveur, accordez-nous, célestes esprits, de ne pas
nous regarder.

BIRON.--«De nous regarder une fois, étourdi.

MOTH.--«De nous regarder une seule fois avec vos yeux brillants comme le
soleil.... Avec vos yeux brillants comme le soleil.»

BOYET.--Elles ne répondront pas à cette épithète: tu ferais mieux de
dire: «des yeux brillants comme des yeux de filles.»

MOTH, _troublé_.--Elles ne m'écoutent pas, et cela me trouble.

BIRON.--Est-ce là tout ton savoir-faire? Retire-toi, petit malheureux.

ROSALINE.--Que nous veulent ces étrangers? Boyet, sachez leurs
intentions. S'ils parlent notre langue, nous désirons que quelque homme
sensé nous instruise de leurs vues. Voyez ce qu'ils veulent.

BOYET.--Que demandez-vous de la princesse?

BIRON.--Rien que la paix et une galante visite.

ROSALINE.--Eh bien! que demandent-ils?

BOYET.--Rien que la paix et l'honneur de vous visiter.

ROSALINE.--Tout cela leur est accordé, ainsi dites-leur de se retirer.

BOYET, _à Biron_.--Elle dit que vous avez tout cela, et que vous pouvez
vous retirer.

LE ROI.--Dites-lui que nous avons mesuré bien des milles, pour danser un
menuet avec elle sur ce gazon.

BOYET.--Ils disent qu'ils ont mesuré bien des milles pour danser un
menuet avec vous sur ce gazon.

ROSALINE.--Ce n'est pas cela.--Demandez-leur combien il y a de pouces
dans un mille; s'il est vrai qu'ils aient mesuré bien des milles, ils
nous diront aisément la mesure d'un mille.

BOYET.--Si pour venir ici vous avez mesuré des milles, et plusieurs, la
princesse vous charge de lui dire combien il faut de pouces pour
compléter un mille.

BIRON.--Dites-lui que nous les mesurons par des pas ennuyés.

BOYET.--Elle a entendu elle-même votre réponse.

ROSALINE.--Hé! combien de pas ennuyés, dans le nombre des milles
ennuyeux que vous avez parcourus, compte-t-on dans l'espace d'un mille?

BIRON.--Nous ne comptons rien de ce que nous faisons pour vous.--Notre
zèle est si grand, si inépuisable, que nous pouvons toujours prendre
cette peine sans les compter. Daignez nous montrer le soleil de vos
traits, afin que, comme les sauvages, nous puissions l'adorer.

ROSALINE.--Mon visage n'est qu'une lune et voilée de nuages.

LE ROI.--Heureux les nuages qui seraient comme ceux qui vous cachent.
Daignez, brillante lune, et vous, belles étoiles de sa cour, écarter ces
nuages et laisser tomber vos rayons sur nos yeux humides.

ROSALINE.--O frivole demande! demandez quelque chose de plus
intéressant; ce que vous venez de demander n'est qu'un clair de lune
dans l'eau.

LE ROI.--Eh bien! pour changer, accordez-nous un tour de danse; vous
m'ordonnez de vous faire une demande, celle-là n'a rien d'étrange.

ROSALINE.--Allons, musiciens, jouez; allons, il faut faire ce tour
promptement.--Non, pas encore. Point de danse.--Je change comme la lune.

LE ROI.--Ne voulez-vous pas danser? Comment avez-vous changé sitôt?

ROSALINE.--Vous avez pris la lune dans son plein; mais à présent sa
phase est changée.

LE ROI.--Et cependant elle est toujours la lune, et moi je suis l'homme
de la lune. La musique joue, accordez-nous quelques mouvements pour la
suivre.

ROSALINE.--Nos oreilles la suivent.

LE ROI.--Mais il faudrait que vos pas la suivissent en même temps.

ROSALINE.--Puisque vous êtes des étrangers, et qu'un hasard vous a
conduits ici, nous ne serons pas si dédaigneuses; prenez nos
mains.--Nous ne voulons pas danser.

LE ROI.--Pourquoi donc prenez-vous nos mains?

ROSALINE.--Uniquement pour nous quitter en amis.--Voilà ma révérence,
mes beaux galants; et là finit le menuet.

LE ROI.--De grâce, un peu plus de cette mesure encore; ne soyez pas si
réservées.

ROSALINE.--Nous ne pouvons pas vous en donner davantage pour le prix.

LE ROI.--Daignez donc vous priser vous-mêmes; à quel prix peut-on
acheter votre compagnie?

ROSALINE.--Par votre absence, et point d'autre.

LE ROI.--Cela ne peut pas être.

ROSALINE.--En ce cas, il est impossible de nous acheter; ainsi, adieu.
Un double adieu à votre masque, et une moitié d'adieu pour vous.

LE ROI.--Si vous refusez de danser, accordez-nous du moins la grâce d'un
plus long entretien.

ROSALINE.--En secret donc?

LE ROI.--Je n'en serai que plus enchanté.

(Ils se parlent à part.)

BIRON, _à la princesse_.--Belle maîtresse à la main d'albâtre, un mot de
douceur avec vous.

LA PRINCESSE.--Miel, lait et sucre, voilà trois mots.

BIRON.--Et deux fois trois, si vous devenez si friande; hydromel, moût
de bière et malvoisie; dé bien jeté! voilà une demi-douzaine de
douceurs.

LA PRINCESSE.--Septième douceur, adieu. Puisque vous avez le secret de
piper les dés, je ne veux plus jouer avec vous.

BIRON.--Un mot en secret.

LA PRINCESSE.--Oh! je vous prie, que ce mot ne soit pas une douceur!

BIRON.--Vous aigrissez ma bile.

LA PRINCESSE.--La bile? ce mot est amer.

BIRON.--En ce cas il est à propos.

(Ils causent tous bas.)

DUMAINE, _à Marie_.--Voulez-vous me faire la grâce d'échanger un mot
avec moi.

MARIE.--Nommez-le.

DUMAINE.--Belle dame.

MARIE.--Parlez-vous ainsi? beau seigneur.--Voilà pour votre belle dame.

DUMAINE.--Si c'est votre bon plaisir, encore un mot en secret. C'est
pour vous dire adieu.

(Ils s'entretiennent en secret.)

CATHERINE, à _Longueville_.--Quoi donc? votre masque est-il sans langue?

LONGUEVILLE.--Je sais pourquoi, belle dame, vous me faites cette
question.

CATHERINE.--Oh! voyons votre raison. Vite, monsieur, je brûle de la
savoir.

LONGUEVILLE.--Vous avez une double langue dans votre masque, et vous
devriez en céder une moitié à mon masque muet.

CATHERINE.--_Veal_, dit le Hollandais! _veal_ ne veut-il pas dire veau?

LONGUEVILLE.--Un veau, belle dame.

CATHERINE.--Non, un beau seigneur, veau.

LONGUEVILLE.--Partageons le mot.

CATHERINE.--Non, je ne veux pas être votre moitié, gardez tout; cela
pourra devenir un boeuf.

LONGUEVILLE.--Holà! comme vous vous buttez dans ces pointes de
raillerie. Voudriez-vous donner des cornes, chaste dame? n'en faites
rien.

CATHERINE.--Mourez donc, veau, avant que les cornes vous poussent.

LONGUEVILLE.--Un mot à part avec vous, avant de mourir.

CATHERINE.--Parlez donc bas, de peur que le boucher n'entende. (Ils
causent à part.)

BOYET.--La langue des filles caustiques est aussi tranchante que le fil
invisible du rasoir; elle peut couper un cheveu imperceptible, si fin,
qu'il échappe à la vue. La finesse de leurs traits est au-dessus de
toute imagination: leurs saillies ont des ailes plus rapides que les
boulets, que le vent, que la pensée, et tout ce qu'il y a de plus
rapide.

ROSALINE.--Pas un mot de plus, mes filles. Rompons, rompons l'entretien.

BIRON.--Par le ciel, il faut nous retirer bafoués, et le gosier sec.

LE ROI.--Adieu, folles; vous avez un bien pauvre esprit.

(Le roi, les seigneurs, Moth, les musiciens et la suite s'en vont.)

LA PRINCESSE.--Vingt fois adieu, mes Moscovites gelés. Est-ce là cette
génération d'esprits si admirés?

BOYET.--Des lumières qu'un léger souffle de votre bouche a éteintes.

ROSALINE.--Ces esprits chargés d'embonpoint; grossiers, grossiers,
épais, épais.

LA PRINCESSE.--Le pauvre esprit pour l'esprit d'un roi! Les déplorables
railleries! croyez-vous qu'ils ne se pendront pas de désespoir cette
nuit? ou qu'ils oseront montrer de nouveau leurs visages, autrement que
sous le masque? Ce Biron qu'on dit si ingénieux était tout décontenancé.

ROSALINE.--Oh! ils étaient là dans la plus déplorable situation: encore
un bon mot, et le roi se mettait à pleurer.

LA PRINCESSE.--Biron a juré, tout décontenancé.

MARIE.--Dumaine et son épée étaient à mon service; non point, lui ai-je
dit: et aussitôt mon beau serviteur est resté muet.

CATHERINE.--Le seigneur Longueville m'a dit que j'avais dompté son
coeur; et savez-vous comment il m'a appelée?

LA PRINCESSE.--Mal de coeur peut-être?

CATHERINE.--Oui, d'honneur.

LA PRINCESSE.--Va-t'en, mal de coeur toi-même.

ROSALINE.--Allons, on trouverait aisément de meilleurs esprits parmi les
docteurs en bonnet selon les statuts[68].--Mais, savez-vous une chose?
Le roi a juré qu'il était amoureux de moi.

[Note 68: Le bonnet de statut. Un acte du parlement enjoignit aux
personnes au-dessus de six ans de porter, les dimanches et jours de
fête, un bonnet de laine fabriqué en Angleterre: il n'y avait
d'exception que pour la noblesse.]

LA PRINCESSE.--Et le subtil Biron m'a engagé sa foi.

CATHERINE.--Et Longueville était né pour me servir.

MARIE.--Dumaine est à moi, aussi inséparable que l'écorce l'est de
l'arbre.

BOYET.--Madame, et vous, mes jolies nymphes, prêtez-moi l'oreille, ils
vont revenir tout à l'heure ici sous leur forme naturelle: car il n'est
pas possible qu'ils digèrent jamais ce cruel affront.

LA PRINCESSE.--Ils vont revenir, dites-vous?

BOYET.--Ils reviendront, ils reviendront, Dieu le sait; et vous les
verrez danser de joie, quoique vous les ayez renvoyés estropiés à force
de coups. Ainsi, changez de couleurs, et, lorsqu'ils reparaîtront en ce
lieu, épanouissez-vous comme de belles roses au souffle de l'été.

LA PRINCESSE.--Qu'entendez-vous par épanouir? Qu'entendez-vous par là?
Parlez de façon qu'on vous entende.

BOYET.--De belles dames masquées sont des roses dans le bouton.
Démasquées, et montrant leur incarnat et leurs douces nuances, ce sont
des anges sortis des nuages, ou des roses épanouies.

LA PRINCESSE.--Laissez là vos ambiguïtés. Que ferons-nous, s'ils
reviennent nous faire la cour en face?

ROSALINE.--Ma chère princesse, si vous voulez vous laisser conduire par
mes avis, raillons-les encore en face, comme nous les avons raillés
masqués. Plaignons-nous à eux de ce qu'il est venu ici des fous déguisés
en Moscovites, dans un accoutrement bizarre, et demandons avec
étonnement ce que pouvaient être ces aventuriers, quel était le but de
leur plate comédie, de leur prologue grossier, de tout leur procédé si
ridicule, et de leur arrivée dans notre tente.

BOYET.--Mesdames, retirez-vous: nos galants sont à deux pas.

LA PRINCESSE.--Courons à nos tentes, comme des chevreuils fuyant dans la
plaine.

(La princesse sort avec ses femmes.)

(Entrent le roi, Biron, Longueville et Dumaine dans leur costume
habituel.)

LE ROI, _à Boyet_.--Salut, beau chevalier; où est la princesse?

BOYET.--Elle s'est retirée dans sa tente: Votre Majesté a-t-elle à me
charger de quelques ordres pour elle?

LE ROI.--Dites-lui que je la prie de m'accorder une minute d'audience.

BOYET.--Je vais la lui demander, sire; et je sais qu'elle vous
l'accordera.

(Boyet sort.)

BIRON.--Cet homme se gorge d'esprit comme les pigeons de pois[69], et il
se dégorge quand il plaît à Dieu. Colporteur de bons mots, il revend sa
denrée aux vigiles des fêtes, aux assemblées, aux marchés, aux foires;
et nous qui le vendons en gros, Dieu le sait, nous n'avons pas
l'avantage de l'étaler, comme lui, en vue des chalands. Ce galant sait
accrocher les jeunes filles à sa manche, comme une épingle. S'il eût été
Adam il aurait tenté Ève: il sait découper les viandes et grasseyer.
Quoi! c'est lui qui baisait sa main en signe de politesse; c'est le
singe des belles manières, c'est monsieur le précieux; quand il joue au
trictrac, il fait gronder les dés en termes choisis, il chante le ténor
avec grâce, et dans l'art de maître des cérémonies, le surpasse qui
pourra. Les dames l'appellent mon cher coeur; chaque degré que son pied
foule en montant, le baise et le caresse: c'est une fleur qui
s'épanouit, qui sourit à chacun pour montrer ses dents blanches comme
des os de baleine.--Et toutes les consciences qui ne veulent pas mourir
endettées lui donnent le titre mérité de Boyet à la langue mielleuse.

[Note 69: Proverbe populaire.]

LE ROI.--Que les aphthes saisissent sa langue emmiellée, je le lui
souhaite de tout mon coeur, pour le punir d'avoir déconcerté le page
d'Armado dans son rôle!

(Entrent la princesse, Rosaline, Marie, Catherine, Boyet, et suite.)

BIRON.--Regardez, voilà qu'on vient!--Savoir-vivre! qu'étais-tu avant
que cet homme t'enseignât, et qu'es-tu maintenant?

LE ROI.--Salut, aimable princesse, et bonjour.

LA PRINCESSE.--Bonjour dans un salut[70], ce n'est pas très-bien, je
crois.

[Note 70: _Hail_, salut et grêle.]

LE ROI.--Interprétez mieux mes paroles.

LA PRINCESSE.--Faites-moi de meilleurs souhaits, je vous le permets.

LE ROI.--Nous sommes venus vous rendre visite, et nous nous proposons
aujourd'hui de vous conduire à notre cour: accordez-nous cette faveur.

LA PRINCESSE.--Je ne sortirai point de ce parc; et songez à observer
votre voeu. Ni Dieu ni moi n'aimons les hommes parjures.

LE ROI.--Ne me faites pas un crime d'une faute dont vous êtes la cause.
C'est la vertu de vos yeux qui me force à rompre mon serment.

LA PRINCESSE.--Vous appelez vertu ce qui n'en est pas une; vous auriez
dû dire vice, car jamais la vertu n'a l'effet de faire violer les
serments des hommes. Par mon honneur virginal, aussi pur que le lis
encore intact, je proteste que, quand on me ferait souffrir les plus
horribles tourments, je ne consentirais jamais à accepter un asile dans
votre palais, tant j'abhorre d'être cause qu'on viole des serments faits
au ciel avec sincérité.

LE ROI.--Oh! vous avez mené ici une vie solitaire et triste, sans voir
le monde, sans recevoir la moindre visite; et c'est une honte pour nous.

LA PRINCESSE.--Non pas, seigneur; il n'en est pas ainsi, je vous le
jure. Nous avons eu ici des divertissements et des amusements fort
agréables. Il n'y a pas encore longtemps qu'une troupe de Russes vient
de nous quitter.

LE ROI.--Comment, madame, des Russes?

LA PRINCESSE.--Oui, d'honneur, seigneur; de braves galants, pleins de
politesse, tout brillants de magnificence.

ROSALINE.--Madame, dites la vérité.--Ce portrait ne leur ressemble pas,
seigneur. C'est par politesse, et pour se conformer au ton de nos jours,
que la princesse leur donne un éloge qu'ils ne méritent pas. Il est bien
vrai que nous quatre nous avons été abordées par quatre galants en
habits russes; ils sont restés ici une heure, et ont beaucoup parlé;
mais pendant toute cette heure, seigneur, nous n'avons pas eu le bonheur
de leur entendre dire un mot heureux. Je n'ose pas les appeler des fous,
mais ce que je crois, c'est que quand ils ont soif, il y a des fous qui
auraient bien envie de boire.

BIRON.--Cette plaisanterie me sèche le gosier à moi.--Ma belle, ma
charmante, votre esprit tourne la sagesse en folie: lorsque nos yeux
veulent saluer l'oeil enflammé des cieux, à force de lumière nous
perdons la lumière; votre talent est éblouissant comme lui; auprès de
votre sagesse, la sagesse d'autrui ne paraît que folie; et ce qu'il y a
de plus riche nous paraît pauvreté.

ROSALINE.--Ce que vous dites annonce que vous êtes riche et sage; car à
mes yeux...

BIRON.--Je suis un fou, dénué de tout, n'est-ce pas?

ROSALINE.--Si ce n'est que vous prenez ce qui vous appartient, il serait
mal à vous de m'arracher les paroles de la bouche.

BIRON.--Oh! je suis tout à vous, avec tout ce que je possède.

ROSALINE.--Un fou tout entier à moi?

BIRON.--Je ne puis vous donner moins.

ROSALINE.--Quel était, dans les masques, celui que vous portiez?

BIRON.--Où cela? Quand? Quel masque? Pourquoi me demandez-vous cela?

ROSALINE.--Hé! là même, dans ce temps-là même, ce masque, oui, cet étui
superflu, qui montrait le plus beau visage et cachait le plus laid.

LE ROI, _à ceux de sa suite_.--Nous sommes découverts: elles vont nous
accabler de leurs railleries.

DUMAINE.--Avouons tout, et tournons la chose en plaisanterie.

LA PRINCESSE, _au roi_.--Quoi! vous restez confondu, seigneur? Pourquoi
Votre Altesse a-t-elle l'air si sérieux?

ROSALINE.--Au secours! tenez-lui le front; pourquoi pâlissez-vous? Le
mal de mer, je crois: ils viennent de Moscovie.

BIRON.--Ainsi, les étoiles versent les calamités pour punir le parjure:
quel front d'airain pourrait y résister?--Me voici en butte à vos
traits, belle dame; lancez sur moi toutes les bordées de votre science;
écrasez-moi de vos affronts; accablez-moi de vos moqueries; hachez-moi
du tranchant de vos épigrammes. Ah! je ne viendrai plus vous prier de
danser; je ne viendrai plus vous faire ma cour en habit russe.--Oh! je
ne me fierai plus aux harangues étudiées, ni aux mouvements de la langue
d'un page; je ne viendrai plus visiter mon amie en masque, ni faire ma
cour en rimes semblables aux chansons d'un aveugle jouant de la harpe;
adieu phrases de taffetas, compliments soyeux, hyperboles à triple
étage, affectation recherchée et figures pédantesques! ces insectes
bourdonnants m'ont soufflé comme un ballon; je les abjure, et je
proteste ici, par ce gant si blanc (combien la main l'est encore
davantage, Dieu le sait!), que désormais, en faisant ma cour,
l'expression de mes sentiments sera énoncée par des oui et des non, de
l'étoffe la plus unie et la plus simple; et, pour commencer ma réforme,
ma belle, que Dieu m'assiste, oui, comme mon amour pour vous est ferme
et constant, de la trempe la plus pure, sans paille ni alliage!

ROSALINE.--Sans _sans_[71], je vous prie.

[Note 71: C'est-à-dire _sans_ mot français. Biron avait répété le mot
_sans_.]

BIRON.--Il me reste encore un brin de mon ancienne rage.--Daignez me
supporter: je suis un malade; je me déferai de cela par degrés.
Attendez: voyons.--Écrivez sur ces trois personnes: «Que le Seigneur ait
pitié de nous[72]!» Ils sont infectés; le mal est dans leurs coeurs: ils
ont la peste; ils l'ont gagnée de vos yeux. Ces braves seigneurs sont
visités par la colère du ciel; et vous n'en êtes pas exemptes, mesdames;
je vois sur vous les signes de la main de Dieu.

[Note 72: Inscription placée sur l'hospice des pestiférés.]

LA PRINCESSE.--Ceux qui nous ont donné ces signes en doivent être
délivrés.

BIRON.--Nos États sont confisqués; ne cherchez pas à achever de nous
détruire.

ROSALINE.--Pas du tout! Comment se pourrait-il que vous fussiez
confisqués? c'est vous qui faites le procès[73].

[Note 73: Équivoque sur _sue_, procès et offre, hommage, demande,
supplique.]

BIRON.--Ah! paix! Je ne veux plus avoir d'affaire avec vous.

ROSALINE.--Vous n'aurez pas non plus affaire à moi, si ma volonté
s'accomplit.

BIRON.--Parlez pour vous-même: mon esprit est à bout.

LE ROI, à _la princesse_.--Enseignez-nous, belle princesse, quelque
belle excuse pour notre grave offense.

LA PRINCESSE.--La plus belle excuse, c'est l'aveu. N'étiez-vous pas ici,
il n'y a qu'un moment, tous déguisés?

LE ROI.--J'y étais, madame.

LA PRINCESSE.--Et avez-vous reçu une bonne leçon?

LE ROI.--Oui, certes, madame.

LA PRINCESSE.--Et lorsque vous étiez ici, qu'avez-vous murmuré à
l'oreille de votre dame?

LE ROI.--Que je la prisais plus que tous les trésors du monde entier.

LA PRINCESSE.--Et lorsqu'elle vous sommera de tenir votre promesse, vous
la repousserez.

LE ROI.--Non, sur mon honneur.

LA PRINCESSE.--Allons, allons, modérez-vous: après un premier serment
violé, vous ne vous faites aucun scrupule de vous parjurer encore.

LE ROI.--Méprisez-moi si jamais je viole ce serment que j'ai fait.

LA PRINCESSE.--Je vous mépriserai donc; et un peu de
modération.--Rosaline, que vous a murmuré ce Russe tout bas dans
l'oreille?

ROSALINE.--Madame, il a juré que je lui étais chère et précieuse comme
la prunelle de l'oeil, et il m'a élevée au-dessus du prix de cet
univers, ajoutant, de plus, qu'il m'épouserait, ou qu'il mourrait mon
amant.

LA PRINCESSE.--Dieu te donne joie de lui! Le noble prince tient bien
honorablement sa promesse!

LE ROI.--Que voulez-vous dire, madame? Sur ma vie, sur ma foi, je n'ai
jamais fait pareil serment à cette dame.

ROSALINE.--Par le ciel, vous l'avez fait; et, pour le confirmer, vous
m'avez fait ce présent; mais reprenez-le, monsieur, le voilà.

LE ROI.--Ce présent, c'est à la princesse que je l'ai donné avec ma foi.
Je l'ai bien distinguée à ce joyau qu'elle portait sur sa manche.

LA PRINCESSE.--Pardonnez-moi, seigneur; c'était elle qui portait ce
joyau; quant à moi, c'est le seigneur Biron, je lui en rends grâces, qui
est mon amant.--Eh bien! Biron, voulez-vous de moi, ou voulez-vous que
je vous rende votre perle?

BIRON.--Ni l'un ni l'autre; je vous les abandonne tous deux.--Je devine
le fin mot.--Il y a eu ici un complot (parce qu'elles ont été instruites
d'avance de notre divertissement); elles ont tout disposé pour le battre
en ruine comme une comédie de Noël. Quelque rediseur, quelque patelin,
quelque mauvais bouffon, quelque flagorneur, quelque écuyer tranchant,
quelque plaisant à qui l'excès du rire a ridé les joues, et qui sait
comment il faut s'y prendre pour faire rire la princesse, lorsqu'elle
est de belle humeur, a dévoilé d'avance tout notre projet; et sur cette
découverte, les dames ont changé de présents; et nous, déçus par les
couleurs auxquelles nous pensions les reconnaître, nous n'avons fait la
cour qu'au signe trompeur qui nous a égarés. A présent, pour aggraver
notre parjure, nous sommes parjures encore une fois, la première par
notre bonne volonté, et la seconde par notre méprise. (_A Boyet_.) Et ne
serait-ce pas vous-même qui auriez éventé notre secret et notre plan de
divertissement pour nous rendre ainsi parjures? N'avez-vous pas trouvé
la mesure du pied de la princesse[74]? Ne savez-vous pas toujours
sourire à ses yeux, et vous tenir debout entre son dos et le feu,
portant une assiette et faisant le bouffon? Vous avez déconcerté notre
page dans son discours: allez, tout vous est permis; mourez quand vous
voudrez, une jupe vous servira de linceul. Vous me lorgnez d'un oeil
malin, n'est-il pas vrai? Vous avez un oeil qui blesse comme une épée de
plomb.

[Note 74: Phrase proverbiale; flatter quelqu'un, et s'insinuer dans ses
bonnes grâces.]

BOYET.--Cette brave lice a été vigoureusement courue jusqu'au bout.

BIRON.--Voyez, il joute encore: en voilà assez; moi, j'ai fini. (_Entre
Costard_.) Te voilà venu fort à propos, «tout esprit;» tu viens terminer
une belle dispute.

COSTARD.--«O mon Dieu, monsieur,» ils voudraient savoir si les trois
héros[75] viendront ou non.

[Note 75: Shakspeare veut tourner en ridicule _l'histoire des neuf
preux_.]

BIRON.--Comment, est-ce qu'ils ne sont que trois?

COSTARD.--Non, monsieur; mais cela est fort beau, car chacun en
représente trois.

BIRON.--Et trois fois trois font neuf.

COSTARD.--Non pas, monsieur; sous votre bon plaisir, monsieur, j'espère
qu'il n'en est pas ainsi: vous ne pouvez pas demander notre
interdictions[76], monsieur; je vous le proteste, monsieur, nous savons
ce que nous savons.--J'espère que trois fois trois, monsieur?

[Note 76: Nous ne sommes pas fous.]

BIRON.--Ne font pas neuf?

COSTARD.--Sous votre bon plaisir, monsieur, nous savons à combien cela
se monte.

BIRON.--Par Jupiter, j'ai toujours pris trois fois trois pour neuf.

COSTARD.--«O mon Dieu, monsieur,» vous seriez bien malheureux, si vous
étiez obligé de gagner votre vie à compter, monsieur.

BIRON.--Combien donc cela fait-il?

COSTARD.--«O mon Dieu, monsieur,» les parties elles-mêmes, les acteurs,
monsieur, vous l'apprendront, combien cela fait. Quant à moi, je ne
suis, comme on dit, que pour faire un homme dans un pauvre homme,
_Pompion le Grand_, monsieur.

BIRON.--Es-tu un des neuf héros?

COSTARD.--Il leur a plu de me croire digne d'être Pompion le Grand:
quant à moi, je ne connais pas le rang ni le caractère de ce champion;
mais je dois le représenter.

BIRON.--Va, dis-leur de se préparer.

COSTARD.--Nous donnerons à cela une jolie tournure, monsieur; nous y
donnerons quelque attention.

LE ROI.--Biron, ils nous feront affront; qu'ils n'approchent pas.

(Costard sort.)

BIRON.--Nous sommes à l'épreuve de la honte, mon prince; et il y a une
certaine politique à avoir un spectacle plus mauvais que celui qu'ont
donné le roi et ses courtisans.

LE ROI.--Qu'ils s'abstiennent de venir.

LA PRINCESSE.--Allons, mon noble prince, laissez-vous gouverner par moi
à présent. Souvent le spectacle plaît d'autant plus que les acteurs
savent moins les moyens de plaire. Lorsque le zèle s'évertue pour
contenter les spectateurs, et que la pièce expire au milieu des efforts
de ceux qui la représentent, alors la ridicule confusion des caractères
donne plus de gaieté, c'est ainsi qu'on voit de grands projets, conduits
avec beaucoup de peine, avorter dès leur naissance.

BIRON.--Une juste description de notre mascarade, seigneur!

(Entre Armado.)

ARMADO.--Oint du Seigneur, j'implore de votre auguste souffle autant de
temps qu'il m'en faut pour proférer une couple de mots.
                
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