William Shakespear

Périclès Tragédie
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PÉRICLÈS.--Je suis aux ordres de Votre Majesté.

SIMONIDE.--Princes, il est trop tard pour parler d'amour, car je sais
que c'est le but auquel vous visez. Que chacun aille goûter le repos;
demain chacun fera de son mieux pour plaire.

(Ils sortent.)


SCÈNE IV

Tyr.--Appartement dans le palais du gouverneur.

HÉLICANUS _entre avec_ ESCANÈS.


HÉLICANUS.--Non, non, mon cher Escanès, apprends cela de moi.--Antiochus
fut coupable d'inceste; voilà pourquoi les dieux puissants se sont enfin
lassés de tenir en réserve la vengeance due à son crime atroce. Au
milieu même de sa gloire, lorsque dans l'orgueil de son pouvoir il était
assis avec sa fille sur un char d'une inestimable valeur, un feu du ciel
descendit et flétrit leurs corps jusqu'à les rendre des objets de
dégoût. Ils répandaient une odeur si infecte qu'aucun de ceux qui les
adoraient avant leur chute n'oseraient leur donner la sépulture.

ESCANÈS.--Voilà qui est étrange.

HÉLICANUS.--Et juste cependant: le roi était grand, mais sa grandeur ne
pouvait être un bouclier contre le trait céleste, le crime devait avoir
sa récompense.

ESCANÈS.--Cela est vrai.

(Entrent trois seigneurs.)

PREMIER SEIGNEUR.--Voyez, il n'y a pas un seul homme pour lequel, dans
les conférences particulières ou dans le conseil, il ait les mêmes
égards que pour lui.

SECOND SEIGNEUR.--Nous saurons enfin nous plaindre.

TROISIÈME SEIGNEUR.--Maudit soit celui qui ne nous secondera pas.

PREMIER SEIGNEUR.--Suivez-moi donc: seigneur Hélicanus, un mot.

HÉLICANUS.--Moi?--Soyez donc les bienvenus. Salut, seigneurs.

PREMIER SEIGNEUR.--Sachez que nos griefs sont au comble et vont enfin
déborder.

HÉLICANUS.--Vos griefs! quels sont-ils? N'outragez pas le prince que
vous aimez.

PREMIER SEIGNEUR.--Ne vous manquez donc pas à vous-même, noble
Hélicanus: si le prince vit, faites-le-nous saluer, ou dites-nous quelle
contrée jouit du bonheur de sa présence; s'il est dans ce monde, nous le
chercherons, s'il est dans le tombeau, nous l'y trouverons. Nous voulons
savoir s'il vit encore pour nous gouverner; ou, s'il est mort, nous
voulons le pleurer et procéder à une élection libre.

SECOND SEIGNEUR.--C'est sa mort qui nous semble presque certaine. Comme
ce royaume sans son chef, tel qu'un noble édifice sans toiture,
tomberait bientôt en ruine, c'est à vous comme au plus habile et au plus
digne que nous nous soumettons.--Soyez notre souverain.

TOUS.--Vive le noble Hélicanus!

HÉLICANUS.--Soyez fidèles à la cause de l'honneur; épargnez-moi vos
suffrages, si vous aimez le prince Périclès. Si je me rends à vos
désirs, je me jette dans la mer, où il y a des heures de tourmente pour
une minute de calme. Laissez-moi donc vous supplier de différer votre
choix pendant un an encore en l'absence du roi. Si, ce terme expiré, il
ne revient pas, je supporterai avec patience le joug que vous m'offrez.
Si je ne puis vous amener à cette complaisance, allez, en nobles
chevaliers et en fidèles sujets, chercher votre prince et les aventures:
si vous le trouvez et le faites revenir, vous serez comme des diamants
autour de sa couronne.

PREMIER SEIGNEUR.--Il n'y a qu'un fou qui ne cède pas à la sagesse; et
puisque le seigneur Hélicanus nous le conseille, nous allons commencer
nos voyages.

HÉLICANUS.--Vous nous aimez alors, et nous vous serrons la main. Quand
les grands agissent ainsi de concert, un royaume reste debout.

(Ils sortent.)


SCÈNE V

Pentapolis.--Appartement dans le palais.

_Entre_ SIMONIDE _lisant une lettre; les_ CHEVALIERS _viennent à sa
rencontre_.


PREMIER CHEVALIER.--Salut au bon Simonide!

SIMONIDE.--Chevaliers, ma fille me charge de vous dire qu'elle ne veut
pas avant un an d'ici entrer dans l'état du mariage: ses motifs ne sont
connus que d'elle, et je n'ai pu les pénétrer.

PREMIER CHEVALIER.--Ne pouvons-nous avoir accès auprès d'elle, seigneur?

SIMONIDE.--Non, ma foi! Elle s'est si bien renfermée dans sa chambre
qu'on ne peut y entrer; elle veut porter pendant un an encore la livrée
de Diane: elle l'a juré par l'astre de Cynthie et sur son honneur
virginal.

SECOND CHEVALIER.--C'est avec regret que nous prenons congé de vous.

(Ils sortent.)

SIMONIDE.--Les voilà bien congédiés: maintenant voyons la lettre de ma
fille. Elle me dit qu'elle veut épouser le chevalier étranger, ou ne
jamais revoir le jour ni la lumière. Madame, fort bien; votre choix est
d'accord avec le mien: j'en suis charmé. Comme elle fait la décidée
avant de savoir si j'approuve ou non! Allons, je l'approuve; et je
n'admettrai pas plus de retard. Doucement, le voici; il me faut
dissimuler.

(Entre Périclès.)

PÉRICLÈS.--Mille prospérités au bon Simonide!

SIMONIDE.--Recevez le même souhait; je vous remercie de votre musique
d'hier soir: je vous proteste que jamais mes oreilles ne furent ravies
par une mélodie aussi douce.

PÉRICLÈS.--Je dois ces éloges à l'amitié de Votre Altesse et non à mon
mérite.

SIMONIDE.--Seigneur, vous êtes le maître de la musique.

PÉRICLÈS.--Le dernier de tous ses écoliers, mon bon seigneur.

SIMONIDE.--Permettez-moi une question.--Que pensez-vous, seigneur, de ma
fille?

PÉRICLÈS.--Que c'est une princesse vertueuse.

SIMONIDE.--N'est-elle pas belle aussi?

PÉRICLÈS.--Comme un beau jour d'été, merveilleusement belle.

SIMONIDE.--Ma fille, seigneur, pense de vous avantageusement; au point
qu'il faut que vous soyez son maître: elle veut être votre écolière, je
vous en avertis.

PÉRICLÈS.--Je suis indigne d'être son maître.

SIMONIDE.--Elle ne pense pas de même: parcourez cet écrit.

PÉRICLÈS.--Qu'est-ce que ceci? Elle aime, dit cette lettre, le chevalier
de Tyr. (_A part_.) C'est une ruse du roi pour me faire mourir. O
généreux seigneur, ne cherchez point à tendre un piège à un malheureux
étranger qui ne prétendit jamais à l'amour de votre fille, et se
contente de l'honorer.

SIMONIDE.--Tu as ensorcelé ma fille, et tu es un lâche.

PÉRICLÈS.--Non, de par les dieux! Seigneur, jamais je n'eus une pensée
capable de vous faire outrage; je n'ai rien fait pour mériter son amour
ou votre déplaisir.

SIMONIDE.--Traître, tu mens.

PÉRICLÈS.--Traître!

SIMONIDE.--Oui, traître.

PÉRICLÈS.--A tout autre qu'au roi, je répondrais qu'il en a menti par la
gorge.

SIMONIDE, _à part_.--J'atteste les dieux que j'applaudis à son courage.

PÉRICLÈS.--Mes actions sont aussi nobles que mes pensées qui n'eurent
jamais rien de bas. Je suis venu dans votre cour pour la cause de
l'honneur, et non pour y être un rebelle; et quiconque dira le
contraire, je lui ferai voir par cette épée qu'il est l'ennemi de
l'honneur.

SIMONIDE, _à part_.--Non!--Voici ma fille qui portera témoignage.

(Entre Thaïsa.)

PÉRICLÈS.--Vous qui êtes aussi vertueuse que belle, dites à votre père
couronné si jamais ma langue a sollicité ou si ma main a rien écrit qui
sentit l'amour.

THAISA.--Quand vous l'auriez fait, seigneur, qui s'offenserait de ce qui
me rendrait heureuse?

SIMONIDE.--Ah! madame, vous êtes si décidée? J'en suis charmé (_à
part_). Je vous dompterai.--Voulez-vous sans mon consentement aimer un
étranger? (_à part_). Qui, ma foi, est peut-être mon égal par le
sang.--Écoutez-moi bien, madame, préparez-vous à m'obéir; et vous,
seigneur, écoutez aussi.... Ou soyez-moi soumis, ou je vous.... marie.
Allons, venez, vos mains et vos actes doivent sceller ce pacte: c'est en
les réunissant que je détruis vos espérances; et, pour votre plus grand
malheur, Dieu vous comble de ses joies.--Quoi, vous êtes contente?

THAISA, _à Périclès_.--Oui, si vous m'aimez, seigneur.

PÉRICLÈS.--Autant que ma vie aime le sang qui l'entretient.

SIMONIDE.--Quoi, vous voilà d'accord?

TOUS DEUX.--Oui, s'il plaît à Votre Majesté.

SIMONIDE.--Cela me plaît si fort que je veux vous marier; allez donc le
plus tôt possible vous mettre au lit.

FIN DU SECOND ACTE.




                             ACTE TROISIÈME

_Entre_ GOWER.


GOWER.--Maintenant le sommeil a terminé la fête. On n'entend plus dans
le palais que des ronflements, rendus plus bruyants par un estomac
surchargé des mets de ce pompeux repas de noces. Le chat, avec ses yeux
de charbon ardent, se tapit près du trou de la souris, et les grillons
qu'égaye la sécheresse chantent sous le manteau de la cheminée. L'hymen
a conduit la fiancée au lit, où, par la perte de sa virginité, un enfant
est jeté dans le moule. Soyez attentifs; et le temps, si rapidement
écoulé, s'agrandira, grâce à votre riche et capricieuse imagination; ce
qui va vous être offert en spectacle muet sera expliqué par mes
paroles.--(_Pantomime.--Périclès entre par une porte avec Simonide, et
sa suite. Un messager les aborde, s'agenouille, et donne une lettre à
Périclès. Périclès la montre à Simonide. Les seigneurs fléchissent le
genou devant le prince de Tyr. Entrent Thaïsa, enceinte, et Lychorida.
Simonide communique la lettre à sa fille. Elle se réjouit. Thaïsa et
Périclès prennent congé de Simonide et partent; Simonide et les autres
se retirent_.)

On a soigneusement cherché Périclès à travers les pays les plus
terribles et les plus sombres, aux quatre coins opposés du monde; on l'a
cherché avec soin et diligence, à cheval, sur des navires, et sans
épargner aucuns frais. Enfin la renommée répond à ces puissantes
recherches. De Tyr à la cour de Simonide on apporte des lettres dont
voici la teneur:

«Antiochus et sa fille sont morts. Les seigneurs ont voulu placer la
couronne sur la tête d'Hélicanus; mais il l'a refusée, se hâtant de leur
dire, pour apaiser le tumulte, que, si le roi Périclès ne revient pas
dans douze mois, il se rendra alors à leurs voeux.»

Cette nouvelle, apportée à Pentapolis, y a ravi toute la contrée; chacun
applaudit et s'écrie: Notre jeune prince naîtra roi. Qui eût rêvé, qui
eût deviné une semblable chose? Bref il faut qu'il parte pour Tyr. Son
épouse, enceinte, désire partir. (Qui s'y opposerait?) Nous abrégeons le
récit des pleurs et des regrets. Elle prend avec elle Lychorida, sa
nourrice, et s'embarque. Le vaisseau se balance sur le sein de Neptune:
la quille de leur vaisseau a fendu la moitié des ondes; mais nouveau
caprice de la fortune: le nord envoie une telle tempête, que, semblable
à un cygne qui plonge pour se sauver, le pauvre navire est la proie de
sa furie. La dame pousse des cris, et se voit près d'accoucher d'effroi.
Vous allez voir la suite de cet orage, dont je ne ferai pas le récit, ne
pouvant pas espérer de m'en acquitter dignement. Représentez-vous par
l'imagination le vaisseau sur lequel le prince, ballotté par les flots,
est supposé parler.

(Gower sort.)


SCÈNE I

PÉRICLÈS _sur un vaisseau en mer_.


PÉRICLÈS.--O toi, dieu de ce vaste abîme, gourmande ces vagues qui
lavent le ciel et la terre; et toi, qui gouvernes les vents, enferme-les
dans leur prison d'airain, après les avoir fait sortir de l'abîme!
Apaise ces tonnerres terribles et assourdissants! Éteins doucement les
agiles éclairs de soufre! O Lychorida, comment se trouve ma reine?
Tempête, vomiras-tu sur nous tout ton venin? Le sifflet du matelot est
comme un faible murmure à l'oreille de la mort qui ne l'entend point.
Lychorida, Lucina, ô divine patronne, et sage-femme, qui protège ceux
qui gémissent dans la nuit, abaisse ta divinité sur ce navire battu par
l'orage, abrège l'angoisse de la reine! Eh bien! Lychorida?

(Lychorida entre avec un enfant.)

LYCHORIDA.--Voici un être trop jeune pour un tel lieu, et qui, s'il
était doué déjà de la pensée, mourrait comme je me sens près de le
faire. Recevez dans vos bras ce reste de votre épouse inanimée.

PÉRICLÈS.--Que dis-tu, Lychorida?

LYCHORIDA.--Patience; seigneur, n'assistez pas l'orage: voici tout ce
qui vit encore de notre reine.... une petite fille;--pour l'amour
d'elle, soyez un homme et prenez courage.

PÉRICLÈS.--O vous, dieux! nous faites-vous aimer vos célestes dons pour
nous les enlever? Nous du moins, ici-bas, nous ne redemandons pas ce que
nous donnons, et en cela nous l'emportons sur vous.

LYCHORIDA.--Patience, bon prince, même dans ce malheur.

PÉRICLÈS.--Maintenant que ta vie soit calme! car jamais enfant n'eut une
naissance plus troublée! Que ta destinée soit paisible et douce, car
jamais fille de prince ne fut accueillie dans ce monde avec plus de
sévérité. Puisse la suite être heureuse pour toi! tu as une naissance
aussi bruyante que le feu, l'air, l'eau, la terre et le ciel pouvaient
te la procurer pour annoncer ta sortie du sein qui te conçut; et déjà
même tu as plus perdu que tu ne gagneras dans la vie.--Que les dieux
bienveillants jettent sur elle un favorable regard.

(Deux matelots entrent.)

PREMIER MATELOT.--Eh bien! avez-vous bon courage? Dieu vous conserve!

PÉRICLÈS.--J'ai assez de courage. Je ne crains pas la tempête, elle m'a
fait le plus grand mal qu'elle pût me faire; cependant, pour l'amour de
ce pauvre enfant, je souhaite que le ciel s'éclaircisse.

PREMIER MATELOT.--Relâche les cordages; allons donc.... Souffle et fais
tous tes efforts.

SECOND MATELOT.--Mais les vagues sombres vont caresser la lune: je ne
puis.

PREMIER MATELOT.--Seigneur, la reine doit être jetée à la mer. La mer
est si haute, le vent si violent qu'il ne se calmera que quand nous
aurons débarrassé le vaisseau des morts.

PÉRICLÈS.--C'est une superstition.

PREMIER MATELOT.--Pardonnez-nous, seigneur; c'est une chose que nous
avons toujours observée sur mer, et nous parlons sérieusement;
rendez-vous donc, car il faut la jeter à la mer sans plus tarder.

PÉRICLÈS.--Faites ce que vous croirez nécessaire.--Malheureuse
princesse!

LYCHORIDA.--C'est là qu'elle repose, seigneur.

PÉRICLÈS.--O mon amie, tu as eu un terrible accouchement, sans lumière,
sans feu; les éléments ennemis t'ont complètement oubliée, et le temps
me manque pour te rendre les honneurs de la sépulture; mais à peine
déposée dans le cercueil, il faut que tu sois précipitée dans les flots!
Au lieu d'un monument élevé à ta cendre et de lampe funéraire, l'énorme
baleine et les vagues mugissantes recouvriront ton corps au milieu des
coquillages. Lychorida, dis à Nestor de m'apporter des épices, de
l'encre et du papier, ma cassette et mes bijoux. Dis à Méandre de
m'apporter le coffre de satin. Couche l'enfant: va vite, pendant que je
dis à Thaïsa un adieu religieux: hâte-toi, femme.

(Lychorida sort.)

SECOND MATELOT.--Seigneur, nous avons sous les écoutilles une caisse
déjà enduite de bitume.

PÉRICLÈS.--Je te rends grâces, matelot.--Quelle est cette côte?

SECOND MATELOT.--Nous sommes près de Tharse.

PÉRICLÈS.--Dirigeons-y notre proue avant de continuer notre route vers
Tyr. Quand pourrons-nous y aborder?

SECOND MATELOT.--Au point du jour, si le vent cesse.

PÉRICLÈS.--Oh! voguons vers Tharse. Je visiterai Cléon, car l'enfant ne
vivrait pas jusqu'à Tyr: je le confierai à une bonne nourrice. Va
naviguer, bon matelot; je vais apporter le corps. (Ils sortent.)


SCÈNE II

Éphèse.--Appartement dans la maison de Cérimon.

_Entrent_ CÉRIMON _avec _UN VALET_ et quelques personnes qui ont fait
naufrage_.


CÉRIMON.--Holà! Philémon.

(Philémon entre.)

PHILÉMON.--Est-ce mon maître qui appelle?

CÉRIMON.--Allume du feu et prépare à manger pour ces pauvres gens. La
tempête a été forte cette nuit?

LE VALET.--J'ai vu plus d'une tempête, et jamais une semblable à celle
de cette nuit.

CÉRIMON.--Votre maître sera mort avant votre retour: il n'est rien qui
puisse le sauver. (_A Philémon_.)--Portez ceci à l'apothicaire, et vous
me direz l'effet que le remède produira.

(Sortent Philémon, le valet et les naufragés.)

(Entrent deux Éphésiens.)

PREMIER ÉPHÉSIEN.--Bonjour, seigneur Cérimon.

SECOND ÉPHÉSIEN.--Bonjour à Votre Seigneurie.

CÉRIMON.--Pourquoi, seigneurs, vous êtes-vous levés si matin?

PREMIER ÉPHÉSIEN.--Nos maisons, situées près de la mer, ont été
ébranlées comme par un tremblement de terre: les plus fortes poutres
semblaient près d'être brisées, et le toit de s'écrouler. C'est la
surprise et la peur qui m'ont fait déserter le logis.

SECOND ÉPHÉSIEN.--Voilà ce qui cause de si bon matin notre visite
importune; ce n'est point un motif d'économie domestique.

CÉRIMON.--Oh! vous parlez bien.

PREMIER ÉPHÉSIEN.--Je m'étonne que Votre Seigneurie, ayant autour d'elle
un si riche attirail, s'arrache de si bonne heure aux douces faveurs du
repos. Il est étrange que la nature se livre à une peine à laquelle elle
n'est pas forcée.

CÉRIMON.--J'ai toujours pensé que la vertu et le savoir étaient des dons
plus précieux que la noblesse et la richesse. Des héritiers insouciants
peuvent flétrir et dissiper ces deux derniers; mais les autres sont
suivis par l'immortalité qui fait un dieu de l'homme. Vous savez que
j'ai toujours étudié la médecine, dont l'art secret, fruit de la lecture
et de la pratique, m'a fait connaître les sucs salutaires que
contiennent les végétaux, les métaux et les minéraux. Je puis expliquer
les maux que la nature cause, et je sais les moyens de les guérir: ce
qui me rend plus heureux que la poursuite des honneurs incertains, ou le
souci d'enfermer mes trésors dans des sacs de soie pour le plaisir du
_fou_ et de la _mort_.

SECOND ÉPHÉSIEN.--Votre Seigneurie a répandu ses bienfaits dans Éphèse,
où mille citoyens s'appellent vos créatures, rendues par vous à la
santé;--non-seulement votre science, vos travaux, mais encore votre
bourse toujours ouverte, ont procuré au seigneur Cérimon une renommée
que jamais le temps....

(Entrent deux valets avec une caisse.)

LE VALET.--Déposez ici.

CÉRIMON.--Qu'est-ce que cela?

LE VALET.--La mer vient de jeter sur la côte ce coffre, qui provient de
quelque naufrage.

CÉRIMON.--Déposez-le là, que nous l'examinions.

SECOND ÉPHÉSIEN.--Cela ressemble à un cercueil, seigneur.

CÉRIMON.--Quoi que ce soit, le poids est des plus lourds: ouvrez cette
caisse. L'estomac de la mer est surchargé d'or: la fortune a eu raison
de le faire vomir ici.

SECOND ÉPHÉSIEN.--Vous avez deviné, seigneur.

CÉRIMON.--Comme elle est goudronnée partout! Est-ce la mer qui l'a jetée
sur le rivage?

LE VALET.--Je n'ai jamais vu de vague aussi forte que celle qui l'a
apportée.

CÉRIMON.--Allons, ouvre-la.--Doucement, doucement; quel parfum
délicieux!

SECOND ÉPHÉSIEN.--C'est un baume exquis.

CÉRIMON.--Jamais je n'ai senti un plus doux parfum.--Allons,
dépêchons.--O Dieu tout-puissant!--Que vois-je? un cadavre!

PREMIER ÉPHÉSIEN.--Chose étrange!

CÉRIMON.--Il est enveloppé d'un riche linceul et de sacs pleins de
parfums. Un écrit! Apollon, rends-moi habile à lire.

(Il déroule un écrit et lit.)

«Je donne à connaître, si jamais ce cercueil touche à terre, qu'il
contient une reine plus précieuse que tout l'or du monde, et quelle a
été perdue par moi, roi Périclès. Que celui qui la trouvera, lui donne
la sépulture! Elle fut la fille d'un roi: les dieux récompenseront sa
charité: ce trésor lui appartient.»

Si tu vis, Périclès, ton coeur est déchiré de douleur.--Ce cercueil a
été fait cette nuit.

SECOND ÉPHÉSIEN.--Probablement, seigneur.

CÉRIMON.--C'est sûrement cette nuit; car, voyez cet air de
fraîcheur.--Ils ont été des barbares, ceux qui ont jeté cette femme à la
mer! Allumez du feu; apportez ici toutes les boîtes de mon cabinet. La
mort peut usurper l'empire de la nature pendant quelques heures, et le
feu de la vie rallumer encore les sens assoupis. J'ai entendu parler
d'un Égyptien qui passa pour mort pendant neuf heures, et qui, à force
de soins, revint à la vie. (_Un valet entre avec des boîtes, du linge et
du feu_.) Très-bien: du feu et du linge.--Je vous prie, faites entendre
un air de musique, quelque rudes que soient vos instruments.--Ah! tu
remues, corps insensible!--Ici la musique.--Je vous prie, encore un
air.--Seigneurs, cette reine est vivante.--La nature se réveille.--Une
douce chaleur s'en exhale: il n'y a pas plus de cinq heures qu'elle est
dans cet état. Voyez comme la fleur de la vie s'épanouit de nouveau en
elle!

PREMIER ÉPHÉSIEN.--Le ciel, seigneur, vous a choisi pour nous étonner
par ses prodiges: votre réputation est éternelle.

CÉRIMON.--Elle vit: voyez; ses paupières, qui couvraient ces célestes
bijoux perdus par Périclès, commencent à écarter leurs franges d'or. Ces
diamants si purs vont doubler la richesse du monde. O vis et
arrache-nous des larmes par ton histoire, belle créature!

(Thaïsa fait un mouvement.)

THAISA.--O divine Diane, où suis-je, où est mon époux?--Quel est le lieu
que je vois?

SECOND ÉPHÉSIEN.--N'est-ce pas étrange?

PREMIER ÉPHÉSIEN.--Merveilleux!

CÉRIMON.--Paix, mes chers amis: aidez-moi, portons-la dans la chambre
voisine. Préparez du linge.--Donnons-lui tous nos soins, une rechute
serait mortelle. Venez, venez, et qu'Esculape nous guide.

(Ils sortent emportant Thaïsa.)


SCÈNE III

Tharse.--Appartement dans le palais de Cléon.

PÉRICLÈS _entre avec_ CLÉON, DIONYSA, LYCHORIDA ET MARINA.


PÉRICLÈS.--Respectable Cléon, je suis forcé de partir, l'année est
expirée et Tyr ne jouit plus que d'une paix douteuse; recevez, vous et
votre épouse, toute la reconnaissance dont est rempli mon coeur: que les
dieux se chargent du reste.

CLÉON.--Les traits de la fortune qui vous frappent mortellement se font
aussi sentir à nous.

DIONYSA.--O votre pauvre princesse! pourquoi les destins n'ont-ils pas
permis que vous l'ameniez ici pour charmer ma vue?

PÉRICLÈS.--Nous ne pouvons qu'obéir aux puissances du ciel. Quand je
gémirais et que je rugirais comme la mer qui la recèle dans son sein,
Thaïsa n'en serait pas moins privée de la vie. Ma petite Marina! (je lui
ai donné ce nom parce qu'elle est née sur les flots): je la recommande à
vos soins et je vous la laisse comme la fille de votre bienveillante
amitié, pour qu'elle reçoive une éducation royale et digne de sa
naissance.

CLÉON.--Ne craignez rien, seigneur, nous nous souviendrons pour votre
fille du prince généreux qui nous a nourris de son blé, et les prières
du peuple reconnaissant imploreront le ciel pour son libérateur. Si je
me rendais coupable d'une ingrate négligence, tous mes sujets me
forceraient à remplir mon devoir; mais, si mon zèle a besoin d'être
excité, que les dieux vous vengent sur moi et les miens jusqu'à la
dernière génération.

PÉRICLÈS.--Je vous crois, votre honneur et votre vertu sont pour moi un
gage plus sûr que vos serments. Jusqu'à ce que ma fille soit mariée,
madame, j'en jure par Diane, que nous honorons tous, ma chevelure sera
respectée des ciseaux. Je prends congé de vous; rendez-moi heureux par
les soins accordés à ma fille.

DIONYSA.--J'ai aussi une fille; elle ne me sera pas plus chère que la
vôtre.

PÉRICLÈS.--Madame, je vous remercie et je prierai pour vous.

CLÉON.--Nous vous escorterons jusque sur le rivage, où nous vous
abandonnerons au mystérieux Neptune et aux vents les plus favorables.

PÉRICLÈS.--J'accepte votre offre. Venez, chère reine.--Point de larmes,
Lychorida, point de larmes: pensez à votre jeune maîtresse dont vous
allez désormais dépendre.--Allons, seigneur.

(Ils sortent.)


SCÈNE IV

Éphèse.--Appartement dans la maison de Cérimon.

_Entrent_ CÉRIMON ET THAISA.


CÉRIMON.--Madame, cette lettre et ces bijoux étaient avec vous dans le
cercueil: les voici. Connaissez-vous l'écriture?

THAISA.--C'est celle de mon époux. Je me rappelle fort bien encore
m'être embarquée au moment de devenir mère; mais ai-je été délivrée ou
non? par les dieux immortels! je l'ignore. Hélas! puisque je ne reverrai
plus mon époux, le roi Périclès, je veux prendre des vêtements de
vestale et renoncer à toute félicité.

CÉRIMON.--Madame, si c'est là votre intention, le temple de Diane n'est
pas loin; vous pourrez y passer le reste de vos jours; et, si vous
voulez, une nièce à moi vous y accompagnera.

THAISA.--Je ne puis que vous rendre grâces, voilà tout. Ma
reconnaissance est grande, quoiqu'elle puisse peu de chose.

(Ils sortent.)

FIN DU TROISIÈME ACTE.




                            ACTE QUATRIÈME

_Entre_ GOWER.

GOWER.--Figurez-vous Périclès arrivé à Tyr et accueilli selon ses
désirs; laissez à Éphèse sa malheureuse épouse qui s'y consacre au culte
de Diane. Maintenant occupez-vous de Marina que notre scène rapide doit
trouver à Tharse élevée par Cléon qui lui fait enseigner la musique et
les lettres, et acquérant tant de grâces qu'elle attire sur elle
l'admiration et la tendresse générale. Mais, hélas! le monstre de
l'envie, qui est souvent la mort du mérite, cherche à abréger la vie de
Marina par le poignard de la trahison. Telle est la fille de Cléon déjà
mûre pour le mariage. Cette fille se nomme Philoten; et l'on assure dans
notre histoire qu'elle voulait toujours être avec Marina, soit quand
elle formait des tissus de soie avec ses doigts délicats, minces et
blancs comme le lait, soit quand avec une aiguille elle piquait la
mousseline que ces blessures rendaient plus solides, soit quand elle
chantait en s'accompagnant de son luth et rendait muet l'oiseau qui fait
résonner la nuit de ses accents plaintifs, ou quand elle offrait son
hommage à Diane, sa divinité: toujours Philoten rivalisait d'adresse
avec la parfaite Marina. C'est comme si le corbeau prétendait le
disputer en blancheur à la colombe de Paphos. Marina reçoit tous les
éloges, non comme un don, mais comme une dette. Les grâces de Philoten
sont tellement éclipsées, que l'épouse de Cléon, inspirée par une
insigne jalousie, suscite un meurtrier contre la vertueuse Marina, afin
que sa fille reste sans égale après ce meurtre; la mort de Lychorida,
notre nourrice, favorise ses pensées; et la maudite Dionysa a déjà
l'instrument de colère prêt à frapper. Je recommande à votre attention
cet événement qui se prépare. Je transporte seulement le temps et ses
ailes sur le pied boiteux de mon poëme. Je ne pourrais y parvenir si vos
pensées ne voyagent avec moi.--Dionysa va paraître avec Léonin, un
meurtrier.

(Gower sort.)


SCÈNE I

Tharse.--Plaine près du rivage de la mer.

DIONYSA _entre avec_ LÉONIN.

DIONYSA.--Souviens-toi de ton serment, tu as juré de l'exécuter; ce
n'est qu'un coup qui ne sera jamais connu. Tu ne pourrais rien faire
dans ce monde en aussi peu de temps, qui te rapportât davantage. Que la
conscience, qui n'est qu'une froide conseillère, n'allume pas la
sympathie dans ton coeur trop scrupuleux; que la pitié, que les femmes
même ont abjurée, ne t'attendrisse pas; sois un soldat résolu dans ton
dessein.

LÉONIN.--Je te tiendrai parole; mais c'est une céleste créature.

DIONYSA.--Elle n'en est que plus propre à être admise chez les dieux; la
voici qui vient pleurant la mort de sa nourrice; es-tu résolu?

LÉONIN.--Je le suis.

(Entre Marina avec une corbeille de fleurs.)

MARINA.--Non, non: je déroberai les fleurs de la terre pour les semer
sur le gazon qui te recouvre; les genêts, les bluets, les violettes
purpurines et les soucis seront suspendus en guirlandes, tant que durera
l'été. Hélas! pauvre fille que je suis, née dans une tempête où mourut
ma mère, le monde est pour moi comme une tempête continuelle,
m'éloignant de mes amis.

DIONYSA.--Quoi donc, Marina! pourquoi êtes-vous seule? Comment se
fait-il que ma fille ne soit pas avec vous? Ne vous consumez pas dans la
tristesse, vous avez en moi une autre nourrice. Seigneur! combien votre
visage est changé par ce malheur. Venez, venez, donnez-moi votre
guirlande de fleurs avant que la mer la flétrisse; promenez-vous avec
Léonin; l'air est vif ici et aiguise l'appétit. Venez, Léonin, prenez
Marina par le bras et promenez-vous avec elle.

MARINA.--Non, je vous en prie, je ne veux point vous priver de votre
serviteur.

DIONYSA.--Venez, venez, j'aime le roi votre père et vous, comme si je
n'étais pas une étrangère pour vous. Nous l'attendons tous les jours
ici. Quand il viendra, il trouvera flétrie celle que la renommée vante
comme un chef-d'oeuvre; il regrettera un si long voyage, et il nous
blâmera, mon époux et moi, d'avoir négligé sa fille. Allez, je vous
prie, vous promener et soyez moins triste. Conservez ce teint charmant
qui a désolé tant de coeurs de tous les âges. Ne vous inquiétez pas de
moi, je retourne seule au palais.

MARINA.--Eh bien! j'irai, mais je ne m'en soucie guère.

DIONYSA.--Venez, venez, je sais que cela vous sera salutaire:
promenez-vous une demi-heure au moins.--Léonin, souviens-toi de ce que
j'ai dit.

LÉONIN.--Je vous le promets, madame.

DIONYSA.--Je vous laisse pour un moment, ma chère Marina: promenez-vous
doucement, ne vous échauffez pas le sang. Je dois avoir soin de vous.

MARINA.--Je vous remercie; ma chère dame.--_(Dionysa sort.)_ Est-ce le
vent d'ouest qui souffle?

LÉONIN.--C'est le sud-ouest.

MARINA.--Quand je naquis, le vent était au nord.

LÉONIN.--Était-ce le nord?

MARINA.--Mon père, comme disait ma nourrice, ne montrait aucune crainte,
mais il criait: Bons matelots! et déchirait ses mains royales en maniant
les cordages, et en embrassant le mât; il bravait une mer qui faisait
presque éclater le tillac; elle fit tomber des hunes un matelot monté
pour plier les voiles. Eh! dit un autre, veux-tu sortir? et ils roulent
tous les deux de l'éperon à la poupe, le contre-maître siffle, le pilote
appelle et triple leur confusion.

LÉONIN.--Et quand cela eut-il lieu?

MARINA.--Quand je vins au monde; jamais les vents ni les vagues ne
furent plus violents.

LÉONIN.--Allons, dites promptement vos prières.

MARINA.--Que voulez-vous dire?

LÉONIN.--Si vous demandez quelques moments pour prier, je vous les
accorde: je vous en prie, mais hâtez-vous, car les dieux ont l'oreille
fine, et j'ai juré d'exécuter promptement.

MARINA.--Quoi! voulez-vous me tuer?

LÉONIN.--Pour obéir à ma maîtresse.

MARINA.--Pourquoi veut-elle ma mort?--Autant que je puis me le rappeler,
je jure que je ne l'ai jamais offensée de ma vie; je n'ai jamais dit un
mot méchant ni fait mal à aucune créature vivante. Croyez-moi, je n'ai
jamais tué une souris ni blessé une mouche. J'ai marché un jour sur un
ver contre ma volonté, mais j'en ai pleuré. Quel est mon crime? En quoi
ma mort peut-elle lui être utile, ou ma vie être dangereuse pour elle?

LÉONIN.--Ma commission n'est pas de raisonner, mais d'exécuter.

MARINA.--Vous ne le feriez pas pour tout au monde, je l'espère; vous
avez un visage où respire la douceur, et qui annonce que vous avez un
coeur généreux. Je vous vis dernièrement vous faire blesser pour séparer
deux hommes qui se battaient: en vérité cela prouvait en votre faveur;
faites encore de même. Votre maîtresse en veut à ma vie: mettez-vous
entre nous et sauvez-moi; je suis la plus faible.

LÉONIN.--J'ai juré de vous immoler.

(Surviennent des pirates pendant que Marina se débat.)

PREMIER PIRATE.--Arrête, coquin!

(Léonin s'enfuit.)

SECOND PIRATE.--Une prise, une prise!

TROISIÈME PIRATE.--Chacun sa part, camarades; partageons. Portons-la à
bord sans tarder.

(Les pirates emmènent Marina.)


SCÈNE II

Même lieu.

LÉONIN _rentre_.


LÉONIN.--Ces bandits servent sous le grand pirate Valdès, et ils se sont
emparés de Marina. Laissons-la aller. Il n'y a pas d'apparence qu'elle
revienne. Je jurerai qu'elle est tuée et précipitée dans la mer.--Mais
voyons encore un peu: peut-être ils se contenteront de satisfaire leur
brutalité sur elle, sans l'emmener. S'ils la laissent après l'avoir
outragée, il faut que je la tue.

(Il sort.)


SCÈNE III

Mitylène.--Appartement dans un mauvais lieu.

_Entrent le_ MAITRE DE LA MAISON[4], sa FEMME et BOULT.

[Note 4: Le maître de la maison, en anglais _pander_, et la femme
_bawd_.]


LE MAITRE DE LA MAISON.--Boult!

BOULT.--Monsieur.

LE MAITRE.--Cherche avec soin dans le marché; Mitylène est plein de
galants: nous avons perdu trop d'argent, l'autre foire, pour avoir
manqué de filles.

LA FEMME.--Nous n'avons jamais été aussi mal montés: nous n'avons que
trois pauvres diablesses, elles ne peuvent que ce qu'elles peuvent; et,
à force de servir, elles tombent en pourriture, ou peu s'en faut.

LE MAITRE.--Il nous en faut donc de fraîches, coûte que coûte. Il faut
avoir de la conscience dans tous les états, sans quoi on ne prospère
pas.

LA FEMME.--Tu dis vrai: il ne suffit pas d'élever de pauvres bâtardes;
et j'en ai élevé, je crois, jusqu'à onze....

BOULT.--Oui, jusqu'à onze ans, et pour les abaisser après; mais j'irai
chercher au marché.

LA FEMME.--Sans doute, mon garçon; la cochonnerie que nous avons tombera
en pièces au premier coup de vent; elles sont trop cuites que cela fait
pitié.

LE MAITRE.--Tu dis vrai; en conscience elles sont trop malsaines. Le
pauvre Transylvanien est mort pour avoir couché avec la petite drôlesse.

BOULT.--Comme elle l'a vite expédié; elle en a fait du rôti pour les
vers!--Mais je vais au marché.

(Boult sort.)

LE MAITRE.--Trois ou quatre mille sequins seraient un assez joli fonds
pour vivre tranquilles et abandonner le commerce.

LA FEMME.--Pourquoi abandonner le commerce, je vous prie? Est-il honteux
de gagner de l'argent quand on se fait vieux?

LE MAITRE.--Oh! le renom ne va pas de pair avec les profits, ni les
profits avec le danger. Ainsi donc, si dans notre jeunesse nous avons pu
nous acquérir une jolie petite fortune, il ne serait pas mal de fermer
notre porte. D'ailleurs, nous sommes dans de tristes termes avec les
dieux, et cela devrait être une raison pour nous d'abandonner le
commerce.

LA FEMME.--Allons, dans d'autres métiers on les offense aussi bien que
dans le nôtre.

LE MAITRE.--Aussi bien que dans le nôtre, oui, et mieux encore: mais la
nature de nos offenses est pire; et notre profession n'est pas un métier
ni un état. Mais voici Boult.

(Les pirates entrent avec Boult et entraînent Marina.)

BOULT, _à Marina_.--Ici.--(_A Marina_.) Venez par ici.--Messieurs, vous
dites qu'elle est vierge?

PREMIER PIRATE.--Nous n'en doutons pas.

BOULT.--Maître, j'ai avancé un haut prix pour ce morceau; voyez: si elle
vous convient, cela va bien.--Sinon, j'ai perdu mes arrhes.

LA FEMME.--Boult, a-t-elle quelques qualités?

BOULT.--Elle a une jolie figure; elle parle bien, a de belles robes:
quelles qualités voulez-vous de plus?

LA FEMME.--Quel prix en veut-on?

BOULT.--Je n'ai pas pu l'avoir à moins de mille pièces d'or.

LE MAÎTRE.--Très-bien. Suivez-moi, mes maîtres; vous allez avoir votre
argent sur l'heure. Femme, reçois-la; instruis-la de ce qu'elle a à
faire, afin qu'elle ne soit pas trop novice.

(Le maître sort avec les pirates.)

LA FEMME.--Boult, prends son signalement, la couleur de ses cheveux, son
teint, sa taille, son âge et l'attestation de sa virginité; puis crie:
_Celui qui en donnera le plus l'aura le premier_. Un tel pucelage ne
serait pas bon marché, si les hommes étaient encore ce qu'ils furent.
Allons, obéis à mes ordres.

BOULT.--Je vais m'en acquitter. (Boult sort.)

MARINA.--Hélas! pourquoi Léonin a-t-il été si mou, si lent? Il aurait dû
frapper et non parler. Pourquoi ces pirates n'ont-ils pas été assez
barbares pour me réunir à ma mère, en me précipitant sous les flots?

LA FEMME.--Pourquoi vous lamentez-vous, ma belle?

MARINA.--Parce que je suis belle.

LA FEMME.--Allons, les dieux se sont occupés de vous.

MARINA.--Je ne les accuse point.

LA FEMME.--Vous êtes tombée entre mes mains, et vous avez chance d'y
vivre.

MARINA.--J'ai eu d'autant plus tort d'échapper à celles qui m'auraient
tuée!

LA FEMME.--Et vous vivrez dans le plaisir.

MARINA.--Non.

LA FEMME.--Oui, vous vivrez dans le plaisir, et vous goûterez toutes
sortes de messieurs; vous ferez bonne chère; vous apprendrez la
différence de tous les tempéraments. Quoi! vous vous bouchez les
oreilles!

MARINA.--Êtes-vous une femme?

LA FEMME.--Que voulez-vous que je sois, si je ne suis une femme?

MARINA.--Une femme honnête, ou pas une femme.

LA FEMME.--Malepeste! ma petite chatte, j'aurai à faire avec vous, je
pense. Allons, vous êtes une petite folle; il faut vous parler avec des
révérences.

MARINA.--Que les dieux me défendent!

LA FEMME.--S'il plaît aux dieux de vous défendre par les hommes,--ils
vous consoleront, ils vous entretiendront, ils vous réveilleront.--Voilà
Boult de retour. (_Entre Boult_.) Eh bien! l'as-tu criée dans le marché?

BOULT.--Je l'ai criée sans oublier un de ses cheveux; j'ai fait son
portrait avec ma voix.

LA FEMME.--Et dis-moi, comment as-tu trouvé les gens disposés, surtout
la jeunesse?

BOULT.--Ma foi, ils m'ont écouté comme ils écouteraient le testament de
leur père. Il y a eu un Espagnol à qui l'eau en est tellement venue à la
bouche, qu'il a été se mettre au lit rien que pour avoir entendu faire
son portrait.

LA FEMME.--Nous l'aurons demain ici avec sa plus belle manchette.

BOULT.--Cette nuit, cette nuit! Mais, notre maîtresse, connaissez-vous
le chevalier français qui fait de si profondes révérences?

LA FEMME.--Qui! monsieur Véroles?

BOULT.--Oui, il voulait faire un salut à la proclamation; mais il a
poussé un soupir et juré qu'il viendrait demain.

LA FEMME.--Bien, bien: quant à lui il a apporté sa maladie avec lui; il
ne fait ici que l'entretenir. Je sais qu'il viendra à l'ombre de la
maison pour étaler ses _couronnes_ au soleil.

BOULT.--Si nous avions un voyageur de chaque nation, nous les logerions
tous avec une telle enseigne.

LA FEMME.--Je vous prie, venez un peu ici. Vous êtes dans le chemin de
la fortune; écoutez-moi. Il faut avoir l'air de faire à regret ce que
vous ferez avec plaisir, et de mépriser le profit quand vous gagnerez le
plus. Pleurez votre genre de vie, cela inspire de la pitié à vos amants:
cette pitié vous vaut leur bonne opinion, et cette bonne opinion est un
profit tout clair.

MARINA.--Je ne vous comprends pas.

BOULT.--Emmenez-la, maîtresse, emmenez-la; cette pudeur s'en ira avec
l'usage.

LA FEMME.--Tu dis vrai, ma foi, cela viendra; la fiancée elle-même ne se
prête qu'avec honte à ce qu'il est de son devoir de faire.

BOULT.--Oui, les unes sont d'une façon et les autres d'une autre. Mais
dites donc, maîtresse, puisque j'ai procuré le morceau....

LA FEMME.--Tu voudrais en couper ta part sur la broche.

BOULT.--Peut-être bien.

LA FEMME.--Et qui donc te le refuserait? Allons, jeunesse, j'aime la
forme de vos vêtements.

BOULT.--Oui, ma foi, il n'y a pas encore besoin de les changer.

LA FEMME.--Boult, va courir la ville; raconte quelle nouvelle débarquée
nous avons; tu n'y perdras rien. Quand la nature créa ce morceau, elle
te voulut du bien. Va donc dire quelle merveille c'est, et tu auras le
prix de tes avis.

BOULT.--Je vous garantis, maîtresse, que le tonnerre réveille moins les
anguilles[5] que ma description de cette beauté ne remuera les
libertins. Je vous en amènerai quelques-uns cette nuit.

[Note 5: On suppose que le tonnerre ne produit pas d'effet sur le
poisson en général, mais sur les anguilles qu'il fait sortir de la
bourbe et qu'on prend alors plus aisément.]

LA FEMME.--Venez par ici, suivez-moi.

MARINA.--Si le feu brûle, si les couteaux tuent, si les eaux sont
profondes, ma ceinture virginale ne sera pas dénouée. Diane, à mon
secours!

LA FEMME.--Qu'avons-nous à faire de Diane? Allons, venez-vous?

(Ils sortent.)


SCÈNE IV

Tharse.--Appartement dans le palais de Cléon.

_Entre_ CLÉON _avec_ DIONYSA.


DIONYSA.--Quoi? êtes-vous insensé; n'est-ce pas une chose faite?

CLÉON.--Dionysa, jamais les astres n'ont été témoins d'un meurtre
semblable.

DIONYSA.--Allez-vous retomber dans l'enfance?

CLÉON.--Je serais le souverain de tout l'univers que je le donnerais
pour que ce crime n'eût pas été commis. O jeune princesse, moins grande
par la naissance que par la vertu, il n'était pas de couronne qui ne fût
digne de toi! O lâche Léonin, que tu as aussi empoisonné! Si tu avais
avalé pour lui le poison, c'eût été un exploit comparable aux autres.
Que diras-tu quand le noble Périclès réclamera sa fille?

DIONYSA.--Qu'elle est morte. Les destins n'avaient pas juré de la
conserver: elle est morte la nuit. Je le dirai; qui me contredira? à
moins que vous n'ayez la simplicité de me trahir, et, pour mériter un
titre de vertu, de crier: Elle a été égorgée.

CLÉON.--O malheureuse! de tous les crimes, c'est celui que les dieux
abhorrent le plus.

DIONYSA.--Croyez-vous que les petits oiseaux de Tharse vont voler ici et
tout découvrir à Périclès? J'ai honte de penser à la noblesse de votre
race et à la timidité de votre coeur.

CLÉON.--Celui qui approuva jamais de telles actions, même sans y avoir
consenti, ne fut jamais d'un noble sang.

DIONYSA.--Ah! bien, soit.--Mais personne, excepté vous, ne sait comment
elle est morte; personne ne le saura, Léonin ayant cessé de vivre. Elle
dédaignait ma fille; elle était un obstacle à son bonheur. Nul ne la
regardait; tous les yeux étaient fixés sur Marina, tandis que notre
enfant était négligée comme une pauvre fille qui ne valait pas la peine
d'un _bonjour_. Cela me perçait le coeur; et quoique vous traitiez mon
action de dénaturée, vous qui n'aimez pas votre enfant, moi je la crois
bonne et généreuse, et un sacrifice fait à notre fille unique.

CLÉON.--Que les dieux vous pardonnent!

DIONYSA.--Et quant à Périclès, que pourra-t-il dire? nous avons pleuré à
ses funérailles, et nous portons encore le deuil. Son monument est
presque fini, et ses épitaphes en lettres d'or attestent son grand
mérite, et notre douleur à nous, qui l'avons fait ensevelir, à nos
frais.

CLÉON.--Tu es comme la Harpie qui, pour trahir, porte un visage d'ange,
et saisit sa proie avec des serres de faucon.

DIONYSA.--Vous êtes un de ces hommes superstitieux qui jurent aux dieux
que l'hiver tue les mouches; mais je sais que vous suivrez mes conseils.

(Ils sortent.)

(Entre Gower. Il est devant le monument de Marina, à Tharse.)

GOWER.--C'est ainsi que nous abrégeons le temps et les distances;
n'ayant qu'à désirer pour vouloir, traversant les mers, et voyageant
avec l'aide de votre imagination de contrée en contrée et d'un bout du
monde à l'autre. Grâce à votre indulgence, on ne nous blâme point de
nous servir d'un seul langage dans les divers climats où nous
transportent nos scènes. Je vous supplie de m'écouter pour que je
supplée aux lacunes de notre histoire. Périclès est maintenant sur les
flots inconstants (suivi de maints seigneurs et chevaliers). Il va voir
sa fille, charme de sa vie. Le vieil Escanès, qu'Hélicanus a fait monter
dernièrement à un poste éminent, est resté à Tyr pour gouverner.
Souvenez-vous qu'Hélicanus suit son prince. D'agiles vaisseaux et des
vents favorables ont amené le roi Périclès à Tharse. Imaginez-vous que
la pensée est son pilote, et son voyage sera aussi rapide qu'elle.
Périclès va chercher sa fille qu'il a laissée aux soins de Cléon.
Voyez-les se mouvoir comme des ombres. Je vais satisfaire en même temps
vos oreilles et vos yeux.--_(Scène muette_.)--_Périclès entre par une
porte avec sa suite; Cléon et Dionysa par une autre. Cléon montre à
Périclès le tombeau de Marina, tandis que Périclès se lamente, se revêt
d'une haire et part dans la plus grande colère. (Cléon et Dionysa se
retirent_.)--Voyez comme la crédulité souffre d'une lugubre apparence!
cette colère empruntée remplace les pleurs qu'on eût versés dans le bon
vieux temps[6]; et Périclès, dévoré de chagrin, sanglotant et baigné de
larmes, quitte Tharse et s'embarque. Il jure de ne plus laver son
visage, ni couper ses cheveux; il se revêt d'une haire et se confie à la
mer. Il brave une tempête qui brise à demi son vaisseau mortel[7], et
cependant il poursuit sa route.--Maintenant voulez-vous connaître cette
épitaphe, c'est celle de Marina faite par la perfide Dionysa:

(Gower lit l'inscription gravée sur le tombeau de Marina.)

«Ci-gît la plus belle, la plus douce et la meilleure des femmes, qui se
flétrit dans le printemps de ses jours; elle était la fille du roi de
Tyr, celle que la mort a si cruellement immolée; elle portait le nom de
Marina. Fière de sa naissance, Thétis engloutit une partie de la terre;
voilà pourquoi la terre, craignant d'être submergée, a donné aux cieux
celle qui naquit dans le sein de Thétis; voilà pourquoi (et elle ne
cessera jamais) Thétis fait la guerre aux rivages de la terre.»

[Note 6: Dans l'enfance du monde, la dissimulation n'existait pas; les
poëtes ont tous cru à un âge d'or.]

[Note 7: Son corps, que dans une autre pièce Shakspeare appelle aussi la
maison mortelle (de l'âme).]

Aucun masque ne convient à la noire scélératesse comme la douce et
tendre flatterie. Laissez Périclès, voyant que sa fille n'est plus,
poursuivre ses voyages au gré de la fortune, pendant que notre théâtre
vous représente le malheur de sa fille dans le séjour profane où elle
est renfermée. Patience donc, et figurez-vous tous maintenant que vous
êtes à Mitylène.

(Il sort.)


SCÈNE V

Mitylène.--Une rue devant le mauvais lieu.

DEUX JEUNES GENS _de Mitylène sortent de la maison_.


PREMIER JEUNE HOMME.--Avez-vous jamais entendu pareille chose?

SECOND JEUNE HOMME.--Non, et jamais on n'entendra pareille chose en
pareil lieu, quand elle n'y sera plus.

PREMIER JEUNE HOMME.--Mais se voir prêcher là! Avez-vous jamais rêvé une
telle chose?

SECOND JEUNE HOMME.--Non, non. Viens, je renonce aux mauvais lieux.
Irons-nous entendre les vestales?

PREMIER JEUNE HOMME.--Je ferai toute chose louable; je suis sorti pour
toujours du chemin du vice.

(Ils sortent.)


SCÈNE VI

Mitylène.--Un appartement dans le mauvais lieu.

_Entrent le_ MAITRE DE LA MAISON, sa FEMME et BOULT.


LE MAITRE.--Ma foi, je donnerais deux fois ce qu'elle m'a coûté pour
qu'elle n'eût jamais mis les pieds ici.

LA FEMME.--Fi d'elle! elle est capable de glacer le dieu Priape, et de
perdre toute une génération; il nous faut la faire violer ou nous en
défaire. Quand le moment vient de rendre ses devoirs aux clients et de
faire les honneurs de la maison, elle a ses caprices, ses raisons, ses
maîtresses raisons, ses prières, ses génuflexions, si bien qu'elle
rendrait le diable puritain s'il lui marchandait un baiser.

BOULT.--Il faut que je m'en charge, ou elle dégarnira la maison de tous
nos cavaliers et fera des prêtres de tous nos amateurs de juron.

LE MAITRE.--Que la maladie emporte ses scrupules!

LA FEMME.--Ma foi, il n'y a que la maladie qui puisse nous tirer de là.
Voici le seigneur Lysimaque déguisé.

BOULT.--Nous aurions le maître et le valet, si la hargneuse petite
voulait seulement faire bonne mine aux pratiques.

(Entre Lysimaque.)

LYSIMAQUE.--Comment donc? Combien la douzaine de virginités?

LA FEMME.--Que les dieux bénissent Votre Seigneurie!

BOULT.--Je suis charmé de voir Votre Seigneurie en bonne santé.

LYSIMAQUE.--Allons, il est heureux pour vous que vos pratiques se
tiennent bien sur leurs jambes. Eh bien! sac d'iniquités, avez-vous
quelque chose que l'on puisse manier à la barbe du chirurgien?

LA FEMME.--Nous en avons une ici, seigneur, si elle voulait... Mais il
n'est jamais venu sa pareille à Mitylène.

LYSIMAQUE.--Si elle voulait faire l'oeuvre des ténèbres, voulez-vous
dire?...

LA FEMME.--Votre Seigneurie comprend ce que je veux dire.

LYSIMAQUE.--Fort bien; appelez, appelez.

BOULT.--Vous allez voir une rose.--Ce serait une rose, en effet, si elle
avait seulement...

LYSIMAQUE.--Quoi, je te prie?

BOULT.--O seigneur! je sais être modeste.

LYSIMAQUE.--Cela ne relève pas moins le renom d'un homme de ton métier
que cela ne donne à tant d'autres la bonne réputation d'être chastes.

(Entre Marina.)

LA FEMME.--Voici la rose sur sa tige, et pas encore cueillie, je vous
assure; n'est-elle pas jolie?

LYSIMAQUE.--Ma foi, elle servirait après un long voyage sur mer.--Fort
bien. Voilà pour vous. Laissez-nous.

LA FEMME.--Permettez-moi, seigneur, de lui dire un seul mot, et j'ai
fait.

LYSIMAQUE.--Allons, dites.

LA FEMME, _à Marina qu'elle prend à part_.--D'abord je vous prie de
remarquer que c'est un homme honorable.

MARINA.--Je désire le trouver tel, pour pouvoir en faire cas.

LA FEMME.--Ensuite c'est le gouverneur de la province, et un homme à qui
je dois beaucoup.

MARINA.--S'il est gouverneur de la province, vous lui devez beaucoup en
effet; mais en quoi cela le rend honorable, c'est ce que je ne sais pas.

LA FEMME.--Dites-moi, je vous prie, le traiterez-vous bien sans faire
aucune de vos grimaces virginales? Il remplira d'or votre tablier.

MARINA.--S'il est généreux, je serai reconnaissante.

LYSIMAQUE.--Avez-vous fini?

LA FEMME.--Seigneur, elle n'est pas encore au pas; vous aurez de la
peine à la dresser à votre goût.--Allons, laissons-la seule avec Sa
Seigneurie.

(Le maître de la maison, la femme et Boult sortent.)

LYSIMAQUE.--Allez.--Maintenant, ma petite, y a-t-il longtemps que vous
faites cet état?

MARINA.--Quel état, seigneur?

LYSIMAQUE.--Un état que je ne puis nommer sans offense.

MARINA.--Je ne puis être offensée par le nom de mon état. Veuillez le
nommer.

LYSIMAQUE.--Y a-t-il longtemps que vous exercez votre profession?

MARINA.--Depuis que je m'en souviens.

LYSIMAQUE.--L'avez-vous commencée si jeune? Êtes-vous devenue libertine
à cinq ans ou à sept?

MARINA.--Plus jeune encore, si je le suis aujourd'hui.

LYSIMAQUE.--Quoi donc! la maison où je vous trouve annonce que vous êtes
une créature.

MARINA.--Vous savez que cette maison est un lieu de ce genre et vous y
venez? On me dit que vous êtes un homme d'honneur et le gouverneur de la
ville.
                
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