MISTRISS FORD.--Que ferai-je? ma chère amie; il y a un gentilhomme dans
la maison, et je crains bien moins ma honte que le danger qui le menace.
Je donnerais mille livres pour qu'il fût hors de la maison.
MISTRISS PAGE.--Eh! par mon honneur, laissez là vos _je donnerais, je
donnerais_; voilà votre mari qui arrive.--Savez-vous quelque moyen de le
faire évader?--Vous ne pouvez le cacher dans la maison.--Comme vous
m'avez trompée!--Mais j'aperçois un panier.--S'il est d'une taille
raisonnable, il peut s'y fourrer. Nous pouvons le couvrir de linge sale,
comme si c'était pour l'envoyer blanchir. C'est précisément le moment de
la lessive, envoyez-le par vos gens au pré Datchet.
MISTRISS FORD.--Il est trop gros pour y entrer. Que deviendrai-je?
(Falstaff rentre.)
FALSTAFF.--Laissez-moi voir; laissez-moi voir: oh! laissez-moi
voir.--J'y tiendrai, j'y tiendrai.--Suivez le conseil de votre
amie.--J'y tiendrai.
MISTRISS PAGE.--Et quoi? sir John Falstaff! chevalier, est-ce là votre
lettre?
FALSTAFF.--Je t'aime, je n'aime que toi, aide-moi à sortir d'ici,
laisse-moi me fourrer là dedans.... Jamais...
(Il entre, s'entasse dans le panier qu'on achève de couvrir de linge
sale.)
MISTRISS PAGE.--Robin, aidez-nous à couvrir votre maître. Appelez vos
gens, mistriss Ford.--Ah! perfide chevalier!
MISTRISS FORD.--Eh! Jean! Robert, Jean! _(Robin sort. Les deux
domestiques entrent_.) Tenez, emportez ces hardes: passez une perche
dans les deux anses; mon Dieu, que vous êtes lents! Portez-les à la
blanchisseuse dans le pré Datchet: vite, allez.
(Entrent Ford, Page, Caius, sir Hugh Evans.)
FORD.--Approchez, je vous prie. Si j'ai soupçonné sans cause, vous aurez
droit de vous moquer de moi: ne m'épargnez pas dans ce cas les
plaisanteries; je les mérite. Arrêtez; où portez-vous ceci?
ROBERT.--Vraiment, à la rivière.
MISTRISS FORD.--Eh! qu'avez-vous besoin de savoir où ils le portent?
Sont-ce là vos affaires? Il vaudrait mieux que vous vinssiez vous mêler
de la lessive!
FORD.--C'est pour laver. Si je pouvais me laver aussi de cette corne de
cerf[30]. Cerf, cerf, cerf, je vous le dis, véritable cerf, je vous en
réponds, et cerf de la saison encore. _(Les valets sortent emportant le
panier_.) Messieurs, j'ai rêvé cette nuit; je vous dirai mon rêve.
Commençons par chercher mes clefs; les voilà. Montez, parcourez, visitez
mes chambres, furetez partout; notre renard est pris, j'en suis garant:
laissez-moi fermer d'abord cette issue, et maintenant fouillez le
terrier.
[Note 30: _Buck! I wish I could wash myself of the Buck!_ Ford joue sur
le mot _buck_ qui signifie également lessive, lessiver et daim. Le jeu
de mots a été impossible à rendre littéralement.]
PAGE.--Cher monsieur Ford, calmez-vous; c'est trop vous faire injure à
vous-même.
FORD.--Soit, monsieur Page, soit. Montons, messieurs; vous allez avoir
du plaisir. Suivez-moi, messieurs.
EVANS.--Ce sont là des visions, et des jalousies bien fantastiques.
CAIUS.--Palsambleu! ce n'est pas la mode en France: on ne voit point de
jaloux en France.
PAGE.--Suivons-le, messieurs, puisqu'il le veut: voyons le résultat de
ses recherches.
(Evans, Page et Caius sortent.)
MISTRISS PAGE.--L'aventure n'est-elle pas doublement réjouissante?
MISTRISS FORD.--Je ne sais pas de mon mari ou de sir John, lequel des
deux je suis le plus contente d'avoir attrapé.
MISTRISS PAGE.--Dans quelles transes il devait être, quand monsieur Ford
a demandé ce qu'il y avait dans le panier?
MISTRISS FORD.--J'ai peur qu'il n'ait besoin d'être lavé aussi. Nous lui
aurons rendu service en l'envoyant au bain.
MISTRISS PAGE.--Qu'il s'aille faire pendre ce débauché coquin; je
voudrais voir tous ceux de son espèce dans des angoisses pareilles.
MISTRISS FORD.--Il faut que mon mari ait eu quelque raison particulière
de soupçonner que sir John était ici. Je ne l'ai jamais vu si brutal
dans sa jalousie.
MISTRISS PAGE.--Je trouverai moyen de le savoir; mais il faut nous
divertir encore aux dépens de Falstaff. Sa fièvre de libertinage ne
cédera pas à cette seule médecine.
MISTRISS FORD.--Nous lui enverrons cette sotte carogne de mistriss
Quickly, pour nous excuser de ce qu'on l'aura jeté à l'eau, et lui
donner une nouvelle espérance qui lui attirera une nouvelle correction.
MISTRISS PAGE.--C'est bien pensé. Donnons-lui rendez-vous demain à huit
heures pour venir recevoir un dédommagement.
(Rentrent Ford, Page, Caius et sir Hugh Evans.)
FORD.--Il est introuvable.--Peut-être le fat s'est-il vanté de choses
qui passaient son pouvoir.
MISTRISS PAGE.--Entendez-vous?
MISTRISS FORD.--Oui, oui, paix. Vous en usez bien avec moi, monsieur
Ford, n'est-il pas vrai?
FORD.--Oui, oui, madame.
MISTRISS FORD.--Que le ciel rende vos actions meilleures que vos
pensées!
FORD.--Amen.
MISTRISS PAGE.--Monsieur Ford, vous vous faites un grand tort.
FORD.--Bien, bien, c'est à moi à supporter cela.
EVANS.--S'il y a quelqu'un dans la maison, dans les chambres, dans les
coffres et dans les armoires, que le ciel me pardonne mes péchés au jour
du grand jugement.
CAIUS.--Palsambleu! je dis de même, il n'y a pas une âme ici.
PAGE.--Eh! fi! monsieur Ford, n'avez-vous pas de honte! Quel esprit,
quel démon vous a suggéré ces idées? Je ne voudrais pas avoir une
pareille maladie pour tous les trésors du château de Windsor.
FORD.--C'est ma faute, monsieur Page; j'en subis la peine.
EVANS.--Vous souffrez d'une mauvaise conscience. Votre femme est une
aussi honnête femme qu'on la puisse choisir entre cinq mille, et je dis
encore entre cinq cents.
CAIUS.--Palsambleu! je vois bien que c'est une honnête femme.
FORD.--A la bonne heure. Messieurs, je vous ai promis à dîner. Venez, en
attendant, vous promener dans le parc; je vous en prie, pardonnez-moi.
Je vous conterai pourquoi j'ai fait tout cela.--Allons, ma femme,
allons, mistriss Page, pardonnez-moi, je vous en prie. Je vous en prie
du fond du coeur, pardonnez-moi.
PAGE.--Allons, messieurs, entrons. Mais, par ma foi, nous le ferons
enrager; et moi, je vous invite à venir déjeuner demain matin chez moi,
et après cela à la chasse à l'oiseau. J'ai un faucon admirable pour le
bois. Est-ce chose dite?
FORD.--Tout à fait.
EVANS.--S'il y en a un, je serai le second de la compagnie.
CAIUS.--S'il y en a un ou deux, je serai le troisième[31].
[Note 31: _Turd_ (excrément) pour _third_ (troisième).]
FORD.--Monsieur Page, venez, je vous en prie.
(Ils sortent. Evans et Caius demeurent seuls.)
EVANS.--Et vous, je vous prie, souvenez-vous demain de ce pouilleux de
coquin d'hôte.
CAIUS.--C'est bon, oui de tout mon coeur.
EVANS.--Ce pouilleux de coquin avec ses tours et ses moqueries.
(Ils sortent.)
SCÈNE IV
Une pièce dans la maison de Page.
_Entrent_ FENTON et MISTRISS ANNE PAGE.
FENTON.--Je vois que je ne puis pas gagner l'amitié de ton père. Cesse
donc de me renvoyer à lui, chère Nan.
ANNE.--Hélas! comment donc faire?
FENTON.--Aie le courage d'agir par toi-même. Il m'objecte ma trop grande
naissance; il prétend que je cherche seulement à réparer au moyen de ses
richesses le désordre mis dans ma fortune. Il me cherche encore d'autres
querelles. Il me reproche les sociétés désordonnées où j'ai vécu; il me
soutient qu'il est impossible que je t'aime autrement que comme un
héritage.
ANNE.--Peut-être qu'il dit vrai.
FENTON.--Non; j'en jure devant le ciel sur tout mon bonheur à venir. Il
est vrai, je l'avouerai, la fortune de ton père fut le premier motif qui
m'engagea à t'offrir mes soins; mais, en cherchant à te plaire, je te
trouvai d'un bien plus grand prix que l'or monnoyé, ou les sommes
pressées dans des sacs; et ce n'est plus qu'à la fortune de te posséder
que j'aspire maintenant.
ANNE.--Mon cher monsieur Fenton, ne vous lassez pas pourtant de
rechercher la bienveillance de mon père: monsieur Fenton, recherchez-la
toujours. Si l'empressement et les plus humbles prières ne peuvent rien,
eh bien, alors, écoutez un mot....
(Ils se retirent pour causer à l'écart.)
(Entrent Shallow, Slender et Quickly.)
SHALLOW.--Dame Quickly, rompez leur colloque: mon parent désire parler
pour son compte.
SLENDER.--Allons, il faut que je fasse ici mon coup. En avant, il ne
s'agit que d'oser.
SHALLOW.--Ne vous effrayez pas, neveu.
SLENDER.--Oh! elle ne m'effraye pas; je ne m'inquiète pas de cela, si ce
n'est que j'ai peur.
QUICKLY.--Ecoutez donc, monsieur Slender voudrait vous dire deux mots.
ANNE.--Je suis à lui dans l'instant. C'est celui que choisit mon père.
(_A part_.) Quelle foule de défauts disgracieux et ridicules sont
embellis par trois cents livres de rente!
QUICKLY.--Et comment se porte le cher monsieur Fenton? Un mot, je vous
prie.
SHALLOW.--Elle vient. Ferme, cousin. O mon garçon! tu avais un père....
SLENDER.--J'avais un père, mistriss Anne. Mon oncle peut vous dire de
bons tours de lui.--Mon cher oncle, je vous conjure, racontez à mistriss
Anne l'histoire des deux oies que mon père vola dans une basse-cour.
SHALLOW.--Mistriss Anne, mon neveu vous aime.
SLENDER.--Oui, je vous aime autant que j'aime aucune autre femme du
comté de Glocester.
SHALLOW.--Il vous entretiendra conformément à votre qualité.
SLENDER.--Je vous en réponds. Robe longue ou robe courte[32], personne,
dans le rang d'écuyer, ne m'en revaudra.
[Note 32: _Come curt and long tail_, viennent courte et longue queue.
C'est-à-dire, viennent des gens obligés de couper la queue à leur chien,
et de ceux qui ont le droit de la lui laisser longue: ce qui était une
des marques distinctives des différentes classes.]
SHALLOW.--Il vous donnera cent cinquante livres de douaire.
ANNE.--Mon bon monsieur Shallow, laissez-le faire sa cour lui-même.
SHALLOW.--Vraiment, je vous en remercie; je vous remercie de cet
encouragement. Cousin, elle vous appelle: je vous laisse.
ANNE.--Eh bien! monsieur Slender?
SLENDER.--Eh bien! mistriss Anne?
ANNE.--Expliquez vos volontés.
SLENDER.--Mes volontés, c'est là un vilain discours à entendre,
vraiment: la plaisanterie est bonne. Grâce au ciel, je n'ai pas encore
songé à les mettre par écrit, mes volontés; je ne suis pas si malade,
grâce au ciel.
ANNE.--Je demande seulement, monsieur Slender, ce que vous me voulez?
SLENDER.--Quant à moi, en mon particulier, je ne vous veux rien, ou peu
de chose. Votre père et mon oncle ont fait quelques arrangements; si
cela réussit, à la bonne heure, sinon, au chanceux la chance. Ils
peuvent vous dire mieux que moi comment les choses vont. Tenez, demandez
à votre père: le voilà qui vient.
(Entrent Page et mistriss Page.)
PAGE.--Eh bien! cher Slender! Aime-le, ma fille Anne.--Comment,
qu'est-ce que c'est? Que fait ici M. Fenton? C'est m'offenser, monsieur,
que d'obséder ainsi ma maison. Je vous ai dit, ce me semble, que j'avais
disposé de ma fille.
FENTON.--Monsieur Page, ne vous fâchez pas.
MISTRISS PAGE.--Mon bon monsieur Fenton, cessez d'importuner ma fille.
PAGE.--Elle n'est point faite pour vous.
FENTON.--Monsieur, voudrez-vous m'écouter?
PAGE.--Non, mon cher monsieur Fenton.--Entrons, monsieur Shallow; mon
fils Slender, entrons.--Instruit comme vous l'êtes de mes vues, vous me
manquez, monsieur Fenton.
(Page, Shallow et Slender sortent.)
QUICKLY, _à Fenton_.--Parlez à mistriss Page.
FENTON.--Chère mistriss Page, aimant votre fille d'une façon aussi
honorable que je le fais, je crois devoir soutenir mes prétentions sans
reculer, malgré les obstacles, les rebuts et les procédés désobligeants.
Accordez-moi votre appui.
ANNE.--Ma bonne mère, ne me mariez pas à cet imbécile.
MISTRISS PAGE.--Ce n'est pas mon intention: je vous cherche un meilleur
époux.
QUICKLY.--C'est le docteur, mon maître.
ANNE.--Hélas! j'aimerais mieux être enterrée vivante, ou assommée à
coups de navets[33].
[Note 33: _Bow'd to death with turnips_.]
MISTRISS PAGE.--Allons, ne vous chagrinez pas. Monsieur Fenton, je ne
serai ni votre amie, ni votre ennemie. Je saurai de ma fille si elle
vous aime, et ce que j'apprendrai à cet égard déterminera mes
sentiments. Jusque-là, adieu, monsieur: il faut que Nancy rentre; son
père se fâcherait.
(Mistriss Page et Anne sortent.)
FENTON.--Adieu, ma chère madame; adieu, Nan.
QUICKLY.--C'est mon ouvrage.--_Comment_, ai-je dit, _voudriez-vous
sacrifier votre enfant à un imbécile ou à un médecin_? Voyez-vous,
monsieur Fenton?--C'est mon ouvrage.
FENTON.--Je te remercie, et je te prie, ce soir, de trouver le moment de
donner cette bague à ma chère Nan: voilà pour ta peine.
(Il sort.)
QUICKLY.--Va, que le ciel t'envoie le bonheur! Quel bon coeur il a! Une
femme passerait à travers l'eau et le feu pour servir un si bon coeur.
Mais pourtant je voudrais que mon maître obtint mistriss Anne, ou je
voudrais que M. Slender l'obtint; ou, en vérité, je voudrais que ce fût
M. Fenton. Je ferai mon possible pour tous les trois; car je l'ai
promis, et je tiendrai ma parole; mais spécieusement[34] à M.
Fenton.--Mais nos dames m'ont donné une autre commission pour le
chevalier sir John Falstaff. Quelle bête je suis de m'amuser ici.
(Elle sort.)
[Note 34: Elle veut dire spécialement.]
SCÈNE V
Une chambre dans l'hôtellerie de la _Jarretière_.
_Entrent_ FALSTAFF et BARDOLPH.
FALSTAFF.--Bardolph, holà!
BARDOLPH.--Me voilà, monsieur.
FALSTAFF.--Va me chercher une pinte de vin d'Espagne, et mets une rôtie
dedans. (_Bardolph sort_.) Ai-je vécu si longtemps pour être emporté
dans un panier comme un tas de viande de rebut, et pour être jeté dans
la Tamise? Bien, bien, si jamais je m'expose à pareil tour, je veux bien
qu'on prenne ma cervelle pour la fricasser au beurre, et la donner au
premier chien pour ses étrennes. Les coquins m'ont renversé dans le
canal avec aussi peu de remords que s'ils avaient noyé une portée de
quinze petits chiens encore aveugles; et on peut juger à ma taille que
je plonge avec quelque vélocité. Le fond touchât-t-il aux enfers, j'y
arriverais. Heureusement que la rivière se trouvait basse et remplie de
sable en cet endroit. J'aurais été noyé: une mort que j'abhorre, car
l'eau fait enfler un homme; et voyez quelle figure j'aurais quand je
serais enflé, une vraie montagne de chair morte.
(Rentre Bardolph avec le vin.)
BARDOLPH.--Mistriss Quickly est là, monsieur, qui veut vous parler.
FALSTAFF.--Allons, mettons d'abord un peu de vin d'Espagne dans l'eau de
la Tamise. Mon ventre est aussi glacé que si j'avais avalé des pelotes
de neige en guise de pilules pour me rafraîchir les reins. Appelle-la.
BARDOLPH.--Entrez, la femme.
(Entre Quickly.)
QUICKLY.--Avec votre permission.--Je vous demande pardon. Je donne le
bonjour à Votre Seigneurie.
FALSTAFF.--Ote-moi tous ces calices; prépare-moi un pot de vin d'Espagne
avec du sucre.
BARDOLPH.--Et des oeufs, monsieur?
FALSTAFF.--Non, simple, naturel. Je ne veux point de germe de poulet
dans mon breuvage.--(_Bardolph sort_.) Eh bien!
QUICKLY.--Vraiment, monsieur, je viens trouver Votre Seigneurie de la
part de mistriss Ford.
FALSTAFF.--Mistriss Ford! J'en ai assez de l'eau de son coquemar[35]: on
m'a mis dedans; j'en ai le ventre Plein.
[Note 35: _I have ford enough_. Falstaff joue ici sur le mot _ford_, qui
signifie un cours d'eau peu profond. Il a fallu rendre cette
plaisanterie par une autre.]
QUICKLY.--Hélas, mon Dieu! La pauvre femme, ce n'est pas sa faute; il
faut s'en prendre à ses gens: ils se sont mépris sur ses ordres.
FALSTAFF.--Moi aussi, je me suis mépris quand je me suis fié à la folle
promesse d'une femme.
QUICKLY.--Ah! monsieur, elle s'en désole, que le coeur vous en
saignerait si vous la voyiez.--Son mari va ce matin chasser à l'oiseau;
elle vous conjure de venir une seconde fois chez elle entre huit et
neuf. Elle m'a chargé de vous le faire savoir promptement; elle vous
dédommagera de votre aventure, je vous en réponds.
FALSTAFF.--Eh bien! je consens à l'aller visiter. Dites-lui de réfléchir
sur ce que vaut un homme. Qu'elle considère sa propre fragilité, et
qu'elle apprécie mon mérite.
QUICKLY.--C'est ce que je lui dirai.
FALSTAFF.--N'y manquez pas. Entre huit et neuf, dites-vous?
QUICKLY.--Huit et neuf, monsieur.
FALSTAFF.--Bon, retournez: elle peut compter sur moi.
QUICKLY.--Que la paix soit avec vous, monsieur.
(Elle sort.)
FALSTAFF.--Je m'étonne de ne point voir paraître monsieur Brook; il
m'avait fait prier de l'attendre chez moi; j'aime fort son argent. Ah!
le voici.
(Entre Ford.)
FORD.--Dieu vous garde, monsieur.
FALSTAFF.--Eh bien! monsieur Brook, vous venez sans doute pour savoir ce
qui s'est passé entre moi et la femme de Ford.
FORD.--C'est en effet l'objet qui m'amène, sir John.
FALSTAFF.--Monsieur Brook, je ne veux pas vous tromper; je me suis rendu
chez elle à l'heure marquée.
FORD.--Eh bien! monsieur, comment avez-vous été traité?
FALSTAFF.--Très désagréablement, monsieur Brook.
FORD.--Comment donc? Aurait-elle changé de sentiment?
FALSTAFF.--Non, monsieur Brook, mais son pauvre cornu de mari, monsieur
Brook, que la jalousie tient dans de continuelles alarmes, nous est
arrivé pendant l'entrevue, au moment où finissaient les embrassades,
baisers, protestations, c'est-à-dire le prologue de notre comédie. Il
amenait après lui une bande de ses amis que, dans son mal, il avait
ameutés et excités à venir faire dans la maison la recherche de l'amant
de sa femme.
FORD.--Quoi! tandis que vous étiez là?
FALSTAFF.--Tandis que j'étais là.
FORD.--Et Ford vous a cherché sans pouvoir vous trouver?
FALSTAFF.--Écoutez donc. Par une bonne fortune, arrive à point nommé une
mistriss Page: celle-ci nous donne avis de l'approche de Ford: la femme
de Ford ayant la tête perdue, elles m'ont fait sortir dans un panier de
lessive.
FORD.--Dans un panier de lessive?
FALSTAFF.--Oui, pardieu, dans un panier de lessive; elle m'ont pressé, à
m'étouffer, sous un tas de chemises, de jupes sales, de chaussons, de
bas sales, de serviettes grasses: ce qui faisait bien, monsieur Brook,
le plus puant composé d'infâmes odeurs qui ait jamais affligé l'odorat.
FORD.--Mais restâtes-vous longtemps dans cette situation?
FALSTAFF.--Vous allez entendre, monsieur Brook, tout ce que j'ai
souffert pour mettre cette femme à mal en votre considération! Quand je
fus ainsi empilé dans le panier, deux coquins de valets de Ford
arrivèrent; sur l'ordre que leur donna leur maîtresse de me porter au
pré de Datchet, en qualité de linge sale, ils me prirent sur leurs
épaules, et rencontrèrent à la porte leur coquin de jaloux de maître qui
leur demanda une ou deux fois ce qu'ils avaient dans leur panier. Je
frissonnais de peur que cet enragé de lunatique ne voulût y regarder;
mais le destin qui a décrété qu'il serait cocu retint sa main: c'est
bien; il entra pour faire sa recherche, et moi je sortis paquet de
linge. Mais observez la suite, monsieur Brook: je souffris les angoisses
de trois morts différentes; d'abord la frayeur inconcevable de me voir
découvert par ce vilain jaloux de bélier à deux jambes; ensuite, d'être
plié, comme le serait une bonne lame d'Espagne, dans la circonférence
d'un baril, la pointe contre la garde, les talons contre la tête; enfin,
d'être renfermé, comme un corps en dissolution, dans des linges puants
qui fermentaient dans leur propre graisse. Pensez à cela un homme de mon
acabit; pensez à cela, moi qui crains le chaud comme beurre, un homme
continuellement fondant et en eau; c'est un miracle que je n'aie pas
étouffé. Puis au plus haut degré de ce bain, quand j'étais à moitié cuit
dans la graisse, comme un ragoût hollandais, être jeté dans la Tamise,
et refroidi dans le courant comme un fer à cheval rougi au feu! Pensez à
cela, être jeté là tout brûlant! pensez à cela, monsieur Brook.
FORD.--En bonne vérité, monsieur, je suis désolé que vous ayez souffert
tout cela pour l'amour de moi. Voilà mes espérances perdues; vous ne
ferez plus aucune tentative auprès d'elle.
FALSTAFF.--Monsieur Brook, plutôt que d'y renoncer ainsi, je consens
d'être jeté dans l'Etna comme je l'ai été dans la Tamise. Le mari va ce
matin chasser à l'oiseau; et elle m'a fait donner un second rendez-vous.
On m'attend de huit à neuf, monsieur Brook.
FORD.--Il est déjà huit heures passées, monsieur.
FALSTAFF.--En vérité? Je pars donc pour mon rendez-vous. Revenez tantôt
à votre loisir; vous apprendrez comment je mène les choses, et pour
couronner l'oeuvre, elle sera à vous. Adieu, adieu, vous l'aurez,
monsieur Brook. Monsieur Brook, vous ferez Ford cocu.
(Il sort.)
FORD.--Hé! comment? est-ce une vision? est-ce un songe? Éveillez-vous,
monsieur Ford, éveillez-vous; éveillez-vous, monsieur Ford: voilà un
trou de fait dans votre plus bel habit, monsieur Ford. Voilà ce que
c'est que le mariage: voilà ce que c'est que d'avoir du linge et des
paniers de lessive. Bien; j'afficherai ce que je suis; je prendrai le
débauché: il est dans ma maison; il ne peut m'échapper, et c'est, je
crois, impossible qu'il le puisse. Il ne peut couler dans une bourse, ou
se glisser dans la boîte au poivre; mais, de peur que le diable qui le
conduit ne lui prête son secours, je veux fouiller les endroits où il
est impossible qu'il se trouve. Puisque je ne puis éviter d'être ce que
je suis, la certitude d'être ce que je ne voudrais pas ne me rendra pas
résigné. Si j'ai des cornes assez pour en enrager, eh bien! à la bonne
heure, je me montrerai enragé[36].
(Il sort.)
[Note 36: _If I have horns to make one mad, I will be hornmad_. Le sens
d'_hornmad_ n'est pas bien déterminé. On ne sait si c'est fou de
jalousie, ou fou par l'influence de la lune. _Horns_, croissant: le jeu
de mots ne pouvait se rendre en français.]
FIN DU TROISIÈME ACTE.
ACTE QUATRIÈME
SCÈNE I
La rue.
_Entrent_ MISTRISS PAGE, MISTRISS QUICKLY et WILLIAM.
MISTRISS PAGE.--Le crois-tu déjà chez mistriss Ford?
QUICKLY.--Sûrement, il y est déjà, ou tout près d'arriver: mais ma foi,
il est fièrement en colère de ce qu'on l'a jeté dans l'eau. Mistriss
Ford vous prie de venir sur-le-champ.
MISTRISS PAGE.--Je serai chez elle dans un moment: je ne veux que
conduire mon petit bonhomme à l'école. Voici son maître.--Je vois que
c'est aujourd'hui jour de congé. (_Evans entre_.) Comment, sir Hugh,
est-ce que vous n'avez pas de classe aujourd'hui?
EVANS.--Non; monsieur Slender veut qu'on laisse les enfants jouer.
QUICKLY.--Que son coeur en soit béni!
MISTRISS PAGE.--Sir Hugh, mon mari dit que mon fils ne profite pas du
tout dans ses études. Je vous en prie, faites-lui quelques questions sur
son rudiment.
EVANS.--Ici, William; levez la tête, allons.
MISTRISS PAGE.--Venez ici, mon enfant; levez la tête, répondez à votre
maître. N'ayez pas peur.
EVANS.--William, combien de nombres dans les noms?
WILLIAM.--Deux.
QUICKLY.--Vraiment, j'aurais cru que les noms étaient impairs, car on
dit: pair ou non[37].
EVANS.--Finissez voire babil. Qu'est-ce que c'est blanc[38], William?
[Note 37: _Od's nouns_. Les méprises de Quickly provenant ou des défauts
de prononciation d'Evans, ou de certaines consonnances entre les mots
latins et quelques mots anglais d'un sens différent, ne peuvent se
rendre littéralement.]
[Note 38: _Albus_. C'est sur le mot _pulcher_ qu'Evans interroge
William. Quickly entend _polcats_ (putois) et s'écrie qu'il y a des
choses plus belles que les putois.]
WILLIAM.--_Albus_.
QUICKLY.--Arbuste? Qui est-ce qui a jamais vu un arbuste blanc?
EVANS.--Vous êtes la femme la plus simple; taisez-vous, je vous prie.
Qu'est-ce que c'est _lapis_, William?
WILLIAM.--Une pierre.
EVANS.--Et qu'est-ce que c'est une pierre, William?
WILLIAM.--Un caillou.
EVANS.--Non, c'est _lapis_. Je vous prie, mettez cela dans votre
cervelle.
WILLIAM.--_Lapis_.
EVANS.--C'est bon, William. William, qui prête les articles?
WILLIAM.--Les articles sont empruntés du pronom, et on les décline
ainsi: _Singulariter, nominativo: Hic, hæc, hoc._
EVANS.--_Nominativo, hic, hæc, hoc_. Je vous en prie, faites attention.
_Genitivo, hujus._ Bien! qu'est-ce que c'est que l'accusatif?
WILLIAM.--_Accusativo, hunc_.
EVANS.--Je vous en prie, rappelez-vous, enfant. _Accusativo, hunc, hanc,
hoc_.
QUICKLY.--Hein, quand, coq. C'est du latin pour la basse-cour, sur ma
parole[39].
[Note 39: «Hein, quand, coq.» Evans, dans le texte, au lieu de _hunc,
hanc, hoc_, prononce _hing, hang, hog_, et Quickly dit que _hang hog_
(pendez le cochon) est en latin pour _faire du lard_ (_latin for
bacon_).]
EVANS.--Cessez vos bavardages, la femme. Qu'est-ce que c'est que le cas
vocatif, William?
WILLIAM.--_O! Vocativo, O!_
EVANS.--Souvenez-vous bien, William, le vocatif est _caret_[40].
[Note 40: Evans prend pour le vocatif lui-même, le mot _caret_, mis à
quelques mots; afin d'avertir que le vocatif manque.]
QUICKLY.--Au moins est-ce quelque chose de bon qu'une carotte.
EVANS.--Finissez donc, la femme.
MISTRISS PAGE.--Paix donc.
EVANS.--Qu'est-ce que c'est que le cas génitif au pluriel, William?
WILLIAM.--Le cas génitif?
EVANS.--Oui.
WILLIAM.--Génitif, _horum, harum, horum_.
QUICKLY.--Qu'allez-vous lui parler du cas où se trouve Jenny[41] la
coquine? enfant, ne parlez jamais de cette créature-là.
[Note 41: La colère de Quickly porte ici sur le mot _horum_ qu'elle
confond avec _whore_, et sur les mots _hic_ et _hoc_ qu'elle prend pour
les verbes anglais _to hick_ et _to hock_. Il a fallu, pour être
intelligible, avoir recours à d'autres consonnances.]
EVANS.--N'avez-vous pas de honte, la femme?
QUICKLY.--Non. Vous avez tort d'apprendre ces choses-là à cet enfant. A
quoi bon lui aller dire que c'est là le _hic_, lui parler de tous les
_cancans_, et puis lui raconter des histoires de coquines; tenez, cela
est vilain à vous.
EVANS.--As-tu la cervelle dérangée, la femme? N'as-tu donc pas
l'intelligence des cas, des nombres, des genres? Tu es une aussi bête
créature de chrétienne que je le puisse désirer.
MISTRISS PAGE.--Je t'en prie, tais-toi.
EVANS.--A présent, William, dites-moi quelques déclinaisons de vos
pronoms.
WILLIAM.--Ma foi, je les ai oubliées.
EVANS.--_Ki, ke, cod_. Si vous oubliez vos _kies_, vos _koes_, vos
_cods_, vous aurez le fouet. A présent, vous pouvez aller jouer. Allez.
MISTRISS PAGE.--Il est plus avancé que je ne croyais.
EVANS.--Il a la mémoire prompte. Adieu, mistriss Page.
MISTRISS PAGE.--Adieu, mon bon sir Hugh. (_Sir Hugh sort._) Allez à la
maison, petit garçon; nous, nous n'avons pas de temps à perdre.
(Ils sortent.)
SCÈNE II
Une pièce dans la maison de Ford.
_Entrent_ MISTRISS FORD et FALSTAFF.
FALSTAFF.--Mistriss Ford, votre chagrin a fait évanouir le mien. Je
vois que votre amour pour moi connaît les égards qui me sont dus, et je
promets de m'acquitter envers vous avec scrupule; non-seulement,
mistriss Ford, en ce qui concerne le simple devoir de l'amour, mais dans
tous ses alentours, circonstances et dépendances. Mais êtes-vous
tranquille sur votre mari aujourd'hui?
MISTRISS FORD.--Il est à la chasse à l'oiseau, tendre sir John.
(Mistriss Page derrière le théâtre.)
MISTRISS PAGE.--Holà, commère Ford, holà!
MISTRISS FORD.--Passez dans la chambre, sir John.
(Entre mistriss Page.)
MISTRISS PAGE.--Bonjour, ma belle. Dites-moi, qui avez-vous au logis?
MISTRISS FORD.--Quoi? personne que mes gens.
MISTRISS PAGE.--Bien sûr?
MISTRISS FORD.--Non en vérité. _(Bas)_. Parlez plus haut.
MISTRISS PAGE.--Vraiment; allons, je suis bien contente que vous n'ayez
personne ici.
MISTRISS FORD.--Pourquoi?
MISTRISS PAGE.--Pourquoi, voisine! Votre mari est retombé dans ses
premières folies. Il faut l'entendre là-bas, avec mon mari, comme il
prend la chose à coeur, comme il déclame contre tous les gens mariés,
comme il maudit toutes les filles d'Ève, de quelque couleur qu'elles
puissent être: il faut le voir se frapper le front en criant: Percez,
paraissez; en telle sorte que je n'ai jamais vu de frénésie au monde que
je ne sois tentée de prendre pour de la douceur, de la modération, de la
patience, auprès de la maladie qui le travaille maintenant. Je vous
félicite bien de n'avoir pas au logis le gros chevalier.
MISTRISS FORD.--Comment? Parle-t-il de lui?
MISTRISS PAGE.--Il ne parle que de lui, et déclare avec serment que,
tandis qu'il le cherchait hier, on l'emportait dans un panier: il
proteste à mon mari qu'il est encore ici aujourd'hui: il lui a fait
quitter la chasse, ainsi qu'au reste de la société, pour essayer encore
une fois de leur prouver la justice de ses soupçons. Mais je suis bien
aise que le chevalier ne soit pas ici, il verra sa sottise.
MISTRISS FORD.--Est-il encore loin, mistriss Page?
MISTRISS PAGE.--Tout près, au bout de la rue: il va arriver dans
l'instant.
MISTRISS FORD.--Je suis perdue, le chevalier est ici.
MISTRISS PAGE.--Eh bien! vous êtes perdue, sans ressource, et pour le
chevalier, c'est un homme mort. Quelle femme êtes-vous donc? Faites-le
sortir, faites-le sortir. Un peu de bonté vaut encore mieux qu'un
meurtre.
MISTRISS FORD.--Et par où sortira-t-il? Où pourrons-nous le cacher. Le
mettrons-nous encore dans le panier?
(Rentre Falstaff.)
FALSTAFF.--Non, je ne veux plus me mettre dans le panier; ne puis-je
m'évader avant qu'il arrive?
MISTRISS PAGE.--Hélas! trois frères de monsieur Ford, armés de
pistolets, gardent la porte, afin que rien ne sorte: sans cela, vous
auriez pu vous échapper, avant qu'il vint.--Mais que faites-vous là?
FALSTAFF.--Que ferai-je?--Je vais me fourrer dans la cheminée.
MISTRISS FORD.--C'est là qu'ils viennent tous en rentrant décharger
leurs fusils de chasse. Descendez dans le four.
FALSTAFF.--Où est-il?
MISTRISS FORD.--Il vous y chercherait encore, sur ma vie. La maison n'a
pas une armoire, un coffre, une cassette, un trou, un puits, une voûte
dont il ne tienne un état par écrit pour s'en souvenir dans l'occasion;
et il fait la revue d'après sa note. Il n'y a pas moyen de vous cacher
dans la maison.
FALSTAFF.--Il faut donc en sortir?
MISTRISS PAGE.--Si vous sortez sous votre propre figure, vous êtes
mort.--A moins que vous ne sortiez déguisé...
MISTRISS FORD.--Comment pourrons-nous le déguiser?
MISTRISS PAGE.--Hélas! en vérité, je n'en sais rien. Il n'y a pas de
robe de femme assez large pour lui, sans quoi avec un chapeau de femme,
un masque et une coiffe, il pourrait n'être pas reconnu.
FALSTAFF.--Mes chères amies, imaginez quelque chose, tout ce qu'il vous
plaira plutôt que de laisser arriver un malheur.
MISTRISS FORD.--La tante de ma servante, la grosse femme de Brentford, a
laissé une robe là-haut.
MISTRISS PAGE.--Sur ma parole, c'est là notre affaire. Elle est aussi
grosse que lui. Vous avez aussi son chapeau de frise et son
masque.--Montez vite là-haut, sir John.
MISTRISS FORD.--Allez, allez, cher sir John, tandis que madame Page et
moi vous chercherons quelque coiffe à votre tête.
MISTRISS PAGE.--Vite, vite, je vous aurai bientôt accommodé. Passez
toujours la robe.
(Falstaff sort.)
MISTRISS FORD.--Je voudrais bien que mon mari le rencontrât sous cette
mascarade. Il ne peut souffrir la vieille femme de Brentford, il prétend
qu'elle est sorcière, il lui a défendu la maison, et l'a menacée de la
battre.
MISTRISS PAGE.--Que le ciel puisse le conduire sous la canne de ton
mari, et qu'ensuite le diable conduise la canne!
MISTRISS FORD.--Mais mon mari vient-il sérieusement?
MISTRISS PAGE.--Oui, très sérieusement. Il parle même du panier. Il
faut, je ne sais comment, qu'il en ait appris quelque chose.
MISTRISS FORD.--C'est ce que nous allons savoir. Je vais faire emporter
de nouveau le panier par mes gens, de manière qu'il le rencontre à la
porte comme la dernière fois.
MISTRISS PAGE.--C'est bon, mais il va être ici dans l'instant. Songeons
à la toilette de la sorcière de Brentford.
MISTRISS FORD.--Laissez-moi d'abord donner mes ordres à mes gens pour le
panier. Montez, je vais vous porter une coiffe.
MISTRISS PAGE.--Puisse-t-il être pendu, le vilain débauché! nous ne
saurions le maltraiter assez. Nous laisserons dans ce que nous allons
faire une preuve que les femmes peuvent en même temps être joyeuses et
vertueuses. Nous n'agissons pas, nous autres qu'on voit toujours rire et
plaisanter. Le vieux proverbe a dit vrai: _C'est le cochon paisible qui
mange tout ce qu'il trouve_[42].
[Note 42: _Still swine eat all the draff_.]
(Elle sort.)
(Entrent les domestiques.)
MISTRISS FORD.--Allez, vous autres, reprendre le panier sur vos épaules;
votre maître est presque à la porte: s'il vous ordonne de le mettre à
terre, obéissez-lui.--Allons, dépêchez.
(Elle sort.)
PREMIER DOMESTIQUE.--Viens, toi, soulevons notre charge.
SECOND DOMESTIQUE.--Prions Dieu qu'il ne soit pas rempli encore d'un
chevalier!
PREMIER DOMESTIQUE.--J'espère que non. J'aimerais autant porter le même
volume en plomb.
(Entrent Ford, Page, Shallow, Caius et Evans.)
FORD.--D'accord, monsieur Page. Mais si la chose est prouvée, avez-vous
quelque secret pour faire que je ne sois pas un sot?--A bas le panier,
marauds!--Qu'on appelle ma femme!--Allons; jeune galant du panier,
sortez.--O suppôts d'infamie que vous êtes!--Il y a une fédération, une
ligue, une cabale, une conspiration contre moi; mais le diable en aura
la honte. Holà! ma femme, sortez, paraissez, paraissez; paraissez donc
quand je vous appelle; venez nous montrer quelles honnêtes hardes vous
envoyez au blanchissage.
PAGE.--Eh! mais vraiment, ceci passe les bornes, monsieur Ford: on ne
peut pas vous laisser en liberté plus longtemps, il faudra vous
enfermer.
EVANS.--C'est de la folie; il est aussi fou qu'un chien enragé.
(Entre mistriss Ford.)
SHALLOW.--Cela n'est pas bien, monsieur Ford; en vérité, cela n'est pas
bien.
FORD.--C'est précisément ce que je dis, monsieur. Avancez ici, mistriss
Ford, mistriss Ford, l'honnête femme, l'honnête femme, l'épouse modeste,
la vertueuse créature qui a un sot jaloux de mari, avancez. Je vous
soupçonne à tort, mistriss, n'est-il pas vrai?
MISTRISS FORD.--Le ciel me soit témoin que vous êtes injuste, si vous me
soupçonnez de rien de malhonnête.
FORD.--Très-bien dit, front d'airain: soutenez ce ton. Allons, drôle,
sortez.
(Il jette les hardes hors du panier.)
PAGE.--Cela est trop fort.
MISTRISS FORD.--N'avez-vous pas de honte? Laissez là ces hardes.
FORD.--Je vous démasquerai.
EVANS.--Cela est déraisonnable. Quoi vous voulez chercher querelle au
linge de votre femme! Allons, laissez, laissez.
FORD.--Videz le panier, vous dis-je.
MISTRISS FORD.--Comment, monsieur, comment?
FORD.--Monsieur Page, comme il fait jour, un homme a été emporté hier de
ma maison dans ce panier. Pourquoi ne peut-il pas s'y trouver encore
aujourd'hui? j'ai la certitude qu'il est dans la maison. Mes avis sont
sûrs, ma jalousie est fondée en raison. Otez-moi tout ce linge.
MISTRISS FORD.--Si vous trouvez là un homme à tuer il faut qu'il soit de
l'espèce des mouches.
PAGE.--Il n'y a point là d'homme.
SHALLOW.--- Par ma fidélité, cela n'est pas bien, monsieur Ford, vous
vous faites tort.
EVANS.--Monsieur Ford, mettez-vous en prière, et ne suivez pas les
inclinations de votre coeur. C'est jalousie que tout cela.
FORD.--A la bonne heure. Celui que je cherche n'est pas là.
PAGE.--Ni ailleurs que dans votre cervelle.
FORD.--Aidez-moi à fouiller partout cette seule fois. Si je ne trouve
rien, vous êtes dispensés d'excuser ma folie: faites de moi le sujet de
vos plaisanteries de table, qu'on dise de moi: jaloux comme Ford qui
cherchait le galant de sa femme dans une coquille de noix. Mais veuillez
me satisfaire encore une fois; une dernière fois cherchez avec moi.
MISTRISS FORD.--Eh! madame Page, descendez, ainsi que la vieille femme:
mon mari veut monter dans la chambre.
FORD.--La vieille femme? Quelle vieille femme?
MISTRISS FORD.--La vieille de Brentford, la tante de ma servante.
FORD.--Qui, cette sorcière, cette malheureuse, cette impudente coquine?
Ne lui ai-je pas interdit ma maison? C'est-à-dire, qu'elle vient ici
rendre quelque message. Nous autres simples mortels, nous ne pouvons pas
savoir tout ce qui passe par la main d'une diseuse de bonne aventure.
Elle se sert de charmes, de caractères, de figures et autres menteries
de cette espèce. Cela est hors de notre portée; nous n'y connaissons
rien. Descendez, sorcière que vous êtes, vieille bohémienne; descendez,
quand je vous le dis.
MISTRISS FORD.--Non, mon bon cher mari. Mes bons messieurs, empêchez-le
de frapper la vieille femme.
(Entre Falstaff habillé en femme, conduit par mistriss Page.)
MISTRISS PAGE.--Venez, mère Babil[43], venez; donnez-moi la main.
[Note 43: _Mother prat. To prate_ signifie babiller; il a fallu traduire
le nom pour donner quelque sens à la réplique de Ford.]
FORD.--Ah! je lui en donnerai du _babil_. Hors de chez moi, sorcière.
(_Il le bat_.) Vieux graillon, coquine, drôlesse, salope que vous êtes.
Ah! je vous conjurerai, moi, je vous dirai la bonne aventure.
(Falstaff sort.)
MISTRISS PAGE.--N'avez-vous pas de honte? Je crois, en vérité que vous
avez tué cette pauvre femme.
MISTRISS FORD.--Vraiment, cela pourrait bien être.--Cela vous fera
honneur.
FORD.--Je voudrais qu'elle fût pendue, la sorcière.
EVANS.--A vrai dire, je crois bien que la femme est une sorcière. Je
n'aime pas qu'une femme ait une grande barbe, et j'ai vu une grande
barbe sous son masque.
FORD.--Messieurs, voulez-vous me suivre? Je vous en conjure; suivez-moi;
vous serez témoins du résultat de mes soupçons. Si je ne fais pas lever
une pièce, ne me croyez plus quand j'aboierai.
PAGE.--Allons, prêtons-nous encore à sa fantaisie. Venez, messieurs.
(Page, Ford, Shallow et Evans sortent.)
MISTRISS PAGE.--Je vous réponds qu'il a été pitoyablement arrangé.
MISTRISS FORD.--Dites donc impitoyablement.
MISTRISS PAGE.--J'opine pour que le bâton soit béni et suspendu sur
l'autel: il a servi à une action méritoire.
MISTRISS FORD.--Pensez-vous qu'autorisées comme nous le sommes par notre
dignité de femmes et le témoignage d'une bonne conscience, nous
puissions pousser plus loin notre vengeance?
MISTRISS PAGE.--Je crois bien que l'esprit de libertinage doit avoir
reçu son compte, et qu'à moins de s'être engagé au diable par dits et
dédits[44], il ne songera plus à attenter à notre honneur.
[Note 44: _In fee simple, with fine and recovery_.]
MISTRISS FORD.--Dirons-nous à nos maris les tours que nous lui avons
joués?
MISTRISS PAGE.--Certainement, ne fût-ce que pour ôter de l'esprit du
vôtre les fantaisies qu'il y a mises. S'ils jugent dans leur sagesse que
ce pauvre gros mauvais sujet de chevalier ne soit pas encore assez puni,
nous continuerons d'être les ministres de la vengeance.
MISTRISS FORD.--Je vous garantis qu'ils voudront lui en faire
publiquement la honte. Quant à moi, je pense que la raillerie ne serait
pas complète si on ne la terminait par un affront public.
MISTRISS PAGE.--Allons donc tout de suite mettre les fers au feu, et ne
laissons rien refroidir.
(Elles sortent.)
SCÈNE III
Une pièce dans l'hôtellerie de la _Jarretière_.
_Entrent_ L'HÔTE et BARDOLPH.
BARDOLPH.--Monsieur, les Allemands vous demandent trois chevaux. Leur
duc, en personne, arrive demain à la cour, et ils vont au-devant de lui.
L'HÔTE.--Qu'est-ce? Quel est ce duc qui voyage si secrètement? Je n'ai
pas entendu dire qu'il vînt à la cour. Fais-moi parler avec ces
étrangers. Ils parlent anglais?
BARDOLPH.--Oui, monsieur, je vais vous les envoyer.
L'HÔTE.--Ils auront mes chevaux, mais ils les payeront; je les épicerai.
Ils disposent de ma maison depuis huit jours, et j'ai délogé pour eux
mes autres hôtes. Il faut qu'ils payent, je les arrangerai. Allons,
viens.
(Ils sortent.)
SCÈNE IV
Une pièce dans la maison de Ford.
_Entrent_ PAGE, FORD, MISTRISS PAGE, MISTRISS FORD et SIR HUGH EVANS.
EVANS.--C'est bien là la plus belle invention féminine que j'aie jamais
rencontrée.
PAGE.--Et il vous a fait remettre ces deux lettres en même temps?
MISTRISS PAGE.--Dans le même quart d'heure.
FORD.--Pardonne-moi, ma femme. Désormais fais ce que tu voudras; je
soupçonnerai plutôt le soleil d'être froid, que toi d'être légère. Tu as
fait rentrer dans une âme hérétique une inébranlable foi en ta vertu.
PAGE.--C'est bien, c'est bien, en voilà assez. Ne soyez pas aussi
extrême dans la réparation que vous l'avez été dans l'offense; mais
occupons-nous de notre projet. Il faut donc, pour en avoir publiquement
le plaisir, que nos femmes donnent encore un rendez-vous à ce gros vieux
coquin, et là nous le surprendrons et l'accablerons de ridicule.
FORD.--Je ne vois point pour cela de meilleure idée que la leur.
PAGE.--Quoi! de lui faire dire qu'elles l'attendent à minuit dans le
parc? Allons donc, il ne s'y fiera jamais.
EVANS.--Vous dites qu'il a été jeté dans la rivière, et qu'il a été
rudement battu sous la robe de la vieille femme? Il doit, ce me semble,
avoir des terreurs qui l'empêcheront de venir. Sa chair, je pense, est
mortifiée: il n'aura plus de désirs.
PAGE.--Je le pense de même.
MISTRISS FORD.--Imaginez seulement ce qu'on peut faire de lui quand il y
sera, et nous nous chargeons d'imaginer à nous deux les moyens de l'y
amener.
MISTRISS PAGE.--Il y a un vieux conte sur Herne le chasseur, autrefois
garde de la forêt de Windsor, et qui, tant que dure l'hiver, revient
toutes les nuits à minuit précis tourner autour d'un chêne avec un grand
bois de cerf sur la tête. Dans son passage, il flétrit l'arbre,
ensorcelle le bétail, change en sang le lait des vaches, et porte une
chaîne qu'il secoue avec un bruit effroyable. Vous avez entendu parler
de cet esprit, et vous savez que nos crédules et superstitieux ancêtres
y ajoutaient foi, et qu'ils ont transmis à notre âge, comme une vérité,
le conte de Herne le chasseur.
PAGE.--Comment, nous ne manquons point de gens encore qui n'oseraient,
dans la nuit, passer auprès du chêne de Herne. Mais qu'en voulez-vous
faire?
MISTRISS FORD.--Eh! vraiment, c'est la base de notre projet. Il faut que
Falstaff vienne nous trouver au pied du chêne, déguisé sous la figure de
Herne, avec de grandes cornes énormes sur la tête.
PAGE.--Soit: admettons qu'il y vienne. Et sous ce déguisement, qu'en
ferez-vous? Quel est votre plan?
MISTRISS PAGE.--Nous y avons songé, et le voici. Nous déguiserons Nan
Page, ma fille, et mon petit garçon, ainsi que trois ou quatre enfants
de leur taille, en farfadets, en fées, en lutins, avec des habillements
blancs et verts, des couronnes de bougies allumées sur leurs têtes, et
des sonnettes dans leurs mains. On les cacherait dans quelque fossé des
environs, et au moment où nous aborderions Falstaff elle et moi, ils en
sortiraient tout à coup en faisant entendre des chants bizarres. A leur
vue, nous fuirions toutes deux remplies de frayeur; ils l'entoureraient,
et, selon l'usage des fées, se mettraient à pincer l'impur chevalier,
lui demandant comment, à l'heure de leurs ébats magiques, il ose, sous
cette figure profane; pénétrer dans leurs asiles sacrés.
MISTRISS FORD.--Et jusqu'à ce qu'il ait avoué la vérité, nos génies
supposés le pinceraient d'importance, et le brûleraient avec leurs
bougies.
MISTRISS PAGE.--Quand il aura tout avoué, nous paraîtrons tous; nous
désencornerons l'esprit, et le ramènerons à Windsor en nous moquant de
lui.
FORD.--Si nos jeunes gens ne sont pas très-bien instruits, ils ne
joueront jamais leur rôle.
EVANS.--J'enseignerai aux enfants à se conduire, et je veux aussi, comme
un de ces babouins, brûler le chevalier avec mon flambeau.
FORD.--Cela sera excellent. Je me charge d'acheter les masques.
MISTRISS PAGE.--Ma Nan sera la reine des fées. Je la déguiserai joliment
avec une robe blanche.
PAGE.--Je vais aller acheter l'étoffe (_à part_), et dire en secret à
Slender d'enlever ma Nan, pour l'aller épouser à Eton. (_Haut_.) Allons,
envoyez à l'instant chez Falstaff.
FORD.--Et moi j'y retournerai sous mon nom de Brook, afin qu'il me dise
ses projets. Je suis persuadé qu'il viendra.
MISTRESS PAGE.--Sans nul doute. Allez vous occuper de nous fournir tout
le déguisement de nos lutins avec les accessoires.
EVANS.--Dépêchons-nous, ce sera un plaisir admirable, et une
très-vertueuse fourberie.
(Ford, Page et Evans sortent.)
MISTRISS PAGE.--Mistriss Ford, chargez-vous d'envoyer Quickly à sir
John, pour savoir ce qu'il pense. (_Mistriss Ford sort_.) Pour moi, je
vais chez le docteur; il a mon agrément. Je ne consentirai pas à ce
qu'un autre que lui devienne le mari de Nan Page. Slender a de bons
biens, mais c'est un idiot. Mon mari le préfère à tous, mais le docteur
a des écus et de bons amis à la cour. Il aura ma fille; c'est lui qui
l'aura, dussent mille autres meilleurs que lui venir la demander.
(Elle sort.)
SCÈNE V
Une pièce dans l'hôtellerie de la _Jarretière_.
_Entrent_ L'HÔTE et SIMPLE.
L'HÔTE.--Que cherches-tu ici, butor, lourde caboche? Qu'est-ce? Dis,
parle, réponds, vite, prompt, preste et leste.
SIMPLE.--Vraiment, monsieur l'hôte, je souhaiterais parler à sir John
Falstaff, de la part de M. Slender.
L'HÔTE.--Voilà sa chambre, sa maison, son château, son lit de maître et
son lit volant[45]. Sur la muraille est peinte tout fraîchement et tout
nouvellement l'histoire de l'Enfant prodigue. Allez, frappez, appelez;
il vous parlera comme un anthropophaginien[46]. Frappez, vous dit-on.
[Note 45: _Running bed_. Il y avait alors dans toutes les chambres à
coucher un lit fixe (_standing bed_), où couchait le maître, et une
espèce de coffre ou lit placé sous le premier, qu'on tirait le soir
(_running bed_) et où couchait le domestique.]
[Note 46: _Anthropophaginian_. L'hôte s'amuse presque toujours à
embarrasser ceux de ses interlocuteurs qui n'ont pas une grande
intelligence de la langue, par des mots bizarres ou employés à
contre-sens.]
SIMPLE.--Une vieille femme, une grosse femme est montée dans sa chambre.
Je prendrai la liberté, monsieur, de demeurer jusqu'à ce qu'elle
descende: pour dire le vrai, c'est à elle que je viens parler.
L'HÔTE.--Ah! une grosse femme! Elle pourrait voler le chevalier. Je vais
l'appeler.--Eh! mon gros chevalier, gros sir John, parle-nous du creux
de tes poumons militaires. Es-tu là? C'est ton hôte, ton Ephésien[47]
qui t'appelle.
[Note 47: _Ephesian_. Cette expression est employée dans la première
partie de _Henri IV_: «des Ephésiens de la vieille Église.» Elle doit
signifier _fidèle, loyal_.]
FALSTAFF, _d'en haut_.--Qu'est-ce que c'est, mon hôte?
L'HÔTE.--Voilà un Tartare bohémien qui attend que ta grosse femme
descende: laisse-la descendre, mon gros, laisse-la descendre. Mes
appartements sont honnêtes. Fi! des tête-à-tête! fi!
(Entre Falstaff.)
FALSTAFF.--Mon hôte, j'avais tout à l'heure chez moi une grosse vieille
femme; mais elle est partie.
SIMPLE.--Je vous en prie, monsieur, n'était-ce pas la devineresse de
Brentford?
FALSTAFF.--Eh! oui, coquille de moule, c'était elle. Que lui
voulez-vous?
SIMPLE.--Mon maître, monsieur, mon maître Slender, m'a envoyé après elle
quand il l'a vue passer dans la rue, pour savoir si un certain monsieur
Nym, qui lui a volé une chaîne, a la chaîne ou non.
FALSTAFF.--J'ai parlé de cela à la vieille femme.
SIMPLE.--Et que dit-elle, monsieur, je vous prie?
FALSTAFF.--Ma foi, elle dit que l'homme qui a volé la chaîne de M.
Slender est précisément celui-là même qui la lui a dérobée.
SIMPLE.--J'aurais voulu pouvoir parler à la femme en personne. J'avais
d'autres choses à lui demander encore de sa part.
FALSTAFF.--Quelles choses? Dites-les-nous.
L'HÔTE.--Oui, allons, sur-le-champ.
SIMPLE.--Je ne peux pas les dissimuler.
FALSTAFF.--Dissimule-les, ou tu es mort.
SIMPLE.--Eh bien, monsieur, ce n'est pas autre chose que concernant
mistriss Anne Page, pour savoir si c'est la destinée de mon maître de
l'avoir, ou non.
FALSTAFF.--Oui, oui, c'est sa destinée.
SIMPLE.--Quoi, monsieur?
FALSTAFF.--De l'avoir ou non. Allez, rapportez-lui que la vieille femme
me l'a dit ainsi.
SIMPLE.--Puis-je prendre la liberté de le lui dire ainsi, monsieur?
FALSTAFF.--Oui, mon garçon[48], prenez cette grande Liberté.
[Note 48: _Master tike_. Maître tique. Il est impossible de rendre et
même de comprendre le sens de ce sobriquet.]
SIMPLE.--Je remercie Votre Seigneurie. Je réjouirai mon maître par ces
bonnes nouvelles.
(Simple sort.)
L'HÔTE.--Tu es un savant, tu es un savant, sir John. Avais-tu réellement
une devineresse chez toi?
FALSTAFF.--Oui, j'en avais une, mon hôte, une qui m'a appris plus de
choses que je n'en avais su dans toute ma vie, et je n'ai rien payé pour
cela: c'est moi qu'on a payé pour apprendre.
(Entre Bardolph.)
BARDOLPH.--Hélas! merci de nous, monsieur; nous sommes volés, volés, en
conscience.
L'HÔTE.--Où sont mes chevaux? Rends-moi bon compte de mes chevaux,
coquin.
BARDOLPH.--Partis avec les filous. Aussitôt que nous avons dépassé Éton,
j'étais en croupe derrière l'un d'eux; ils me prennent et me jettent
dans un fossé plein de boue: tous trois piquent, et les voilà partis
comme trois diables allemands, trois docteurs Faust.
L'HÔTE.--Ils ont été à la rencontre de leur duc, coquin; ne dis point
qu'ils ont pris la fuite: les Allemands sont d'honnêtes gens.
(Entre sir Hugh Evans.)
EVANS.--Où est notre hôte?
L'HÔTE.--De quoi s'agit-il, monsieur?
EVANS.--Tenez l'oeil à vos écots. Un de mes amis qui vient de se rendre
à la ville, m'a dit qu'il y avait trois Allemands[49] qui ont volé à
tous les hôtes de Readings, de Maidenhead et de Colebrook, leurs chevaux
et leur argent. Je vous en informe par bonne volonté, voyez-vous. Vous
êtes prudent, vous êtes rempli de sarcasmes et de plaisanteries pour
rire: il ne convient pas que vous soyez dupé. Adieu.