Note du transcripteur.
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Ce document est tiré de:
OEUVRES COMPLÈTES DE
SHAKSPEARE
TRADUCTION DE
M. GUIZOT
NOUVELLE ÉDITION ENTIÈREMENT REVUE
AVEC UNE ÉTUDE SUR SHAKSPEARE
DES NOTICES SUR CHAQUE PIÈCE ET DES NOTES
Volume 6
Le marchand de Venise, Les joyeuses Bourgeoises de
Windsor, Le roi Jean, La vie et la mort du roi Richard II,
Henri IV (1re partie).
PARIS
A LA LIBRAIRIE ACADÉMIQUE
DIDIER ET Cie, LIBRAIRES-ÉDITEURS
35, QUAI DES AUGUSTINS
1863
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LES
JOYEUSES BOURGEOISES
DE WINDSOR
COMÉDIE
NOTICE
SUR
LES JOYEUSES BOURGEOISES
DE WINDSOR
Selon une tradition généralement reçue, la comédie des _Joyeuses
Bourgeoises de Windsor_ fut composée par l'ordre d'Élisabeth, qui,
charmée du personnage de Falstaff, voulut le revoir encore une fois.
Shakspeare avait promis de faire mourir Falstaff dans Henri V[1] mais
sans doute, après l'y avoir fait reparaître encore, embarrassé par la
difficulté d'établir les nouveaux rapports de Falstaff avec Henri devenu
roi, il se contenta d'annoncer au commencement de la pièce la maladie et
la mort de Falstaff, sans la présenter de nouveau aux yeux du public.
Élisabeth trouva que ce n'était pas là tenir parole, et exigea un nouvel
acte de la vie du gros chevalier. Aussi paraît-il que _les Joyeuses
Bourgeoises_ ont été composées après Henri V, quoique dans l'ordre
historique il faille nécessairement les placer avant. Quelques
commentateurs ont même cru, contre l'opinion de Johnson, que cette pièce
devait se placer entre les deux parties de Henri IV; mais il y a, ce
semble, en faveur de l'opinion de Johnson qui la range entre Henri IV et
Henri V, une raison déterminante, c'est que dans l'autre supposition
l'unité, sinon de caractère, du moins d'impression et d'effet, serait
entièrement rompue.
[Note 1: _Voyez_ l'épilogue de la deuxième partie d'Henri IV.]
Les deux parties de Henri IV ont été faites d'un seul jet, ou du moins
sans s'écarter d'un même cours d'idées; non-seulement le Falstaff de la
seconde partie est bien le même homme que le Falstaff de la première,
mais il est présenté sous le même aspect; si dans cette seconde partie,
Falstaff n'est pas tout à fait aussi amusant parce qu'il a fait fortune,
parce que son esprit n'est plus employé à le tirer sans cesse des
embarras ridicules où le jettent ses prétentions si peu d'accord avec
ses goûts et ses habitudes, c'est cependant avec le même genre de goûts
et de prétentions qu'il est ramené sur la scène; c'est son crédit sur
l'esprit de Henri qu'il fait valoir auprès du juge Shallow, comme il se
targuait, au milieu de de ses affidés, de la liberté dont il usait avec
le prince; et l'affront public qui lui sert de punition à la fin de la
seconde partie de Henri IV n'est que la suite et le complément des
affronts particuliers que Henri V, encore prince de Galles, s'est amusé
à lui faire subir durant le cours des deux pièces. En un mot, l'action
commencée entre Falstaff et le prince dans la première partie, est
suivie sans interruption jusqu'à la fin de la seconde, et terminée alors
comme elle devait nécessairement finir, comme il avait été annoncé
qu'elle finirait.
_Les Joyeuses Bourgeoises de Windsor_ offrent une action toute
différente, présentent Falstaff dans une autre situation, sous un autre
point de vue. C'est bien le même homme, il serait impossible de le
méconnaître; mais encore vieilli, encore plus enfoncé dans ses goûts
matériels, uniquement occupé de satisfaire aux besoins de sa
gloutonnerie. Doll Tear-Sheet abusait encore au moins son imagination;
avec elle il se croyait libertin; ici il n'y songe même plus; c'est à se
procurer de l'argent qu'il veut faire servir l'insolence de sa
galanterie; c'est sur les moyens d'obtenir cette argent que le trompe
encore sa vanité. Élisabeth avait demandé à Shakspeare, dit-on, un
Falstaff amoureux; mais Shakspeare, qui connaissait mieux qu'Élisabeth
les personnages dont il avait conçu l'idée, sentit qu'un pareil genre de
ridicule ne convenait pas à un pareil caractère, et qu'il fallait punir
Falstaff par des endroits plus sensibles. La vanité même n'y suffirait
pas; Falstaff sait prendre son parti de toutes les hontes; au point où
il en est arrivé, il ne cherche même plus à les dissimuler. La vivacité
avec laquelle il décrit à M. Brook ses souffrances dans le panier au
linge sale n'est plus celle de Falstaff racontant ses exploits contre
les voleurs de Gadshill, et se tirant ensuite si plaisamment d'affaire
lorsqu'il est pris en mensonge. Le besoin de se vanter n'est plus un de
ses premiers besoins; il lui faut de l'argent, avant tout de l'argent,
et il ne sera convenablement châtié que par des inconvénients aussi
réels que les avantages qu'il se promet. Ainsi le panier de linge sale,
les coups de bâton de M. Ford, sont parfaitement adaptés au genre de
prétentions qui attirent à Falstaff une correction pareille; mais bien
qu'une telle aventure puisse, sans aucune difficulté, s'adapter au
Falstaff des deux _Henri IV_, elle l'a pris dans une autre portion de sa
vie et de son caractère; et si on l'introduisait entre les deux parties
de l'action qui se continue dans les deux _Henri IV_, elle refroidirait
l'imagination du spectateur, au point de détruire entièrement l'effet de
la seconde.
Bien que cette raison paraisse suffisante, on en pourrait trouver
plusieurs autres pour justifier l'opinion de Johnson. Ce n'est cependant
pas dans la chronologie qu'il faudrait les chercher. Ce serait une
oeuvre impraticable que de prétendre accorder ensemble les diverses
données chronologiques que, souvent dans la même pièce, il plaît à
Shakspeare d'établir; et il est aussi impossible de trouver
chronologiquement la place des _Joyeuses Bourgeoises de Windsor_ entre
_Henri IV_ et _Henri V_, qu'entre les deux parties de _Henri IV_. Mais,
dans cette dernière supposition, l'entrevue entre Shallow et Falstaff
dans la seconde partie de _Henri IV_, le plaisir qu'éprouve Shallow à
revoir Falstaff après une si longue séparation, la considération qu'il
professe pour lui, et qui va jusqu'à lui prêter mille livres sterling,
deviennent des invraisemblances choquantes: ce n'est pas après la
comédie des _Joyeuses Bourgeoises de Windsor_, que Shallow peut être
attrapé par Falstaff. Nym, qu'on retrouve dans _Henri V_, n'est point
compté dans la seconde partie de _Henri IV_, au nombre des gens de
Falstaff. Il serait assez difficile, dans les deux suppositions, de se
rendre compte du personnage de Quickly, si l'on ne supposait que c'est
une autre Quickly un nom que Shakspeare a trouvé bon de rendre commun à
toutes les entremetteuses. Celle de _Henri IV_ est mariée; son nom n'est
donc point un nom de fille; la Quickly des _Joyeuses Bourgeoises_ ne
l'est pas.
Au reste, il serait superflu de chercher à établir d'une manière bien
solide l'ordre historique de ces trois pièces; Shakspeare lui-même n'y a
pas songé. On peut croire cependant que, dans l'incertitude qu'il a
laissée à cet égard, il a voulu du moins qu'il ne fût pas tout à fait
impossible de faire de ses _Joyeuses Bourgeoises de Windsor_ la suite
des _Henri IV_. Pressé à ce qu'il paraît par les ordres d'Élisabeth, il
n'avait d'abord donné de cette comédie qu'une espèce d'ébauche qui fut
cependant représentée pendant assez longtemps, telle qu'on la trouve
dans les premières éditions de ses oeuvres, et qu'il n'a remise que
plusieurs années après sous la forme où nous la voyons maintenant. Dans
cette première pièce, Falstaff, au moment où il est dans la forêt,
effrayé des bruits qui se font entendre de tous côtés, se demande si ce
n'est pas _ce libertin de prince de Galles qui vole les daims de son
père_. Cette supposition a été supprimée dans la comédie mise sous la
seconde forme, lorsque le poëte voulut tâcher apparemment d'indiquer un
ordre de faits un peu plus vraisemblable. Dans cette même pièce comme
nous l'avons à présent, Page reproche à Fenton _d'avoir été_ de la
société du prince de Galles et de Poins. Du moins n'en est-il plus, et
l'on peut supposer que le nom de _Wild-Prince_ demeure encore pour
désigner ce qu'a été le prince de Galles et ce que n'est plus Henri V.
Quoi qu'il en soit, si la comédie des _Joyeuses Bourgeoises_ offre un
genre de comique moins relevé que la première partie de _Henri IV_, elle
n'en est pas moins une des productions les plus divertissantes de cette
gaieté d'esprit dont Shakspeare a fait preuve dans plusieurs de ses
comédies.
Plusieurs nouvelles peuvent se disputer l'honneur d'avoir fourni à
Shakspeare le fond de l'aventure sur laquelle repose l'intrigue des
_Joyeuses Bourgeoises de Windsor_. C'est probablement aux mêmes sources
que Molière aura emprunté celle de son _École des Femmes_; ce qui
appartient à Shakspeare, c'est d'avoir fait servir la même intrigue à
punir à la fois le mari jaloux et l'amoureux insolent. Il a ainsi donné
à sa pièce, sauf la liberté de quelques expressions, une couleur
beaucoup plus morale que celle des récits où il a pu puiser, et où le
mari finit toujours par être dupe, et l'amant heureux.
Cette comédie paraît avoir été composée en 1604.
LES
JOYEUSES BOURGEOISES
DE WINDSOR
COMÉDIE
PERSONNAGES
SIR JOHN FALSTAFF.
FENTON.
SHALLOW, juge de paix de campagne.
SLENDER, cousin de Shallow.
M. FORD. HÔTE deux propriétaires, habitants
M. PAGE. } de Windsor.
WILLIAM PAGE, jeune garçon, fils de M. Page.
SIR HUGH EVANS, curé gallois[2].
LE DOCTEUR CAIUS, médecin français.
L'HÔTE DE LA JARRETIÈRE.
BARDOLPH, }
PISTOL, } suivants de Falstaff.
NYM. }
ROBIN, page de Falstaff.
SIMPLE, domestique de Slender.
RUGBY, domestique du docteur Caius.
MISTRISS FORD.
MISTRISS PAGE.
MISTRISS ANNE PAGE, sa fille, amoureuse de Fenton.
MISTRISS QUICKLY, servante du docteur Caius.
Domestiques de Page, de Ford, etc.
La scène est à Windsor et dans les environs.
[Note 2: Il paraît que le titre de _sir_ fut longtemps donné aux membres
du clergé inférieur.]
ACTE PREMIER
SCÈNE I
A Windsor, devant la maison de Page.
_Entrent_ LE JUGE SHALLOW, SLENDER et _sir_ HUGH EVANS.
SHALLOW.--Tenez, sir Hugh, ne cherchez pas à m'en dissuader. Je veux
porter cela à la chambre étoilée. Fût-il vingt fois sir John Falstaff,
il ne se jouera pas de Robert Shallow, écuyer.
SLENDER.--Écuyer du comté de Glocester, juge de paix et _coram_.
SHALLOW.--Oui, cousin Slender, et aussi _Cust-alorum_[3].
[Note 3: _Cust-alorum_, abréviation de _custos rotulorum_, garde des
registres.]
SLENDER.--Oui, des _ratolorum_! gentilhomme de naissance, monsieur le
curé, qui signe _armigero_ dans tous les actes, billets, quittances,
citations, obligations: _armigero_ partout.
SHALLOW.--Oui, c'est ainsi que nous signons et avons toujours signé sans
interruption ces trois cents dernières années.
SLENDER.--Tous ses successeurs l'ont fait avant lui et tous ses ancêtres
le peuvent faire après lui, ils peuvent vous montrer, sur leur casaque,
la douzaine de loups de mer[4] blancs.
SHALLOW.--C'est une vieille casaque.
EVANS.--Il peut très-bien se trouver sur une vieille casaque une
douzaine de _lous-lous_ blancs[5]. Cela va parfaitement ensemble, c'est
un animal familier à l'homme, un emblème d'affection.
SHALLOW.--Le loup de mer est un poisson frais[6]; ce qui fait le sel de
la chose, c'est que la casaque est vieille.
[Note 4: _White luce_ (brochets). Il a fallu changer le brochet en loup
de mer, pour conserver quelque chose du jeu de mots que fait ensuite
Evans entre _luce_ (brochet), et _louse_ (pou). _Loulou_ est un mot
populaire et enfantin pour désigner cette espèce de vermine.]
[Note 5: Le Gallois Evans parle un jargon qu'il nous a paru difficile de
rendre en français. Ce genre de plaisanterie, souvent fatigant dans
l'original, est à peu près impossible à faire passer dans une autre
langue.]
[Note 6: _The luce is fresh fish; the salt fish is an old coat_. Les
commentateurs n'ont pu rendre raison du sens de cette phrase, en effet
difficile à expliquer. Il paraît probable que poisson frais (_fresh
fish_) était une expression vulgaire pour désigner une noblesse
nouvelle, et que Shallow veut dire que ce qui indique l'ancienneté de sa
maison, et ce qui en fait un poisson salé (_salt fish_), c'est
l'ancienneté de la casaque.]
SLENDER.--Je puis écarteler, cousin?
SHALLOW.--Vous le pouvez sans doute en vous mariant.
EVANS.--Il gâtera tout[7], s'il écartèle.
[Note 7: _It is marring indeed, if he quarter it_. Shallow lui a dit
qu'il pouvait écarteler en se mariant (_marrying_). Evans lui répond
qu'en effet écarteler (_quarter_) est le moyen de tout gâter
(_marring_). Ce jeu de mots était impossible à rendre; il a même été
nécessaire de changer la réplique d'Evans. _If he has a quarter of your
coat, there is but three skirts for yourself_. «S'il a un quart de votre
casaque, vous n'en aurez que trois quarts.»
_Quarter_ signifie également quart, quartier et écarteler.]
SHALLOW.--Pas du tout.
EVANS.--Par Notre-Dame, s'il écartèle votre casaque il la mettra en
pièces; vous n'en aurez plus que les morceaux. Mais cela ne fait rien;
passons; ce n'est pas là le point dont il s'agit.--Si le chevalier
Falstaff a commis quelque malhonnêteté envers vous, je suis un membre de
l'Eglise: et je m'emploierai de grand coeur à faire entre vous quelques
raccommodements et arrangements.
SHALLOW.--Non, le conseil en entendra parler: il y a rébellion.
EVANS.--Il n'est pas nécessaire que le conseil entende parler d'une
rébellion: il n'y a pas de crainte de Dieu dans une rébellion. Le
conseil, voyez-vous, aimera mieux entendre parler de la crainte de Dieu,
que d'une rébellion. Comprenez-vous? Prenez avis de cela.
SHALLOW.--Ah! sur ma vie, si j'étais encore jeune, ceci se terminerait à
la pointe de l'épée.
EVANS.--Il vaut mieux que vos amis soient l'épée et terminent l'affaire,
et puis j'ai aussi dans ma cervelle un projet qui pourrait être d'une
bonne prudence.--Il y a une certaine Anne Page qui est la fille de M.
George Page, et qui est une assez jolie fleur de virginité.
SLENDER.--Mistriss Anne Page? Elle a les cheveux bruns et parle
doucement comme une femme.
EVANS.--C'est cela précisément; c'est tout ce que vous pouvez désirer de
mieux; et son grand-père (Dieu veuille l'appeler à la résurrection
bienheureuse!) lui a donné, à son lit de mort, sept cents bonnes livres
en or et argent, pour en jouir sitôt qu'elle aura pris ses dix-sept ans.
Ce serait un bon mouvement si vous laissiez là vos bisbilles pour
demander un mariage entre M. Abraham et mistriss Anne Page.
SLENDER.--Son grand-père lui a laissé sept cents livres?
EVANS.--Oui, et son père est bon pour lui donner une meilleure somme.
SHALLOW.--Je connais la jeune demoiselle; elle a d'heureux dons de la
nature.
EVANS.--Sept cents livres avec les espérances, ce sont d'heureux dons
que cela.
SHALLOW.--Eh bien! voyons de ce pas l'honnête M. Page.--Falstaff est-il
dans la maison?
EVANS.--Vous dirai-je un mensonge? Je méprise un menteur comme je
méprise un homme faux, ou comme je méprise un homme qui n'est pas vrai.
Le chevalier, sir John, est dans la maison, et, je vous prie,
laissez-vous conduire par ceux qui vous veulent du bien. Je vais frapper
à la porte pour demander M. Page. (_Il frappe_.) Holà! holà! que Dieu
bénisse votre logis!
(Entre Page.)
PAGE.--Qui est là?
EVANS.--Une bénédiction de Dieu, et votre ami, et le juge Shallow, et
voici le jeune monsieur Slender qui pourra, par hasard, vous conter une
autre histoire, si la chose était de votre goût.
PAGE.--Je suis fort aise de voir Vos Seigneuries en bonne santé.
Monsieur Shallow, je vous remercie de votre gibier.
SHALLOW.--Monsieur Page, je suis bien aise de vous voir. Grand bien vous
fasse. J'aurais voulu que le gibier fût meilleur. Il avait été tué
contre le droit.--Comment se porte la bonne mistriss Page? et je vous
aime toujours de tout mon coeur, là, de tout mon coeur.
PAGE.--Monsieur, je vous remercie.
SHALLOW.--Monsieur, je vous remercie: que vous le veuillez où non, je
vous remercie.
PAGE.--Je suis bien aise de vous voir, mon bon monsieur Slender.
SLENDER.--Comment se porte votre lévrier fauve, monsieur? J'entends dire
qu'il a été dépassé à Cotsale.
PAGE.--On n'a pas pu décider la chose, monsieur.
SLENDER.--Vous n'en conviendrez pas, vous n'en conviendrez pas.
SHALLOW.--Non, il n'en conviendra pas.--C'est votre faute, c'est votre
faute.--C'est un beau chien.
PAGE.--Non, monsieur, c'est un roquet.
SHALLOW.--Monsieur, c'est un bon chien et un beau chien; on ne peut pas
dire plus, il est bon et beau. Sir John Falstaff est-il ici?
PAGE.--Oui, monsieur; il est à la maison, et je souhaiterais pouvoir
interposer mes bons offices entre vous.
EVANS.--C'est parler comme un chrétien doit parler.
SHALLOW.--Il m'a offensé, monsieur Page.
PAGE.--Monsieur, il en convient en quelque sorte.
SHALLOW.--Pour être avouée, la chose n'est pas réparée; cela n'est-il
pas vrai, monsieur Page? il m'a offensé; oui offensé, sur ma foi: en un
mot, il m'a fait une offense.--Croyez-moi: Robert Shallow, écuyer, dit
qu'il est offensé.
(Entrent sir John Falstaff, Bardolph, Nym, Pistol.)
PAGE.--Voilà sir John.
FALSTAFF.--Eh bien! monsieur Shallow, vous voulez donc porter plainte au
roi contre moi?
SHALLOW.--Chevalier, vous avez battu mes gens, tué mon daim et enfoncé
la porte de ma réserve.
FALSTAFF.--Mais je n'ai pas baisé la fille de votre garde.
SHALLOW.--Ce n'est pas de cela qu'il s'agit.--Vous aurez à en répondre.
FALSTAFF.--Je vais répondre sur-le-champ: j'ai fait tout cela. Voilà ma
réponse.
SHALLOW.--Le conseil connaîtra de l'affaire.
FALSTAFF.--Il vaudrait mieux pour vous que personne[8] n'en connût rien;
on se moquera de vous.
EVANS.--_Pauca verba_, sir John, et de bonnes choses.
FALSTAFF.--De bonnes chausses? de bons-bas[9]?--Slender, je vous ai
fracassé la tête: quelle affaire avez-vous avec moi?
SLENDER.--Vraiment je l'ai dans ma tête, mon affaire contre vous, et
contre vos coquins de filous, Bardolph, Nym et Pistol. Ils m'ont conduit
à la taverne, m'ont enivré, et puis m'ont pris tout ce que j'avais dans
mes poches.
BARDOLPH.--Comment! fromage de Banbury?
SLENDER.--Bien, bien il ne s'agit pas de cela.
PISTOL.--Comment, Méphistophélès[10]?
SLENDER.--A la bonne heure, mais il ne s'agit pas de cela.
NYM.--Une balafre. Je dis: _pauca, pauca_. Une balafre, voilà la
chose[11].
[Note 8: _'Twere better for you, if it were known in counsel_. «Il
vaudrait mieux pour vous que cela ne fût connu qu'en secret
(_counsel_).» Falstaff joue ici sur le mot de _council_ (conseil), dont
s'est servi Shallow.]
[Note 9: Evans a dit, avec sa mauvaise prononciation: _Good worts_ pour
_good words_ (de bonnes paroles). Falstaff répond: _Good worts_, _good
cabbage_. _Cabbage_ signifie chou, et _worts_ est un vieux mot ayant la
même signification. On a cherché à rendre ce jeu de mots par un
équivalent.]
[Note 10: Nom d'un diable au service de Faust.]
[Note 11: _That is my humour_. Il paraît que le mot _humour_ était une
expression à la mode dont on faisait un grand abus du temps de
Shakspeare. Il le met à tout propos, et hors de propos, dans la bouche
de Nym. On n'a vu que le mot _chose_ qui pût le remplacer convenablement
dans toutes les occasions.]
SLENDER.--Oh! où est Simple, mon valet? Le savez-vous, mon cousin?
EVANS.--Paix, je vous prie.--A présent, entendons-nous: il y a, comme je
l'entends, les trois arbitres dans cette affaire, il y a M. Page,
_videlicet_ M. Page; et il y a moi, _videlicet_ moi; finalement et
dernièrement enfin, le troisième est l'hôte de la _Jarretière_.
PAGE.--Nous trois, pour connaître de l'affaire, et rédiger
l'accommodement entre eux.
EVANS.--Parfaitement, j'écrirai un précis de l'affaire sur mes
tablettes. Et nous travaillerons ensuite sur la chose avec une aussi
grande prudence que nous le pourrons.
FALSTAFF.--Pistol?
PISTOL.--Il écoute de ses oreilles.
EVANS.--Par le diable et sa grand'mère, quelle phrase est-ce là? _Il
écoute de son oreille_! C'est là de l'affectation.
FALSTAFF.--Pistol, avez-vous pris la bourse de monsieur Slender?
SLENDER.--Oui, par ces gants, il l'a prise, ou bien que je ne rentre
jamais dans ma grande chambre! Et il m'a pris sept groats en pièces de
six pence, et six carolus de laiton, et deux petits palets du roi
Edouard, que j'avais achetés deux schellings et deux pence chaque, de
Jacob le meunier. Oui, par ces gants.
FALSTAFF.--Pistol, cela est-il vrai?
EVANS.--Non, c'est faux, si c'est une bourse filoutée.
PISTOL, _à Evans_.--Sauvage de montagnard que tu es! (_A
Falstaff_.)--Sir John, mon maître, je demande le combat contre cette
lame de fer-blanc. Je dis que tu en as menti ici par la bouche; je dis
que tu en as menti, figure de neige et d'écume, tu en as menti.
SLENDER.--Par ces gants, alors, c'est donc cet autre.
(Montrant Nym.)
NYM.--Prenez garde, monsieur, finissez vos plaisanteries. Je ne tomberai
pas tout seul dans le fossé, si vous vous accrochez à moi! Voilà tout ce
que j'ai à vous dire.
SLENDER.--Par ce chapeau, c'est donc celui-là, avec sa figure rouge.
Quoique je ne puisse pas me souvenir de ce que j'ai fait, quand une
fois, vous m'avez eu enivré, je ne suis pourtant pas tout à fait un âne,
voyez-vous.
FALSTAFF, _à Bardolph_.--Que répondez vous, Jean et l'Ecarlate[12]?
[Note 12: _Scarlet and John_. Noms de deux des compagnons de Robin
Hood.]
BARDOLPH.--Qui, moi, monsieur? Je dis que ce galant homme s'est enivré
jusqu'à perdre ses cinq sentiments de nature.
EVANS.--Il faut dire les cinq sens. Ah! par Dieu, ce que c'est que
l'ignorance!
BARDOLPH.--Et qu'étant ivre, monsieur, il aura été, comme on dit, mis
dedans; et qu'ainsi, fin finale, il aura passé le pas.
SLENDER.--Oui, vous parliez aussi latin ce soir-là. Mais c'est égal,
après ce qui m'est arrivé, je ne veux plus m'enivrer jamais de ma vie,
si ce n'est en honnête, civile, et sainte compagnie. Si je m'enivre, ce
sera avec ceux qui ont la crainte de Dieu, et non pas avec des coquins
d'ivrognes.
EVANS.--Comme Dieu me jugera, c'est là une intention vertueuse!
FALSTAFF.--Vous avez entendu, messieurs, qu'on a tout nié. Vous l'avez
entendu.
(Mistriss Anne Page entre dans la salle, apportant du vin. Mistriss Page
et mistriss Ford la suivent.)
PAGE.--Non, ma fille: remportez ce vin, nous boirons là dedans.
(Anne Page sort.)
SLENDER.--O ciel! c'est mistriss Anne Page!
PAGE.--Ha! vous voilà, mistriss Ford.
FALSTAFF.--Par ma foi, mistriss Ford, vous êtes la très-bien arrivée.
Permettez, chère madame...
(Il l'embrasse.)
PAGE.--Ma femme, souhaitez la bienvenue à ces messieurs. Venez,
messieurs, vous mangerez votre part d'un pâté chaud de gibier. Allons,
j'espère que nous noierons toutes vos querelles dans le verre.
(Tous sortent excepté Shallow, Evans et Slender.)
SLENDER.--Je donnerais quarante schellings pour avoir ici mon livre de
sonnets et de chansons. (_Entre Simple_.) Comment, Simple? D'où
venez-vous? Il faut donc que je me serve moi-même, n'est-ce pas?--Vous
n'aurez pas non plus le livre d'énigmes sur vous? L'avez-vous?
SIMPLE.--Le livre d'énigmes! Comment, ne l'avez-vous pas prêté à Alix
Short cake, à la fête de la Toussaint dernière, quinze jours avant la
Saint-Michel?
SHALLOW.--Venez, mon cousin; avancez, mon cousin. Nous vous attendons.
J'ai à vous dire ceci, mon cousin. Il y a comme qui dirait une
proposition, une sorte de proposition faite d'une manière éloignée par
sir Hugh, que voilà. Me comprenez-vous?
SLENDER.--Oui, oui; vous me trouverez raisonnable: si la chose l'est, je
ferai ce que demande la raison.
SHALLOW.--Oui, mais songez à me comprendre.
SLENDER.--C'est ce que je fais, monsieur.
EVANS.--Prêtez l'oreille à ses avertissements, monsieur Slender. Je vous
expliquerai la chose, si vous êtes capable de cela.
SLENDER.--Non, je veux agir comme mon cousin Shallow me le dira. Je vous
prie, excusez-moi: il est juge de paix du canton, quoique je ne sois
qu'un simple particulier.
EVANS.--Mais ce n'est pas là la question: la question est concernant
votre mariage.
SHALLOW.--Oui, c'est là le point, mon cher.
EVANS.--Vous marier[13], c'est là le point, et avec mistriss Anne Page.
[Note 13: _Marry is it_. Evans joue ici sur le mot _marry_ qui signifie
_marier_ et _vraiment_.]
SLENDER.--Eh bien! s'il en est ainsi, je veux bien l'épouser, sous
toutes conditions raisonnables.
EVANS.--Mais pouvez-vous aimer cette femme? Apprenez-nous cela de votre
bouche ou de vos lèvres; car divers philosophes soutiennent que les
lèvres sont une portion de la bouche: en conséquence, parlez clair et
net. Êtes-vous porté de bonne volonté pour cette fille?
SHALLOW.--Cousin Abraham Slender, pourrez-vous l'aimer?
SLENDER.--Je l'espère, monsieur; j'agirai comme il convient à un homme
qui veut agir par raison.
EVANS.--Eh! non. Par les bienheureuses âmes d'en haut, vous devez
répondre de ce qui est possible. Pouvez-vous tourner vos désirs vers
elle.
SHALLOW.--C'est ce qu'il faut nous dire: si elle a une bonne dot,
voulez-vous l'épouser?
SLENDER.--Je ferais bien plus encore à votre recommandation, mon cousin,
toute raison gardée.
SHALLOW.--Eh! non. Concevez-moi donc, comprenez-moi, cher cousin; ce que
je fais, c'est pour vous faire plaisir: vous sentez-vous capable d'aimer
cette jeune fille?
SLENDER.--Je l'épouserai, monsieur, à votre recommandation. Si l'amour
n'est pas grand au commencement, le ciel pourra bien le faire décroître
sur une plus longue connaissance, quand nous serons mariés et que nous
aurons plus d'occasions de nous connaître l'un l'autre. J'espère que la
familiarité engendrera le mépris. Mais, si vous me dites, épousez-la, je
l'épouserai; c'est à quoi je suis très-dissolu, et très-dissolument.
EVANS.--C'est répondre très-sagement, excepté la faute qui est dans le
mot _dissolu_; dans notre sens, c'est _résolu_ qu'il veut dire. Son
intention est bonne.
SHALLOW.--Oui, je crois que mon neveu avait bonne intention.
SLENDER.--Oui, ou je veux bien être pendu, là!
(Rentre Anne Page.)
SHALLOW.--Voici la belle mistriss Anne. Je voudrais rajeunir pour
l'amour de vous, mistriss Anne.
ANNE.--Le dîner est sur la table; mon père désire l'honneur de votre
compagnie.
SHALLOW.--Je suis à lui, belle mistriss Anne.
EVANS.--La volonté de Dieu soit bénie! Je ne veux pas être absent au
bénédicité.
(Sortent Shallow et Evans.)
ANNE.--Vous plaît-il d'entrer, monsieur?
SLENDER.--Non, je vous remercie, en vérité, de bon coeur: je suis fort
bien.
ANNE.--Le dîner vous attend, monsieur.
SLENDER.--Je ne suis point un affamé: en vérité je vous remercie. (_A
Simple_.) Allez, mon ami; car, après tout, vous êtes mon domestique;
allez servir mon cousin Shallow. (_Simple sort_.) Un juge de paix peut
avoir quelquefois besoin du valet de son ami, voyez-vous. Je n'ai encore
que trois valets et un petit garçon, jusqu'à ce que ma mère soit morte:
mais qu'est-ce que ça fait? en attendant je vis encore comme un pauvre
gentilhomme.
ANNE.--Je ne rentrerai point sans vous, monsieur; on ne s'assiéra point
à table que vous ne soyez venu.
SLENDER.--Sur mon honneur, je ne mangerai pas. Je vous remercie tout
autant que si je mangeais.
ANNE.--Je vous prie, monsieur, entrez.
SLENDER.--J'aimerais mieux me promener par ici. Je vous remercie.--J'ai
eu le menton meurtri l'autre jour en tirant des armes avec un maître
d'escrime. Nous avons fait trois passades pour un plat de pruneaux
cuits: depuis ce temps je ne puis supporter l'odeur de la viande
chaude.--Pourquoi vos chiens aboient-ils ainsi? Avez-vous des ours dans
la ville?
ANNE.--Je pense qu'il y en a, monsieur, je l'ai entendu dire.
SLENDER.--J'aime fort ce divertissement, voyez-vous; mais je suis aussi
prompt à me fâcher que qui que ce soit en Angleterre.--Vous avez peur
quand vous voyez un ours en liberté, n'est-ce pas?
ANNE.--Oui, en vérité, monsieur.
SLENDER.--Oh! actuellement c'est pour moi boire et manger. J'ai vu
_Sackerson_ en liberté vingt fois, et je l'ai pris, par sa chaîne. Mais,
je vous réponds, les femmes criaient et glapissaient que cela ne peut
pas s'imaginer: mais les femmes, à la vérité, ne peuvent pas les
souffrir; ce sont de grosses vilaines bêtes.
(Rentre Page.)
PAGE.--Venez, cher monsieur Slender, venez; nous vous attendons.
SLENDER.--Je ne veux rien manger: je vous rends grâces, monsieur.
PAGE.--De par tous les saints, vous ne ferez pas votre volonté: allons,
venez, venez.
(Le poussant pour le faire avancer.)
SLENDER.--Non, je vous prie; montrez-moi le chemin.
PAGE.--Passez donc, monsieur.
SLENDER.--C'est vous, mistriss Anne, qui passerez la première.
ANNE.--Non pas, monsieur; je vous prie, passez.
SLENDER.--Vraiment, je ne passerai pas le premier; non, vraiment, là, je
ne vous ferai pas cette impolitesse.
ANNE.--Je vous en prie, monsieur.
SLENDER.--J'aime mieux être incivil qu'importun. C'est vous-même qui
vous faites impolitesse, là, vraiment.
(Ils sortent.)
SCÈNE II
Au même endroit.
_Entrent sir_ HUGH EVANS et SIMPLE.
EVANS.--Allez droit devant vous, et enquérez-vous du chemin qui mène au
logis du docteur Caius. Il y a là une dame Quickly qui est chez lui
comme une manière de nourrice, ou de bonne, ou de cuisinière, ou de
blanchisseuse, ou de laveuse et de repasseuse.
SIMPLE.--C'est bon, monsieur.
EVANS.--Non pas; il y a encore quelque chose de mieux. Donnez-lui cette
lettre; c'est une femme qui est fort de la connaissance de mistriss Anne
Page. Cette lettre est pour lui demander et la prier de solliciter la
demande de votre maître auprès de mistriss Anne. Allez tout de suite, je
vous prie. Je vais achever de dîner; on va apporter du fromage et des
pommes.
(Ils sortent)
SCÈNE III
Une chambre dans l'hôtellerie de la _Jarretière_.
_Entrent_ FALSTAFF, L'HÔTE, BARDOLPH, NYM, PISTOL et ROBIN.
FALSTAFF.--Mon hôte de la _Jarretière_?
L'HÔTE.--Que dit mon gros gaillard? Parle savamment et sagement.
FALSTAFF.--Franchement, mon hôte, il faut que je réforme quelques-uns de
mes gens.
L'HÔTE.--Congédie, mon gros Hercule: chasse-les allons, qu'ils
détalent. Tirez, tirez.
FALSTAFF.--Je vis céans, à raison de dix livres par semaine.
L'HÔTE.--Tu es un empereur, un César, un Kaiser, un casseur[14], comme
tu voudras. Je prendrai Bardolph à mes gages: il percera mes tonneaux,
il tirera le vin. Dis-je bien, mon gros Hector?
[Note 14: _Cæsar_, _Keisar_, _Pheezar_, _Keisar_ est la prononciation
allemande pour César, et Pheezar peut venir de _pheeze_ (peigner,
étriller); mais il fallait un mot qui présentât quelque sorte de
consonance avec _Keisar_.]
FALSTAFF.--Faites cela, mon cher hôte.
L'HÔTE.--J'ai dit: il peut me suivre. (_A Bardolph_.) Je veux te voir
travailler la bière, et frelater le vin. Je n'ai qu'une parole:
suis-moi.
(L'hôte sort.)
FALSTAFF.--Bardolph, suis-le. C'est un excellent métier que celui de
garçon de cave. Un vieux manteau fait un justaucorps neuf; un domestique
usé fait un garçon de cave tout frais. Va; adieu.
BARDOLPH.--C'est la vie que j'ai toujours désirée. Je ferai fortune.
PISTOL.--O vil individu de Bohémien, tu vas donc tourner le robinet?
NYM.--Son père était ivre quand il l'a fait. La chose n'est-elle pas
bien imaginée?--Il n'a point l'humeur héroïque. Voilà la chose.
FALSTAFF.--Je me réjouis d'être ainsi défait de ce briquet: ses larcins
étaient trop clairs: il volait comme on chante quand on ne sait pas la
musique, sans garder aucune mesure.
NYM.--La chose est de savoir profiter, pour voler, du plus petit repos.
PISTOL.--Les gens sensés disent, subtiliser. Fi donc, voler! la peste
soit du mot.
FALSTAFF.--C'est bien, mes enfants; mais je suis tout à fait percé par
les talons.
PISTOL.--En ce cas, gare les engelures.
FALSTAFF.--Il n'y a pas de remède. Il faut que j'accroche de côté ou
d'autre, que je ruse.
PISTOL.--Les petits des corbeaux doivent avoir leur pâture.
FALSTAFF.--Qui de vous connaît Ford, de cette ville?
PISTOL.--Je connais l'individu; il est bien calé.
FALSTAFF.--Mes bons garçons, il faut que je vous apprenne où j'en suis.
PISTOL.--A deux aunes de tour et plus.
FALSTAFF.--Trêve de plaisanterie pour le moment, Pistol. Je suis gros,
si vous voulez, de deux aunes de tour; mais je n'ai pas gros[15] à
dépenser: je m'occupe de faire ressource. En deux mots, j'ai le projet
de faire l'amour à la femme de Ford. J'entrevois des dispositions de sa
part: elle discourt, elle découpe à table, elle décoche des oeillades
engageantes. Je puis traduire le sens de son style familier: et toute
l'expression de sa conduite, rendue en bon anglais, est, _je suis à sir
John Falstaff_.
[Note 15: _Indeed I am in the waist two yards about; but I am now about
no waste_. On voit dans la seconde partie de _Henri IV_ le même jeu de
mots entre _waist_ (taille) et _waste_ (dépense).]
PISTOL.--Il l'a bien étudiée; il traduit le langage de sa pudeur en bon
anglais.
NYM.--L'ancre est jetée bien avant. Me passerez-vous la chose?
FALSTAFF.--Le bruit du pays, c'est qu'elle tient les cordons de la
bourse de son mari: elle a une légion de séraphins.
PISTOL.--Et autant de diables à ses trousses. Allons, je dis: _garçon,
cours sus_.
NYM.--La chose devient engageante. Cela est très-bon: faites-moi la
chose des séraphins.
FALSTAFF.--Voici une lettre que je lui ai bel et bien écrite; et puis,
une autre pour la femme de Page, qui vient aussi tout à l'heure de me
faire les yeux doux, et de me parcourir de l'air d'une femme qui s'y
entend. Les rayons de ses yeux venaient reluire, tantôt sur ma jambe,
et tantôt sur mon ventre majestueux.
PISTOL.--Comme le soleil brille sur le fumier.
NYM.--La chose est bonne.
FALSTAFF.--Oh! elle a fait la revue de mes dons extérieurs avec une
telle expression d'avidité, que l'ardeur de ses regards me grillait
comme un miroir brûlant. Voici de même une lettre pour elle. Elle tient
aussi la bourse: c'est une vraie Guyane, toute or et libéralité. Je veux
être à toutes deux leur receveur; et elles seront toutes deux mes
payeuses[16]: elles seront mes Indes orientales et occidentales, et
j'entretiendrai commerce dans les deux pays. Toi, va, remets cette
lettre à madame Page; et toi, celle-ci à madame Ford. Nous prospérerons,
enfants, nous prospérerons.
[Note 16: _I will be cheater to them both, and they shall be exchequers
to me._ Jeu de mots entre _cheater_ (trompeur) et _escheator_ (officier
de l'Echiquier).]
PISTOL.--Deviendrai-je un Mercure, un Pandarus de Troie, moi qui porte
une épée à mon côté? Quand cela sera, que Lucifer emporte tout!
NYM.--Je ne veux point de la bassesse de la chose, reprenez votre chose
de lettre. Je veux tenir une conduite de réputation.
FALSTAFF, _à Robin_.--Tenez, mon garçon, portez promptement ces lettres;
cinglez, comme ma chaloupe, vers ces rivage dorés. (_Aux deux autres_.)
Vous, coquins, hors d'ici; courez, disparaissez comme des flocons de
neige. Allez, travaillez hors d'ici, tournez-moi vos talons. Cherchez un
gîte, et faites-moi vos paquets. Falstaff veut prendre l'humeur du
siècle, faire fortune comme un Français: coquins que vous êtes! moi; moi
seul avec mon page galonné.
(Sortent Falstaff et Robin.)
PISTOL.--Puissent les vautours te serrer les boyaux! Avec une bouteille
et des dés pipés, j'attraperai de tous côtés le riche et le pauvre. Je
veux avoir des testons en poche, tandis que toi, tu manqueras de tout,
vil Turc phrygien.
NYM.--J'ai dans ma tête des opérations qui feront la chose d'une
vengeance.
PISTOL.--Veux-tu te venger?
NYM.--Oui, par le firmament et son étoile!
PISTOL.--Avec la langue ou le fer?
NYM.--Moi! avec les deux choses.--Je veux découvrir à Page la chose de
cet amour-là.
PISTOL.--Et moi pareillement, je prétends aussi raconter à Ford comment
Falstaff, ce vil garnement, veut tâter de sa colombe, saisir son or, et
souiller sa couche chérie.
NYM.--Je ne laisserai point refroidir ma chose: J'exciterai la colère de
Page à employer le poison. Je lui donnerai la jaunisse; ce changement de
couleur a des effets dangereux. Voilà la vraie chose.
PISTOL.--Tu es le Mars des mécontents: je te seconde; marche en avant.
(Ils sortent.)
SCÈNE IV
Une pièce de la maison du docteur Caius.
_Entrent mistriss_ QUICKLY, SIMPLE et RUGBY.
QUICKLY.--M'entends-tu, Jean Rugby? Jean Rugby! Je te prie, monte au
grenier, et regarde si tu ne vois pas revenir mon maître, M. le docteur
Caius. S'il rentre et qu'il rencontre quelqu'un au logis, nous allons
entendre, comme à l'ordinaire, insulter à la patience de Dieu et à
l'anglais du roi.
RUGBY.--Je vais guetter.
(Rugby sort.)
QUICKLY.--Va, et je te promets que, pour la peine, nous mangerons ce
soir une bonne petite collation à la dernière lueur du charbon de terre.
C'est un brave garçon, serviable, complaisant autant que le puisse être
un domestique dans une maison; et qui, je vous en réponds, ne fait point
de rapports, n'engendre point de querelle. Son plus grand défaut est
d'être adonné à la prière: de ce côté-là il est un peu entêté; mais
chacun a son défaut. Laissons cela.--Pierre Simple est votre nom,
dites-vous?
SIMPLE.--Oui, faute d'un meilleur.
QUICKLY.--Et monsieur Slender est le nom de votre maître?
SIMPLE.--Oui vraiment.
QUICKLY.--Ne porte-t-il pas une grande barbe, ronde comme le couteau
d'un gantier?
SIMPLE.--Non vraiment: il a un tout petit visage, avec une petite barbe
jaune; une barbe de la couleur de Caïn.
QUICKLY.--Un homme qui va tout doux, n'est-ce pas?
SIMPLE.--Oui vraiment; mais qui sait se démener de ses mains aussi bien
que qui que ce soit que vous puissiez rencontrer d'ici où il est. Il
s'est battu avec un garde-chasse.
QUICKLY.--Que dites-vous? Oh! je le connais bien: ne porte-t-il pas la
tête en l'air comme cela, et ne se tient-il pas tout roide en marchant?
SIMPLE.--Oui vraiment, il est tout comme cela.
QUICKLY.--Allons, allons, que Dieu n'envoie pas de plus mauvais lot à
Anne Page. Dites à M. le curé Evans que je ferai de mon mieux pour votre
maître. Anne est une bonne fille, et je souhaite....
(Rentre Rugby.)
RUGBY.--Sauvez-vous: hélas! voilà mon maître, qui vient!
QUICKLY.--Nous serons tous exterminés. Courez à cette porte, bon jeune
homme; entrez dans le cabinet. (_Elle enferme Simple dans le cabinet_.)
Il ne s'arrêtera pas longtemps.--Hé! Jean Rugby! holà! Jean! où es-tu
donc, Jean? Viens; viens. Va, Jean; informe-toi de notre maître: je
crains qu'il ne soit malade puisqu'il ne rentre point. (_Elle chante_.)
La, re, la, la rela, etc.
(Le docteur Caius rentre.)
CAIUS.--Qu'est-ce que vous chantez là[17]? Je n'aime point les
bagatelles. Allez, je vous prie, chercher dans mon cabinet une boîte
verte, un coffre vert, vert.
[Note 17: De même que dans le rôle d'Evans, on a supprimé dans celui du
docteur Caius, le jargon que lui avait attribué Shakspeare, et qui était
celui d'un Français estropiant l'anglais. Du reste, cela ne se trouve
guère ainsi que dans la première scène. Shakspeare se préoccupait peu de
l'uniformité des détails.]
QUICKLY.--J'entends bien; vous allez l'avoir.--Heureusement qu'il n'est
pas entré pour la chercher lui-même. S'il avait trouvé le jeune homme!
Les cornes lui seraient venues à la tête.
CAIUS.--Ouf! ouf! ma foi il fait fort chaud. Je m'en vais à la cour.--La
grande affaire.
QUICKLY.--Est-ce ceci, monsieur?
CAIUS.--Oui, mettez-le dans ma poche, dépêchez vitement. Où est le
coquin Rugby?
QUICKLY.--Eh! Jean Rugby, Jean?
RUGBY.--Me voilà, monsieur.
CAIUS.--Vous êtes Jean Rugby; c'est pour vous dire que vous êtes un
Jean, Rugby. Allons, prenez votre rapière, et venez derrière mes talons
à la cour.
RUGBY.--C'est tout prêt, monsieur; là contre la porte.
CAIUS.--Sur ma foi, je tarde trop longtemps. Qu'ai-je oublié? Ah! ce
sont quelques simples dans mon cabinet, je ne voudrais pas les avoir
laissés pour un royaume.
QUICKLY.--Ah! merci de moi! il va trouver le jeune homme, et devenir
furieux.
CAIUS.--O diable! diable! qu'est-ce qu'il y a dans mon cabinet.
Trahison! larron!--Rugby, ma grande épée.
(Poussant dehors Simple.)
QUICKLY.--Mon bon maître, soyez tranquille?
CAIUS.--Et pourquoi serai-je tranquille!
QUICKLY.--Le jeune garçon est un honnête homme.
CAIUS.--Que fait-il, cet honnête homme, dans mon cabinet? Je ne veux
point d'honnête homme dans mon cabinet.
QUICKLY.--Je vous conjure, ne soyez pas si flegmatique, écoutez
l'affaire telle qu'elle est. Il m'est venu en commission de la part du
pasteur Evans.
CAIUS.--Bon.
SIMPLE.--Oui, en conscience, pour la prier de...
QUICKLY, _à Simple_.--Paix, je vous en prie.
CAIUS, _à Quickly_.--Tenez votre langue, vous. (_A Simple_.) Vous,
dites-moi la chose.
SIMPLE.--Pour prier cette honnête dame, votre servante, de dire quelques
bonnes paroles à mistriss Anne Page en faveur de mon maître, qui la
recherche en vue de mariage.
QUICKLY.--Voilà tout cependant: en vérité voilà tout; mais je n'ai pas
besoin moi d'aller mettre mes doigts au feu.
CAIUS.--Sir Hugh Evans vous a envoyé? Baillez-moi une feuille de papier,
Rugby. (_A Simple_.) Vous, attendez un moment.
(Il écrit.)
QUICKLY, _bas à Simple_.--C'est un grand bonheur qu'il soit si calme. Si
ceci l'avait jeté dans ses grandes furies, vous auriez vu un train et
une mélancolie!--Mais malgré tout cela, mon garçon, je ferai tout ce que
je pourrai pour votre maître, car le fin mot de tout cela, c'est que le
docteur français, mon maître.... je peux bien l'appeler mon maître,
voyez-vous, car je garde sa maison, je lave tout le linge, je brasse la
bière, je fais le pain, je récure, je prépare le manger et le boire,
enfin je fais tout moi-même.
SIMPLE.--C'est une forte charge que d'avoir comme cela quelqu'un sur les
bras.
QUICKLY.--Qu'en pensez-vous? Ah! je crois bien, vraiment, que c'est une
charge! Et se lever matin, et se coucher tard!--Néanmoins je vous le
dirai à l'oreille; mais ne soufflez pas un mot de ceci, mon maître est
lui-même amoureux de mistriss Anne; mais, nonobstant cela, je connais le
coeur d'Anne. Il n'est ni chez vous ni chez nous.
CAIUS, _à Simple_.--Vous, faquin, remettez ce billet à sir Hugh:
palsambleu! c'est un cartel; je lui couperai la gorge dans le parc, et
j'apprendrai à ce faquin de prêtre de se mêler des choses. Vous ferez
bien de vous en aller: il n'est pas bon que vous restiez. Palsambleu!
je lui couperai toutes ses deux oreilles[18]. Palsambleu! je ne lui
laisserai pas un os qu'il puisse jeter à son chien.
[Note 18: _All his two stones_.]
(Simple sort.)
QUICKLY.--Hélas! il ne parle que pour son ami.
CAIUS.--Peu m'importe pour qui.--Ne m'avez-vous pas promis que j'aurais
Anne Page pour moi? Palsambleu! je tuerai ce Jean de prêtre, et j'ai
choisi notre hôte de la _Jarretière_ pour mesurer nos épées. Palsambleu!
je veux avoir Anne Page pour moi.
QUICKLY.--Monsieur, la jeune fille vous aime, et tout ira bien. Il faut
laisser jaser le monde. Eh! vraiment...
CAIUS.--Rugby, venez à la cour avec moi. Palsambleu, si je n'ai pas Anne
Page, je vous mettrai à la porte.--Marchez sur mes talons, Rugby.
(Caius sort avec Rugby.)
QUICKLY.--Ce que vous aurez, c'est la tête d'un fou. Non; je connais la
pensée d'Anne sur ceci. Il n'y a pas une femme à Windsor gui connaisse
mieux la pensée d'Anne que moi, et qui ait plus d'empire sur son esprit
que moi. Dieu merci.
FENTON, _derrière le théâtre_.--Y a-t-il quelqu'un ici? Holà?
QUICKLY.--Qui peut venir ici, je me demande? Approchez de la maison, je
vous prie.
(Entre Fenton.)
FENTON.--Eh bien! ma bonne femme, qu'y a-t-il? Comment te portes-tu?
QUICKLY.--Très-bien quand Votre Seigneurie a la bonté de me le demander.
FENTON.--Quelles nouvelles? Comment se porte la jolie mistriss Anne?
QUICKLY.--Oui, par ma foi, monsieur, elle est jolie, et honnête, et
douce, et de vos amies; je puis bien vous le dire, Dieu merci!
FENTON.--Penses-tu que je puisse réussir? Ne perdrai-je pas mes peines?
QUICKLY.--Véritablement, monsieur, tout est dans les mains d'en-haut:
mais pourtant, monsieur Fenton, je jurerais sur l'Évangile qu'elle vous
aime. Votre Seigneurie n'a-t-elle pas une petite verrue au-dessus de
l'oeil?
FENTON.--Oui, vraiment, j'en ai une; mais que s'ensuit-il?
QUICKLY.--Ah! c'est un bon conte, monsieur Fenton... Anne est une si
drôle de fille!--Mais, je le proteste, la plus honnête fille qui jamais
ait mangé pain. Nous avons jasé hier une heure entière sur cette
verrue.--Je ne rirai jamais que dans la société de cette jeune fille.
Mais, à vous dire vrai, elle est trop portée à la mélancolie, à la
rêverie; rien que pour vous au moins, suffit, poursuivez.
FENTON.--Fort bien.--Je la verrai aujourd'hui. Tiens, voilà de l'argent
pour toi. Parle pour moi; et si tu la vois avant moi, fais-lui mes
compliments.
QUICKLY.--Si je le ferai? Oui, par ma foi, nous lui parlerons; et au
premier moment où nous reprendrons notre confidence, j'en dirai
davantage à Votre Seigneurie sur la verrue, et aussi sur les autres
amoureux.
FENTON.--Bon, adieu; je suis pressé en ce moment.
QUICKLY.--Ma révérence à Votre Seigneurie. (_Fenton sort_.) C'est sans
mentir, un honnête gentilhomme; mais Anne ne l'aime point. Je sais les
sentiments d'Anne mieux que personne.--Allons, rentrons.--Qu'est-ce que
j'ai oublié?
(Elle sort.)
FIN DU PREMIER ACTE.
ACTE DEUXIÈME
SCÈNE I
Devant la maison de Page.
_Entre mistriss_ PAGE _tenant une lettre_.
MISTRISS PAGE.--Quoi! dans les jours brillants de ma beauté, j'aurais
échappé aux lettres d'amour, et aujourd'hui je m'y trouverais exposée.
Voyons. (_Elle lit_.) «Ne me demandez point raison de l'amour que je
sens pour vous; car, quoique l'amour puisse appeler la raison pour son
directeur, il ne la prend jamais pour son conseil. Vous n'êtes pas
jeune, je ne le suis pas non plus. Voilà que la sympathie commence. Vous
êtes gaie, je le suis aussi. Ha! ha! nouveau degré de sympathie entre
nous. Vous aimez le vin d'Espagne, j'en fais autant. Pourriez-vous
souhaiter plus de sympathie? Qu'il te suffise, mistriss Page, du moins
si l'amour d'un soldat peut te suffire, que je t'aime. Je ne dirai
point: _Aie pitié de moi_, ce n'est pas le style d'un soldat; mais je
dis: _Aime-moi_.--_Signé_,
«Ton dévoué chevalier
Tout prêt pour toi à guerroyer
De tout son pouvoir;
Le jour, la nuit,
Ou à quelque lumière que ce soit,
«John Falstaff.»
Quel vilain juif, Hérode! O monde, monde pervers! Un homme presque tout
brisé de vieillesse, vouloir se donner encore pour un jeune galant! Quel
diantre d'imprudence cet ivrogne de Flamand a-t-il donc pu saisir dans
ma conduite, pour oser ainsi s'attaquer à moi? Quoi! il ne s'est pas
trouvé trois fois en ma compagnie. Qu'ai-je donc pu lui dire?--J'eus
soin de contenir ma gaieté, Dieu me pardonne.--En vérité, je veux
présenter un bill au prochain parlement, pour la répression des
hommes.--Comment me vengerai-je de lui? car je prétends me venger, aussi
vrai que son ventre est fait tout entier de puddings.
(Entre mistriss Ford.)
MISTRISS FORD.--Mistriss Page, vous pouvez m'en croire, j'allais chez
vous.
MISTRISS PAGE.--Et, ma parole, je venais aussi chez vous.--Vous avez
bien mauvais visage.
MISTRISS FORD.--Oh! c'est ce que je ne croirai jamais. Je puis montrer
la preuve du contraire.
MISTRISS PAGE.--A la bonne heure; mais moi du moins je vous vois ainsi.
MISTRISS FORD.--Soit, je le veux bien. Je vous dis pourtant qu'on
pourrait vous montrer la preuve du contraire. O mistriss Page,
conseillez-moi.
MISTRISS PAGE.--De quoi s'agit-il, voisine?
MISTRISS FORD.--O voisine, sans une petite bagatelle de scrupule, je
pourrais parvenir à un poste d'honneur.
MISTRISS PAGE.--Envoyez pendre la bagatelle, voisine, et prenez
l'honneur. Qu'est-ce que c'est?--Moquez-vous des bagatelles. Que
voulez-vous dire?
MISTRISS FORD.--Si je voulais aller en enfer seulement pour une toute
petite éternité, ou quelque chose de pareil, je pourrais tout à l'heure
avoir l'ordre de la chevalerie.
MISTRISS PAGE.--Toi! tu badines.--Sir Alice Ford! tu serais un chevalier
bâtard, ma chère, tu ne tiendrais pas de place, je t'en réponds, sur le
livre de la chevalerie.
MISTRISS FORD.--Nous brûlons le jour!--Lisez ceci, lisez. Voyez comment
je pourrais être titrée.--Me voilà décidée à mal parler des gros hommes,
tant que j'aurai des yeux capables de distinguer les hommes sur
l'apparence: et cependant celui-ci ne jurait point; il louait la
modestie dans les femmes; il s'élevait si sagement et de si bon goût
contre ce qui n'était pas convenable, que j'aurais juré que ses
sentiments s'accordaient avec ses discours; mais ils n'ont aucun rapport
et ne vont pas du tout ensemble; c'est comme le centième psaume sur
l'air _des jupons verts_. Quelle tempête, je vous en prie, a jeté sur
notre terre de Windsor cette baleine, le ventre plein de tant de tonnes
d'huile? Comment en tirerai-je vengeance? Je pense que le meilleur parti
serait de l'amuser d'espérances, jusqu'à ce que le feu maudit de la
luxure l'ait fondu dans sa graisse.--Avez-vous jamais rien entendu de
semblable?