(Lancelot et Gobbo sortent.)
BASSANIO.--Je te prie, cher Léonardo, songe à ce que je t'ai recommandé.
Quand tu auras tout acheté et distribué comme je te l'ai dit, reviens
promptement; car je traite chez moi, ce soir, mes meilleurs amis.
Dépêche-toi, va.
LÉONARDO.--Je ferai tout cela de mon mieux.
(Entre Gratiano.)
GRATIANO.--Où est votre maître?
LÉONARDO.--Là-bas, monsieur, qui se promène....
(Léonardo sort.)
GRATIANO.--Seigneur Bassanio!
BASSANIO.--Ha! Gratiano!
GRATIANO.--J'ai une demande à vous faire.
BASSANIO.--Elle vous est accordée.
GRATIANO.--Vous ne pouvez me refuser; il faut absolument que je vous
accompagne à Belmont.
BASSANIO.--Très-bien, j'y consens.--Mais écoute, Gratiano.--Tu es trop
sans façon, trop brusque; tu as un ton de voix trop tranchant.--Ce sont
des qualités qui te vont assez bien, et qui à nos yeux ne semblent pas
des défauts; mais partout où tu n'es pas connu, te dirai-je? elles
annoncent quelque chose de trop libre.--Je t'en prie, prends la peine de
tempérer ton esprit trop pétulant par quelques grains de retenue, de
peur que l'irrégularité de tes manières ne soit interprétée à mon
désavantage dans le lieu où je vais, et ne me fasse perdre mes
espérances.
GRATIANO.--Seigneur Bassanio, écoutez-moi; si je ne prends pas le
maintien le plus modeste, si je ne parle pas respectueusement, ne
laissant échapper que quelques jurons de temps à autre; si je ne me
présente pas de l'air plus grave, toujours des livres de prières dans ma
poche; si même, lorsqu'on dira les grâces, je ne ferme pas les yeux avec
componction en tenant ainsi mon chapeau, et poussant un soupir, et
disant _amen_; enfin si je n'observe pas la civilité jusqu'au scrupule,
comme un homme formé à toute la gravité de maintien requise pour plaire
à sa grand'mère, ne vous fiez plus jamais à moi.
BASSANIO.--Allons, nous verrons comment vous vous conduirez.
GRATIANO.--Oui, mais j'excepte la soirée d'aujourd'hui: vous ne me
jugerez pas sur ce que nous ferons ce soir.
BASSANIO.--Oh! non: ce serait dommage. Je vous inviterai au contraire à
déployer votre plus grande gaieté; car nous avons des amis qui se
proposent de se réjouir; mais adieu, je vous laisse: j'ai quelques
affaires.
GRATIANO.--Et moi, il faut que j'aille trouver Lorenzo et les autres;
mais nous vous rendrons visite à l'heure du souper.
(Ils sortent.)
SCÈNE III
Toujours à Venise.--Une pièce dans la maison de Shylock.
_Entrent_ JESSICA ET LANCELOT.
JESSICA.--Je suis fâchée que tu quittes ainsi mon père. Notre maison est
l'enfer, et toi, un démon jovial qui dissipais un peu cette atmosphère
d'ennui. Mais porte-toi bien, voilà un ducat pour toi; et, Lancelot, tu
verras bientôt au souper Lorenzo, qui est invité chez ton nouveau
maître. Donne-lui cette lettre: fais-le secrètement; adieu. Je ne
voudrais pas que mon père me trouvât causant avec toi.
LANCELOT.--Adieu; mes larmes te parlent pour moi.--Très-charmante
païenne! Très-aimable Juive! Si un chrétien ne fait pas quelque tour de
fripon pour te posséder, je serais bien trompé; mais, adieu: ces sottes
larmes noient un peu mon courage viril. Adieu.
(Il sort.)
JESSICA.--Adieu, bon Lancelot.--Hélas! quel odieux péché! n'est-ce pas à
moi de rougir d'être la fille de mon père! Mais quoique je sois sa
fille par le sang, je ne le suis point par le caractère. O Lorenzo! si
tu tiens ta promesse, je mettrai fin à ces combats, je deviendrai
chrétienne, et ta tendre épouse.
(Elle sort.)
SCÈNE IV
Toujours à Venise.--Une rue.
_Entrent_ GRATIANO, LORENZO, SALARINO, SALANIO.
LORENZO.--Oui, nous nous échapperons pendant le souper: nous irons
prendre nos déguisements chez moi, nous reviendrons tous en moins d'une
heure.
GRATIANO.--Nous n'avons pas fait les préparatifs nécessaires.
SALARINO.--Nous n'avons pas encore parlé de nous procurer des
porte-flambeaux.
SALANIO.--C'est une pauvre chose, quand cela n'est pas arrangé dans un
bel ordre; et à mon avis il vaudrait mieux, en ce cas, n'y pas songer.
LORENZO.--Il n'est encore que quatre heures: nous avons deux heures pour
nous procurer tout ce qu'il faut. (_Entre Lancelot avec une lettre._)
Ami Lancelot, qu'y a-t-il de nouveau?
LANCELOT.--S'il vous plaît d'ouvrir cette lettre, elle pourra
probablement vous l'apprendre.
LORENZO.--Je connais cette main: c'est une belle main sur ma foi, et la
belle main qui a écrit cette lettre est plus blanche que le papier sur
lequel elle a écrit.
GRATIANO.--Une lettre d'amour, sûrement?
LANCELOT.--Avec votre permission, monsieur....
LORENZO.--Où vas-tu?
LANCELOT.--Vraiment, monsieur, inviter mon ancien maître le Juif à
souper ce soir chez mon nouveau maître le chrétien.
LORENZO.--Attends, prends ceci.--Dis à l'aimable Jessica, que je ne lui
manquerai pas de parole. Parle-lui en secret: va. (_Sort
Lancelot._)--Messieurs, voulez-vous vous préparer pour la mascarade de
ce soir? Je suis pourvu d'un porte-flambeau.
SALARINO.--Oui, vraiment, j'y vais sur-le-champ.
SALANIO.--Et moi aussi.
LORENZO.--Venez nous trouver, Gratiano et moi, dans quelque temps, au
logis de Gratiano.
SALARINO.--C'est bon, nous n'y manquerons pas.
(Salarino et Salanio sortent.)
GRATIANO.--Cette lettre ne venait-elle pas de la belle Jessica?
LORENZO.--Il faut que je te dise tout: elle m'instruit de la manière
dont il faut que je l'enlève de la maison de son père, me détaille ce
qu'elle emporte d'or et de bijoux, l'habillement de page qu'elle a tout
prêt. Si jamais le Juif son père entre dans le ciel, ce ne sera que par
considération pour son aimable fille; et jamais le malheur n'osera
traverser les pas de cette belle, qu'en s'autorisant du prétexte qu'elle
est la lignée d'un Juif sans foi. Allons, viens avec moi: parcours cette
lettre tout en marchant. La belle Jessica me servira de porte-flambeau.
(Ils sortent.)
SCÈNE V
Dans la maison de Shylock.
SHYLOCK, LANCELOT.
SHYLOCK.--Allons; tu verras par tes yeux, et tu jugeras de la différence
qu'il y a entre le vieux Shylock et Bassanio.--Hé! Jessica?--Tu ne seras
pas toujours à faire bombance, comme tu l'as faite avec moi.... Eh!
Jessica?... Et à dormir, et à ronfler, et à déchirer tes habits.--Eh
bien! Jessica? Quoi donc?
LANCELOT.--Holà! Jessica?
SHYLOCK.--Qui te dit d'appeler? Je ne t'ai pas dit d'appeler.
LANCELOT.--Votre Seigneurie me reprochait souvent de ne savoir rien
faire sans qu'on me le dît.
(Entre Jessica.)
JESSICA.--Vous m'appelez? Que voulez-vous?
SHYLOCK.--Je suis invité à souper dehors, Jessica; voilà mes
clefs.--Mais pourquoi irais-je? Ce n'est pas par amitié que je suis
invité; ils me flattent: eh bien! j'irai par haine, pour manger aux
dépens du prodigue chrétien.--Jessica, ma fille, veille sur ma maison.
J'ai de la répugnance à sortir: il se brasse quelque chose de contraire
à mon repos: car j'ai rêvé cette nuit de sacs d'argent.
LANCELOT.--Je vous en conjure, monsieur, allez-y. Mon jeune maître
attend avec impatience votre déconvenue[6].
SHYLOCK.--Et moi la sienne.
LANCELOT.--Ils ont comploté ensemble....--Je ne dirai pas précisément
que vous devez voir une mascarade: mais si vous en voyez une, alors ce
n'était donc pas pour rien que mon nez a saigné le dernier lundi
Noir[7], à six heures du matin; ce qui répondait au mercredi des
cendres, dans l'après-dînée, d'il y a quatre ans.
[Note 6: _Your reproach_ (reproche, honte); c'est probablement une
balourdise de Lancelot pour _approach_ (approche); _reproach_ est pris
ici par le Juif dans le sens de _honte_, qui n'a aucun rapport de son
avec aucun mot qui puisse être dans l'intention de Lancelot. On y a
substitué _déconvenue_, qu'il peut dire pour _venue_.]
[Note 7: Le lundi de Pâques. En 1360, le lundi de Pâques, 14 avril,
Edouard III faisant avec son armée le siége de Paris, il survint un
froid si brumeux et si violent, que plusieurs soldats moururent de froid
sur leurs chevaux, et que le lundi de Pâques en conserva le nom de lundi
Noir.]
SHYLOCK.--Quoi! y aura-t-il des masques? Écoutez-moi, Jessica. Fermez
bien mes portes; et lorsque vous entendrez le tambour, et le détestable
criaillement du fifre au cou tors, n'allez pas vous hisser aux fenêtres,
ni montrer votre tête en public sur la rue, pour regarder des fous de
chrétiens aux visages vernis: mais bouchez bien les oreilles de ma
maison; je veux dire les fenêtres: que le son de ces vaines folies
n'entre pas dans ma grave maison.--Par le bâton de Jacob, je jure que je
ne me sens nulle envie d'aller ce soir à un festin en ville; cependant
j'irai.--Vous, drôle, prenez les devants, et annoncez que je vais y
aller.
LANCELOT.--Je vais vous précéder, monsieur. (_Bas à Jessica._)
Maîtresse, malgré tout ce qu'il dit, regardez à la fenêtre; vous verrez
approcher un chrétien, qui mérite bien les regards d'une Juive.
(Lancelot sort.)
SHYLOCK.--Hé! que vous dit cet imbécile de la race d'Agar?
JESSICA.--Il me disait: Adieu, maîtresse; rien de plus.
SHYLOCK.--Ce Jeannot-là[8] est assez bon homme, mais gros mangeur, lent
au projet comme une vraie tortue, et dormant dans le jour plus qu'un
chat sauvage. Les frelons ne bâtissent pas dans ma ruche: ainsi je me
sépare de lui, pour le céder à un homme que je veux qu'il aide à
dépenser promptement l'argent qu'il m'a emprunté.--Allons, Jessica,
rentrez. Peut-être reviendrai-je sur-le-champ. Faites ce que je vous
recommande: fermez les portes sur vous. Bien attaché, bien retrouvé:
c'est un proverbe qui ne vieillit point pour un esprit économe.
(Il sort.)
JESSICA.--Adieu.--Et, si la fortune ne m'est pas contraire, j'ai perdu
un père, et vous une fille.
(Elle sort.)
[Note 8: _The Patch_. Patch était, à ce qu'il paraît, le fou du cardinal
Wolsey, dont le nom était devenu proverbial comme l'est parmi nous celui
de Jeannot ou de Jocrisse.]
SCÈNE VI
Toujours au même lieu.
GRATIANO ET SALARINO _masqués_.
GRATIANO.--Voici le hangar sous lequel Lorenzo nous a dit de l'attendre.
SALARINO.--L'heure qu'il nous avait donnée est presque passée.
GRATIANO.--Et il est bien étonnant qu'il tarde autant; car les amoureux
devancent toujours l'horloge.
SALARINO.--Oh! les pigeons de Vénus volent dix fois plus vite pour
sceller de nouveaux liens d'amour, qu'ils n'ont coutume de faire pour
rester fidèles à leurs anciens engagements.
GRATIANO.--Cela sera toujours vrai: quel convive se lève d'une table
avec cet appétit aigu qu'il sentait en s'y asseyant? Où est le cheval
qui revienne sur les ennuyeuses traces de la route qu'il a parcourue,
avec le feu qu'il avait en partant? Pour tous les biens de ce monde, il
y a plus d'ardeur dans la poursuite que dans la jouissance. Voyez comme,
semblable au jeune homme ou à l'enfant prodigue, le navire sort pavoisé
de son port natal, embrassé et caressé par la brise libertine; et voyez
comme il revient, également semblable à l'enfant prodigue, les côtes
creusées par les injures de l'air, les voiles en lambeaux, desséché,
délabré et appauvri par le libertinage de la brise.
(Entre Lorenzo.)
SALARINO.--Ah! voici Lorenzo!--Nous continuerons dans un autre moment.
LORENZO.--Chers amis, pardon d'avoir tardé si longtemps. Ce n'est pas
moi, ce sont mes affaires qui vous ont fait attendre. Quand il vous
prendra fantaisie de voler des épouses, je vous promets de faire le guet
aussi longtemps pour vous.--Approchez; c'est ici la demeure de mon
beau-père le Juif.--Holà, holà, quelqu'un!
(Jessica paraît à la fenêtre déguisée en page.)
JESSICA.--Qui êtes-vous? Nommez-vous, pour plus de certitude; quoique je
puisse jurer de vous connaître à votre voix.
LORENZO.--Lorenzo, ton bien-aimé.
JESSICA.--C'est Lorenzo, bien sûr; et mon bien-aimé, bien vrai; car quel
autre aimé-je autant? et quel autre que vous, Lorenzo, sait si je suis
votre amante?
LORENZO.--Le ciel et ton coeur sont témoins que tu l'es.
JESSICA.--Tenez, prenez cette cassette; elle en vaut la peine. Je suis
bien aise qu'il soit nuit, et que vous ne me voyiez point; car je suis
honteuse de mon déguisement: mais l'Amour est aveugle, et les amants ne
peuvent voir les charmantes folies qu'ils font eux-mêmes: s'ils les
pouvaient apercevoir, Cupidon lui-même rougirait de me voir ainsi
transformée en garçon.
LORENZO.--Descendez, car il faut que vous me serviez de porte-flambeau.
JESSICA.--Quoi! faut-il que je porte la lumière sur ma propre honte! Oh!
elle ne m'est, je le jure, que trop claire à moi-même. Vous me donnez
là, cher amour, un emploi d'éclaireur, et j'ai besoin de l'obscurité.
LORENZO.--Et vous êtes obscurcie, ma douce amie, même sous cet aimable
vêtement de page. Mais venez sans différer; car la nuit, déjà close,
commence à s'écouler, et nous sommes attendus à la fête de Bassanio.
JESSICA.--Je vais fermer les portes et me dorer encore de quelques
ducats de plus, et je suis à vous dans le moment.
(Elle quitte la fenêtre.)
GRATIANO.--Par mon chaperon, c'est une Gentille, et non pas une Juive.
LORENZO.--Malheur à moi, si je ne l'aime pas de toute mon âme! Car elle
est sage, autant que j'en puis juger; elle est belle, si mes yeux ne me
trompent point; elle est sincère, car je l'ai éprouvée telle, et en
conséquence, comme fille sage, belle et sincère, elle occupera pour
toujours mon âme constante. (_Jessica reparaît à la porte._) Ah! te
voilà?--Allons, messieurs, partons. Les masques de notre compagnie nous
attendent.
(Il sort avec Jessica et Salarino.)
(Entre Antonio.)
ANTONIO.--Qui est là?
GRATIANO.--C'est vous, seigneur Antonio?
ANTONIO.--Fi, fi, Gratiano: où sont tous les autres? Il est neuf heures.
Tous nos amis vous attendent.--Point de mascarade ce soir. Le vent
s'élève, et Bassanio va s'embarquer tout à l'heure. J'ai envoyé vingt
personnes vous chercher.
GRATIANO.--J'en suis fort aise; je ne désire pas de plus grand plaisir
que de mettre à la voile, et de partir cette nuit.
(Ils sortent.)
SCÈNE VII
A Belmont.--Un appartement dans la maison de Portia.
_Fanfare de cors_. _Entrent_ PORTIA, LE PRINCE DE MAROC _et leurs
suites_.
PORTIA.--Allons, tirez les rideaux, et découvrez les coffres à ce noble
prince. Maintenant choisissez.
LE PRINCE DE MAROC.--Le premier est d'or, et porte cette inscription:
Qui me choisira gagnera ce que beaucoup d'hommes désirent.
Le second est d'argent, et porte cette promesse:
Qui me choisira aura tout ce qu'il mérite.
Le troisième est de plomb, avec une inscription aussi peu remarquable
que le métal:
Qui me choisira doit donner et risquer tout ce qu'il a.
Comment saurai-je si je choisis bien?
PORTIA.--Prince, l'un des trois renferme mon portrait: si vous le
choisissez, je vous appartiens avec lui.
LE PRINCE DE MAROC.--Puisse quelque dieu diriger mon jugement et ma
main! Voyons un peu. Je veux encore jeter les yeux sur les inscriptions.
Que dit le coffre de plomb?
Qui me choisira doit donner et risquer tout ce qu'il a.
Doit donner! Pourquoi? Pour du plomb! Risquer pour du plomb? Ce coffre
présente une menace. On ne hasarde tout que dans l'espoir de grands
avantages. Un coeur d'or ne se laisse pas prendre à l'amorce d'un métal
de rebut. Je ne veux ni donner, ni risquer rien pour du plomb.--Que dit
l'argent avec sa couleur virginale?
Qui me choisira recevra tout ce qu'il mérite.
Tout ce qu'il mérite? Arrête là, prince de Maroc, et pèse ce que tu vaux
d'une main impartiale. Si tu juges de ton prix par l'opinion que tu as
de toi, ton mérite est assez grand; mais assez ne s'étend pas
suffisamment loin pour atteindre cette dame.--Et pourtant, douter de ce
que je vaux, ce serait lâchement m'exclure.--Tout ce que je mérite!....
Mais vraiment: c'est d'obtenir la dame. Je la mérite par ma naissance,
par mon rang, par mes grâces, par les qualités que j'ai reçues de
l'éducation; mais plus que tout cela, je la mérite par mon amour. Si je
ne m'égarais pas plus loin, et que je fixasse ici mon choix.... Voyons
encore une fois ce qui est gravé sur le coffre d'or:
Qui me choisira gagnera ce que beaucoup d'hommes désirent.
Mais c'est cette dame. Le monde entier la désire, et l'on vient des
quatre coins de la terre pour baiser cette châsse, cette sainte mortelle
et vivante. Les déserts de l'Hyrcanie et les sauvages solitudes de la
vaste Arabie sont devenus le grand chemin que traversent les princes
pour venir contempler la belle Portia; le liquide royaume, dont la tête
ambitieuse vomit à la face des cieux n'est pas une barrière capable
d'arrêter ces courages lointains: ils arrivent comme sur un ruisseau,
pour voir la belle Portia. Un de ces trois coffres contient son divin
portrait: est-il probable qu'elle soit contenue dans du plomb? Former
une si basse pensée mériterait la damnation; ce métal serait trop
grossier pour assujettir même le linceul destiné à l'embaumer dans la
nuit du tombeau. Croirai-je qu'elle est cachée dans l'argent, et
rabaissée ainsi dix fois au-dessous de l'or pur? Idée criminelle! Jamais
brillant si précieux ne fut enchâssé dans un métal au-dessous de l'or.
Les Anglais ont une monnaie d'or frappée de la figure d'un ange: mais il
n'est qu'empreint dessus; c'est un ange couché dans un lit d'or.
Donnez-moi la clef. Je choisis celui-ci, arrive que pourra.
PORTIA.--La voilà, prince, et si c'est ma figure que vous y trouvez, je
vous appartiens.
(Elle ouvre le coffre d'or.)
LE PRINCE DE MAROC.--O enfer! que vois-je là? Un squelette et dans le
creux de son oeil un rouleau de papier! lisons cet écrit.
Tout ce qui reluit n'est pas or,
Vous l'avez souvent ouï dire.
Bien des hommes ont vendu leur vie,
Pour ne faire que voir ce que j'offre extérieurement.
Les tombes dorées renferment des vers.
Si vous eussiez été aussi sage que hardi,
Et jeune par la force, vieux par le jugement,
Votre réponse n'eût pas été dans ce rouleau
Adieu: votre requête est à néant.
A néant, en effet, et ma peine perdue! Adieu donc, ardeur. Glace, je
t'accueille. (_A Portia_.)--Adieu, Portia, mou coeur est trop accablé
pour se répandre en pénibles adieux. Ainsi s'éloignent les malheureux
qui ont tout perdu.
(Il sort avec sa suite.)
PORTIA.--Nous en voilà délivrés tout doucement. Fermez les rideaux.
Allons.... puissent tous ceux de sa couleur choisir de même!
(Ils sortent.)
SCÈNE VIII
A Venise.--Une rue.
_Entrent_ SALANIO, SALARINO.
SALARINO.--Eh! vraiment oui, j'ai vu Bassanio mettre à la voile.
Gratiano est parti avec lui, et Lorenzo n'est point dans leur vaisseau;
j'en suis sûr.
SALANIO.--Ce coquin de Juif a éveillé par ses cris le duc, qui est venu
avec lui faire la recherche du vaisseau de Bassanio.
SALARINO.--Il est venu trop tard. L'ancre était levée; mais on a donné à
entendre au duc, qu'on avait vu dans une gondole Lorenzo et sa tendre
Jessica. D'ailleurs Antonio a certifié au duc qu'ils n'étaient pas dans
le même vaisseau que Bassanio.
SALANIO.--Jamais je n'ai entendu d'exclamations de colère si confuses,
si bizarres, si violentes et changeant si continuellement d'objet, que
celles que ce chien de Juif proférait dans les rues: «Ma fille! ô mes
ducats! ô ma fille! Un chrétien les emporte. O mes chrétiens de ducats!
Justice! la loi! Mes ducats et ma fille! Un sac cacheté, deux sacs
cachetés de ducats, de doubles ducats, que ma fille m'a volés! Et des
bijoux! deux pierres, deux pierres rares et précieuses, que ma fille m'a
volées! Justice! Qu'on trouve ma fille; elle a sur elle les pierres et
les ducats.»
SALARINO.--Tous les petits garçons de Venise courent après lui, criant:
ses pierres, sa fille et ses ducats!
SALANIO.--Que le bon Antonio prenne garde à ne pas manquer au jour fixé,
ou ce sera lui qui payera cela.
SALARINO.--Vraiment, vous avez raison d'y songer. J'ai parlé hier à un
Français qui m'a dit que sur le détroit qui sépare la France de
l'Angleterre, il avait péri un vaisseau de notre pays, richement chargé.
Quand il m'a dit cette nouvelle, j'ai pensé à Antonio, et j'ai
silencieusement souhaité que ce ne fût pas un des siens.
SALANIO.--Vous ferez mieux d'avertir Antonio de ce que vous savez; mais
ne le faites pas trop brusquement, de peur de l'affliger.
SALARINO.--Il n'est pas de plus excellent homme sur la terre. J'ai vu
Bassanio et Antonio se séparer. Bassanio lui disait qu'il hâterait son
retour le plus qu'il pourrait; Antonio lui répondait: «N'en faites rien,
Bassanio; n'allez pas, pour l'amour de moi, gâter vos affaires par trop
de précipitation: laissez mûrir les choses autant qu'il conviendra.
Quant au billet que le Juif a de moi, n'en laissez pas occuper votre
esprit amoureux; tenez-vous en joie: que votre première pensée soit de
trouver les moyens de plaire, et de faire éclater votre amour par les
témoignages les plus propres à réussir.» A ces mots, les yeux gros de
larmes et détournant le visage, il a tendu sa main en arrière, et il a
serré celle de Bassanio avec une affection singulièrement tendre; et
c'est ainsi qu'ils se sont séparés.
SALANIO.--Je crois qu'il n'aime la vie que pour lui: je t'en prie,
allons le trouver, et tâchons d'alléger par quelque divertissement la
tristesse à laquelle il se livre.
SALARINO.--Oui, allons.
(Ils sortent.)
SCÈNE IX
A Belmont.--Une pièce de la maison de Portia.
_Entre_ NÉRISSA _avec_ UN VALET.
NÉRISSA, _au valet_.--Vite et vite, je t'en prie, tire vite le rideau.
Le prince d'Aragon a prêté le serment, et il s'avance pour choisir.
(Fanfare de cors. Entrent le prince d'Aragon, Portia et leur suite.)
PORTIA.--Voyez, noble prince; voici les coffres: si vous prenez celui
qui contient mon portrait, notre hymen sera célébré sur-le-champ. Mais
si vous vous trompez, il faudra, seigneur, sans plus de discours,
quitter immédiatement ces lieux.
LE PRINCE.--Je suis obligé, par mon serment, d'observer trois choses: la
première, de ne jamais révéler à personne quel est le coffre que j'aurai
choisi; ensuite, si je manque le véritable coffre, de ne jamais faire de
proposition de mariage à aucune jeune fille: enfin, si je n'ai pas le
bonheur de bien choisir, de vous quitter et de partir sur-le-champ.
PORTIA.--Ce sont les conditions que jurent d'observer ceux qui viennent
pour moi s'exposer à des hasards, quelque peu digne que j'en sois.
LE PRINCE.--Je me suis soumis à ces conditions en vous adressant mes
voeux. Fortune, maintenant favorise l'espoir de mon coeur. De l'or, de
l'argent et du vil plomb!
Qui me choisit doit donner et risquer tout ce qu'il a.
Vous aurez une plus belle apparence, avant que je donne ou risque
quelque chose. Que dit le coffre d'or? Ah! voyons.
Qui me choisit recevra ce que beaucoup d'hommes désirent.
Beaucoup d'hommes désirent beaucoup.... Cela peut s'entendre de la sotte
multitude qui détermine son choix sur l'apparence, n'apercevant rien au
delà de ce que son oeil charmé lui présente; qui ne perce pas jusque
dans l'intérieur, mais comme le martinet, qui construit son nid sur les
murs extérieurs, exposé aux injures de l'air, à la portée et dans le
chemin même des accidents. Je ne choisirai point ce que tant de gens
désirent; je ne veux pas marcher avec les esprits vulgaires et me ranger
parmi la foule ignorante. Je viens à toi, riche sanctuaire d'argent.
Répète-moi encore l'inscription que tu portes.
Qui me choisit recevra tout ce qu'il mérite.
C'est bien dit; car qui peut chercher à duper la fortune et s'élever
honorablement sans l'empreinte du mérite? Que personne ne prétende se
revêtir d'honneurs dont il est indigne.... Oh! plût au ciel que les
biens, les charges, les dignités, ne se détournassent jamais dans des
voies injustes, et que le pur honneur ne pût jamais s'acquérir que par
le mérite de celui qui en est revêtu. Que de gens qui sont nus seraient
couverts! que d'autres qui commandent seraient commandés! que de grains
de bassesse à séparer de la vraie semence de l'honneur! que l'on
retrouverait d'honneur caché sous le chaume et sous les ruines du temps,
et auquel on devrait rendre son premier éclat! Mais choisissons.
Qui me choisit recevra tout ce qu'il mérite.
Je prendrai ce que je mérite. Donnez-moi la clef de celui-ci, et
découvrez mon sort sur-le-champ.
PORTIA.--Vous y avez mis trop de temps pour ce que vous trouverez ici.
LE PRINCE.--Qu'est-ce? la figure d'un idiot, qui cligne de l'oeil et me
présente un papier? Je veux le lire. Que tu es différent de Portia! Que
tu es différent de ce que j'espérais, et de ce que je méritais!
Qui me prend recevra tout ce qu'il mérite.
N'ai-je donc mérité rien de mieux que la tête d'un sot? Est-ce là ce que
je vaux? Est-ce là tout ce que je mérite?
PORTIA.--Offenser et juger sont deux emplois différents et de nature
opposée.
LE PRINCE.--Lisons:
Le feu a éprouvé sept fois ce métal;
Sept fois éprouvé est le jugement
Qui n'a jamais mal choisi.
Il est des gens qui n'embrassent que des ombres;
Ceux-là n'ont que l'ombre du bonheur!
Je sais qu'il y a des sots sur la terre,
Vêtus d'argent, comme je le suis;
Épousez quelle femme vous voudrez,
Votre tête sera toujours la mienne.
Ainsi partez, seigneur, vous êtes congédié.
Plus je tarderai dans ces lieux, plus j'y ferai la figure d'un sot. Je
suis venu apporter mes voeux avec une tête de sot, et je m'en retourne
avec deux. Adieu donc, dame, je remplirai mon serment de supporter
patiemment mon malheur.
(Sortent le prince d'Aragon et sa suite.)
PORTIA.--Le moucheron s'est brûlé à la lumière. Oh! ces sots réfléchis!
Quand ils choisissent, ils sont tout juste assez sages pour se perdre à
force de raisonnements.
NÉRISSA.--Le vieux proverbe n'a pas tort: la potence et le choix d'une
femme sont une affaire de hasard.
PORTIA.--Allons, ferme le rideau, Nérissa.
(Entre un valet.)
LE VALET.--Où est madame?
PORTIA.--La voici: que lui veut monsieur?
LE VALET.--Madame, il vient de descendre à votre porte un jeune
Vénitien, qui marche devant son maître pour annoncer son arrivée, et
vous présenter de sa part des hommages très-substantiels, je veux dire,
outre les compliments et les paroles courtoises, des présents d'un haut
prix. Je n'ai jamais vu de messager d'amour si avenant. Jamais un jour
d'avril n'annonça les richesses de l'été qui s'avance, sous un aspect
aussi gracieux que ce courrier lorsqu'il annonce son maître.
PORTIA.--Arrête, je te prie; je crains presque que tu ne me dises tout à
l'heure qu'il est de tes parents, en te voyant dépenser ainsi, pour le
louer, tout ton esprit des dimanches. Allons, allons, Nérissa, je brûle
de voir cet agile courrier d'amour, qui se présente de si bonne grâce.
NÉRISSA.--Que ce soit Bassanio, seigneur Amour, si telle est ta volonté.
(Ils sortent.)
FIN DU DEUXIÈME ACTE.
ACTE TROISIÈME
SCÈNE I
A Venise.--Une rue.
SALANIO, SALARINO
SALANIO.--Eh bien! quelles nouvelles sur le Rialto?
SALARINO.--Le bruit y continue toujours, sans que personne le
contredise, qu'Antonio a perdu dans le détroit un vaisseau richement
chargé à l'endroit qu'ils nomment, je crois, les Good-wins; un bas-fond
dangereux et fatal, où sont ensevelis, dit-on, les carcasses d'une foule
de gros vaisseaux; si du moins ma commère d'histoire se trouve être
femme de parole.
SALANIO.--Je voudrais qu'elle fût la plus menteuse commère qui ait
jamais mangé pain d'épice, ou qui ait voulu faire accroire à ses
voisines qu'elle pleurait la mort de son troisième mari.--Mais il n'est
que trop vrai, sans perdre le temps en paroles, et pour dire tout
bonnement les choses sans détour, que le bon Antonio, l'honnête
Antonio.... Oh! de quelle épithète assez digne pourrai-je accompagner
son nom?
SALARINO.--Eh bien! enfin?
SALANIO.--Eh! que dis-tu? La fin de tout cela, c'est qu'il a perdu un
navire.
SALARINO.--Je voudrais du moins que ce fût là la fin de ses pertes.
SALANIO.--Que je te réponde à temps, _Amen_! de peur que le diable ne
vienne empêcher l'effet de ta prière, car c'est lui que je vois
s'avancer sous la figure d'un Juif. (_Entre Shylock._) Eh bien! Shylock,
quelles nouvelles parmi les marchands?
SHYLOCK.--- Vous avez su, et personne ne le sait, personne ne le sait si
bien que vous, comment ma fille a pris la fuite.
SALARINO.--Cela est sûr. Pour ma part, je connais le tailleur qui a fait
les ailes avec lesquelles elle s'est envolée.
SALANIO.--Et Shylock, pour sa part, sait que l'oiseau avait toutes ses
plumes, et qu'il est alors dans la nature des oiseaux de quitter leur
nid.
SHYLOCK.--Elle sera damnée pour cela.
SALARINO.--Oh! sans doute; si c'est le diable qui la juge.
SHYLOCK.--Ma chair et mon sang se révolter!
SALANIO.--Fi donc, vieux cadavre! comment, ils se révoltent à ton âge?
SHYLOCK.--Je dis que ma fille est ma chair et mon sang.
SALARINO.--Il y a plus de différence entre ta chair et la sienne,
qu'entre le jais et l'ivoire; plus entre ton sang et le sien, qu'entre
du vin rouge et du vin du Rhin. Mais, dites-nous, avez-vous ouï dire
qu'Antonio ait fait quelques pertes sur mer?
SHYLOCK.--J'ai encore là une mauvaise affaire, un banqueroutier, un
prodigue, qui ose à peine se montrer sur le Rialto; un mendiant, qui
vous venait faire l'agréable sur la place. Qu'il prenne garde à son
billet. Il avait coutume de m'appeler usurier..... Qu'il prenne garde à
son billet. Il avait coutume de prêter de l'argent par charité
chrétienne..... Qu'il prenne garde à son billet.
SALARINO.--Mais je suis bien sûr que, s'il manquait à ses engagements,
tu ne prendrais pas sa chair; à quoi te servirait-elle?
SHYLOCK.--A amorcer des poissons. Elle nourrira ma vengeance, si elle ne
nourrit rien de mieux. Il m'a humilié; il m'a fait tort d'un
demi-million; il a ri de mes pertes; il s'est moqué de mon gain; il a
insulté ma nation; il a fait manquer mes marchés; il a refroidi mes
amis, échauffé mes ennemis, et pour quelle raison? Parce que je suis un
Juif. Un Juif n'a-t-il pas des yeux? un Juif n'a-t-il pas des mains,
des organes, des proportions, des sens, des affections, des passions? ne
se nourrit-il pas des mêmes aliments? n'est-il pas blessé des mêmes
armes, sujet aux mêmes maladies, guéri par les mêmes remèdes, réchauffé
par le même été et glacé par le même hiver qu'un chrétien? si vous nous
piquez, ne saignons-nous pas? si vous nous chatouillez, ne rions-nous
pas? si vous nous empoisonnez, ne mourons-nous pas? et si vous nous
outragez, ne nous vengerons-nous pas? si nous sommes semblables à vous
dans tout le reste, nous vous ressemblerons aussi en ce point. Si un
Juif outrage un chrétien, quelle est la modération de celui-ci? La
vengeance. Si un chrétien outrage un Juif, comment doit-il le supporter,
d'après l'exemple du chrétien? En se vengeant. Je mettrai en pratique
les scélératesses que vous m'apprenez; et il y aura malheur si je ne
surpasse pas mes maîtres.
(Entre un valet.)
LE VALET _d'Antonio._--Messieurs, mon maître Antonio est chez lui, et
désire vous parler à tous deux.
SALARINO.--Nous l'avons cherché de tous côtés.
SALANIO.--En voici un autre de la tribu. On n'en trouverait pas un
troisième de la même secte, à moins que le diable en personne ne se fît
Juif.
(Salanio et Salarino sortent.)
(Entre Tubal.)
SHYLOCK.--Eh bien! Tubal, quelles nouvelles de Gênes? As-tu trouvé ma
fille?
TUBAL.--J'ai, en beaucoup d'endroits, entendu parler d'elle; mais je
n'ai pu la trouver.
SHYLOCK.--Quoi! quoi!--Voyez, voyez, voyez un diamant qui m'a coûté deux
mille ducats à Francfort, que voilà parti. Jamais notre nation ne fut
maudite comme à présent..... Je ne l'ai jamais éprouvé, comme je
l'éprouve aujourd'hui. Deux mille ducats, dans cette affaire, et
d'autres précieux bijoux!.... Je voudrais voir ma fille morte à mes
pieds et les diamants à ses oreilles. Que n'est-elle ensevelie à mes
pieds, et les ducats dans sa bière! Point de nouvelles! et de plus je ne
sais combien d'argent dépensé pour la faire chercher! Quoi! perte sur
perte! Tant d'emporté par le voleur! et tant de dépensé pour chercher le
voleur! et point de satisfaction, point de vengeance! Il n'arrive point
de malheur, qu'il ne me tombe sur le dos: il n'est point d'autres
soupirs que ceux que je pousse, d'autres larmes que celles que je verse.
TUBAL.--D'autres que vous ont aussi du malheur. Antonio, à ce que j'ai
appris à Gênes....
SHYLOCK.--Quoi, quoi, quoi? Un malheur, un malheur?
TUBAL.--A perdu un de ses vaisseaux venant de Tripoli.
SHYLOCK.--Dieu soit loué! Dieu soit loué! Est-il bien vrai? est-il bien
vrai?
TUBAL.--J'ai parlé à des matelots échappés du naufrage.
SHYLOCK.--Je te remercie, cher Tubal. Bonne nouvelle! bonne nouvelle!
Ha! ha!--Où cela? à Gênes?
TUBAL.--On m'a dit un soir à Gênes que votre fille y avait dépensé
quatre-vingts ducats.
SHYLOCK.--Tu m'enfonces un poignard! je ne reverrai jamais mon or.
Quatre-vingts ducats dans un seul endroit! quatre-vingts ducats!
TUBAL.--Je suis arrivé à Venise avec différents créanciers d'Antonio,
lesquels affirment qu'il n'y a d'autre parti pour lui que de faire
banqueroute.
SHYLOCK.--J'en suis ravi. Je le ferai souffrir. Je le torturerai. J'en
suis ravi.
TUBAL.--L'un d'eux m'a montré une bague qu'il avait eue de votre fille
pour un singe.
SHYLOCK.--La malheureuse! Tu me mets à la torture, Tubal; c'était ma
turquoise. Je l'eus de Léah, étant encore garçon. Je ne l'aurais pas
donnée pour un désert plein de singes.
TUBAL.--Mais Antonio est certainement ruiné.
SHYLOCK.--Oh! oui, cela est sûr; cela est sûr, va voir le commissaire:
préviens-le quinze jours d'avance. S'il manque, j'aurai son coeur. S'il
était une fois hors de Venise, je ferais tel négoce que je voudrais.
Cours, cours, Tubal, et viens me rejoindre à notre synagogue. Va, bon
Tubal... A notre synagogue, Tubal.
(Ils sortent.)
SCÈNE II
À Belmont.--Une pièce dans la maison de Portia.
_Entrent_ PORTIA, BASSANIO, GRATIANO, NÉRISSA, _et plusieurs personnages
de leur suite; les coffres sont découverts._
PORTIA.--Tardez un peu, je vous prie. Attendez un jour ou deux, avant de
vous hasarder; car si vous choisissez mal, je suis privée de votre
compagnie; ainsi attendez donc quelque temps. Quelque chose (mais ce
n'est pas de l'amour) me dit que je ne voudrais pas vous perdre; et vous
savez que ce ne sont pas là les conseils de la haine. Mais, de peur que
vous ne pénétriez pas bien ma pensée (et cependant une fille n'a d'autre
langue que la pensée), je voudrais vous retenir ici pendant un ou deux
mois avant de vous voir risquer le choix d'où je dépends.--Je pourrais
vous apprendre les moyens de bien choisir. Mais alors je serais parjure,
et je ne le serai jamais; alors vous pouvez vous tromper... et
cependant, si cela arrive, vous me ferez souhaiter un péché: je
regretterai de n'avoir pas été parjure. Malheur à vos yeux! ils se sont
emparés de moi et m'ont partagée en deux: une moitié de moi-même est à
vous; l'autre moitié est à vous... à moi voulais-je dire. Mais si elle
est à moi, elle est à vous. Ainsi je suis à vous tout entière; oh!
siècle pervers qui met des obstacles entre les propriétaires et leurs
possessions, en sorte que, bien qu'à vous, je ne suis pas à vous! Qu'il
en soit donc ainsi et que la fortune aille en enfer pour ce fait, et non
pas moi! Je parle trop, mais c'est pour peser sur le temps, le filer, le
traîner en longueur, et retarder l'instant de votre choix.
BASSANIO.--Laissez-moi choisir; car vivre en l'état où je suis c'est
être à la torture.
PORTIA.--A la torture, Bassanio? Avouez donc quelle trahison est mêlée à
votre amour?
BASSANIO.--Aucune, si ce n'est l'horrible trahison de la défiance qui me
fait redouter l'instant de jouir de mon amour. La neige et le feu
pourraient plutôt s'unir et vivre ensemble que la trahison et mon amour.
PORTIA.--Oui; mais je crains que vous ne parliez comme un homme à la
torture, dont la violence lui fait dire toutes sortes de choses.
BASSANIO.--Promettez-moi la vie, et je confesse la vérité.
PORTIA.--Eh bien! confessez et vivez.
BASSANIO.--Confesser et aimer eût renfermé tout mon aveu. Heureux
tourments, lorsque celui qui fait mon supplice me suggère des réponses
pour ma délivrance! Mais laissez-moi essayer ma fortune et les coffres.
PORTIA.--Allez donc. Je suis enfermée dans l'un d'eux; si vous m'aimez,
vous me trouverez. Nérissa, et vous tous, faites place.--Que la musique
joue tandis qu'il fera son choix.--Alors, s'il choisit mal, il finira
comme le cygne qui s'évanouit au milieu des chants. Et afin que la
comparaison soit plus parfaite, mes yeux formeront le ruisseau, et un
lit de mort liquide pour lui. Il se peut que son choix soit heureux; et
alors, à quoi servira la musique? A quoi? Elle sera comme la fanfare qui
se fait entendre, tandis que des sujets fidèles rendent hommage à leur
monarque nouvellement couronné.--Elle sera, comme ces doux sons qui, aux
premiers rayons du matin, s'insinuent dans l'oreille du fiancé encore
enseveli dans les songes, et l'appellent à l'hyménée.--Le voilà qui
s'avance avec autant de dignité, mais avec bien plus d'amour que le
jeune Alcide, lorsqu'il venait affranchir Troie gémissante du tribut
d'une vierge payé au monstre de la mer. Je suis là, prête à subir le
sacrifice; toutes les autres sont les épouses troyennes, qui, les yeux
troublés par les larmes, s'avancent hors des murs pour voir l'issue de
l'entreprise. Va, Hercule; si tu vis, je vis. Je vois le combat avec
bien plus de terreur que toi, qui portes les coups.
(Air chanté, tandis que Bassanio examine les coffres, et semble se
livrer à ses réflexions.)
Dis-moi, où siége l'illusion.
Est-ce dans le coeur, ou dans la tête?
Comment naît-elle? comment se nourrit-elle?
Réponds, réponds.
L'illusion s'engendre dans les yeux,
Elle se nourrit de regards, et l'illusion meurt
Dans le berceau qu'elle habite.
Sonnons, sonnons tous la cloche de mort de l'illusion.
Je vais commencer. Ding dong, vole.
TOUS.
Ding dong; ding dong, vole[9].
BASSANIO.--C'est ainsi que ce qui paraît le plus en dehors répond le
moins à l'apparence. Le monde est sans cesse déçu par l'ornement. En
justice est-il un argument si souillé, si pervers, qu'une voix gracieuse
ne puisse l'envelopper de façon à cacher le mal qui s'y trouve renfermé?
En religion, est-il une erreur damnable, qu'un front sévère ne sanctifie
et ne fasse passer au moyen d'un texte qui en cachera la grossièreté
sous une séduisante parure? Il n'est pas de vice si ingénu qui
n'emprunte à l'extérieur quelques caractères de la vertu. Que de
poltrons, au coeur aussi peu sûr qu'un escalier de sable, portent
cependant sur leur menton les barbes d'Hercule et du terrible Mars!
Pénétrez dans leur intérieur, vous ne trouverez que des foies blancs
comme du lait: ils ne prennent du courage que ce qu'il jette en dehors,
pour se rendre redoutables. Regardez la beauté, et vous verrez qu'elle
s'achète au poids de ce métal qui opère en ceci un miracle dans la
nature, rendant plus facile la route de celui qui en porte le plus[10].
Ainsi ces tresses d'or, ondoyantes comme un serpent, qui gambadent si
follement, au souffle du vent, sur une beauté supposée, ne sont bien
souvent qu'un héritage passé sur une seconde tête, tandis que le crâne
qui les a nourris est dans le tombeau. L'ornement n'est donc que le
rivage perfide d'une mer dangereuse, la brillante écharpe qui voile une
beauté indienne; en un mot, un dehors de vérité dont ce siècle
artificieux se revêt pour faire tomber les plus sages dans le piége.
Ainsi donc, or brillant, aliment que Midas a trouvé trop dur, je ne veux
point de toi; ni de toi, pâle et vulgaire agent entre l'homme et
l'homme. Mais toi, toi, pauvre plomb, qui menaces plus que tu ne
promets, ta pâle simplicité me touche plus que l'éloquence. Je fixe ici
mon choix. Puisse le bonheur en être le fruit!
[Note 9: _Ding dong bell_. Ce refrain est destiné à imiter le son de la
cloche qui ne se pourrait rendre en français en traduisant _bell_ par
_cloche_, qui est le mot correspondant. On y a substitué _vole_, qui
exprime une des manières de sonner la cloche, et produit à peu près le
même effet imitatif.]
[Note 10: _Making them lightest that wear more of it._ _Light_ est ici
employé dans son double sens de brillant, et de léger. L'or, en rendant
plus brillants (_lightest_) ceux qui en portent le plus, rend plus
légers (_lightest_) ceux, etc., etc. Le jeu de mots était
intraduisible.]
PORTIA.--Comme toutes les autres passions se dissipent dans les airs,
les pensées inquiètes, le désespoir imprudent, la crainte frissonnante,
la jalousie à l'oeil verdâtre! Amour, modère-toi, tempère ton extase,
verse tes douceurs avec mesure, diminues-en l'excès. Je ressens trop tes
félicités; affaiblis-les, de peur que je n'y succombe.
BASSANIO, _ouvrant le coffre de plomb_.--Que vois-je? l'image de la
belle Portia! Quel demi-dieu a si fort approché de la création? Ces yeux
se meuvent-ils? ou serait-ce que, se balançant sur mes prunelles
mobiles, ils me paraissent en mouvement? Ici sont des lèvres
entr'ouvertes qu'a séparées une haleine de miel: une aussi douce
barrière devait séparer d'aussi douces amies. Là, dans ses cheveux, le
peintre, imitant l'araignée, a tissé un réseau d'or où les coeurs des
hommes seront plutôt pris que ne le sont les mouches dans la toile de
l'insecte. Mais ses yeux... comment a-t-il pu voir pour les faire! Un
seul achevé suffisait, je crois, pour le priver des deux siens, et lui
faire laisser l'ouvrage imparfait. Mais voyez, autant la réalité de mon
imagination fait tort à cette ombre par des éloges trop au-dessous
d'elle, autant cette ombre se traîne avec peine loin de la réalité.
Voici le rouleau qui contient le sommaire de ma destinée.
(Il lit.)
Vous qui ne choisissez point sur l'apparence,
Vous avez bonne chance et bon choix.
Puisque ce bonheur vous arrive,
Soyez content, n'en cherchez pas d'autre.
Si celui-ci vous satisfait,
Et que vous regardiez votre sort comme votre bonheur,
Tournez-vous vers votre dame,
Et prenez-en possession par un baiser amoureux.
Charmant écrit! Belle dame, avec votre permission. (_Il l'embrasse._) Je
me présente le billet à la main pour donner et pour recevoir: semblable
à celui de deux concurrents se disputant le prix, qui pense avoir
satisfait le public, mais qui, lorsqu'il entend les applaudissements, et
les acclamations universelles, troublé, s'arrête et regarde avec
incertitude, ne sachant pas bien si c'est à lui que s'adresse cette
bordée de louanges. Ainsi, trois fois belle Portia, je demeure en doute
de ce que je vois jusqu'à ce que vous l'ayez confirmé, signé et ratifié.
PORTIA.--Seigneur Bassanio, vous me voyez où je suis, et telle que je
suis! Pour moi seule, je n'aurais pas l'ambition de vouloir beaucoup
mieux. Mais pour l'amour de vous, je voudrais pouvoir tripler vingt fois
mes mérites, être mille fois plus belle, dix mille fois plus riche. Je
voudrais, seulement pour être placée plus haut dans votre estime,
surpasser en vertus, en beauté, en biens, en amis, tout ce qui se peut
compter. Mais ce que je suis au total se réduit, pour vous le dire en
gros, à ceci, à une fille simple, peu instruite, sans expérience,
heureuse en ce qu'elle n'est pas hors de l'âge d'apprendre, plus
heureuse en ce qu'elle n'est pas née si peu intelligente qu'elle ne
puisse apprendre encore, mais heureuse par-dessus tout de soumettre son
esprit docile à votre direction, comme à son seigneur, son maître et son
roi; moi-même et tout ce qui m'appartient est maintenant à vous, est
devenu votre bien. Tout à l'heure j'étais la maîtresse de cette belle
maison, de mes domestiques, et reine de moi-même. Maintenant cette
maison, ces domestiques et moi-même, nous sommes à vous, à vous, mon
seigneur. Je vous les donne avec cette bague. Lorsque vous vous en
séparerez ou que vous la perdrez, ou que vous la donnerez, ce sera le
présage de la ruine de votre amour. Il ne me restera plus que le droit
de me plaindre de vous.
BASSANIO.--Madame, vous m'avez ôté le pouvoir de vous répondre. Mon sang
seul vous parle dans mes veines: et toutes les puissances de mon être
s'agitent confusément comme, après un discours noblement prononcé par un
prince chéri, se confondent dans le murmure de la multitude charmée tous
ces sons qui, mêlés ensemble, produisent un chaos où rien ne se
distingue plus que la joie qui s'exprime sans s'exprimer. Quand cette
bague sera séparée de ce doigt, que la vie se sépare de ce coeur! Vous
pourrez dire alors sans crainte de vous tromper: Bassanio est mort.
NÉRISSA.--Mon seigneur et madame, c'est à présent notre tour à nous, qui
sommes demeurés spectateurs et qui avons vu s'accomplir nos désirs, de
crier: Bonheur parfait, bonheur parfait, mon seigneur et madame!
GRATIANO.--Seigneur Bassanio, et vous, belle dame, je vous souhaite tout
le bonheur que vous pouvez désirer; car je suis sûr que vous n'en
souhaitez aucun aux dépens du mien. Mais lorsque Vos Seigneuries
solenniseront le traité qui doit les engager, permettez-moi, je vous
prie, de me marier aussi.
BASSANIO.--De tout mon coeur. Tu peux chercher une femme.
GRATIANO.--Je remercie Votre Seigneurie; vous m'en avez donné une. Mes
yeux, seigneur, sont aussi prompts que les vôtres. Vous avez vu la
maîtresse, moi j'ai vu la suivante. Vous avez aimé, j'ai aimé, car je ne
suis pas plus disposé que vous, seigneur, à traîner les choses en
longueur. Votre sort était dans ces coffres, le mien s'y trouve attaché
par l'événement; car à force de faire ma cour jusqu'à me mettre en
nage, de protester de mon amour jusqu'à m'en être desséché le gosier, je
suis parvenu à tenir enfin, si une promesse peut se tenir, la parole de
cette belle, qu'elle m'accorderait son amour si vous aviez le bonheur de
conquérir sa maîtresse.
PORTIA.--Est-il vrai, Nérissa?
NÉRISSA.--Oui, madame, si c'est votre bon plaisir.
BASSANIO.--Et vous, Gratiano, êtes-vous de bonne foi?
GRATIANO.--Oui, seigneur, je le jure.
BASSANIO.--Nos noces seront fort embellies par les vôtres.
GRATIANO.--Parions avec vous dix mille ducats à qui fera le premier
garçon.
NÉRISSA.--Quoi! et vous mettez bas l'enjeu?
GRATIANO.--Non; on ne gagne pas à ce jeu-là quand on met bas
l'enjeu.--Mais qui vient ici? Lorenzo et son infidèle? Quoi! et le
Vénitien Salanio, mon vieil ami?
(Entrent Lorenzo, Jessica et Salanio.)
BASSANIO.--Lorenzo et Salanio, soyez ici les bienvenus: si toutefois une
possession aussi nouvelle que la mienne me donne le droit de vous y
recevoir. Avec votre permission, ma chère Portia, je dis à mes amis, à
mes compatriotes qu'ils sont les bienvenus.
PORTIA.--Et je le dis aussi, seigneur; ils sont les très-bienvenus.
LORENZO.--J'en remercie Votre Seigneurie. Pour moi, seigneur, mon
dessein n'était pas de venir vous voir ici; mais j'ai rencontré Salanio
en chemin; il m'a tant prié de l'accompagner, que je n'ai pu dire non.
SALANIO.--Cela est vrai, seigneur, et j'avais mes raisons. (_Il donne
une lettre à Bassanio._) Le seigneur Antonio se recommande à votre
souvenir.
BASSANIO.--Avant que j'ouvre cette lettre, dites-moi comment se porte
mon cher ami.
SALANIO.--Point malade, seigneur, si ce n'est dans l'âme; point en
santé, si ce n'est celle de l'âme. Sa lettre vous apprendra sa
situation.
GRATIANO.--Nérissa, faites un bon accueil à cette étrangère; traitez-la
bien. Votre main, Salanio. Quelles nouvelles de Venise? Comment se porte
ce _marchand roi_[11], le bon Antonio? Je suis sûr qu'il se réjouira de
nos succès. Nous sommes des Jasons, nous avons conquis la Toison.
[Note 11: _That royal merchant_. Lors de la prise de Constantinople par
les croisés, la république permit à ses sujets de faire, pour leur
propre compte, dans les îles de l'Archipel, des conquêtes dont il fut
stipulé qu'ils jouiraient en toute souveraineté, sous la condition d'en
faire hommage à la république. Plusieurs des grandes familles de la
république créèrent des établissements de ce genre qui leur valurent le
titre _de marchands rois_.]
SALANIO.--Plût à Dieu que vous eussiez trouvé la toison qu'il a perdue?
PORTIA.--Il y a dans cette lettre quelques nouvelles sinistres qui font
disparaître la couleur des joues de Bassanio. La mort de quelque ami
chéri. Nul autre malheur dans le monde ne peut changer à ce point la
constitution d'un homme de courage!... Quoi! de pis en pis?...
Permettez, Bassanio. Je suis une moitié de vous-même, et je dois
partager sans réserve avec vous tout ce que contient cette lettre.
BASSANIO.--O ma douce Portia! ici sont renfermés un petit nombre de mots
les plus tristes qui jamais aient noirci le papier. Aimable dame, la
première fois que je vous déclarai mon amour, je vous dis avec franchise
que tout le bien que je possédais coulait dans mes veines, que j'étais
gentilhomme, et je vous disais vrai. Cependant, chère madame, lorsque je
m'évaluais à néant, voyez quel imposteur j'étais; au lieu de vous dire
que mon bien n'était rien, j'aurais dû vous dire qu'il était au-dessous
de rien; car, dans la vérité, je me suis engagé avec un tendre ami, et
j'ai engagé cet ami avec le plus cruel de ses ennemis, pour me procurer
des ressources. Voilà une lettre, madame, dont le papier me semble le
corps de mon ami, et chaque mot une large blessure qui verse son sang
vital. Mais est-il bien vrai, Salanio? Tous ses vaisseaux ont-ils
manqué? quoi! il n'en est arrivé aucun? de Tripoli, du Mexique? de
l'Angleterre, de Lisbonne, de la Barbarie, de l'Inde? Pas un seul
bâtiment n'a pu éviter la terrible rencontre des rochers, ruine des
marchands?