William Shakespear

La vie et la mort du roi Richard II
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(Ils sortent.)

FIN DU QUATRIÈME ACTE.




                            ACTE CINQUIÈME




SCÈNE I

Une des rues conduisant à la Tour.

_Entrent_ LA REINE _et ses dames_.


_LA REINE._--C'est par cette rue que le roi va passer: voilà le chemin
de cette Tour qu'à la maleheure a bâtie Jules César[27], et dont le sein
de pierre devient, par arrêt de l'orgueilleux Bolingbroke, la prison de
mon seigneur condamné.--Reposons-nous ici, si cette terre rebelle a
encore un lieu de repos pour la reine de son légitime souverain! (_Entre
le roi Richard conduit par des gardes._) Mais paix; ah! que je voie...
ou plutôt ne voyons pas se flétrir ma belle rose. Et cependant, levons
les yeux, regardons-le, afin que la pitié nous dissolve en rosée pour
lui rendre sa fraîcheur en l'arrosant des larmes du fidèle amour.--O
toi, l'image des lieux où fut la vieille Troie, carte d'honneur, tombeau
du roi Richard et non plus le roi Richard, toi la plus belle des
demeures, pourquoi faut-il que le chagrin au sombre visage habite chez
toi, tandis que le succès triomphant s'est logé dans un cabaret?

[Note 27: La tradition en Angleterre attribue à César l'érection de la
Tour de Londres.]

RICHARD.--Femme charmante, ne te ligue pas avec ma douleur, je t'en
prie, pour me faire mourir trop promptement. Apprends, bonne âme, à
tenir notre ancienne fortune comme un songe heureux dont nous nous
réveillons pour voir dans l'état où nous sommes réduits la vérité de ce
que nous sommes. Me voilà, ma douce amie, devenu l'inséparable frère de
la hideuse nécessité; elle et moi nous sommes liés jusqu'à la
mort.--Retire-toi en France, et va te cloîtrer dans quelque maison
religieuse: il faut qu'une sainte vie nous gagne dans un monde nouveau
la couronne que nos heures profanes ont abattue ici.

LA REINE.--Quoi! l'âme de mon Richard est-elle donc changée et affaiblie
comme sa personne? Bolingbroke a-t-il aussi déposé ta raison? est-il
entré dans ton coeur? Le lion mourant avance encore la griffe, et, dans
la rage de se voir dompté, déchire la terre s'il ne peut atteindre autre
chose; et toi, subiras-tu patiemment la correction comme un écolier?
Baiseras-tu la verge? flatteras-tu avec une basse humilité la fureur de
tes ennemis, toi qui es un lion et le roi des animaux?

RICHARD.--Oui, roi des animaux: si j'avais gouverné autre chose que des
animaux, je régnerais encore heureux sur les hommes.--Ma bien-aimée,
autrefois reine, prépare-toi à partir pour la France; suppose que je
suis mort, et qu'ici, dans cet instant; tu reçois de moi, comme de mon
lit de mort, mon dernier adieu de vivant. Dans les ennuyeuses soirées de
l'hiver, assise auprès d'un foyer avec quelques bons vieillards,
fais-toi raconter les histoires des siècles malheureux passés depuis
longtemps; et avant de leur souhaiter le bonsoir, pour acquitter ta part
de douleurs, dis-leur ma lamentable chute, et renvoie tes auditeurs
pleurants à leurs lits.--Eh quoi! aux tristes accents de ta voix
touchante, les insensibles tisons eux-mêmes, émus de sympathie,
éteindront le feu sous les larmes de leur compassion; et les uns sous
leurs cendres, les autres, noirs comme le charbon, pleureront la
déposition d'un roi légitime.

(Entrent Northumberland et une suite.)

NORTHUMBERLAND.--Seigneur, les intentions de Bolingbroke sont changées:
c'est à Pomfret, et non à la Tour, qu'il faut vous rendre.--Et vous,
madame, je suis aussi chargé d'ordres pour vous: il vous faut partir
sans délai pour la France.

RICHARD.--Northumberland, toi l'échelle au moyen de laquelle l'ambitieux
Bolingbroke monte sur mon trône, le temps n'aura pas vieilli d'un grand
nombre d'heures avant que ton odieux péché, se grossissant de sa propre
matière, n'éclate en pourriture. Quand Bolingbroke partagerait son
royaume et t'en donnerait la moitié, tu penseras que c'est trop peu pour
l'avoir aidé à s'emparer du tout; et lui, il pensera que toi qui sais le
moyen d'établir les rois illégitimes, tu sauras aussi, sous le moindre
prétexte, trouver un autre moyen de le renverser la tête la première de
son trône usurpé. L'attachement des amis pervers se convertit en
défiance, la défiance en haine; et la haine conduit l'un, ou tous deux
ensemble, à de justes périls et à une mort méritée.

NORTHUMBERLAND.--Que mon crime retombe sur ma tête, et que tout finisse
là. Faites-vous vos adieux et séparez-vous, car il faut vous quitter sur
l'heure.

RICHARD.--Accablé d'un double divorce! Méchants hommes, vous violez une
double union; d'abord entre ma couronne et moi, et puis entre moi et la
femme que j'ai épousée.--Délions par un baiser le serment qui subsiste
entre toi et moi: et cependant cela ne se peut, car il fut consacré par
un baiser[28].--Sépare-nous, Northumberland: moi pour aller vers le
nord, où le froid transi et la maladie font languir le pays; ma femme
pour aller en France, d'où elle est venue avec pompe et parée comme le
doux mois de mai, et où elle est renvoyée comme la Toussaint, ou comme
le jour le plus court.

[Note 28: C'était alors l'usage de consacrer, à l'église même, l'union
nuptiale par un baiser.]

LA REINE.--Eh quoi! faut-il qu'on nous sépare? faut-il nous quitter?

RICHARD.--Oui, ma bien-aimée, ta main de ma main, et ton coeur de mon
coeur.

LA REINE.--Bannissez-nous tous deux, et renvoyez le roi avec moi.

NORTHUMBERLAND.--Il y aurait à cela quelque bonté, mais peu de
politique.

LA REINE.--Eh bien, là où il va, laissez-moi y aller aussi.

RICHARD.--Pleurant ainsi tous deux ensemble, nous ne ferions qu'une
seule douleur. Pleure pour moi en France, je pleurerai ici pour toi: il
vaut mieux être loin l'un de l'autre, que réunis pour n'être jamais plus
heureux[29]. Va, compte tes pas par tes soupirs, et moi les miens par
mes gémissements.

[Note 29: _Be never the near,_ n'avoir rien gagné, n'être jamais plus
près de ce qu'on désire.]

LA REINE.--Ainsi le chemin plus long fournira les plus longues plaintes.

RICHARD.--Je pousserai deux gémissements à chaque pas puisque mon chemin
est court, et je l'allongerai par le poids que j'ai sur le coeur.
Allons, allons, ne faisons pas plus longtemps la cour à la douleur,
puisqu'une fois qu'on l'a épousée la douleur dure si longtemps. Qu'un
baiser nous ferme la bouche, et séparons-nous en silence. (_Ils
s'embrassent._) Dans ce baiser je te donne mon coeur, et je prends le
tien.

LA REINE.--Rends-moi le mien: c'est un triste rôle que de prendre ton
coeur pour le tuer. (_Ils s'embrassent encore une fois._) Maintenant que
j'ai repris le mien, va-t'en; que je puisse m'efforcer de le tuer d'un
seul gémissement.

RICHARD.--Nous jouons avec le malheur dans ces tendres délais. Encore
une fois, adieu: que la douleur dise le reste.

(Ils sortent.)




SCÈNE II

La scène est toujours à Londres.--Un appartement dans le palais du duc
d'York.

_Entrent_ YORK et LA DUCHESSE D'YORK.


LA DUCHESSE D'YORK.--Milord, vous m'aviez promis de m'achever le récit
de l'entrée de nos deux cousins dans Londres, lorsque vos larmes vous
ont forcé de l'interrompre.

YORK.--Où en suis-je resté?

LA DUCHESSE D'YORK.--A ce triste moment où des mains brutales et
insolentes jetaient, du haut des fenêtres, de la poussière et des
ordures sur la tête du roi Richard.

YORK.--Alors, comme je vous l'ai dit, le duc, le grand Bolingbroke,
monté sur un bouillant et fougueux coursier qui semblait connaître son
ambitieux maître, poursuivait sa marche à pas lents et majestueux,
tandis que toutes les voix criaient: «Dieu te garde, Bolingbroke!» Vous
auriez cru que les fenêtres parlaient, tant s'y pressaient les figures
de tout âge, jeunes et vieilles, pour lancer à travers les ouvertures
d'avides regards sur le visage de Bolingbroke: on eût dit que toutes les
murailles, chargées d'images peintes, répétaient à la fois: «Jésus te
conserve! sois le bienvenu, Bolingbroke!» tandis que lui, se tournant de
côté et d'autre, la tête découverte et courbée plus bas que le cou de
son fier coursier, leur disait: «Je vous remercie, mes compatriotes.» Et
faisant toujours ainsi, il continuait sa marche.

LA DUCHESSE D'YORK.--Hélas! et le pauvre Richard, que faisait-il alors?

YORK.--Comme dans un théâtre, lorsqu'un acteur favori vient de quitter
la scène, les yeux des spectateurs se portent négligemment sur celui qui
lui succède, tenant son bavardage pour ennuyeux; ainsi, et avec plus de
mépris encore, les yeux du peuple s'arrêtaient d'un air d'aversion sur
Richard. Pas un seul n'a crié: Dieu le sauve! Pas une voix joyeuse ne
lui a souhaité la bienvenue; mais on répandait la poussière sur sa tête
sacrée; et lui la secouait avec une tristesse si douce, une expression
si combattue entre les pleurs et le sourire, gages de sa douleur et de
sa patience; que si Dieu, pour quelque grand dessein, n'avait pas
endurci les coeurs des hommes, ils auraient été forcés de s'attendrir,
et la barbarie elle-même eût eu compassion de lui. Mais le ciel a mis la
main à ces événements; tranquilles et satisfaits, nous nous soumettrons
à sa haute volonté, Notre foi de sujet est maintenant jurée à
Bolingbroke dont je reconnais pour toujours la puissance et les droits.

(Entre Aumerle.)

LA DUCHESSE D'YORK.--Voici mon fils Aumerle.

YORK.--Il fut Aumerle jadis, mais il a perdu ce titre pour avoir été
l'ami de Richard; et il faut désormais, madame, que vous l'appeliez
Rutland. Je suis caution, devant le parlement, de sa fidélité et de sa
ferme loyauté envers le nouveau roi.

LA DUCHESSE D'YORK.--Sois le bienvenu, mon fils. Quelles sont les
violettes parsemées maintenant sur le sein verdoyant du nouveau
printemps?

AUMERLE.--Madame, je l'ignore et ne m'en embarrasse guère. Dieu sait
qu'il m'est indifférent d'en être ou de n'en pas être.

YORK.--A la bonne heure; mais comportez-vous bien dans cette saison
nouvelle, de peur d'être moissonné avant le temps de la maturité. Que
dit-on d'Oxford? Les joutes et les fêtes continuent-elles?

AUMERLE.--Oui, milord, à ce que j'ai ouï dire.

YORK.--Vous y serez, je le sais.

AUMERLE.--Si Dieu ne s'y oppose, c'est mon dessein.

YORK.--Quel est ce sceau qui pend de ton sein[30]?--Eh quoi! tu pâlis?
Laisse-moi voir cet écrit.

[Note 30: L'usage était alors, comme on sait, d'apposer aux actes le
sceau suspendu par une bande de parchemin.]

AUMERLE.--Milord, ce n'est rien.

YORK.--En ce cas, peu importe qu'on le voie. Je veux être satisfait:
voyons cet écrit.

AUMERLE.--Je conjure Votre Grâce de m'excuser: c'est un écrit de peu
d'importance, que j'ai quelque raison de tenir caché.

YORK.--Et moi, monsieur, que j'ai quelque raison de vouloir connaître.
Je crains.... je crains....

LA DUCHESSE D'YORK.--Eh! que pouvez-vous craindre? Ce ne peut être que
quelque engagement qu'il aura contracté pour ses parures le jour du
triomphe.

YORK.--Quoi! un engagement avec lui-même? Comment aurait-il entre ses
mains l'engagement qui le lie? Tu es folle, ma femme.--Jeune homme,
fais-moi voir cet écrit.

AUMERLE.--Je vous en conjure, excusez-moi: je ne puis le montrer.

YORK.--Je veux être obéi; je veux le voir, te dis-je. (_Il lui arrache
l'écrit et le lit._)--Trahison! noire trahison!--Déloyal! traître!
misérable!

LA DUCHESSE D'YORK.--Qu'est-ce que c'est, milord?

YORK.--Holà! quelqu'un ici. _(Entre un serviteur._)--Qu'on selle mon
cheval.--Le ciel lui fasse miséricorde!--Quelle trahison je découvre
ici!

LA DUCHESSE D'YORK.--Comment? qu'est-ce, milord?

YORK.--Donnez-moi mes bottes, vous dis-je. Sellez mon cheval.--Oui, sur
mon honneur, sur ma vie, sur ma foi, je vais dénoncer le scélérat!

LA DUCHESSE D'YORK.--Qu'il y a-t-il donc?

YORK.--Taisez-vous, folle que vous êtes.

LA DUCHESSE D'YORK.--Je ne me tairai point.--De quoi s'agit-il, mon
fils?

AUMERLE.--Calmez-vous, ma bonne mère: de rien dont ne puisse répondre ma
pauvre vie.

LA DUCHESSE D'YORK.--Ta vie en répondre!

(Entre un valet apportant des bottes.)

YORK.--Donne-moi mes bottes. Je veux allez trouver le roi.

LA DUCHESSE D'YORK.--Aumerle, frappe-le.--Pauvre enfant, tu es tout
consterné. _(Au valet._)--Loin d'ici, malheureux! ne reparais jamais en
ma présence.

YORK.--Donne-moi mes bottes, te dis-je.

LA DUCHESSE D'YORK.--Quoi donc, York, que veux-tu faire? Quoi! tu ne
cacheras pas la faute de ton propre sang? Avons-nous d'autres fils?
pouvons-nous en espérer d'autres? le temps n'a-t-il pas épuisé la
fécondité de mon sein? Et tu veux enlever à ma vieillesse mon aimable
fils, et me dépouiller de l'heureux titre de mère! Ne te ressemble-t-il
pas? n'est-il pas à toi?

YORK.--Femme faible et insensée, veux-tu donc celer cette noire
conspiration? Ils sont là douze traîtres qui ont ici pris par serment et
réciproquement signé l'engagement d'assassiner le roi à Oxford.

LA DUCHESSE D'YORK.--Il n'en sera pas: nous le garderons ici; et alors
comment pourra-t-il s'en mêler?

YORK.--Laisse-moi, femme inconsidérée: fût-il vingt fois mon fils, je le
dénoncerais.

LA DUCHESSE D'YORK.--Ah! si tu avais poussé pour lui autant de
gémissements que moi, tu serais plus pitoyable. Mais je sais maintenant
ce que tu penses: tu soupçonnes que j'ai été infidèle à ta couche; et
qu'il est un bâtard au lieu d'être ton fils. Ah! cher York, cher époux,
n'aie pas cette pensée; il te ressemble autant qu'homme puisse
ressembler à un autre; il ne me ressemble pas, ni à personne de ma
famille, et pourtant je l'aime.

YORK.--Laisse-moi passer, femme indisciplinée.

(Il sort.)

LA DUCHESSE D'YORK.--Va après lui, Aumerle: monte son cheval; pique,
presse, arrive avant lui auprès du roi, et implore ta grâce avant qu'il
t'accuse. Je ne tarderai pas à te suivre: quoique vieille, je ne doute
pas que je ne puisse galoper aussi vite qu'York. Je ne me relèverai
point de terre que Bolingbroke ne t'ait pardonné. Partons. Va-t'en.

(Ils sortent.)




SCÈNE III

La scène est à Windsor.--Un appartement dans le château.

_Entrent_ BOLINGBROKE _en roi_, PERCY _et autres seigneurs_.


BOLINGBROKE.--Personne ne peut-il me donner des nouvelles de mon
débauché de fils? Il y a trois mois entiers que je ne l'ai vu. S'il est
quelque fléau dont le ciel nous menace, c'est lui. Plût à Dieu, milords,
qu'on pût le découvrir! Faites chercher à Londres, dans toutes les
tavernes; car on dit qu'il les hante journellement avec des compagnons
sans moeurs et sans frein, de ceux-là mêmes, dit-on, qui se tiennent
dans des ruelles étroites, où ils battent notre garde et volent les
passants! Et lui, jeune étourdi, jeune efféminé, il se fait un point
d'honneur de soutenir cette bande dissolue!

PERCY.--Seigneur, il n'y a guère que deux jours que j'ai vu le prince,
et je lui ai parle des tournois qui se tiennent à Oxford.

BOLINGBROKE.--Et qu'a répondit ce galant?

PERCY.--Sa réponse fut qu'il irait dans un mauvais lieu[31], qu'il
arracherait à la plus vile des créatures qui s'y trouveraient un de ses
gants, qu'il le porterait comme une faveur, et qu'avec ce gage il
désarçonnerait le plus robuste agresseur.

[Note 31: _..... Unto the stews._]

BOLINGBROKE.--Aussi dissolu que téméraire: et cependant, au travers de
tout cela, j'entrevois quelques étincelles d'espérance qu'un âge plus
mûr pourra peut-être développer heureusement.--Mais qui vient à nous?

(Entre Aumerle.)

AUMERLE.--Où est le roi?

BOLINGBROKE.--Que veut dire notre cousin avec cet air de trouble et
d'effroi?

AUMERLE.--Que Dieu garde Votre Grâce! Je conjure Votre Majesté de
m'accorder un moment d'entretien, seul avec Votre Grâce.

BOLINGBROKE, _aux lords._--Retirez-vous, et laissez-nous seuls ici.
(_Percy et les lords se retirent._)--Que nous veut maintenant notre
cousin?

AUMERLE, _s'agenouillant._--Que mes genoux restent pour toujours
attachés à la terre, et ma langue fixée dans ma bouche à mon palais, si
vous ne me pardonnez avant que je me relève ou que je parle.

BOLINGBROKE.--La faute n'est-elle que dans l'intention, ou déjà commise?
Dans le premier cas, quelque odieuse qu'elle puisse être, pour gagner
ton amitié à l'avenir, je te pardonne.

AUMERLE.--Permettez-moi donc de tourner la clef, afin que personne
n'entre jusqu'à ce que je vous aie tout dit.

BOLINGBROKE.--Fais ce que tu voudras.

(Aumerle ferme la porte.)

YORK, _en dehors._--Prends garde, mon souverain; veille à ta sûreté; tu
as un traître en ta présence.

BOLINGBROKE, _tirant son épée._--Scélérat! je vais m'assurer de toi.

AUMERLE.--Retiens ta main vengeresse; tu n'as aucun sujet de craindre.

YORK, _en dehors._--Ouvre la porte; prends garde, roi follement
téméraire. Ne pourrai-je, au nom de mon attachement, accuser devant toi
la trahison? Ouvre la porte, ou je vais la briser.

(Bolingbroke ouvre la porte.)

(Entre York.)

BOLINGBROKE.--Qu'y a-t-il, mon oncle? parlez. Reprenez haleine;
dites-nous si le danger presse, afin que nous nous armions pour le
repousser.

YORK.--Parcours cet écrit, et tu connaîtras la trahison que ma course
rapide m'empêche de te développer.

AUMERLE.--Souviens-toi, en lisant, de ta parole donnée. Je suis
repentant: ne lis plus mon nom dans cette liste; mon coeur n'est point
complice de ma main.

YORK.--Traître, il l'était avant que ta main eût signé.--Roi, je l'ai
arraché du sein de ce traître: c'est la crainte et non l'amour qui
engendre son repentir. Oublie ta pitié pour lui, de peur que ta pitié ne
devienne un serpent qui te percera le coeur.

BOLINGBROKE.--O conspiration odieuse, menaçante et audacieuse! O père
loyal d'un fils perfide! O toi, source argentée, pure et immaculée, d'où
ce ruisseau a pris son cours à travers des passages fangeux qui l'ont
sali; comme le surcroît de ta bonté s'est en lui changé en méchanceté,
de même cette bonté surabondante excusera la faute mortelle de ton
coupable fils.

YORK.--Ainsi ma vertu servira d'entremetteur à ses vices[32]; il
dépensera mon honneur à réparer sa honte, comme ces fils prodigues qui
dépensent l'or amassé par leurs pères. Pour que mon honneur vive, il
faut que son déshonneur périsse; ou bien son déshonneur va couvrir ma
vie d'infamie. Tu me tues en lui permettant de vivre: si tu lui laisses
le jour, le traître vit et tu mets à mort le sujet fidèle.

[Note 32: _So shall my virtue be his vice's bawd._]

LA DUCHESSE D'YORK, _en dehors_.--De grâce, mon souverain, pour l'amour
de Dieu, laisse-moi entrer.

BOLINGBROKE.--Quelle suppliante à la voix grêle pousse ces cris
empressés?

LA DUCHESSE D'YORK.--Une femme, ta tante, grand roi. C'est moi,
écoute-moi, aie pitié de moi; ouvre la porte: c'est une mendiante qui
mendie sans avoir jamais mendié[33], moi qui ne demandai jamais.

[Note 33: _A beggar begs, that never begg'd before._

C'est sur ce mot _beggar_ que porte la plaisanterie de Bolingbroke.

    _Our scene is alter'd from a serious thing,
    And now chang'd to the Beggar and the king._

_The beggar_ était, comme on l'a déjà fait voir dans les notes de _Roméo
et Juliette_, une ballade alors très-connue.]

BOLINGBROKE.--Voilà notre scène changée: nous passons d'une chose
sérieuse à _la mendiante avec le roi_.--Mon dangereux cousin, faites
entrer votre mère: je vois bien qu'elle vient intercéder pour votre
odieux forfait.

YORK.--Si tu lui pardonnes, qui que ce soit qui te prie, ce pardon
pourra faire germer d'autres crimes. Retranche ce membre corrompu, et
tous les autres restent sains. Si tu l'épargnes, il corrompra tout le
reste.

(Entre la duchesse d'York.)

LA DUCHESSE D'YORK.--O roi! ne crois pas cet homme au coeur dur: celui
qui ne s'aime pas lui-même ne peut aimer personne.

YORK.--Femme extravagante, que fais-tu ici? Ton sein flétri veut-il une
seconde fois nourrir un traître?

LA DUCHESSE D'YORK.--Cher York, calmez-vous.--Mon gracieux souverain,
écoutez-moi.

(Elle se met à genoux.)

BOLINGBROKE.--Levez-vous, ma bonne tante.

LA DUCHESSE D'YORK.--Non, pas encore, je t'en conjure: je resterai
prosternée sur mes genoux, et jamais je ne reverrai le jour que voient
les heureux, que tu ne m'aies rendue à la joie, que tu ne m'aies dit de
me réjouir en pardonnant à Rutland, à mon coupable enfant.

AUMERLE, _se mettant à genoux._--Et moi je courbe les genoux pour m'unir
aux prières de ma mère.

YORK, _se mettant à genoux._--Et moi je courbe mes genoux fidèles pour
prier contre tous les deux. Si tu accordes la moindre grâce, puisse-t-il
t'en mal arriver!

LA DUCHESSE D'YORK.--Ah! croyez-vous qu'il parle sérieusement? Voyez son
visage: ses yeux ne versent point de larmes, sa prière n'est qu'un jeu,
ses paroles ne viennent que de sa bouche, les nôtres viennent du coeur:
il ne vous prie que faiblement, et désire qu'on le refuse; mais nous,
nous vous prions du coeur, de l'âme, de tout le reste: ses genoux
fatigués se lèveraient avec joie, je le sais; et les nôtres resteront
agenouillés jusqu'à ce qu'ils s'unissent à terre. Ses prières sont
remplies d'une menteuse hypocrisie; les nôtres sont pleines d'un vrai
zèle et d'une intégrité profonde. Nos prières surpassent les siennes:
qu'elles obtiennent donc cette miséricorde due aux prières véritables.

BOLINGBROKE.--Ma bonne tante, levez-vous.

LA DUCHESSE D'YORK.--Ne me dis point _levez-vous_, mais d'abord _je
pardonne_; et tu diras ensuite _levez-vous_. Ah! si j'avais été ta
nourrice et chargée de t'apprendre à parler, _je pardonne_ eut été pour
toi le premier mot de la langue. Jamais je n'ai tant désiré entendre un
mot. Roi, dis: _Je pardonne_; que la pitié t'enseigne à le prononcer. Le
mot est court, mais moins court qu'il n'est doux: il n'en est point qui
convienne mieux à la bouche des rois que: _je pardonne_.

YORK.--Parle-leur français, roi; dis-leur: _Pardonnez-moi_[34].

[Note 34: _Speak in French, king; say_--pardonnez-moi.

Shakspeare en veut beaucoup au _pardonnez-moi_. Il paraît que de son
temps l'usage continuel et abusif de cette expression était le signe
caractéristique de l'affectation des manières françaises. Mais la
plaisanterie est ici d'autant plus mal placée, que cette manière de
s'excuser n'a rien de particulier au français: _pardon me_ est
continuellement employé dans ce même sens par Shakspeare, pas plus loin
que dans la scène précédente, où Aumerle refuse de donner à son père le
papier qu'il lui demande.]

LA DUCHESSE D'YORK.--Dois-tu enseigner au pardon à détruire le pardon?
Ah! mon cruel mari, mon seigneur au coeur dur qui emploie ce mot contre
lui-même, prononce le pardon commun qui est d'usage dans notre pays;
nous ne comprenons pas ce jargon français. Tes yeux commencent à parler;
que ta langue s'y joigne, ou bien place ton oreille dans ton coeur
compatissant, afin qu'il entende le son pénétrant de nos plaintes et de
nos prières, et que la pitié t'excite à proférer le pardon.

BOLINGBROKE.--Ma bonne tante, levez-vous.

LA DUCHESSE D'YORK.--Je ne demande point à me relever: la grâce que je
sollicite, c'est que tu pardonnes.

BOLINGBROKE.--Je lui pardonne, comme je désire que Dieu me pardonne.

LA DUCHESSE D'YORK.--O heureuse victoire d'un genou suppliant! Et
pourtant je suis malade de crainte; répète-le: prononcer deux fois le
pardon, ce n'est pas pardonner deux fois, mais c'est fortifier un
pardon.

BOLINGBROKE.--Je lui pardonne de tout mon coeur.

LA DUCHESSE D'YORK.--Tu es un dieu sur la terre.

BOLINGBROKE.--Mais pour notre loyal beau-frère et l'abbé, et tout le
reste de cette bande de conspirateurs, la destruction va leur courir sur
les talons.--Mon bon oncle, chargez-vous d'envoyer plusieurs
détachements à Oxford, ou en quelque autre lieu que se trouvent ces
traîtres: ils ne demeureront pas en ce monde, je le jure; mais je les
aurai si je sais une fois où ils sont. Mon oncle, adieu.--Et vous aussi,
cousin, adieu. Votre mère a su prier pour vous; devenez fidèle.

LA DUCHESSE D'YORK.--Viens, mon vieux fils, je prie Dieu de faire de toi
un nouvel homme.

(Ils sortent.)




SCÈNE IV

_Entrent_ EXTON et UN SERVITEUR.


EXTON.--N'as-tu pas remarqué ce que le roi a dit? «N'ai-je point un ami
qui me délivre de cette crainte toujours vivante?» N'est-ce pas cela?

LE SERVITEUR.--Ce sont ses propres paroles.

EXTON.--«N'ai-je point un ami?» a-t-il dit. Il l'a répété deux fois, et
les deux fois il a répété les deux choses ensemble, n'est-il pas vrai?

LE SERVITEUR.--Il est vrai.

EXTON.--Et en disant ces mots, il me regardait fixement, comme s'il
voulait dire: «Je voudrais bien que tu fusses l'homme capable de
délivrer mon âme de cette terreur,» voulant dire le roi qui est à
Pomfret.--Viens, allons-y: je suis l'ami du roi, et je le débarrasserai
de son ennemi.

(Ils sortent.)




SCÈNE V

Pomfret.--La prison du château.


RICHARD _seul._

Je me suis occupé à étudier comment je pourrais comparer cette prison,
où je vis, avec le monde; mais comme le monde est peuplé d'hommes, et
qu'ici il n'y a pas une créature excepté moi, je ne puis y
réussir.--Cependant il faut que j'en vienne à bout. Ma cervelle
deviendra la femelle de mon âme; mon âme sera le père: à eux deux ils
engendreront une génération d'idées sans cesse productives, et toutes
ces idées peupleront ce petit monde, et le peupleront d'inconséquences,
comme en est peuplé l'univers; car il n'est point de pensée qui se
satisfasse. Dans la meilleure espèce de toutes, les pensées des choses
divines, il se rencontre des embarras, et elles mettent la parole en
opposition avec la parole; comme: _venez à moi, petits; et ailleurs: il
est aussi difficile de venir qu'il l'est à un chameau d'enfiler l'entrée
du trou d'une aiguille_[35]. Les pensées ambitieuses cherchent à
combiner des prodiges invraisemblables, comme de parvenir, avec ces
mauvais petits clous, à ouvrir un passage à travers les flancs pierreux
de ce monde si dur, des murs rocailleux de ma prison; et comme elles ne
peuvent réussir, elles meurent de leur propre orgueil. Les pensées qui
s'attachent au contentement flattent l'homme de cette considération
qu'il n'est pas le premier esclave de la fortune, et qu'il ne sera pas
le dernier; comme ces misérables mendiants qui, assis dans les ceps,
cherchent pour refuge contre la honte la pensée que d'autres s'y sont
assis, et que bien d'autres encore s'y assiéront, et trouvent dans cette
pensée une espèce d'aisance, portant ainsi leur opprobre sur le dos de
ceux qui avant eux en ont subi un semblable. De cette manière je
représente à moi seul bien des personnages dont aucun n'est content.
Quelquefois je suis le roi; et alors la trahison me fait souhaiter
d'être un mendiant, et je me fais mendiant. Mais alors l'accablante
indigence me persuade que j'étais mieux quand j'étais roi, et je
redeviens roi. Mais peu à peu je viens à songer que je suis détrôné par
Bolingbroke, et aussitôt je ne suis plus rien. Mais, quoi que je sois,
ni moi, ni aucun homme, n'étant qu'un homme, ne sera jamais satisfait de
rien, jusqu'à ce qu'il soit soulagé en n'étant plus rien. (_On entend de
la musique._)--Est-ce de la musique que j'entends?--La, la.... en
mesure.--Que la musique la plus mélodieuse est désagréable dès que la
mesure est rompue et que les temps ne sont pas observés! C'est la même
chose dans la musique de la vie humaine. Moi dont l'oreille est assez
délicate pour reprendre une fausse mesure dans un instrument mal
conduit, je n'ai pas eu assez d'oreille pour m'apercevoir que la mesure
qui devait entretenir l'accord entre ma puissance et mon temps était
rompue: j'abusais du temps, et à présent le temps abuse de moi, car il a
fait de moi l'horloge qui marque les heures: mes pensées sont les
minutes, et avec des soupirs elles frappent l'heure devant mes yeux,
montre extérieure à laquelle mon doigt, comme l'aiguille d'un cadran,
pointe toujours en essuyant leurs larmes: et maintenant, monsieur, le
son qui m'apprend quelle heure il est n'est autre que celui de mes
bruyants gémissements lorsqu'ils frappent sur mon coeur, qui est la
cloche. Ainsi, les soupirs, les larmes et les gémissements marquent les
minutes, les temps et les heures: mais mon temps s'enfuit rapidement
dans la joie orgueilleuse de Bolingbroke; tandis que je suis debout ici
comme un insensé, son jacquemard d'horloge[36].--Cette musique me rend
furieux; qu'elle cesse. Si quelquefois elle rappela des fous à la
raison, il me semble qu'en moi elle la ferait perdre à l'homme sage; et
cependant béni soit le coeur qui m'en fait don! car c'est une marque
d'amitié; et de l'amitié pour Richard est un étrange joyau dans ce
monde, où tous me haïssent.

[Note 35: C'est ainsi qu'est rendu ce passage dans les anciennes
versions des livres saints. Les versions modernes lisant [Greek:
chamilos] au lieu de [Greek: chamêlos] disent un _câble_ au lieu d'_un
chameau_, ce qui paraît beaucoup plus vraisemblable.]

[Note 36: _Jack of the clock._ Jacquemard, espèce de figure en bois
placée encore sur certaines anciennes horloges pour indiquer les
heures.]

(Entre un valet d'écurie.)

LE VALET.--Salut, royal prince.

RICHARD.--Je te remercie, mon noble pair; le meilleur marché de nous
deux est de dix sous[37] trop cher.--Qui es-tu? et comment es-tu entré
ici, où n'entre jamais personne que ce mauvais chien qui m'apporte ma
nourriture pour prolonger la vie du malheur?

[Note 37: _Ten groats._ Le _groat_ vaut quatre _pence_, c'est-à-dire
huit sous; ainsi, _ten groats_ donneraient une valeur de _quatre
francs_. Mais comme _groat_ est aussi le mot dont on se sert pour
exprimer une chose de peu de valeur, une extrêmement petite somme; à peu
près comme nous employons le mot _liard_, on a cru conserver mieux
l'esprit de cette phrase en traduisant _ten groats_ par _dix sous_,
qu'en exprimant leur valeur réelle.]

LE VALET.--J'étais un pauvre valet de tes écuries, roi, lorsque tu étais
roi; et voyageant vers York, j'ai, avec beaucoup de peine, obtenu à la
fin la permission de revoir le visage de celui qui fut autrefois mon
maître. Oh! comme mon coeur a été navré lorsque j'ai vu dans les rues de
Londres, le jour du couronnement, Bolingbroke monté sur ton cheval rouan
Barbary, ce cheval que tu as monté si souvent, ce cheval que je pansais
avec tant de soin!

RICHARD.--Il montait Barbary! Dis-moi, mon ami, comment allait-il sous
lui?

LE VALET.--Avec tant de fierté qu'il semblait dédaigner la terre.

RICHARD.--Si fier de porter Bolingbroke! Et cette rosse mangeait du pain
dans ma main royale, et il était fier quand il sentait ma main le
caresser! Ne devait-il pas broncher? ne devait-il pas tomber (puisqu'il
faut que l'orgueil tombe tôt ou tard) et rompre le cou à l'orgueilleux
qui usurpait ma place sur son dos?--Pardonne-moi, mon cheval; pourquoi
te ferais-je des reproches, puisque tu as été créé pour être soumis à
l'homme, et que tu es né pour porter? Moi, qui n'ai pas été créé cheval,
je porte mon fardeau comme un âne blessé de l'éperon et harassé par les
caprices de Bolingbroke.

(Entre le geôlier avec un plat.)

LE GEOLIER, _au valet._--Allons, videz les lieux; il n'y a pas à rester
ici plus longtemps.

RICHARD.--Si tu m'aimes, il est temps que tu te retires.

LE VALET.--Ce que ma langue n'ose exprimer, mon coeur vous le dit.

(Il sort.)

LE GEOLIER.--Seigneur, vous plaît-il de commencer?

RICHARD.--Goûte le premier, suivant ta coutume.

LE GEOLIER.--Seigneur, je n'ose: sir Pierce d'Exton, qui vient d'arriver
de la part du roi, me commande le contraire.

RICHARD.--Le diable emporte Henri de Lancastre et toi! La patience est
usée, et j'en suis las.

(Il frappe le geôlier.)

LE GEOLIER.--Au secours, au secours, au secours!

(Entrent Exton et plusieurs serviteurs armés.)

RICHARD.--Qu'est-ce que c'est? à qui en veut la mort dans cette brusque
attaqué?--Scélérat! (_Il arrache à un soldat l'arme qu'il porte et le
tue._) Ta propre main me cède l'instrument de ta mort.--Et toi, va
remplir une autre place dans les enfers. (_Il en tue encore un
autre._--_Alors Exton le frappe et le renverse._) La main sacrilège qui
me poignarde brûlera dans des flammes qui ne s'éteindront
jamais.--Exton, ta main féroce a souillé du sang de ton roi le royaume
du roi.--Monte, monte, mon âme, ton trône est là-haut; tandis que ce
corps charnel tombe sur la terre pour y mourir.

(Il meurt.)

EXTON.--Il était aussi plein de valeur que de sang royal: j'ai répandu
l'un et l'autre.--Oh! plût au ciel que cette action fût innocente! Le
démon, qui m'avait dit que je faisais bien, me dit à présent que cette
action est inscrite dans l'enfer. Je veux aller porter ce roi mort au
roi vivant.--Qu'on emporte les autres, et qu'on leur donne ici la
sépulture.

(Ils sortent.)




SCÈNE VI

Windsor.--Un appartement dans le château.

_Fanfares._--_Entrent_ BOLINGBROKE et YORK, _avec d'autres lords;
suite._


_BOLINGBROKE._--Mon cher oncle York, les dernières nouvelles que nous
avons reçues sont que les rebelles ont brûlé notre ville de Chichester,
dans le comté de Glocester; mais on ne nous dit pas s'ils ont été pris
ou tués. (_Entre Northumberland._)--Soyez-le bienvenu, milord. Quelles
nouvelles?

NORTHUMBERLAND.--D'abord, je souhaite toute sorte de bonheur à Votre
Majesté sacrée; ensuite les autres nouvelles sont, que j'ai envoyé à
Londres la tête de Salisbury, de Spencer, de Blunt et de Kent. Vous
trouverez dans cet écrit tous les détails sur la manière dont ils ont
été pris.

(Il lui présente l'écrit.)

BOLINGBROKE, _après avoir lu._--Nous te remercions, mon bon Percy, de
tes services; et nous ajouterons à ton mérite des récompenses dignes de
toi.

(Entre Fitzwater.)

FITZWATER.--Seigneur, je viens d'envoyer d'Oxford à Londres les têtes de
Brocas et de sir Bennet Seely, deux de ces dangereux et perfides
conspirateurs qui cherchaient à Oxford ta funeste perte.

BOLINGBROKE.--Ces services, Fitzwater, ne seront pas oubliés. Ton mérite
est grand, je le sais bien.

(Entre Percy amenant l'évêque de Carlisle.)

PERCY.--Le grand conspirateur, l'abbé de Westminster, accablé par sa
conscience et par une noire mélancolie, a cédé son corps au tombeau.
Mais voici l'évêque de Carlisle vivant, pour subir ton royal arrêt et la
sentence due à son orgueil.

BOLINGBROKE.--Carlisle, voici votre arrêt:--Choisis quelque asile
solitaire, plus grave que celui que tu occupes, et conserves-y la vie:
si tu y vis tranquille, tu y mourras libre de toute persécution. Tu fus
toujours mon ennemi, mais j'ai vu en toi de nobles étincelles d'honneur.

(Entre Exton suivi d'hommes portant un cercueil.)

EXTON.--Grand roi! dans ce cercueil je t'offre tes craintes ensevelies.
Ici gît sans vie le plus redoutable de tes plus grands ennemis, Richard
de Bordeaux, apporté ici par moi.

BOLINGBROKE.--Exton, je ne te remercie pas.--Ta main fatale a commis une
action qui retombera sur ma tête et sur cet illustre pays.

EXTON.--C'est d'après vos propres paroles, seigneur, que j'ai fait cette
action.

BOLINGBROKE.--Ceux qui ont besoin du poison n'aiment pas pour cela le
poison; et je ne t'aime pas non plus. Bien que je l'aie souhaité mort,
je hais l'assassin tout en l'aimant assassiné. Prends pour ta peine les
remords de ta conscience; mais n'espère ni une bonne parole, ni la
faveur de ton prince. Va, comme Caïn, errer dans les ombres de la nuit,
et ne montre jamais ta tête au jour, ni à la lumière.--Seigneurs, je
proteste que mon âme est pleine de tristesse, qu'il faille ainsi
m'arroser de sang pour me faire prospérer. Venez gémir avec moi sur ce
que je déplore, et qu'on prenne à l'instant un deuil profond.--Je ferai
un voyage à la terre sainte pour laver de ce sang ma main coupable.
Suivez-moi à pas lents, et honorez ma tristesse en accompagnant de vos
pleurs cette bière remplie avant le temps.

(Ils sortent.)

FIN DU CINQUIÈME ET DERNIER ACTE.
                
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