William Shakespear

Henri IV (1re partie)
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WORCESTER.--Cousin, adieu.--N'avancez dans cette entreprise qu'autant
que mes lettres vous indiqueront la route que vous avez à suivre. Quand
l'occasion sera mûre, et elle va l'être incessamment, je me rendrai
secrètement près de Glendower et du lord Mortimer; c'est là que vous et
Douglas et toutes nos forces, d'après mes mesures, se trouveront à la
fois heureusement réunies; et alors nos bras vigoureux seront chargés de
nos fortunes, maintenant incertaines entre nos mains.

NORTHUMBERLAND.--Adieu, mon bon frère. Nous réussirons, j'en ai la
confiance.

HOTSPUR.--Adieu, mon oncle. Oh! que les heures puissent amener
promptement l'instant où les champs de bataille, les coups, les
gémissements, applaudiront à nos jeux!

FIN DU PREMIER ACTE.




                          ACTE DEUXIÈME


SCÈNE I

Rochester.--Une cour d'auberge.

_Entre_ UN VOITURIER _avec une lanterne à la main_.


PREMIER VOITURIER.--Holà! ho! s'il n'est pas quatre heures du matin, je
veux que le diable m'emporte. Le chariot paraît déjà au-dessus de la
cheminée neuve, et notre cheval n'est pas encore chargé. Allons, garçon!

LE VALET D'ÉCURIE, _derrière le théâtre_.--On y va, on y va.

PREMIER VOITURIER.--Oh! je t'en prie, Thomas, bats-moi bien la selle de
Cut, et mets un peu de bourre dans les pointes; car la pauvre rosse est
écorchée sur les épaules que cela passe la permission.

(Entre un autre voiturier.)

SECOND VOITURIER.--Les pois et les fèves sont humides ici comme le
diable, et voilà le moyen tout juste de donner des tranchées à ces
pauvres rosses. Cette maison-ci est toute sens dessus dessous depuis que
Robin le palefrenier est mort.

PREMIER VOITURIER.--Le pauvre garçon n'a pas eu un moment de joie depuis
que les avoines ont augmenté de prix; ça lui a donné le coup de la mort.

SECOND VOITURIER.--Je crois que cette auberge-ci est pour les puces la
plus infâme qu'il y ait sur la route de Londres. J'en suis piqueté comme
une tanche.

PREMIER VOITURIER.--Comme une tanche? Par la messe, je ne crois pas que
roi dans la chrétienté puisse être mieux mordu que je ne l'ai été depuis
le premier chant du coq.

SECOND VOITURIER.--Je le crois bien, ils ne vous donnent jamais de pot;
cela fait qu'on lâche l'eau dans la cheminée, et les puces s'engendrent
dans vos chambres par fourmilières.

PREMIER VOITURIER.--Allons, garçon, allons donc, dépêche, et puisses-tu
être pendu, allons donc!

SECOND VOITURIER.--J'ai un jambon et deux balles de gingembre à rendre à
Londres aussi loin que Charing-Cross.

PREMIER VOITURIER.--Ventrebleu! j'ai là des dindons, dans mon panier,
qui meurent presque de faim. Holà, garçon! que la peste te crève!
N'as-tu donc pas des yeux dans la tête? Es-tu sourd? Que je sois un
coquin, s'il n'est pas vrai que j'aurais autant de plaisir à te fendre
la caboche qu'à boire un verre de vin. Viens donc te faire pendre;
n'as-tu pas de conscience?

(Entre Gadshill.)

GADSHILL.--Bonjour, voiturier. Quelle heure est-il?

PREMIER VOITURIER.--Je crois qu'il est deux heures.

GADSHILL.--Je t'en prie, prête-moi ta lanterne pour aller voir mon
cheval dans l'écurie.

PREMIER VOITURIER.--Doucement, je vous en prie; nous savons, ma foi, un
tour qui en vaut deux comme celui-là.

GADSHILL, _au second voiturier_.--Je t'en prie, prête-moi la tienne.

SECOND VOITURIER.--Ha! et quand cela, dis-moi donc! Prête-moi ta
lanterne, dit-il; par ma foi, je te verrai bien pendre auparavant.

GADSHILL.--Voituriers, à quelle heure comptez-vous arriver à Londres?

SECOND VOITURIER.--Assez tôt pour nous coucher à la chandelle, je
t'assure. Allons, voisin Mugs, il nous faut aller réveiller ces
messieurs; ils viendront de compagnie; car ils sont bien chargés.

(Les voituriers s'en vont.)

GADSHILL.--Hé! holà, garçon!

LE GARÇON, _derrière le théâtre_.--Prêt à la main, dit le filou.

GADSHILL.--C'est comme qui dirait: Prêt à la main, dit le garçon, car tu
ne diffères pas plus, d'un coupeur de bourses que celui qui dirige ne
diffère de celui qui travaille. C'est toi qui arranges le complot.

LE GARÇON.--Bonjour, monsieur Gadshill; c'est toujours ce que je vous ai
dit hier au soir. Nous avons ici un certain franc tenancier des bruyères
de Kent, qui a apporté avec lui trois cents marcs d'or. Je l'ai entendu
moi-même le dire à souper à une personne de sa compagnie, à une espèce
d'inspecteur qui a aussi beaucoup de bagage; Dieu sait ce que c'est. Ils
sont déjà levés et demandent des oeufs et du beurre; ils vont partir
tout à l'heure.

GADSHILL.--Mon garçon, s'ils ne rencontrent pas les clercs de
Saint-Nicolas[19], je te donne ce cou que voilà.

LE GARÇON.--Non; je n'en veux point: garde-le, je t'en prie, pour le
bourreau, car je sais que tu honores saint Nicolas aussi sincèrement
qu'un coquin le peut faire.

GADSHILL.--Que viens-tu me chanter avec ton bourreau? Si jamais je suis
pendu, nous serons une grosse paire de pendus; car si on me pend, le
vieux sir Jean sera pendu avec moi, et tu sais bien qu'il n'est pas
étique.--Bah! il y a encore d'autres Troyens[20] qui, pour le seul
plaisir de se divertir, veulent bien se prêter à faire honneur à la
profession: des gens qui, si on venait à mettre le nez dans nos
affaires, se chargeraient, pour leur propre réputation, de tout
arranger. Ce n'est pas avec de la canaille de voleurs à pied, de ces
estafiers à vous arrêter pour six sous, et ces crânes à moustaches, la
trogne rougie de bière, que je suis associé; mais c'est avec de la
noblesse, des gens tranquilles, des bourgmestres, de grands
propriétaires, gens qui peuvent soutenir la gageure, plus prêts à
frapper qu'à parler, plus prêts à parler qu'à boire, plus prêts à boire
qu'à prier; et cependant je mens, car ils ne font autre chose que de
prier leur sainte, qui est la bourse du public; la prier? non, c'est
plutôt la piller, car ils sont toujours à lui courir sus pour en garnir
leurs bottes[21]. Nous volons comme dans un château, tête levée; nous
savons la recette de la poudre de fougère; nous marchons invisibles[22].

[Note 19: _Saint Nicholas' clerks_, les clercs ou les chevaliers de
Saint-Nicolas était le nom que se donnaient les voleurs; Nicolas, ou
_Old Nick_ était, en termes d'argot, le nom du diable.]

[Note 20: _Troyens_, _Corinthiens_, noms d'argot pour les libertins.]

[Note 21: _Make her their boots_ (font d'elle leur butin). Le jeu de
mots roule sur _boots_, butin, et _boots_, bottes: il a fallu, pour le
conserver, s'écarter un peu du sens littéral.]

[Note 22: Gadshill, sur la route de Kent, était un lieu renommé pour la
quantité de vols qui s'y commettaient. Shakspeare en a donné le nom à
celui de ses personnages qui paraît être en possession d'exploiter le
poste.]

LE GARÇON.--Quoi! c'est la bourse du public qui garnit leurs bottes? les
garantiront-elles mieux de l'eau dans les mauvais chemins?

GADSHILL.--Oui, oui, car la justice s'est chargée de les cirer.

LE GARÇON.--Sur ma foi, je crois que c'est plutôt à la nuit que vous
êtes redevables de marcher invisibles, qu'à la poudre de fougère.

GADSHILL.--Donne-moi la main; tiens, tu auras part à notre butin comme
je suis un homme, vrai.

LE GARÇON.--Oh! non, promettez-la-moi plutôt comme vous êtes un fourbe
de voleur.

GADSHILL.--Laisse donc, est-ce que _homo_ n'est pas le vrai nom de tous
les hommes. Dis au valet de faire sortir mon cheval de l'écurie; adieu,
maroufle crotté.

(Ils sortent.)


SCÈNE II

Le grand chemin près de Gadshill.

_Entrent_ LE PRINCE HENRI _avec_ POINS, BARDOLPH ET PETO _à quelque
distance_.


POINS.--Allons, cachez-moi, cachez-moi. Je viens d'emmener le cheval de
Falstaff, et il est là de colère à crever comme un velours gommé.

HENRI.--Serre-toi contre moi.

(Entre Falstaff.)

FALSTAFF.--Poins! Poins! Que le diable emporte Poins!

HENRI.--Paix, maudit sac à lard: quel vacarme fais-tu donc là?

FALSTAFF.--Hal, où est Poins?

HENRI.--Il est monté jusqu'au haut de la colline; je vais te l'aller
chercher.

(Il feint d'y aller.)

FALSTAFF.--Il faut que je sois maudit pour toujours voler en compagnie
de ce filou-là. Le scélérat a emmené mon cheval et l'a attaché je ne
sais où. Si j'avance seulement sur mes jambes de quatre pieds carrés je
vais perdre haleine. Allons, je ne doute plus que malgré tout je ne
meure de ma belle mort, si j'échappe la corde pour avoir tué ce
fripon-là. Il y a vingt-deux ans que je jure tous les jours et à toutes
les heures, de renoncer à sa compagnie, et cependant je suis ensorcelé à
ne pouvoir le quitter; oui, je veux être pendu, si le scélérat ne m'a
pas donné quelques drogues qui me forcent à l'aimer, cela ne peut être
autrement, j'aurai pris quelque drogue. Poins! Hal!--Peste soit de vous
deux.--Bardolph! Peto!--Je mourrai plutôt de faim que de faire un pas de
plus pour voler. S'il n'est pas vrai que j'aimerais autant devenir
honnête homme et quitter ces drôles-là, que de boire un verre de vin, je
veux être le plus fieffé maraud qui ait jamais mâché avec une dent. Huit
toises de chemin raboteux sont autant pour moi que soixante et dix
milles; et ces scélérats au coeur de pierre le savent bien! C'est une
malédiction quand les voleurs ne savent pas se garder fidélité les uns
aux autres. (_On siffle, il répond._) La peste vous crève tous tant que
vous êtes; donnez-moi mon cheval et allez vous faire pendre.

HENRI.--Tais-toi, grosse bedaine; couche-toi là, colle ton oreille à la
terre et écoute si tu n'entends pas le trot de quelques voyageurs qui
s'approchent.

FALSTAFF.--Avez-vous ici des leviers pour me relever quand je serai par
terre? Ventrebleu! je ne charrierais pas une autre fois ma pauvre viande
si loin à pied pour tout l'or qui est dans le trésor de ton père. Que
diable prétends-tu en me tenant de la sorte le bec dans l'eau?

HENRI.--Tu ne sais pas ce que tu dis; on ne te tient pas le bec dans
l'eau, mais le pied à terre[23].

FALSTAFF.--Je t'en prie, mon bon prince Hal, aide-moi à ravoir mon
cheval, mon cher fils de roi.

HENRI.--Laissez-moi donc tranquille, maraud. Suis-je votre palefrenier?

FALSTAFF.--Va-t'en te pendre, toi, avec ta jarretière d'héritier
présomptif[24]. Va, si je suis pris, je te chargerai pour la peine.--Si
je ne fais pas faire sur vous tous des ballades qu'on chantera sur les
airs du coin, je veux qu'un verre de vin d'Espagne me serve de poison.
Quand on pousse la plaisanterie si loin, et à pied encore, je la
déteste.

[Note 23:

FALSTAFF. _What a plague mean ye, to colt me thus?_

LE PRINCE. _Thou liest, thou art not colted, thou art uncolted._ _To
colt_ signifie berner, jouer; _to uncolt_, désarçonner. Il a fallu
s'écarter du sens pour en conserver un à la plaisanterie du prince, qui
n'existe en anglais que par le jeu de mots.]

[Note 24: _Il peut se pendre avec ses jarretières_, expression
proverbiale en anglais, pour désigner un coquin.]

(Entre Gadshill.)

GADSHILL.--Arrête là.

FALSTAFF.--Aussi fais-je, dont bien me fâche.

POINS.--Oh! c'est notre chien d'arrêt; je reconnais sa voix.

(Entre Bardolph.)

BARDOLPH.--Quelles nouvelles?

GADSHILL.--Enveloppez-vous, enveloppez-vous; vite, mettez vos masques:
voilà l'argent du roi qui descend la montagne et qui va au trésor royal.

FALSTAFF.--Tu en as menti, maraud; il va à la taverne du roi.

GADSHILL.--Il y en a assez pour nous remonter tous tant que nous sommes.

FALSTAFF.--A la potence.

HENRI.--Vous quatre, vous les attaquerez dans la petite ruelle. Ned,
Poins et moi, nous allons nous placer plus bas; s'ils vous échappent,
alors ils tomberont dans nos mains.

PETO.--Mais combien sont-ils?

GADSHILL.--Environ huit ou dix.

FALSTAFF.--Morbleu! ne sera-ce pas eux qui nous voleront?

HENRI.--Quoi! si poltron que cela, sir Jean de la Panse?

FALSTAFF.--A la vérité, je ne suis pas Jean de Gaunt[25], votre
grand-père; mais je ne suis pas poltron non plus, Hal.

[Note 25: _John of gaunt_: on se rappelle que _gaunt_ veut dire
_maigre_.]

HENRI.--On le verra à l'épreuve.

POINS.--Ami Jack, ton cheval est derrière la haie; quand tu le voudras,
tu le trouveras là; adieu, et tiens ferme.

FALSTAFF.--A présent, je n'ai plus le coeur de le tuer, quand je devrais
être pendu.

HENRI.--Ned, où sont nos déguisements?

POINS.--Ici tout près: écartons-nous.

FALSTAFF.--Maintenant, mes maîtres, c'est au plus heureux à se faire sa
part: chacun à sa besogne.

(Entrent les voyageurs.)

LES VOYAGEURS.--Allons, voisin; le garçon conduira nos chevaux en
descendant la colline, et nous irons à pied quelque temps pour nous
dégourdir les jambes.

LES VOLEURS.--Arrête!

LES VOYAGEURS.--Jésus, ayez pitié de nous!

FALSTAFF.--Frappez, jetez-les sur le carreau, coupez la gorge à ces
coquins-là. Ah! infâmes fils de chenilles, maudits mangeurs de jambons!
Ils nous détestent, mes enfants; terrassez-les; dépouillez-les de leur
toison.

LES VOYAGEURS.--Oh! nous sommes ruinés, perdus sans ressource, nous et
tout ce que nous avons.

FALSTAFF.--Le diable soit de vous, gros coquins; vous, ruinés! non, gros
balourds. Je voudrais bien que tout votre argent fût ici. Allons, pièces
de lard, marchons. Comment, drôles, ne faut-il pas que les jeunes gens
vivent? Vous êtes grands jurés, n'est-ce pas? Nous allons vous faire
jurer, sur ma foi.

(Sortent Falstaff et autres, chassant les voyageurs devant eux.)

(Rentrent le prince Henri et Poins.)

HENRI.--Ce sont les voleurs qui ont lié les honnêtes gens: à présent, si
nous pouvions à nous deux voler les voleurs et nous en aller ensuite
joyeusement à Londres, il y aurait matière à se divertir pour une
semaine, de quoi rire un mois, et plaisanter à tout jamais.

POINS.--Tenez-vous coi, je les entends venir.

(Rentrent les voleurs.)

FALSTAFF.--Allons, mes maîtres, faisons le partage, et puis remontons à
cheval avant qu'il soit jour.--Si le prince et Poins ne sont pas deux
fieffés poltrons, il n'y a pas de justice dans le monde. Non, il n'y a
pas plus de coeur dans ce Poins que dans un canard sauvage.

HENRI, _accourant sur eux_.--Votre argent!

POINS.--Scélérats!

(Tandis qu'ils sont à partager, le prince et Poins fondent sur eux.
Falstaff, après un coup ou deux, se sauve ainsi que tous les autres,
laissant tout leur butin derrière eux.)

HENRI.--Nous n'avons pas eu grand'peine à l'avoir. Allons, gai, à
cheval; les voleurs sont dispersés et si saisis de frayeur, qu'ils
n'osent pas même se rapprocher l'un de l'autre; chacun prend son
camarade pour un officier de justice. Allons, partons, cher Ned.
Falstaff sue à mourir, et en marchant il engraisse ce mauvais sol. Si
cela n'était pas si plaisant, j'aurais pitié de lui.

POINS.--Comme il hurlait, le coquin.

(Ils sortent.)


SCÈNE III

Warkworth. Un appartement du château.

HOTSPUR _entre lisant une lettre_.


HOTSPUR, _lisant_.--_Quant à moi, milord, je serais bien satisfait de
m'y trouver, par l'affection que je porte à votre maison._--Il serait
satisfait? Quoi?... Et pourquoi n'y est-il donc pas? _par l'affection
qu'il porte à notre maison_. Il montre bien en ceci qu'il aime mieux sa
grange que notre maison.--Voyons, continuons. _L'entreprise que vous
tentez est dangereuse._ Vraiment, cela est certain; mais il est
dangereux aussi de prendre froid, de dormir, de boire; mais je vous dis,
mon imbécile lord, que dans cette épine, le danger, nous cueillerons
cette fleur, la sûreté.--_L'entreprise que vous tentez est dangereuse;
les amis que vous avez nommés ne sont pas sûrs; les circonstances même
ne sont pas favorables, et tout l'ensemble de votre projet n'est pas
assez fortement conçu pour contre-balancer la force d'un si puissant
adversaire._ C'est là votre réponse? c'est là votre réponse? eh bien! je
vous réplique, moi, que vous êtes un poltron comme une mauvaise biche,
et que vous mentez. Quel imbécile est-ce là? Par le ciel! notre projet
est le projet le mieux conçu qui ait jamais été formé. Nos amis sont
fidèles et constants. C'est un projet admirable! Ce sont de bons amis,
et dont on peut tout attendre: un excellent projet et de bons
amis!--Quel coquin au coeur glacé est-ce donc là! Comment, lorsque
monseigneur d'York approuve le projet et toute la conduite de
l'entreprise?--Mordieu, si ce gredin-là était maintenant sous ma main,
je lui casserais la tête avec l'éventail de sa femme.--Mon père n'en
est-il pas, mon oncle et moi? Edmond Mortimer, monseigneur d'York et
Owen Glendower? N'y a-t-il pas encore les Douglas? N'ai-je pas leurs
lettres à tous où ils me promettent de me joindre armés le neuf du mois
prochain? Et quelques-uns d'eux n'y sont-ils pas déjà rendus d'avance?
Qu'est-ce que c'est donc que ce gredin de païen-là, ce renégat? Oui,
vous allez voir que, dans la sincérité de sa poltronnerie et la lâcheté
de son coeur, il ira trouver le roi et lui découvrir tous nos desseins.
Oh! que ne puis-je me partager et m'assommer de coups pour avoir imaginé
de proposer à ce plat de lait écrémé une si honorable entreprise! Qu'il
aille se faire pendre; il peut tout déclarer au roi s'il lui plaît: nous
sommes préparés. Je partirai cette nuit. (_Entre lady Percy._) Eh bien,
Kate[26], il faut que je vous quitte dans deux heures.

[Note 26: La femme d'Hotspur s'appelait non pas Catherine, mais
Elisabeth, dont Bett est le diminutif. On pourrait penser qu'à cause de
_Queen Bett_, Shakspeare n'aurait pas voulu exposer ce nom aux
familiarités un peu brutales de Hotspur, si Hollinshed qu'il suit
constamment ne donnait à lady Percy le nom d'Éléonore.]

LADY PERCY.--O mon cher lord, pourquoi demeurez-vous ainsi seul? Par
quelle offense ai-je mérité d'être, depuis quinze jours, une épouse
bannie de la couche de mon Henri? Dis-moi, mon bien-aimé, quelle est la
cause qui t'ôte l'appétit, les plaisirs et ton précieux sommeil?
Pourquoi tiens-tu tes yeux attachés à la terre? Pourquoi tressailles-tu
si souvent lorsque tu es assis seul? Pourquoi la fraîcheur de ton teint
s'est-elle flétrie? Pourquoi abandonnes-tu ce qui m'appartient et les
droits que j'ai sur toi, à la rêverie aux yeux ternes et à la détestable
mélancolie? Pendant tes légers sommeils je veillais auprès de toi, et je
t'entendais murmurer des projets de guerre terrible, prononcer des
termes de manége à ton coursier bondissant, lui crier: _Courage! au
champ de bataille!_ et tu parlais de sorties et de retraites, de
tranchées, de tentes, de palissades, de forts, de parapets, de canons,
de coulevrines, de rançon de prisonniers, de soldats tués et de tout ce
qui appartient à un combat opiniâtre; et ton esprit avait tellement
guerroyé au dedans de toi et t'avait si fort agité dans ton sommeil, que
j'ai vu sur ton front des gouttes de sueur semblables aux bulles d'eau
qui s'élèvent sur un ruisseau dont l'eau vient d'être troublée;
d'étranges mouvements se sont fait apercevoir sur ton visage, comme d'un
homme qui retient son souffle dans une grande et soudaine précipitation.
Oh! ce sont là des présages de malheur. Mon époux est occupé de quelque
important projet; et il faut que je le sache... ou bien il ne m'aime
pas.

HOTSPUR.--Hé, holà! Guillaume est-il parti avec le paquet?

(Entre un domestique.)

LE DOMESTIQUE.--Oui, milord, il y a plus d'une heure.

HOTSPUR.--Butler a-t-il amené ces chevaux de chez le shérif?

LE DOMESTIQUE.--Il vient d'en amener un il n'y a qu'un moment.

HOTSPUR.--Quel cheval? Un cheval rouan, épi mûr, n'est-ce pas?

LE DOMESTIQUE.--C'est cela même, milord.

HOTSPUR.--Ce cheval sera mon trône. C'est bon, et je vais y monter tout
à l'heure.--_O espérance_[27]!--Dis à Butler de le conduire dans le
parc.

[Note 27: _Esperance_ ou _Esperanza_ était la devise de la famille
Percy. C'est à présent, et depuis assez longtemps: _Espérance en Dieu_,
en français. On aperçoit encore sur la grande porte du château
d'Ainwick, appartenant aux ducs de Northumberland, ces mots aussi en
français: _Espérance me conforte._]

(Le domestique.)

LADY PERCY.--Mais écoutez-moi, milord.

HOTSPUR.--Que dis-tu, ma femme?

LADY PERCY.--Qui vous entraîne loin de moi?

HOTSPUR.--Mon cheval, cher amour, mon cheval.

LADY PERCY.--Allons, finissez, singe à la tête folle. Une belette n'est
pas si capricieuse que vous. Sur mon honneur, je saurai ce qui vous
occupe, Henri, je le saurai. Je crains que mon frère Mortimer ne se
mette en mouvement pour soutenir ses droits, et qu'il n'ait envoyé vers
vous pour vous demander d'appuyer son entreprise; mais si vous allez....

HOTSPUR.--Si loin à pied, je serai las, ma chère. LADY PERCY.--Allons,
allons, perroquet[28], répondez sans détour à la question que je vous
fais. Je te casserai le petit doigt, Henri, si tu ne me dis pas les
choses comme elles sont.

HOTSPUR.--Lâchez-moi, lâchez-moi; trêve de badinage: l'amour?.... Je ne
t'aime point; je ne pense pas à toi, Kate. Ce n'est point ici un monde
où l'on puisse s'amuser à la poupée, et jouer des lèvres. Il faut que
nous ayons le nez sanglant et la tête fracassée, et que nous rendions la
pareille[29].--De par le diable, mon cheval!--Eh bien! que dis-tu, Kate?
que me veux-tu?

[Note 28: _Paroquito_, perroquet.]

[Note 29: _We must have bloody noses, and cracked crowns and pass them
current too._

Jeu de mots sur _crown_, crâne, et _crown_, monnaie, _and pass them
current too_ (et que nous les passions dans le commerce).]

LADY PERCY.--Vous ne m'aimez pas? est-ce bien vrai que vous ne m'aimez
pas? Eh bien! ne m'aimez point; car si vous ne m'aimez point, je ne
m'aimerai plus moi-même. Quoi, vous ne m'aimez pas? Ah! dites-moi,
parlez-vous sérieusement, ou non?

HOTSPUR.--Allons, veux-tu me voir monter à cheval? Lorsque je serai
assis sur la selle, je te jurerai que je t'aime infiniment.... Mais
écoutez, Kate, je ne prétends pas que désormais vous me questionniez sur
le lieu où je vais, ni que vous raisonniez là-dessus. Je vais où il faut
que j'aille, et pour finir, il faut que je vous quitte ce soir, ma douce
Kate. Je sais que vous êtes une femme sensée, mais enfin pas plus que ne
peut l'être la femme de Henri Percy. Vous êtes constante, mais cependant
vous êtes une femme: quant au secret, je ne crois pas qu'il y en ait une
plus discrète, car je suis parfaitement convaincu que tu ne révéleras
pas ce que tu ne sais pas; et voilà jusqu'où ira ma confiance en toi, ma
douce Kate.

LADY PERCY.--Comment, jusque-là?

HOTSPUR.--Pas un pouce plus loin. Mais écoutez-moi, Kate: où je vais,
vous irez aussi. Je pars aujourd'hui, et vous demain; êtes-vous
satisfaite, Kate?

LADY PERCY.--Il le faut bien, par force.


SCÈNE IV

East cheap. Une chambre dans la taverne de la _Tête-de-Sanglier_.

_Entrent_ LE PRINCE HENRI ET POINS.


HENRI.--Ned, je t'en prie, sors de cette sale chambre, et viens m'aider
à rire un peu.

POINS.--Où étais-tu donc, Hal?

HENRI.--Avec trois ou quatre lourdauds, au milieu de soixante ou
quatre-vingts tonneaux. Je me suis encanaillé à fond. Me voilà, mon cher
confrère, à vendre et à dépendre d'un trio de garçons de cave, et je
peux les appeler tous par leurs noms de baptême, comme Tom, Dick,
François; ils jurent déjà sur leur paradis que, quoique je ne sois
encore que le prince de Galles, je suis cependant le roi de la
courtoisie; ils me disent tout platement que je ne fais pas le gros dos
comme Falstaff, mais que je suis un vrai Corinthien, une bonne pâte
d'homme, un bon enfant; et que, quand je serai roi d'Angleterre, j'aurai
à mes ordres tous les bons garçons d'Eastcheap. Ils appellent boire dur,
_se teindre en écarlate_, et quand vous prenez haleine en buvant, ils
crient, hem! et vous recommandent de vider tout. Enfin, j'ai si bien
profité en un quart d'heure de temps, que me voilà en état, pour la vie,
de boire avec le premier chaudronnier, et dans son argot. Tiens, Ned, je
t'assure que tu as perdu beaucoup de gloire à ne t'être pas trouvé avec
moi dans cette rencontre-là. Mais, mon doux ami Ned, et pour adoucir
encore plus ton nom de Ned, je te fais présent de ce sou de sucre que
vient de me taper dans la main un sous-garçon, un drôle qui n'a jamais
de sa vie su dire d'autre anglais que _huit schellings et six sous, et
fort à votre service, monsieur,_ en y ajoutant le cri en fausset: _On y
va, on y va, monsieur; marquez une pinte de muscat[30] dans la
demi-lune[31]_, ou quelque autre chose de semblable. A présent, Ned,
pour tuer le temps, en attendant que Falstaff arrive, va te poster dans
quelque chambre voisine, tandis que je questionnerai mon benêt de garçon
de cave pour savoir dans quel dessein il m'a donné ce sucre; et toi, ne
cesse point d'appeler _François_, afin qu'il ne puisse rien trouver
autre chose à me dire que: _On y va, on y va_. Mets-toi là un peu de
côté, je te dirai comment il faut faire.

[Note 30: _Bastard_. Il paraît que le _bastard_ était une espèce de
muscat.]

[Note 31: _On the half moon_. Nom d'une des salles de l'auberge, la
_demi-lune_, la _grenade_.]

POINS.--François!

HENRI.--En perfection.

POINS.--François!

(Poins sort.)

(Entre François.)

FRANÇOIS.--On y va, monsieur, on y va.--Ralph, aie l'oeil dans la
grenade.

HENRI.--Écoute ici, François.

FRANÇOIS.--Milord....

HENRI.--Combien as-tu encore de temps à servir, François?

FRANÇOIS.--Par ma foi, cinq ans, et encore autant à....

POINS, _derrière le théâtre_.--François!

FRANÇOIS.--On y va, monsieur, on y va.

HENRI.--Cinq ans! par Notre-Dame, c'est être engagé pour longtemps à
faire tinter les pots.--Mais, François, aurais-tu bien le courage de
lâcher le pied à ton engagement, de lui montrer les talons et de te
sauver?

FRANÇOIS.--Oh! Dieu! milord, je ferai serment sur tous les livres
d'Angleterre que j'aurais bien le coeur de....

POINS, _derrière le théâtre_.--François!

FRANÇOIS.--On y va, monsieur, on y va.

HENRI.--Quel âge as-tu, François?

FRANÇOIS.--Attendez.... à la Saint-Michel qui vient, j'aurai....

POINS, _derrière le théâtre_.--François!

FRANÇOIS.--On y va, monsieur.--Je vous en prie, milord, attendez-moi un
petit moment.

HENRI.--Oui, mais écoute donc, François; ce sucre que tu m'as donné, il
y en avait pour un sou, n'est-ce pas?

FRANÇOIS.--Oh Dieu! milord, je voudrais qu'il y en eût eu pour deux.

HENRI.--Je te donnerai pour cela mille guinées: demande-les-moi quand tu
voudras, et tu les auras.

POINS, _derrière le théâtre_.--François!

FRANÇOIS.--On y va: tout à l'heure.

HENRI.--Tout à l'heure, François? Non pas, François, mais demain,
François: ou bien, François, jeudi prochain, ou, François, quand tu
voudras; mais, François....

FRANÇOIS.--Milord?

HENRI.--Veux-tu voler ce pourpoint de cuir à boutons de cristal, cheveux
en rond, agate au doigt, bas bruns, jarretières de flanelle, voix douce,
panse d'Espagnol[32]?

[Note 32: C'est, à ce qu'il paraît, la description du costume du maître
de la taverne. Le prince cherche à troubler l'imagination de François,
de sorte qu'entre les étranges propositions qu'il lui fait, et les
étranges discours qu'il lui tient, celui-ci ne sache où donner de la
tête.]

FRANÇOIS.--Oh Dieu, milord, que voulez-vous donc dire?

HENRI.--Eh bien donc, votre bâtard brun est votre boisson ordinaire; car
voyez-vous, François, votre veste de toile blanche se salira. En
Barbarie, l'ami, cela ne saurait revenir à tant.

FRANÇOIS.--Quoi, monsieur?

POINS, _derrière le théâtre_.--François!

HENRI.--Veux-tu courir, maraud. N'entends-tu pas comme on t'appelle?
(_Dans ce moment ils l'appellent tous deux de toutes leurs forces._)
François! François!

(Le garçon demeure dans une immobilité stupide, ne sachant de quel côté
aller d'abord.)

(Entre le cabaretier.)

LE CABARETIER.--Comment, tu ne te remues pas plus que cela, et tu
t'entends appeler de la sorte? Va voir là dedans ce que l'on demande.
(_François sort._) Milord, le vieux sir Jean est à la porte avec une
demi-douzaine d'autres: les laisserai-je entrer?

HENRI.--Faites-les attendre un moment, et puis vous leur ouvrirez la
porte. (_Le cabaretier sort._) Poins!

POINS, _entrant_.--On y va, on y va.

HENRI.--Ami, Falstaff et les autres voleurs sont à la porte. Serons-nous
bien gais?

POINS.--Gais comme pinsons, mon enfant. Mais, dites-moi donc, à quel bon
tour vous a servi votre plaisanterie du garçon de cave? qu'est-il sorti
de là, je vous prie?

HENRI.--Que je suis à présent propre à toutes les farces qui aient
jamais fait figure de farce depuis les vieux jours du bonhomme Adam,
jusqu'à la naissance de celui que nous commençons à l'heure présente de
minuit. (_François rentre avec du vin._) Quelle heure est-il, François?

FRANÇOIS.--On y va, monsieur, on y va.

HENRI.--Que ce drôle-là possède moins de mots qu'un perroquet, et qu'il
soit cependant fils d'une femme! Toute sa science se borne à monter et
descendre, et son éloquence à la somme totale d'un écot. Je ne suis pas
encore du caractère de Percy, chaud éperon[33] du Nord, lui qui vous tue
quelque six ou sept douzaines d'Écossais à un déjeuner, ensuite se lave
les mains, et dit à sa femme: «Oh! que je hais cette vie oisive! J'ai
besoin de m'occuper.--Oh! mon cher Henri, dit-elle, combien en as-tu tué
aujourd'hui?--Donnez à boire à mon cheval rouan moucheté,» dit-il. Et
puis répond une heure après: «Environ quatorze, une bagatelle, une
bagatelle.» Je t'en prie, fais venir Falstaff; je ferai Percy, et ce
damné paquet de lard fera la dame de Mortimer, sa femme, _Rivo[34]_, dit
l'ivrogne. L'entendez-vous? Faites entrer ces larges côtes, faites
entrer ce pain de suif.

[Note 33: _The Hot-spur of the North._ Il a bien fallu traduire ici le
nom d'Hotspur pour conserver un sens à la phrase.]

[Note 34: _Rivo_ était, à ce qu'il paraît, le cri des buveurs pour
s'exciter.]

(Entrent Falstaff, Gadshill, Bardolph et Peto.)

POINS.--Sois le bienvenu, Jack; où as-tu donc été?

FALSTAFF.--Malédiction sur tous les poltrons; oui, et vengeance avec;
oui, par ma foi, et _amen_! Donne-moi un verre d'Espagne,
garçon.--Plutôt que de continuer de mener cette vie-là, je vais me
mettre à remmailler des bas, à les raccommoder et aussi à les
ressemeler. Malédiction sur tous les poltrons! Donne-moi un verre
d'Espagne, drôle. N'y a-t-il plus de vertu sur terre?

(Il boit.)

HENRI.--N'as-tu jamais vu Titan caresser de ses rayons un pain de
beurre, autre Titan au coeur tendre qui se fondait d'amour aux douceurs
du soleil[35]? Si tu l'as vu, eh bien, regarde-moi cette pièce.

FALSTAFF.--Misérable! il y a de la chaux aussi dans ce vin... Il n'y a
que de la coquinerie à trouver dans un mauvais sujet: et malgré cela, un
poltron est pire cent fois qu'un verre de vin d'Espagne frelaté. Infâme
poltron!--Va ton chemin, vieux sir Jean, meurs quand tu voudras; si le
courage, le vrai courage n'est pas perdu sur la face de la terre, je
veux être un hareng saur. Il n'y a pas en Angleterre trois honnêtes gens
ayant échappé à la potence, et l'un de ces trois est gros et se fait
vieux: Dieu veuille avoir pitié de nous! Le monde est corrompu, je vous
dis. Oui, je voudrais être tisserand[36], je saurais chanter des psaumes
et toutes sortes de chansons. Malédiction sur tous les poltrons, c'est
là que j'en reviens toujours.

[Note 35: _At the sweet tale of the sun._ Les premières éditions portent
_sun_. Les commentateurs ne croyant pouvoir expliquer la phrase de cette
manière y ont substitué _son_, ce qui me paraît infiniment moins clair,
bien qu'ils aient cherché à expliquer leur correction par les souvenirs
de l'histoire de Phaéton. Ce second Titan (nom que Shakspeare donne
communément au soleil) est selon toute apparence le pain de beurre dont
la figure ronde et jaune, et peut-être ornée d'une empreinte de soleil,
explique parfaitement les plaisanteries du prince. On a donc suivi
l'ancien texte _sun_, au lieu de suivre celui qu'y ont substitué les
nouveaux éditeurs.]

[Note 36: Les tisserands avaient l'habitude de chanter en travaillant.
On verra Hotspur faire une pareille allusion aux tailleurs, connus pour
avoir la même habitude.]

HENRI.--Hé, sac à laine, que marmottez-vous là entre vos dents?

FALSTAFF.--Cela un fils de roi! Si je ne te chasse pas hors de ton
royaume avec une épée de bois, et si je ne mène pas tous tes sujets
devant toi comme un troupeau d'oies sauvages, je ne veux plus porter de
barbe au menton. Vous, prince de Galles?

HENRI.--Comment, vieille boule[37], de quoi s'agit-il donc?

[Note 37: _Whoreson, roundman_.]

FALSTAFF.--N'êtes-vous pas un poltron? Répondez-moi à cela, et Poins
aussi que voilà.

POINS.--Mordieu, grosse bedaine, si vous m'appelez encore poltron, je te
poignarde.

FALSTAFF.--Moi, t'appeler poltron? Je te verrais damner plutôt que de
t'appeler poltron; mais je donnerais bien mille guinées pour savoir
courir aussi bien que toi. Vous avez les épaules assez droites, aussi ne
vous embarrassez-vous guère si on vous voit le dos: est-ce là ce que
vous appelez épauler vos amis? Que le diable emporte de pareils
épauleurs! Parlez-moi de gens qui me feront face.--Un verre de vin: que
je sois un coquin si j'ai bu d'aujourd'hui.

HENRI.--Misérable! tes lèvres sont encore humides du dernier verre que
tu as avalé.

FALSTAFF.--C'est tout un. Malédiction sur tous les poltrons, je ne dis
que cela.

HENRI.--De quoi s'agit-il donc?

FALSTAFF.--De quoi s'agit-il! Quatre de nous qui sommes ici avons pris
ce matin mille guinées.

HENRI.--Où sont-elles, Jack, où sont-elles?

FALSTAFF.--Où elles sont? reprises sur nous, voilà ce qu'elles sont. Il
nous en est tombé une centaine sur le corps à nous quatre malheureux.

HENRI.--Comment, une centaine, mon cher?

FALSTAFF.--Je veux être un coquin si je n'ai pas ferraillé à bras
raccourci pendant deux heures d'horloge contre une douzaine. C'est un
miracle que j'en sois réchappé; j'ai reçu huit coups d'épée au travers
de mon pourpoint, quatre dans mes chausses; mon bouclier est percé
d'outre en outre, mon épée hachée comme une scie, _ecce signum_. Je n'ai
jamais mieux fait depuis que j'ai âge d'homme; cela n'a servi de rien.
Malédiction sur tous les poltrons!--Demandez-leur plutôt. S'ils vous
disent plus ou moins que la vérité, ce sont des traîtres, des enfants de
ténèbres.

HENRI.--Parlez, messieurs; comment cela s'est-il passé?

GADSHILL.--Nous quatre sommes tombés sur une douzaine ou environ.

FALSTAFF.--Seize au moins, milord.

GADSHILL.--Et les avons garrottés.

PETO.--Non, non, ils n'ont pas été garrottés.

FALSTAFF.--Que dis-tu, maraud? Ils ont été tous garrottés sans exception
d'un seul, ou je suis un Juif, un Juif hébreu.

GADSHILL.--Comme nous étions à partager, six ou sept nouveaux-venus nous
sont tombés sur le corps.

FALSTAFF.--Et alors ils ont détaché les autres qui sont venus encore.

HENRI.--Comment, est-ce que vous vous êtes battus tous?

FALSTAFF.--Tous? Je ne sais ce que vous entendez par tous; mais si je ne
me suis pas battu avec une cinquantaine, je ne suis qu'une botte de
radis! S'il n'y en avait pas cinquante-deux ou cinquante-trois sur le
pauvre vieux Jack, je ne suis pas une créature à deux pieds.

POINS.--Je prie le ciel que vous n'en ayez pas tué quelques-uns.

FALSTAFF.--Oh! cette prière vient trop tard. J'en ai poivré deux; oui,
je suis sûr d'en avoir bien payé deux, deux coquins en habits de
bougran. Je te dis la chose comme elle est, Hal; si je te mens,
crache-moi au visage, appelle-moi cheval. Tu connais bien ma vieille
manière de me mettre en garde? Je me tenais de là, et la pointe de mon
épée comme cela: quatre coquins en bougran fondent sur moi.

HENRI.--Comment quatre? Tu ne disais que deux tout à l'heure.

FALSTAFF.--Quatre, Hal. J'ai toujours dit quatre.

POINS.--Oui, oui, il a dit quatre.

FALSTAFF.--Ces quatre-là se sont présentés de front, et ils fonçaient
principalement sur moi; je ne m'en suis pas embarrassé d'abord. Je vous
ai rassemblé leurs sept pointes dans mon bouclier, comme cela.

HENRI.--Sept! Comment, il n'y en avait que quatre tout à l'heure.

FALSTAFF.--En bougran, vous dis-je.

POINS.--Oui, quatre en habit de bougran.

FALSTAFF.--Sept, vous dis-je, par cette épée, ou je suis un coquin.

HENRI.--Je t'en prie, laisse-le aller son train, nous en aurons encore
davantage tout à l'heure.

FALSTAFF.--M'entends-tu, Hal?

HENRI.--Oh! que oui, je comprends bien aussi, Jack.

FALSTAFF.--N'y manque pas, car cela vaut la peine d'être écouté. Ces
neuf en bougran, comme je te le disais donc.

HENRI.--En voilà déjà deux de plus.

FALSTAFF.--Quand ils virent leurs pointes raccourcies de cette façon....

POINS.--Ils se trouvèrent alors des courtes-pointes[38].

[Note 38: FALSTAFF. _Their points being broken..._

POINS. _Down fell their hose_.

_Points_ signifie également _pointe d'épée_ et _aiguillettes_. Ainsi le
sens littéral de la plaisanterie est:

FALSTAFF. Leurs pointes (aiguillettes) étant brisées...

POINS. Leurs chausses tombèrent à terre.

Il a fallu trouver quelque jeu de mots à substituer à celui-là,
impossible à faire passer en français.]

FALSTAFF.--Ils commencèrent à reculer; mais je les suivis de près et
vous les accostai corps à corps, et en un clin d'oeil, je fis le compte
à sept des onze.

HENRI.--O prodige! onze hommes en bougran sortis de deux!

FALSTAFF.--Mais le diable a voulu que trois maudits coquins en vert de
Kendal[39] soient venus me prendre par derrière; ils ont foncé sur moi,
car il faisait si noir, Henri, que tu n'aurais pas pu voir ta main.

[Note 39: _Kendal_ est une ville du comté de Westmoreland, où l'on
fabrique une grande quantité d'étoffes pour vêtements. Le vert de Kendal
était la couleur que choisissaient d'ordinaire les brigands, espérant
ainsi être moins aperçus à travers les feuilles. Le fameux Robin Hood et
ses gens portèrent du vert de Kendal tant qu'ils vécurent dans les
bois.]

HENRI.--Ces menteries sont comme le père qui les engendre, aussi grosses
qu'une montagne, bien visibles, bien palpables. Quoi, triple sans
cervelle, tête à perruque, bâtard, sale et gras magasin de suif.

FALSTAFF.--Comment, es-tu fou? es-tu fou? Est-ce que la vérité n'est pas
la vérité?

HENRI.--Quoi! comment est-il possible que tu aies distingué que ces
hommes étaient en vert de Kendal, puisqu'il faisait si noir que tu ne
pouvais pas voir la main? Allons, rends-nous raison de cela; qu'as-tu à
dire?

POINS.--Allons, il faut nous expliquer cela, Jack, il faut nous dire vos
raisons.

FALSTAFF.--Comment? de force! Non; me donnassiez-vous l'estrapade, ou
toutes les tortures du monde, je ne vous le dirais pas par force. Vous
donner une raison par force? Quand les raisons seraient aussi communes
que des mûres de haies, on ne me ferait pas donner à un homme une raison
par force, à moi!

HENRI.--Je ne veux pas avoir plus longtemps son péché sur la conscience.
Cet effronté poltron, bon seulement à écraser les lits, à éreinter les
chevaux; cette énorme montagne de chair...

FALSTAFF.--Laisse-nous tranquilles, figure étique, peau d'anguille,
langue de boeuf séchée, longue perche, morue sèche: oh! que n'ai-je
assez d'haleine pour nombrer tout ce qui te ressemble! toi, aune de
tailleur, fourreau d'épée, étui d'arc, sonde de commis de barrière...

HENRI.--Allons, courage, reprends haleine, et puis recommence de plus
belle; et quand tu seras bien épuisé en basses comparaisons, laisse-moi
te dire seulement ces deux mots....

POINS.--Écoute bien, Jack.

HENRI.--Nous deux, nous vous avons vus vous quatre tomber sur quatre,
les garrotter et vous emparer de ce qu'ils avaient. Or, remarquez bien à
présent comment un récit tout simple va vous confondre. Alors nous deux
que voilà, sommes tombés sur vous quatre, et d'un seul mot nous vous
avons, à votre barbe, enlevé votre prise, et nous l'avons, qui plus est,
et nous sommes en état de vous la faire voir dans la maison; et vous,
Falstaff, en criant miséricorde, vous avez sauvé votre bedaine, et
très-lestement, et très-adroitement, toujours courant, toujours hurlant,
aussi bien que je l'aie jamais entendu faire à un jeune taureau.--Ne
faut-il pas que tu sois un grand misérable, pour avoir tailladé ton épée
exprès comme tu l'as fait, et puis nous venir conter que c'était en te
battant? Quel subterfuge, quel stratagème, quelle échappatoire peux-tu
trouver à présent, pour te dérober à ta honte visible et manifeste?

POINS.--Allons, dis-nous donc, Jack, quelle invention nouvelle te tirera
de là?

FALSTAFF.--Pardieu, je vous ai reconnus comme celui qui vous a faits.
Eh! voyons donc un peu, mes maîtres, ne vouliez-vous pas que j'allasse
tuer l'héritier présomptif? Était-ce à moi à tenir tête à mon prince
légitime? Vraiment, vous savez bien que je suis brave comme Hercule.
Mais voyez l'instinct, le lion ne toucherait pas au prince légitime[40].
L'instinct est une belle chose; j'ai été poltron par instinct: je n'en
aurai que meilleure opinion de moi et de toi tant que je vivrai; de moi,
comme d'un lion courageux, et de toi, comme du prince légitime. Mais
après tout, mes enfants, je suis pardieu bien aise que vous ayez
l'argent. Hôtesse, jetez les portes, veillez cette nuit, vous prierez
demain. Pour vous, gaillards, bons garçons, bons enfants, coeurs d'or,
que tous les titres qui reviennent aux bons compagnons vous soient
donnés. Eh bien! nous divertirons-nous bien ce soir? Ferons-nous une
comédie impromptu?

[Note 40: Opinion consacrée dans plusieurs ballades.]

HENRI.--Va comme il est dit: le sujet sera, _sauve qui peut_.

FALSTAFF.--Ah! ne parlons plus de cela, Hal, par amitié pour moi.

(Entre l'hôtesse.)

L'HOTESSE.--Milord le prince.

HENRI.--Eh bien, milady l'hôtesse, qu'as-tu à me dire?

L'HOTESSE.--Vraiment, milord, il y a à la porte un noble de la cour qui
demande à vous parler; il dit qu'il vient de la part de votre père.

HENRI.--Donnez-lui ce qu'il faut pour en faire un homme royal, et
renvoyez-le à ma mère[41].

[Note 41: La _royale_ valait 10 schellings; la _noble_, 6 schellings 8
deniers. _Royal_ et _real_ se prononçant à peu près de même, Henri veut
qu'on ajoute au _noble_ ce qu'il faut pour en faire un _royal_ ou _real
man_ (un homme réel), et qu'on l'envoie à sa mère.]

FALSTAFF.--Quelle espèce d'homme est-ce?

L'HOTESSE.--C'est un vieillard.

FALSTAFF.--Que fait la gravité d'un vieillard hors de son lit à minuit?
Irai-je lui donner sa réponse?

HENRI.--Oh! oui, je t'en prie; va, Jack.

FALSTAFF.--Eh bien, ma foi, je m'en vais lui donner son paquet.

(Il sort.)

HENRI.--Oh çà! mes braves, par Notre-Dame, vous vous êtes bien battus;
et vous aussi, Peto, et vous aussi, Bardolph. Vous êtes aussi des lions,
vous vous êtes sauvés par instinct; vous ne voudriez pas mettre la main
sur le prince légitime. Oh! non, fi donc!

BARDOLPH.--Ma foi, je me suis sauvé, moi, quand j'ai vu les autres se
sauver.

HENRI--Oh çà! dites-moi à présent, sans plaisanterie, comment se fait-il
que l'épée de Falstaff soit si ébréchée?

PETO.--Pardieu, il l'a ébréchée avec son poignard, et a dit que sur son
honneur il n'y avait plus de bonne foi en Angleterre, s'il ne parvenait
pas à vous persuader que cela s'était fait dans le combat; et il nous a
engagés à faire comme lui.

BARDOLPH.--Oui, comme encore de nous frotter le nez avec de l'herbe
tranchante, pour le faire saigner et en barbouiller nos habits, et jurer
que c'était du sang d'honnêtes gens. Je puis bien dire que j'ai fait ce
que je n'avais pas fait depuis sept ans; car je rougis d'entendre parler
seulement de ses monstrueuses inventions.

HENRI.--Oh! misérable, tu dérobas un verre de vin d'Espagne il y a
dix-huit ans et tu fus pris sur le fait, et depuis ce temps-là tu as
toujours rougi _ex tempore_. Tu avais pour toi le fer et la flamme, et
cependant tu t'es sauvé! Dis-moi quel était ton instinct pour cela?

BARDOLPH.--Milord, voyez-vous ces météores? apercevez-vous ces feux?

HENRI.--Oui.

BARDOLPH.--Que croyez-vous que cela annonce?

HENRI.--Un foie chaud et une froide bourse.

BARDOLPH.--Rage et fureur, milord, à le bien prendre.

HENRI.--Non, si on te prend bien, la corde. (_Rentre Falstaff_.) Voilà
notre maigre Jack qui revient; voilà notre squelette décharné. Eh bien,
ma douce créature rembourrée de coton, combien y a-t-il que tu n'as vu
ton genou?

FALSTAFF.--Mon genou? À ton âge, Henri, je n'avais pas la taille aussi
grosse que la serre d'un aigle. Je me serais glissé dans la bague d'un
alderman. Ah! ne me parlez pas de vivre dans les soupirs et les
chagrins; cela vous gonfle un homme comme un ballon.--Il y a de maudites
nouvelles par le monde: sir Jean Bracy venait ici de la part de votre
père; il faut que vous vous rendiez à la cour dès le matin. Ce maudit
fou du Nord, Percy, et cet autre Gallois qui a donné la bastonnade à
Amaimon et a fait cocu Lucifer, qui a forcé le diable de se jurer son
vassal sur la croix d'une pique galloise, comment le nommez-vous?

POINS.--Oh! Glendower.

FALSTAFF.--Oui, Owen, Owen; c'est lui-même et son gendre Mortimer, et le
vieux Northumberland, et cet Écossais, le plus leste de tous les
Écossais, Douglas, qui monte au galop de son cheval une montagne en
ligne perpendiculaire.

HENRI.--Celui qui en courant à toute bride tue un moineau au vol d'un
coup de pistolet.

FALSTAFF.--Précisément, vous l'avez touché.

HENRI.--Mieux qu'il n'a jamais touché le moineau.

FALSTAFF.--Tenez, ce drôle-là a du sang dans les veines, il ne se
sauvera pas.

HENRI.--Et quel autre drôle es-tu donc, toi, de le louer si fort pour
savoir bien courir?

FALSTAFF.--À cheval, coucou; mais à pied, il ne bougera jamais d'un seul
pas.

HENRI.--Si fait, Jack, par instinct.

FALSTAFF.--Ah! j'en conviens, par instinct. Eh bien, il est donc là
aussi avec un certain Mordake, et encore un millier de bonnets bleus.
Worcester s'est sauvé secrètement cette nuit. La barbe de ton père a
blanchi de toutes ces nouvelles-là. On peut acheter des terres à présent
à aussi bon marché que du maquereau moisi.

HENRI.--Ainsi donc, si le mois de juin est chaud, et que cette bouffée
de guerre se prolonge, il est probable que nous aurons les filles[42],
comme les clous de fer à cheval, au cent.

[Note 42: _Maiden heaas_.]

FALSTAFF.--Par la messe! mon garçon, tu dis vrai; il y a apparence que
le commerce ira bien pour nous de ce côté-là! Mais dis-moi donc, Hal,
n'as-tu pas horriblement peur? À toi qui es l'héritier présomptif,
aurait-on pu te trouver dans le monde trois autres ennemis de la sorte
de ce démon de Douglas, ce salpêtre de Percy, et ce satan de Glendower?
N'as-tu pas horriblement peur? N'as-tu pas le frisson dans le sang?

HENRI.--Pas un brin, sur ma foi. Il me faudrait pour cela un peu de ton
instinct.

FALSTAFF.--Oh! tu seras horriblement grondé demain, quand tu te
présenteras devant ton père. Allons, par amitié pour moi, prépare une
réponse.

HENRI.--Voyons, mets-toi à la place de mon père, et examine-moi sur les
particularités de ma vie.

FALSTAFF.--Veux-tu? Volontiers. Cette chaise sera mon trône, ce poignard
mon sceptre, et ce coussin ma couronne.

HENRI.--On prendrait ton trône pour un escabeau, ton sceptre d'or pour
un poignard de plomb, et ta précieuse et riche couronne pour la triste
tonsure d'une tête chauve.

FALSTAFF.--C'est bien; mais pour peu qu'il te reste une étincelle de la
grâce, tu vas être ému.--Donnez-moi un verre de vin d'Espagne, afin que
cela me fasse paraître les yeux rouges, et qu'on puisse croire que j'ai
pleuré; car il faut que je parle en homme transporté de douleur, et je
veux le faire sur le ton du roi Cambyse.

HENRI.--Fort bien! Voilà ma révérence.

FALSTAFF.--Et voici mon discours.--Écartez-vous, seigneurs.

L'HOTESSE.--Voilà une excellente scène, en vérité!

FALSTAFF, _à l'hôtesse_.--Ne pleurez pas, charmante reine; car c'est en
vain que coulent vos larmes.

L'HOTESSE.--Oh! voyez donc ce père, comme il soutient bien son rôle!

FALSTAFF.--Pour l'amour de Dieu, lords, emmenez ma triste épouse, car
les pleurs obstruent les écluses de ses yeux.

L'HOTESSE.--Oh! à merveille! Il fait aussi bien qu'aucune de ces
canailles d'acteurs que j'aie jamais vus.

FALSTAFF.--Paix là, bonne dame Pinte; paix, chauffe-cervelle.--Henri, je
m'étonne non-seulement de la manière dont tu passes ton temps, mais
encore de la compagnie que tu fréquentes; car bien que la camomille
pousse d'autant plus vite qu'elle est plus foulée aux pieds, cependant
la jeunesse est d'autant plus vite usée que plus on la gaspille. Je te
crus mon fils en partie sur la parole de ta mère, et en partie d'après
ma propre opinion; mais surtout un maudit trait que tu as dans les yeux,
et ta sotte manière de laisser tomber la lèvre inférieure, m'en sont une
bonne garantie. Si donc tu es mon fils, voilà le point. Pourquoi, étant
mon fils, te fais-tu ainsi montrer au doigt? Le brillant soleil des
cieux[43] doit-il faire l'école buissonnière, et aller se nourrir de
mûres sauvages? Ce n'est pas là une question à faire. Un fils
d'Angleterre doit-il devenir un filou, un coupeur de bourses? Voilà la
question.--Il y a une chose, Henri, dont tu as souvent entendu parler,
et que beaucoup de gens de notre pays connaissent sous le nom de poix;
cette poix, suivant le rapport des anciens auteurs, est une chose qui se
lie: il en est de même de la compagnie que tu fréquentes. Car, Henri,
dans ce moment je ne parle pas dans le vin, mais dans les pleurs; ni
dans la joie, mais dans la colère; ni en paroles seulement, mais par mes
gémissements; et cependant tu as un homme de bien que j'ai souvent
remarqué dans ta compagnie, mais je ne sais pas son nom.

[Note 43: _The blessed sun of heaven._

Il y a probablement là un jeu de mots entre _sun_ (soleil) et _son_
(fils).]

HENRI.--Quelle sorte d'homme est-ce, sous le bon plaisir de Votre
Majesté?
                
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