FALSTAFF.--De la cour? Faites-le entrer.
(Entre Pistol.)
FALSTAFF.--Eh bien, Pistol, qu'est-ce qu'il y a?
PISTOL.--Sir Jean, Dieu vous ait en sa garde!
FALSTAFF.--Quel vent vous a soufflé ici, Pistol?
PISTOL.--Ce n'est pas ce mauvais vent qui ne souffle rien de bon à
l'homme.--Aimable chevalier, te voilà devenu des plus grands personnages
du royaume.
SILENCE.--Ma foi! je crois qu'il n'est autre que le bonhomme Souffle de
Barson[53]?
[Note 53: _Puff de Barson._ Il a fallu traduire le nom pour faire
comprendre la réplique.]
PISTOL.--Souffle! Je te souffle dans la face, mauvais poltron de païen.
Sir Jean, je suis ton Pistol et ton ami. Et je suis venu ici ventre à
terre; et je t'apporte des nouvelles et des bonheurs pleins de
félicités, et un siècle d'or, et d'heureuses nouvelles du plus grand
prix.
FALSTAFF.--Eh bien, je t'en prie, débite-les-nous donc, comme un homme
de ce monde.
PISTOL.--Au diable ce monde et ses vilenies[54]! Je parle de l'Afrique
et de joies d'or.
[Note 54: _A f.... a for the world._]
FALSTAFF.--Maudit chevalier d'Assyrie, quelles sont les nouvelles? Que
le roi Cophetua sache donc enfin de quoi il s'agit.
SILENCE _chante_.
Oui, et Robin-Hood, aussi, et Scarlet et le petit Jean.
PISTOL.--Est-ce à des mâtins de la basse-cour à se mettre en comparaison
avec l'Hélicon? De bonnes nouvelles seront-elles ainsi reçues? Alors,
Pistol, cache ta tête dans le giron des Furies.
SHALLOW.--Mon galant homme, je n'entends rien à vos manières d'agir.
PISTOL.--C'est de quoi tu dois te lamenter.
SHALLOW.--Pardonnez-moi, monsieur. Mais, monsieur, si vous arrivez avec
des nouvelles de la cour, je pense qu'il n'y a que deux partis à
prendre, c'est ou de les débiter, ou de les taire. Je suis, monsieur,
dépositaire d'une certaine autorité, sous le bon plaisir du roi.
PISTOL.--Et quel roi, va-nu-pieds? Parle, ou meurs.
SHALLOW.--Du roi Henri.
PISTOL.--Henri IV, ou Henri V?
SHALLOW.--Henri IV.
PISTOL.--Au diable[55] ton office! Sir Jean, ton tendre agneau est à
présent roi; Henri V, le voilà! Je dis vrai. Si Pistol te ment, tiens,
fais-moi la figue, comme à un fanfaron espagnol.
FALSTAFF.--Comment? est-ce que le vieux roi est mort?
PISTOL.--Aussi ferme qu'un clou dans une porte[56]: ce que je dis est la
vérité.
[Note 55: _A f.... a for thine office._]
[Note 56: _As nail in door_; expression proverbiale. _Door-nail_
signifie le clou sur lequel frappe le marteau de la porte. _As nail in
door_ pourrait signifier aussi _comme un ongle pris dans une porte_.]
FALSTAFF.--Allons, Bardolph, partons: selle mon cheval. Maître Robert
Shallow, choisis la place que tu voudras dans tout le pays; elle est à
toi. Et toi, Pistol, je te surchargerai de dignités.
BARDOLPH.--Oh! jour heureux! Je ne donnerais pas ma fortune pour une
baronnie.
PISTOL.--Eh bien? n'ai-je pas apporté de bonnes nouvelles?
FALSTAFF.--Portez maître Silence à son lit.--Maître Shallow, milord
Shallow, vois ce que tu veux être: je suis l'intendant de la fortune;
prends tes bottes; nous voyagerons toute la nuit.--Oh! mon cher Pistol!
Vite, vite, Bardolph! (_Bardolph sort._) Viens, Pistol; dis-moi encore
quelque chose, et en même temps cherche dans ta tête quelque emploi pour
toi, qui te fasse plaisir. Vos bottes, vos bottes, maître Shallow. Je
suis sûr que le jeune roi languit après moi. Prenons les chevaux du
premier venu: n'importe qui. Les lois d'Angleterre sont actuellement à
mes ordres. Heureux ceux qui ont été mes amis; et malheur à milord grand
juge!
PISTOL.--Que de vilains vautours lui mangent les poumons! _Qu'est-elle
devenue_, comme on dit, _la vie que je menais il n'y a pas longtemps_?
Eh bien! nous y voilà. Bénis soient ces jours de bonheur!
(Ils sortent.)
SCÈNE IV
Londres.--Une rue.
_Entrent_ DEUX HUISSIERS _traînant_ L'HÔTESSE QUICKLY ET DOROTHÉE
TEAR-SHEET.
L'HÔTESSE.--Non, gueux de gredin, quand j'en devrais mourir, je voudrais
te voir pendu. Tu m'as disloqué l'épaule.
LE PREMIER HUISSIER.--Les constables me l'ont remise entre les mains;
elle aura du régime du fouet autant qu'il lui en faudra, je le lui
promets. Il y a un homme ou deux de tués à cause d'elle.
DOROTHÉE.--Vous mentez, bec à corbin, bec à corbin que vous êtes. Viens
donc, je te dis, moi, damné coquin au visage de tripes. Si tu me fais
faire une fausse couche, il vaudrait mieux pour toi que tu eusses battu
ta mère. Vilaine face de papier mâché!
L'HÔTESSE.--O Seigneur! pourquoi sir Jean n'est-il pas ici? Il y aurait
du sang répandu d'abord. Mais voyez, mon Dieu, lui faire faire une
fausse couche!
LE PREMIER HUISSIER.--Si cela arrive, vous lui remettrez sa douzaine de
coussins; elle n'en a que onze maintenant. Allons, je vous commande à
toutes deux de venir avec moi. Il est mort, cet homme que vous avez
battu Pistol et vous.
DOROTHÉE.--Je vais te le dire, figure d'encensoir: allez, on vous fera
solidement gambiller en l'air pour cela, vilaine mouche bleue[57] que
vous êtes. Sale meurt-de-faim de correcteur, si vous n'êtes pas pendu,
je quitte le métier[58].
[Note 57: Allusion à l'habit bleu des huissiers.]
[Note 58: _Half-kirtles._ C'était, à ce qui paraît, une sorte de
vêtement de nuit à l'usage des femmes de l'espèce de Dorothée.]
LE PREMIER HUISSIER.--Venez, venez, chevaliers errants, venez.
L'HÔTESSE.--O Dieu! faut-il que la force l'emporte ainsi sur le bon
droit? Bien, bien, de la patience vient l'aisance.
DOROTHÉE.--Allons donc, coquin, allons donc, menez-moi donc devant le
juge.
L'HÔTESSE.--Oui, venez donc, chien de chasse affamé.
DOROTHÉE.--Mort de Dieu! tête de Dieu!
L'HÔTESSE.--Atome que tu es!
DOROTHÉE.--Allons donc, chose de rien du tout. Allons donc, gredin.
LE PREMIER HUISSIER.--C'est bien, c'est bien.
(Ils sortent.)
SCÈNE V
Une place publique près de l'abbaye de Westminster.
_Entrent_ DEUX VALETS _couvrant le pavé de joncs._
LE PREMIER VALET.--Encore des roseaux, encore des roseaux.
LE SECOND VALET.--Les trompettes ont sonné deux fanfares.
LE PREMIER VALET.--Il sera bien deux heures, avant qu'on revienne du
couronnement.--Dépêchons, dépêchons.
(Ils sortent.)
(Entrent Falstaff, Shallow, Pistol, Bardolph, le Page.)
FALSTAFF.--Tenez-vous là à côté de moi, maître Robert Shallow. Je vous
ferai faire accueil par le roi: je vais lui donner un coup d'oeil de
côté lorsqu'il passera; et remarquez bien de quel air il me regardera.
PISTOL.--Bénédiction sur tes poumons, bon chevalier!
FALSTAFF.--Approche ici, Pistol; tiens-toi derrière moi. (_A Shallow._)
Oh! si j'avais eu le temps de faire faire des livrées neuves, j'aurais
voulu y dépenser les mille livres sterling que je vous ai empruntées.
Mais cela ne fait rien: cette manière modeste de se présenter sied mieux
encore. Cela prouve combien j'étais pressé de le voir.
SHALLOW.--Oui, c'en est une preuve.
FALSTAFF.--Cela fait voir l'ardeur de mon affection.
SHALLOW.--Oui, sans doute.
FALSTAFF.--Mon dévouement.
SHALLOW.--Certainement, certainement, certainement.
FALSTAFF.--Cela a l'air d'un homme qui a couru la poste jour et nuit, et
sans délibérer, sans songer à rien, sans se donner le temps de changer
de chemise.
SHALLOW.--Cela est très-certain.
FALSTAFF.--Mais qui vient se poster là tout sali du voyage, tout en
sueur du désir de le voir, n'ayant nulle autre idée en tête, mettant en
oubli toute autre affaire, comme s'il n'y avait plus au monde rien à
faire que de le voir....
PISTOL.--C'est _semper idem_, car _absque hoc nihil est_. Parfait en
tout point.
SHALLOW.--Oui vraiment.
PISTOL.--Mon chevalier, je veux enflammer ton noble foie, et te mettre
en fureur. Ta Dorothée, l'Hélène de tes nobles pensées, est dans une
honteuse réclusion, dans une prison infecte, traînée là par la main la
plus grossière et la plus sale. Fais sortir la Vengeance de son antre
d'ébène avec les serpents agités de l'affreuse Alecton; car ta chère
Dorothée est dedans: Pistol ne dit jamais rien que de vrai.
FALSTAFF.--Je la délivrerai.
(Acclamations, bruits de trompettes derrière le théâtre.)
PISTOL.--On a entendu mugir la mer et les sons éclatants de la
trompette.
(Entre le roi avec sa suite, dans laquelle se trouve le lord grand
juge.)
FALSTAFF.--Dieu conserve Ta Majesté, roi Hal, mon royal Hal!
PISTOL.--Que le ciel te garde et veille sur toi, très-royal rejeton de
la gloire!
FALSTAFF.--Que Dieu te conserve, mon cher enfant!
LE ROI.--Milord grand juge, parlez à cet insensé.
LE JUGE.--Êtes-vous en votre bon sens? Savez-vous ce que vous dites?
FALSTAFF.--Mon roi, mon Jupiter! C'est à toi que je parle, mon coeur.
HENRI.--Je ne te connais point, vieillard. Va faire tes prières.--Que
ces cheveux blancs siéent mal à un insensé, à un mauvais bouffon! J'ai
vu en songe, pendant un long sommeil, un homme de cette espèce, gonflé
de même d'un excès de nourriture, aussi vieux et aussi débauché. Mais
éveillé, je méprise mon songe.--Va travailler à diminuer ton ventre et à
grossir ton mérite. Quitte ta vie gloutonne: sache que la tombe ouvre
pour toi une bouche trois fois plus large que pour les autres
hommes.--Ne me réplique pas par une ridicule plaisanterie. Ne t'imagine
pas que je sois aujourd'hui ce que j'étais. Le ciel sait, et l'univers
verra, que j'ai renoncé à mon passé, et je rejetterai de même tous ceux
qui firent ma société. Quand tu entendras dire que je suis ce que j'ai
été, reviens vers moi, et tu seras ce que tu étais alors, le guide et le
promoteur de mes dérèglements. Jusqu'à ce moment, je te bannis, sous
peine de mort, comme j'ai déjà banni le reste de ceux qui m'ont égaré,
et je te défends d'approcher de notre personne plus près que de dix
milles. Quant à votre subsistance, je vous l'assurerai, afin que les
besoins ne vous sollicitent pas au mal; et lorsque nous apprendrons que
vous avez réformé votre vie, alors nous vous emploierons, selon votre
capacité et votre mérite. (_Au grand juge._) C'est vous, milord, que je
charge de veiller sur l'exécution de mes ordres. Continuez la marche.
(Sortent le roi et sa suite.)
FALSTAFF.--Maître Shallow, je vous dois mille livres sterling.
SHALLOW.--Oui, vraiment, sir Jean, que je vous prie de me rendre, pour
que je puisse les remporter avec moi.
FALSTAFF.--Cela est bien difficile, maître Shallow. Que tout ceci ne
vous chagrine pas. Il va m'envoyer chercher pour me parler en
particulier, voyez-vous. Il faut bien qu'il prenne ce ton devant le
monde. N'ayez pas d'inquiétude sur votre fortune. Je suis encore, tel
que vous me voyez, l'homme qui vous fera prospérer.
SHALLOW.--Je ne vois pas trop comment, à moins que vous ne me donniez
votre pourpoint, et que vous ne me rembourriez de paille. Je vous en
prie, mon cher sir Jean, sur les mille livres, rendez-m'en seulement
cinq cents.
FALSTAFF.--Maître, je vous tiendrai parole: ce que vous avez entendu là
n'était qu'une couleur.
SHALLOW.--Je crains bien que vous ne soyez teint[59] de cette couleur-là
toute votre vie.
[Note 59: _That you will die in_; jeu de mots entre _die_, mourir, et
_dye_, teindre.]
FALSTAFF.--Ne craignez point de couleurs; venez dîner avec moi. Viens,
lieutenant Pistol; et toi aussi, Bardolph.--On m'enverra chercher ce
soir de bonne heure.
(Rentrent le prince Jean de Lancastre, le lord grand juge, des officiers
de justice, etc.)
LE JUGE, _à des archers_.--Allez, conduisez sir Jean Falstaff à la
Flotte[60]: emmenez avec lui toute sa compagnie.
[Note 60: Dans la prison appelée _la Flotte_; selon toute apparence,
pour assurer l'exécution des ordres du roi, car on verra plus loin
qu'ils ne sont condamnés qu'au bannissement.]
FALSTAFF.--Milord, milord....
LE JUGE.--Je n'ai pas le temps de vous parler: je vous entendrai
tantôt.--Qu'on les emmène.
PISTOL.
_Se fortuna me tormenta,_
_Spero me contenta._
(Sortent Falstaff, Shallow, Pistol, Bardolph, le page, et les officiers
de justice.)
LANCASTRE.--J'aime beaucoup cette noble conduite du roi: il a
l'intention de donner à ses anciens camarades une honnête aisance. Mais
il les bannit tous, jusqu'à ce qu'ils aient pris devant le public un
langage plus sensé et plus décent.
LE JUGE.--C'est ce qui va être exécuté.
LANCASTRE.--Le roi a convoqué son parlement, milord.
LE JUGE.--Oui, prince.
LANCASTRE.--Je parierais qu'avant la fin de cette année nous porterons
nos armes concitoyennes et notre ardeur native jusqu'au sein de la
France.--J'ai entendu quelque oiseau chanter l'air de ces paroles, et sa
musique, à ce que je présume, a plu à l'oreille du roi. Allons, venez.
(Ils sortent.)
ÉPILOGUE
PRONONCÉ PAR UN DANSEUR.
D'abord ma crainte, ensuite ma révérence, et puis mon discours. Ma
crainte, c'est votre mécontentement; ma révérence, c'est mon devoir; et
mon discours, c'est de vous demander pardon. Si vous vous attendez à un
bon discours, je suis perdu; car ce que j'ai à vous dire est de ma
façon, et ce que je dois vous dire va encore, j'en ai peur, me faire
tort. Mais au fait, et à tout hasard, il faut que vous sachiez, comme
vous le savez très-bien, que je parus dernièrement ici à la fin d'une
pièce qui vous avait déplu, pour vous demander votre indulgence et vous
en promettre une meilleure; je comptais, pour vous dire la vérité,
m'acquitter au moyen de celle-ci: mais si, comme une expédition
malheureuse, elle me revient sans succès, je fais banqueroute; et vous,
mes chers créanciers, vous perdez votre dû. Je vous promis que je me
trouverais ici; et en vertu de ma parole, je viens livrer ma personne à
votre merci. Rabattez-moi quelque chose, je vous payerai quelque chose;
et suivant l'usage de la plupart des débiteurs, je vous ferai des
promesses à l'infini.
Si ma langue ne peut vous persuader de me tenir quitte, voulez-vous
m'ordonner d'user de mes jambes? Et pourtant ce serait un payement bien
léger que de payer sa dette en gambades. Mais une conscience délicate
offre toutes les satisfactions qui sont en son pouvoir, et c'est ce que
je vais faire. Toutes les dames qui sont ici m'ont déjà pardonné; si les
messieurs ne veulent pas en faire autant, alors les messieurs ne
s'accordent donc pas avec les dames, et c'est ce qu'on n'a jamais vu
dans une pareille assemblée.--Encore un mot, je vous en supplie. Si vous
n'êtes pas trop dégoûtés de la chair grasse, notre humble auteur
continuera son histoire, dans laquelle sir Jean continuera de jouer son
rôle, et où il vous fera rire par le moyen de la belle Catherine de
France; autant que j'en puis savoir, Falstaff y mourra de gras fondu, à
moins que vous ne l'ayez déjà tué par votre disgrâce: car Oldcastle est
mort martyr, et celui-ci n'est pas le même homme.--Ma langue est
fatiguée: quand mes jambes le seront aussi, je vous souhaiterai le
bonsoir, et sur ce je me prosterne à genoux devant vous; mais à la
vérité c'est afin de prier pour la reine.
FIN DU CINQUIÈME ET DERNIER ACTE.