[Note 20: On voulut en effet arguer de cet argument pour empêcher le
mariage d'Édouard avec lady Grey. Mais lady Lucy, sommée sous serment de
dire la vérité, déclara qu'elle n'avait reçu aucune promesse d'Edouard.]
LE MAIRE.--Acceptez, mon bon seigneur: vos citoyens de la ville de
Londres vous en conjurent.
BUCKINGHAM.--Ne refusez pas, puissant prince, l'offre de notre amour.
CATESBY.--Oh! rendez-les heureux, en souscrivant à leur juste requête!
GLOCESTER.--Hélas! pourquoi voulez-vous m'accabler de ce fardeau
d'inquiétudes? Je ne suis pas fait pour les grandeurs et la majesté d'un
trône.--Je vous en prie, ne le prenez pas en mauvaise part, mais je ne
puis ni ne veux céder à vos désirs.
BUCKINGHAM.--Si vous vous obstinez à le refuser, si par sensibilité et
par attachement vous répugnez à déposer un enfant, un fils de votre
frère; car nous connaissons bien la tendresse de votre coeur, et cette
pitié douce et efféminée, que nous avons toujours remarquée en vous pour
vos proches, et qui au reste s'étend également à toutes les classes
d'hommes:.... eh bien, apprenez, que, soit que vous acceptiez nos offres
ou non, jamais le fils de votre frère ne régnera sur nous comme notre
roi; mais que nous placerons quelque autre sur le trône, à la disgrâce
et à la ruine de votre maison;--et c'est dans cette résolution que nous
vous quittons.--Venez, citoyens; nous ne le solliciterons pas plus
longtemps.
(Buckingham sort avec le maire et sa suite.)
CATESBY.--Rappelez-les, cher prince; acceptez leur demande: si vous la
refusez, tout le pays en portera la peine.
GLOCESTER.--Voulez-vous donc me précipiter dans un monde de soucis? Eh
bien, rappelez-les: je ne suis pas fait de pierre, et je sens que mon
coeur est touché de vos tendres sollicitations (_sort Catesby_), quoique
ce soit contre ma conscience et mon inclination. (_Entrent Buckingham et
les autres._) Cousin Buckingham.... et vous, hommes sages et
respectables, puisque vous voulez charger mes épaules du fardeau de la
grandeur, et me le faire porter, que je le veuille ou non, il faut bien
que je m'y soumette avec résignation. Mais si la noire calomnie, ou le
blâme au visage odieux, sont un jour la conséquence du devoir que vous
m'imposez, la violence que vous me faites me sauvera de toutes les
censures, et de toutes les taches d'ignominie qui pourraient en
résulter; car Dieu m'est témoin, et vous le voyez en quelque sorte
vous-mêmes, combien je suis loin de désirer ce qui m'arrive.
LE MAIRE.--Que Dieu bénisse Votre Grâce! Nous le voyons, et nous le
publierons.
GLOCESTER.--En le disant, vous ne direz que la vérité.
BUCKINGHAM.--Je vous salue donc de ce titre royal. Longue vie au roi
Richard, le digne souverain de l'Angleterre!
TOUS.--_Amen._
BUCKINGHAM.--Vous plairait-il d'être couronné demain?
GLOCESTER.--Ce sera quand il vous plaira, puisque vous le voulez
absolument.
BUCKINGHAM.--Nous viendrons donc demain pour accompagner Votre Grâce: et
nous prenons congé de vous, le coeur rempli de joie.
GLOCESTER, _aux ecclésiastiques qui sont avec lui_.--Venez: allons
reprendre nos pieux exercices.--Adieu, bon cousin.--Adieu, chers amis.
FIN DU TROISIÈME ACTE.
ACTE QUATRIÈME
SCÈNE I
Devant la Tour.
_Entrent d'un côté_ LA REINE ÉLISABETH, LA DUCHESSE D'YORK, ET LE
MARQUIS DE DORSET, ET _de l'autre_ ANNE, DUCHESSE DE GLOCESTER, _menant_
LADY MARGUERITE PLANTAGENET, _fille du duc de Clarence_.
LA DUCHESSE.--Qui rencontrons-nous ici?--Ma nièce Plantagenet que
conduit par la main sa bonne tante de Glocester! Sur ma vie, elle se
rend à la Tour par pure tendresse de coeur pour y saluer le jeune
prince.--Ma fille, je me félicite de vous trouver ici.
ANNE, _à Élisabeth et à la duchesse_.--Que le ciel vous soit propice à
toutes deux dans cette heure du jour!
ÉLISABETH.--Je vous en souhaite autant, bonne soeur! Où donc allez-vous?
ANNE.--Pas plus loin qu'à la Tour; et, à ce que je présume, dans le même
sentiment qui vous y mène, pour y féliciter les jeunes princes.
ÉLISABETH.--Je vous en remercie, ma chère soeur: nous y entrerons de
compagnie. Et voilà fort à propos le lieutenant qui arrive. (_Entre
Brakenbury._) Monsieur le lieutenant, avec votre permission, dites-moi,
je vous prie, comment se portent le prince, et mon jeune fils York.
BRAKENBURY.--Très-bien, madame.... Mais, soit dit sans vous offenser, je
ne puis vous permettre de les voir: le roi l'a sévèrement défendu.
ÉLISABETH.--Le roi? quel roi?
BRAKENBURY.--C'est du lord protecteur que je parle.
ÉLISABETH.--La protection du Seigneur le préserve de ce titre de
roi!--A-t-il donc élevé une barrière entre la tendresse de mes enfants
et moi? Je suis leur mère. Qui pourra m'empêcher d'arriver jusqu'à eux?
LA DUCHESSE.--Je suis mère de leur père, et je prétends les voir.
ANNE.--Je suis leur tante par alliance, et leur mère par ma tendresse:
ainsi conduisez-moi vers eux; je me charge de la faute, et je t'absous
de l'ordre à mes périls.
BRAKENBURY.--Non, madame, je ne puis me départir ainsi de ma charge: je
suis lié par serment; ainsi daignez m'excuser.
(Il sort.) (Entre Stanley.)
STANLEY, _à la duchesse_.--Mesdames, si je vous rencontre dans une heure
d'ici, je pourrai saluer dans Sa Grâce la duchesse d'York, la
respectable mère de deux belles reines qu'elle aura vues régner l'une
après l'autre. (_A la duchesse de Glocester._) Venez, madame; il faut
vous rendre sans délai à Westminster, pour y être couronnée reine comme
épouse de Richard.
ÉLISABETH.--Ah! coupez mon lacet, afin que mon coeur oppressé puisse
battre en liberté... ou je sens que je vais m'évanouir à cette mortelle
nouvelle.
ANNE.--Odieuse nouvelle! ô sinistre événement!
DORSET, _à Élisabeth_.--Prenez courage, ma mère: comment se trouve Votre
Grâce?
ÉLISABETH.--O Dorset, ne me parle pas; va-t'en. La mort et la
destruction sont à ta poursuite et prêtes à te saisir. Le nom de ta mère
est fatal à ses enfants: si tu veux échapper à la mort qui te poursuit,
traverse les mers, et va vivre avec Richmond hors des atteintes de
l'enfer. Va, hâte-toi, hâte-toi de fuir cette boucherie, si tu ne veux
pas augmenter le nombre des morts, et me faire mourir selon la
malédiction de Marguerite, n'étant plus ni mère, ni femme, ni reine
actuelle de l'Angleterre.
STANLEY.--Votre conseil, madame, est dicté par de très-sages
craintes.--Dorset, saisissez rapidement l'avantage que vous laissent
quelques heures. Je vous donnerai des lettres de recommandation pour mon
fils, et lui écrirai de venir au-devant de vous; ne vous laissez pas
surprendre par un imprudent délai.
LA DUCHESSE.--O vent funeste du malheur qui nous disperse tous!--O
entrailles maudites, couches de mort, vous avez donné le jour à un
serpent dont le regard est mortel à qui n'a pas su l'éviter!
STANLEY.--Allons, madame, venez; j'ai été envoyé en toute hâte.
ANNE.--Et je vais vous suivre à contre-coeur. Oh! plût à Dieu que le
cercle d'or, qui va ceindre mon front, fût un fer rouge qui me brûlât
jusqu'au cerveau! Puissé-je être ointe d'un poinçon meurtrier, qui me
fasse expirer avant qu'on ait pu dire: Dieu conserve la reine!
ÉLISABETH.--Va, va, pauvre créature; je n'envie pas ta gloire; ma
douleur ne désire pas se repaître de tes maux.
ANNE.--Eh! pourquoi pas?--Lorsqu'au moment où je suivais le cercueil de
Henri, celui qui est aujourd'hui mon époux vint me trouver, les mains à
peine lavées du sang de cet ange qui fut mon premier époux, et de celui
du saint défunt que j'accompagnais en pleurant; lorsqu'en ce moment,
dis-je, je fixai mes yeux sur Richard, voici quel fut mon voeu: «Sois
maudit pour m'avoir condamnée, moi si jeune, à un si long veuvage; et,
quand tu te marieras, que la douleur assiége ta couche, et que ton
épouse (s'il est une femme assez folle pour le devenir) soit plus
malheureuse par ta vie[21] que tu ne m'as rendue malheureuse par le
meurtre de mon cher époux!» Hélas! avant que je pusse répéter cette
malédiction, dans cet espace de temps si court, mon coeur de femme
s'était laissé si grossièrement surprendre par ses mielleuses paroles,
et avait fait de moi l'objet de ma propre malédiction. Depuis ce moment
elle a privé mes yeux de tout repos: je n'ai pas encore joui une heure
dans sa couche des précieuses vapeurs du sommeil, sans être réveillée
par les songes effrayants qui agitent Richard. Je sais d'ailleurs qu'il
me hait, par la haine qu'il portait à mon père Warwick, et sans doute il
ne tardera pas à se défaire de moi.
[Note 21: La malédiction d'Anne fut: Sois plus malheureuse par ta mort,
etc.]
ÉLISABETH.--Pauvre chère âme, adieu. Je plains tes douleurs.
ANNE.--Pas plus que mon coeur ne gémit sur les vôtres.
DORSET.--Adieu, toi qui accueilles si tristement les grandeurs.
ANNE, _à Dorset_.--Adieu, pauvre malheureux qui vas prendre congé
d'elles.
LA DUCHESSE, _à Dorset_.--Va joindre Richmond, et qu'une heureuse
fortune guide tes pas! (_A lady Anne._) Va joindre Richard, et que les
anges gardiens veillent sur tes jours! (_A la reine._) Va au sanctuaire,
et que de bonnes pensées s'emparent de toi! Moi je vais à mon tombeau,
et puissent le repos et la paix y descendre avec moi. J'ai vu
quatre-vingts tristes années de chagrins, et chacune de mes heures de
joie est toujours venue s'abîmer dans une semaine de douleurs.
ÉLISABETH.--Arrêtez, encore.--Jetons encore un regard sur la Tour.--O
vous, pierres antiques, prenez en compassion ces tendres enfants, que la
haine a renfermés dans vos murs! Berceau bien rude pour de si jolis
petits enfants! dure et sauvage nourrice! vieille et triste compagne de
jeu pour de jeunes princes, traite bien mes enfants! Pierres, c'est
ainsi qu'une douleur insensée prend congé de vous.
(Ils sortent tous.)
SCÈNE II
Une salle d'apparat dans le palais.
_Fanfares et trompettes_. RICHARD _en habits royaux, sur son trône_,
BUCKINGHAM, CATESBY, UN PAGE _autres personnages_.
LE ROI RICHARD, _à sa suite_.--Écartez-vous tous.--Cousin Buckingham?
BUCKINGHAM.--Mon gracieux souverain?
LE ROI RICHARD.--Donne-moi ta main.--C'est par tes conseils et par ton
assistance que le roi Richard se voit placé si haut. Mais ces grandeurs
ne vivront-elles qu'un jour? ou seront-elles durables, et pourrons-nous
en jouir avec satisfaction?
BUCKINGHAM.--Puissent-elles être permanentes et durer toujours!
LE ROI RICHARD.--Ah! Buckingham, c'est en ce moment que je vais employer
la pierre de touche pour savoir si ton or est vraiment de bon aloi.--Le
jeune Édouard vit. Cherche maintenant dans ta pensée ce que je veux
dire.
BUCKINGHAM.--Dites-le, cher seigneur.
LE ROI RICHARD.--Buckingham, je te dis que je voudrais être roi.
BUCKINGHAM.--Eh! mais vous l'êtes en effet, mon trois fois renommé
souverain.
LE ROI RICHARD.--Ah! suis-je vraiment roi?--Oui, je le suis, mais
Édouard vit!
BUCKINGHAM.--Il est vrai, noble prince.
LE ROI RICHARD.--Et voilà donc la cruelle conséquence de ce qu'il vit
encore, il est vrai, noble prince.--Cousin, tu n'avais pas coutume
d'avoir l'esprit si lent. Faut-il que je te parle ouvertement? Je désire
la mort de ces bâtards, et je voudrais voir la chose exécutée
sur-le-champ. Que dis-tu, maintenant? Parle vite et en peu de mots.
BUCKINGHAM.--Votre Grâce peut tout ce qui lui plaît.
LE ROI RICHARD.--Allons, allons. Te voilà tout de glace: ton amitié se
refroidit. Parle, ai-je ton consentement à leur mort?
BUCKINGHAM.--Donnez-moi le temps de respirer: un moment de réflexion,
cher lord, avant que je vous donne là-dessus une réponse positive. Je
vais dans un instant satisfaire à la question de Votre Grâce.
(Buckingham sort.)
CATESBY, à part.--Le roi est offensé; voyez: il mord ses lèvres.
LE ROI RICHARD.--Je veux m'adresser à des têtes de fer, à quelqu'un de
ces gens qui vont sans y regarder. Quiconque examine les choses d'un
oeil si prudent n'est point mon homme.--L'ambitieux Buckingham devient
circonspect.--Page?
LE PAGE.--Seigneur?
LE ROI RICHARD.--Ne connais-tu point quelque homme que l'or corrupteur
puisse induire à se charger d'un secret exploit de mort?
LE PAGE.--Je connais un gentilhomme mécontent, dont l'humble fortune est
peu d'accord avec la hauteur de ses pensées. L'or vaut autant près de
lui que vingt orateurs; il le déterminera, je n'en doute point, à tout
faire.
LE ROI RICHARD.--Quel est son nom?
LE PAGE.--Son nom, seigneur, est Tyrrel.
LE ROI RICHARD.--Je connais un peu cet homme. Va, page, fais-le-moi
venir ici. (_Le page sort._) Cet habile et profond penseur de Buckingham
ne sera plus le confident de mes secrets. Quoi! il aura si longtemps
suivi mes pas sans se lasser, et il s'arrête à présent pour
respirer?--Eh bien, soit. (_Entre Stanley._) Eh bien, lord Stanley,
quelles nouvelles?
STANLEY.--Vous saurez, mon cher seigneur, que le marquis de Dorset, à ce
que j'apprends, s'est sauvé pour aller joindre Richmond dans le pays où
il s'est fixé.
LE ROI RICHARD.--Écoute, Catesby; répands dans le public que Anne, ma
femme, est dangereusement malade. Je pourvoirai à ce qu'elle se tienne
renfermée: cherche-moi quelque mince gentilhomme à qui je puisse marier
promptement la fille de Clarence. Pour le fils, il est imbécile[22], je
n'en ai pas peur.--Eh bien, à quoi rêves-tu? Je te le répète, fais
courir le bruit que Anne, ma femme, est malade, et qu'elle a bien l'air
d'en mourir. Occupe-toi de cela sur-le-champ: car il m'importe beaucoup
d'arrêter toutes les espérances qui pourraient se fortifier à mon
désavantage.--(_Catesby sort._) Il faut que j'épouse la fille de mon
frère, ou mon trône ne posera que sur un verre fragile.--Égorger ses
frères, et puis l'épouser! ce n'est pas là une route bien sûre pour y
parvenir. Mais me voilà entré si avant dans le sang, qu'il faut qu'un
crime chasse l'autre. La pitié larmoyante n'habita jamais dans ces yeux.
(_Entre le page avec Tyrrel._) T'appelles-tu Tyrrel?
[Note 22: Il ne devint imbécile qu'à la suite de la longue réclusion
qu'il subit d'abord sous Richard, puis sous Henri VII, et durant
laquelle son éducation fut entièrement négligée: Henri VII le fit
assassiner. La fille fut mariée à sir Richard Pole, et décapitée à la
Tour, à l'âge de soixante-dix ans, par l'ordre de Henri VIII sans forme
de procès, et sans autre crime que ses droits à la couronne.]
TYRREL.--James Tyrrel, votre dévoué sujet.
LE ROI RICHARD.--L'es-tu en effet?
TYRREL.--Mettez-moi à l'épreuve, mon gracieux seigneur.
LE ROI RICHARD.--Oseras-tu te charger de tuer un de mes amis?
TYRREL.--Comme il vous plaira: mais j'aimerais mieux tuer deux de vos
ennemis.
LE ROI RICHARD.--Eh bien, c'est cela même. Deux mortels ennemis
contraires à mon repos, et qui me privent des douceurs du sommeil: voilà
ceux sur qui je voudrais te faire opérer. Tyrrel, c'est des bâtards qui
sont dans la Tour que je te parle.
TYRREL.--Donnez-moi les moyens d'arriver jusqu'à eux, et je vous aurai
bientôt délivré de la crainte qu'ils vous inspirent.
LE ROI RICHARD.--Tu chantes sur un ton qui me plaît.--Écoute,
approche-toi, Tyrrel. Va, muni de ce gage; lève-toi, et approche ton
oreille: (_il lui parle bas_) voilà tout.--Viens me dire: C'est fait; et
je t'aimerai, je t'avancerai.
TYRREL.--Je vais dépêcher l'affaire sur-le-champ.
(Il sort.)
(Rentre Buckingham.)
BUCKINGHAM.--Mon prince, j'ai examiné en moi la proposition sur laquelle
vous m'avez sondé dernièrement.
LE ROI RICHARD.--Fort bien, n'en parlons plus.--Dorset est en fuite; il
est allé joindre Richmond.
BUCKINGHAM.--C'est ce que je viens d'apprendre, seigneur.
LE ROI RICHARD.--Stanley, Richmond est le fils de votre femme.--Vous
m'entendez; ayez l'oeil à cela.
BUCKINGHAM.--Mon prince, je réclame le don auquel j'ai droit en vertu de
la promesse que vous m'en avez faite sur votre honneur et votre foi...
Le comté de Hereford avec toutes ses mouvances, dont vous m'avez promis
la possession.
LE ROI RICHARD.--Stanley, veillez sur votre femme: si elle entretient
quelque correspondance de lettres avec Richmond, vous m'en répondrez.
BUCKINGHAM.--Que dit Votre Majesté de ma juste requête?
LE ROI RICHARD.--Je me le rappelle: Henri VI a prédit que Richmond
serait roi; et cela, lorsque Richmond n'était encore qu'un
polisson.--Roi!--Peut-être...
BUCKINGHAM.--Seigneur...
LE ROI RICHARD.--Et comment arrive-t-il que ce prophète ne m'ait pas dit
en même temps, à moi qui étais là, que je le tuerais?
BUCKINGHAM.--Seigneur, votre promesse de ce comté...
LE ROI RICHARD.--Richmond!... La dernière fois que j'ai passé par
Exeter, le maire eut la complaisance de me faire voir le château, qu'il
appela Rougemont! A ce nom, je frémis, en me rappelant qu'un barde
irlandais m'avait dit un jour que je ne vivrais pas longtemps après
avoir vu Richmond.
BUCKINGHAM.--Seigneur...
LE ROI RICHARD.--Ah! quelle heure est-il?
BUCKINGHAM.--J'ose prendre la liberté de rappeler à Votre Grâce la
promesse qu'elle m'a faite.
LE ROI RICHARD.--Bien; mais, quelle heure est-il?
BUCKINGHAM.--Le coup de dix heures est prêt à frapper.
LE ROI RICHARD.--Eh bien! laisse-le frapper.
BUCKINGHAM.--Pourquoi me dites-vous: Laisse-le frapper?
LE ROI RICHARD.--Parce que, comme une figure d'horloge, tu as tenu le
coup en suspens entre ta demande et mes réflexions. Je ne suis pas
aujourd'hui dans mon humeur donnante.
BUCKINGHAM.--Dites-moi donc, décidément, si je dois compter ou non sur
votre promesse.
LE ROI RICHARD.--Tu m'importunes: je ne suis pas en train de donner[23].
(Sort Richard avec sa suite.)
[Note 23: Il paraîtrait que le comté d'Hereford fut donné à Buckingham,
et que ce furent d'autres causes qui le brouillèrent avec Richard.]
BUCKINGHAM.--Oui? En est-il ainsi? Est-ce d'un tel mépris qu'il veut
payer mes importants services? Est-ce pour cela que je l'ai fait roi?
Oh! souvenons-nous de Hastings, et fuyons vers Brecknock, tandis que
cette tête tremblante est encore sur mes épaules.
(Il sort.)
SCÈNE III
_Entre_ TYRREL.
TYRREL.--L'acte sanglant et tyrannique est consommé; l'action la plus
perfide, le massacre le plus horrible dont cette terre se soit jamais
rendue coupable! Dighton et Forrest, que j'ai gagnés pour exécuter cette
impitoyable scène de boucherie, des scélérats endurcis, des chiens
sanguinaires, tout pénétrés d'attendrissement et d'une douce pitié, ont
pleuré comme deux enfants en me faisant le triste récit de leur mort.
«C'est ainsi, me disait Dighton, qu'étaient couchés ces aimables
enfants.»--«Ils se tenaient ainsi, disait Forrest, se tenant
mutuellement dans leurs bras innocents et blancs comme l'albâtre; leurs
lèvres semblaient quatre roses rouges sur une seule tige, qui, dans leur
beauté d'été, se baisaient l'une l'autre. Un livre de prières était posé
sur leur oreiller: cette vue, dit Forrest, a, pendant un moment, presque
changé mon âme. Mais, oh! le démon...» Le scélérat s'est arrêté à ce
mot, et Dighton a continué: «Nous avons étouffé le plus parfait, le plus
charmant ouvrage que la nature ait jamais formé depuis la création!» Ils
m'ont quitté tous deux si pénétrés de douleur et de remords qu'ils ne
pouvaient parler; et je les ai laissés aller pour venir apporter cette
nouvelle à notre roi sanguinaire.--Ah! le voilà. (_Entre le roi
Richard._) Salut à mon souverain seigneur.
LE ROI RICHARD.--Eh bien, cher Tyrrel, vais-je être heureux par ta
nouvelle?
TYRREL.--Si l'exécution de l'acte dont vous m'avez chargé doit enfanter
votre bonheur, soyez donc heureux, car il est consommé.
LE ROI RICHARD.--Mais les as-tu vus morts?
TYRREL.--Oui, seigneur.
LE ROI RICHARD.--Et enterrés, cher Tyrrel?
TYRREL.--Le chapelain de la Tour les a enterrés; mais pour vous dire où,
j'avoue que je ne le sais pas.
LE ROI RICHARD.--Reviens me trouver, cher Tyrrel, immédiatement après
mon souper, et tu me conteras alors toutes les circonstances de leur
mort... En attendant, ne t'occupe qu'à chercher dans ta pensée comment
je pourrais te faire du bien, et sois sûr de l'accomplissement de tes
désirs.--Adieu jusqu'à tantôt.
TYRREL.--Je prends humblement congé de vous.
(Il sort.)
LE ROI RICHARD.--Je vous ai bien enfermé le fils de Clarence; j'ai marié
sa fille en bas lieu. Les fils d'Édouard dorment dans le sein d'Abraham,
et ma femme Anne a souhaité le bonsoir à ce bas monde. A présent, comme
je sais que Richmond de Bretagne a des vues sur la jeune Élisabeth, la
fille de mon frère, et qu'à la faveur de ce noeud il forme des projets
ambitieux sur la couronne, je vais la trouver, et lui faire ma cour en
amant heureux et galant.
(Entre Catesby.)
CATESBY.--Mon prince....
LE ROI RICHARD.--Sont-ce de bonnes ou de mauvaises nouvelles que tu
m'apportes si brusquement?
CATESBY.--Mauvaises, mon prince. Morton[24] s'est enfui vers Richmond;
et Buckingham, soutenu par les intrépides Gallois, est en campagne; ses
forces s'accroissent à chaque instant.
[Note 24: L'évêque d'Ély.]
LE ROI RICHARD.--Ély, joint à Richmond, m'inquiète bien plus que
Buckingham et sa troupe ramassée à la hâte.--Allons, on m'a appris que
les réflexions que l'on fait sur le danger sont les pesants auxiliaires
du paresseux délai, et que le délai conduit après lui l'impotente
indigence au pas de tortue. Volons donc sur les ailes de la rapidité,
prompte comme la flamme, messagère de Jupiter, et faite pour être le
héraut d'un roi! Partons, assemblons une armée.--Mon bouclier est mon
conseil: il faut abréger, quand les traîtres osent se mettre en
campagne.
(Ils sortent.)
SCÈNE IV
Toujours à Londres.--Devant le palais.
MARGUERITE.
MARGUERITE.--Ainsi leur prospérité touche à sa maturité; elle va tomber
bientôt dans la bouche pourrie de la mort. J'ai erré secrètement à
l'entour de ces lieux pour observer la ruine de mes ennemis. Je suis
témoin d'un sinistre début, et je repasserai en France avec l'espoir que
les scènes qui vont suivre seront aussi funestes, aussi cruelles, aussi
tragiques.--Éloigne-toi, malheureuse Marguerite, quelqu'un approche.
(Entrent la reine Élisabeth et la duchesse d'York.)
ÉLISABETH.--Ah! mes pauvres princes! mes tendres enfants, fleurs non
encore épanouies, douces plantes qui ne veniez que d'apparaître; si vos
âmes chéries volent encore dans les airs, si un éternel arrêt n'a pas
fixé votre séjour, planez autour de moi sur vos ailes invisibles, et
écoutez les gémissements de votre mère.
MARGUERITE.--Oui, planez autour d'elle; dites-lui que c'est la justice
vengeresse du droit qui a couvert votre matin naissant des ombres de la
vieille nuit.
LA DUCHESSE.--Tant de douleurs ont usé ma voix; que ma langue, fatiguée
de se plaindre, reste immobile et muette.--Édouard Plantagenet, hélas!
pourquoi as-tu cessé de vivre?
MARGUERITE.--Plantagenet a vengé Plantagenet; Édouard a payé à Édouard
sa dette de mort.
ÉLISABETH.--As-tu pu, ô Dieu! abandonner ces tendres agneaux, et les
jeter dans les entrailles du loup dévorant? Où dormais-tu lorsqu'on a
commis cet attentat?
MARGUERITE.--Lorsque moururent le pieux Henri et mon cher fils.
LA DUCHESSE.--Vie morte, vue aveugle, pauvre spectre vivant et mortel,
spectacle de misères, opprobre du monde, propriété du tombeau, qu'usurpe
la vie, abrégé et monument de jours lamentables, repose ton corps sans
repos sur cette terre des lois, enivrée, contre toutes les lois, du sang
de l'innocence.
(Elle s'assied à terre.)
ÉLISABETH.--O terre! que ne peux-tu m'offrir un tombeau, comme tu peux
m'offrir un triste siége? Je voudrais, non reposer mes os sur ta
surface, mais les cacher dans ton sein. Ah! qui a sujet de pleurer que
nous seules?
(Elle s'assied à terre à côté de la duchesse.)
MARGUERITE.--Si la plus ancienne douleur est la plus respectable, cédez
donc à la mienne l'avantage de la prééminence; et laissez mes douleurs
étaler les premières leur sombre visage. Si la douleur peut admettre
quelque société (_elle s'assied à terre à côté des autres_), que la vue
de mes maux vous répète les vôtres. J'avais un Édouard avant que Richard
le tuât! J'avais un époux avant que Richard le tuât! Tu avais un Édouard
avant que Richard le tuât! Tu avais un Richard avant que Richard le
tuât!
LA DUCHESSE.--J'avais aussi un Richard et tu l'as tué! J'avais aussi un
Rutland et tu as aidé à le tuer!
MARGUERITE.--Tu avais aussi un Clarence, et Richard l'a tué! De ton
ventre est sorti rampant, comme de son repaire, ce chien d'enfer qui
nous poursuit tous à mort. Ce dogue qui eut des dents avant d'ouvrir les
yeux, pour déchirer les faibles agneaux, et lécher leur sang innocent;
cet odieux destructeur de l'oeuvre de Dieu, ce tyran par excellence, le
premier entre ceux de la terre, dont la puissance s'emploie à régner sur
des yeux fatigués de larmes, c'est ton sein qui l'a déchaîné, pour nous
donner la chasse jusqu'à notre tombeau. O Dieu juste, équitable et
fidèle dispensateur! combien je te remercie de ce que ce chien acharné
dévore le fruit des entrailles de sa mère, et l'associe aux gémissements
des autres!
LA DUCHESSE.--O femme de Henri, ne triomphe point de mes maux; Dieu
m'est témoin que j'ai pleuré sur les tiens!
MARGUERITE.--Pardonne-moi. Je suis affamée de ma vengeance, et je me
repais à la contempler. Ton Édouard est mort, qui avait tué le mien; ton
autre Édouard est mort aussi pour payer mon Édouard. Le jeune York ne
sert que d'appoint à la vengeance, car les deux autres ne pouvaient
ensemble égaler en perfection l'excès de ma perte. Il est mort, ton
Clarence qui avait poignardé mon Édouard, et avec lui les spectateurs de
cette scène tragique, l'adultère Hastings, Rivers, Vaughan et Grey sont
tous prématurément engloutis dans leurs ténébreux tombeaux. Richard seul
est vivant, noir affidé de l'enfer, réservé comme son agent pour acheter
des âmes, et les lui envoyer. Mais bientôt, bientôt approche sa fin
pitoyable et qui sera vue sans pitié. La terre s'ouvre béante, l'enfer
flambe, les démons rugissent, les saints prient, tous demandent qu'il
disparaisse précipitamment de ce monde.--Cher Dieu, déchire, je t'en
conjure, le bail de sa vie, afin que je puisse vivre assez, pour dire:
Le chien est mort!
ÉLISABETH.--Ah! tu m'avais prédit qu'un temps viendrait, où
j'implorerais ton secours pour m'aider à maudire cette araignée au large
ventre, cet odieux crapaud bossu.
MARGUERITE.--Je t'appelais alors une vaine image de ma grandeur, un
pauvre fantôme, une reine en peinture, pure représentation de ce que
j'avais été, l'annonce flatteuse d'un horrible spectacle, une femme
élevée sur le faîte pour en être précipitée, mère seulement par dérision
de deux beaux enfants, le songe de ce que tu semblais être, une
brillante enseigne destinée à servir de but aux coups les plus
dangereux, une reine de théâtre faite uniquement pour remplir la scène.
Où est ton mari, maintenant? où sont tes frères? où sont tes deux fils?
De quoi te réjouis-tu? qui vient te prier à genoux, et te dire: Dieu
conserve la reine? Où sont ces pairs qui venaient te flatter, courbés
devant toi? où est ce peuple qui suivait en foule tes pas? Renonce à
tout cela et vois ce que tu es aujourd'hui; non plus une épouse
heureuse, mais une veuve dans la détresse; non plus une mère joyeuse,
mais une mère qui en déplore le nom; non plus celle qu'on supplie, mais
une humble suppliante; non plus une reine, mais une misérable, couronnée
de maux; non plus celle qui me méprisait, mais celle qui endure mes
mépris; non plus celle que tous redoutaient, mais celle qui en redoute
un autre; non plus celle qui commandait à tous, mais celle à qui
personne n'obéit. C'est ainsi que la roue de la justice a fait sa
révolution, et t'a laissée la proie du temps, sans autre bien que le
souvenir de ce que tu fus, pour te faire un plus grand tourment de ce
que tu es. Tu usurpas ma place, et tu ne prendrais pas la part qui te
revient de mes maux! Maintenant ton cou superbe porte la moitié du joug
appesanti sur moi, et, le laissant glisser de dessus ma tête fatiguée,
j'en rejette sur toi le fardeau tout entier. Adieu, femme d'York, reine
des tristes infortunes! Ces maux de l'Angleterre me feront sourire en
France.
ÉLISABETH.--O toi, si habile à maudire, arrête encore un moment, et
enseigne-moi à maudire mes ennemis.
MARGUERITE.--Laisse passer tes nuits sans sommeil et tes jours sans
nourriture, compare ton bonheur éteint avec tes vivantes douleurs,
représente-toi tes enfants plus charmants qu'ils ne l'étaient, et celui
qui les a tués plus affreux qu'il ne l'est, embellis ce que tu as perdu,
pour te rendre plus odieux celui qui a causé tes pertes, sois sans cesse
à retourner toutes ces pensées, et tu apprendras à maudire.
ÉLISABETH.--Mes paroles sont sans force: anime-les de l'énergie des
tiennes.
MARGUERITE.--Tes douleurs les aiguiseront et les rendront pénétrantes
comme les miennes.
(La reine Marguerite sort.)
LA DUCHESSE.--Le malheur est-il donc si plein de discours?
ÉLISABETH.--Bruyants avocats de la douleur qui les charge de sa plainte,
vains héritiers d'un bonheur qui n'a rien laissé après lui, tristes
orateurs exhalant nos misères, que la liberté leur soit laissée, bien
qu'ils ne puissent nous donner aucune autre assistance que de soulager
le coeur.
LA DUCHESSE.--S'il en est ainsi, n'enchaîne point ta langue: suis-moi;
et de l'amertume qu'exhaleront nos paroles, suffoquons mon détestable
fils qui a étouffé tes deux aimables enfants. (_Tambours derrière le
théâtre._) J'entends les tambours. N'épargne pas les imprécations.
(Entrent le roi Richard et sa suite au pas de marche.)
LE ROI RICHARD.--Qui ose m'arrêter dans ma marche guerrière?
LA DUCHESSE.--Celle qui aurait pu, en t'étouffant dans son sein maudit
de Dieu, t'épargner tous les meurtres que tu as commis, misérable que tu
es.
ÉLISABETH.--Oses-tu bien couvrir de cette couronne d'or ce front où
devraient être gravés avec un fer chaud, si l'on te faisait justice, le
meurtre d'un prince qui possédait cette couronne, et le massacre de mes
pauvres enfants et de mes frères? Dis-moi, lâche scélérat, où sont mes
enfants?
LA DUCHESSE.--Crapaud, crapaud que tu es, où est ton frère Clarence, et
le petit Ned Plantagenet son fils?
LA REINE.--Que sont devenus les nobles Rivers, Vaughan et Grey?
LA DUCHESSE.--Qu'as-tu fait du généreux Hastings?
LE ROI RICHARD.--Sonnez une fanfare, trompettes: tambours, battez
l'alarme! Que le ciel n'entende pas les rapports de ces femmes qui
accusent l'oint du Seigneur. Sonnez, vous dis-je. (_Fanfare, alarme._)
Modérez-vous, et parlez-moi sans invective, ou je vais continuer
d'étouffer le bruit de vos cris sous la voix bruyante de la guerre.
LA DUCHESSE.--Es-tu mon fils?
LE ROI RICHARD.--Oui, grâce à Dieu, à mon père et à vous.
LA DUCHESSE.--Écoute donc patiemment les expressions de ma colère.
LE ROI RICHARD.--Madame, je tiens de vous un caractère qui ne peut
supporter l'accent du reproche.
LA DUCHESSE.--Oh! laisse-moi parler.
LE ROI RICHARD.--Parlez, mais je ne vous entendrai pas.
LA DUCHESSE.--Je serai douce et modérée dans mes paroles.
LE ROI RICHARD.--Et brève, ma bonne mère, je suis pressé.
LA DUCHESSE.--Qui te presse si fort?.... Combien de temps t'ai-je
attendu, moi, Dieu le sait, dans les tourments et l'agonie?
LE ROI RICHARD.--Et ne suis-je pas enfin venu au monde vous consoler de
vos douleurs?
LA DUCHESSE.--Non; par la sainte croix, tu le sais bien: tu es venu sur
la terre pour me faire de la terre un enfer. Ta naissance fut un fardeau
douloureux pour ta mère; ton enfance fut chagrine et colère; les jours
de ton éducation effrayants, sauvages et furieux. Ta première jeunesse
fut téméraire, audacieuse, cherchant les dangers; et dans l'âge qui l'a
suivit, tu fus orgueilleux, subtil, faux et sanguinaire, tu devins plus
calme, mais plus dangereux, et caressant dans ta haine. Quelle heure de
consolation, dis-moi, ai-je jamais goûtée dans ta société?
LE ROI RICHARD.--Par ma foi aucune, si ce n'est l'heure d'Humphroy[25],
qui vous appela une fois à déjeuner pendant que vous étiez avec moi.--Si
ma vue vous est si désagréable, laissez-moi continuer ma marche, madame,
et cesser de vous déplaire.--Battez, tambours.
[Note 25: Il paraîtrait que l'heure d'Humphroy, c'était l'heure où l'on
avait faim. _Dîner_ avec le duc Humphroy était en Angleterre une
expression proverbiale qui signifiait se passer de dîner. Une des ailes
de l'ancienne église de Saint-Paul s'appelait la promenade du duc
Humphroy, et c'était là, à ce qu'il paraît, que se promenaient, à
l'heure du dîner, ceux qui, n'ayant pas trop de quoi dîner chez eux,
espéraient peut-être y rencontrer quelqu'un qui les invitât: le proverbe
est-il venu de là, ou bien le nom de la promenade est-il venu du
proverbe, c'est ce qu'on ne saurait éclaircir.]
LA DUCHESSE.--Je t'en prie, écoute-moi.
LE ROI RICHARD.--Vous me parlez avec trop d'aigreur.
LA DUCHESSE.--Un mot encore, c'est la dernière fois que tu m'entendras.
LE ROI RICHARD.--Eh bien?
LA DUCHESSE.--Ou par le juste jugement de Dieu tu périras dans cette
guerre avant de la pouvoir terminer en vainqueur, ou je mourrai de
douleur et de vieillesse, et jamais je ne reverrai ton visage. Emporte
donc avec toi mes plus pesantes malédictions, et puissent-elles, au jour
du combat, t'accabler d'un plus lourd fardeau que l'armure complète dont
tu es revêtu! Mes prières combattent pour tes adversaires: les jeunes
âmes des enfants d'Édouard animeront le courage de tes ennemis, et leur
murmureront à l'oreille des promesses de succès et de victoire. Tu es
sanguinaire, ta fin sera sanglante; et l'infamie accompagne ta vie et
suivra la mort.
(Elle sort.)
ÉLISABETH.--Avec bien plus de sujets de te maudire je n'ai pas, autant
qu'elle, la force nécessaire; mais je réponds: Amen. (Elle va pour
s'éloigner.)
LE ROI RICHARD.--Arrêtez, madame: j'ai un mot à vous dire.
ÉLISABETH.--Je n'ai plus de fils du sang royal que tu puisses
assassiner. Pour mes filles, Richard, j'en ferai des religieuses
consacrées à la prière, et non des reines dans les pleurs. Ne cherche
donc pas à les frapper.
LE ROI RICHARD.--Vous avez une fille appelée Élisabeth, belle et
vertueuse, une princesse charmante.
ÉLISABETH.--Et faut-il qu'elle meure pour cela? Oh! laisse-la vivre! Je
corromprai ses moeurs, je flétrirai sa beauté; je me déshonorerai
moi-même, en m'accusant d'infidélité à la couche d'Édouard, et je
jetterai sur elle un voile d'infamie. Qu'à ce prix elle vive à l'abri du
poignard sanglant: je déclarerai qu'elle n'est pas fille d'Édouard.
LE ROI RICHARD.--Ne faites point affront à sa naissance, elle est du
sang royal.
ÉLISABETH.--Pour sauver ses jours, je consens à dire qu'elle n'en est
pas.
LE ROI RICHARD.--Sa naissance seule suffit pour les garantir.
ÉLISABETH.--Eh! c'est seulement à cause de cette garantie que sont morts
ses frères.
LE ROI RICHARD.--Tenez, les étoiles protectrices s'étaient montrées
contraires à leur naissance.
ÉLISABETH.--Non, mais de perfides protecteurs[26] ont été contraires à
leur existence.
LE ROI RICHARD.--Tout ce qui n'a pu être évité était l'arrêt de la
destinée.
ÉLISABETH.--Oui, quand celui qui évite les chemins de la grâce fait la
destinée. Mes enfants étaient destinés à une mort plus heureuse, si la
grâce du ciel t'avait accordé une vie plus vertueuse.
LE ROI RICHARD.--On dirait que c'est moi qui ai tué mes neveux.
ÉLISABETH.--Tes neveux! et c'est bien en effet[27] par leur oncle qu'ils
ont perdu le bonheur, la couronne, leurs parents, la liberté, la vie.
Quelles que soient les mains qui percèrent leurs tendres coeurs, c'est
ta tête qui indirectement a dirigé le coup. Il n'est pas douteux que le
poignard meurtrier ne soit demeuré impuissant et émoussé jusqu'au moment
où il a été aiguisé sur ton coeur de pierre, pour s'enfoncer à plaisir
dans les entrailles de mes agneaux. Ah! si l'habitude de la douleur n'en
calmait pas les emportements, ma langue ne nommerait point mes enfants à
ton oreille, que mes ongles ne fussent plantés dans tes yeux, et que
moi, lancée dans ce golfe désespéré de la mort, pauvre barque à qui l'on
a enlevé ses voiles et ses cordages, je ne me fusse brisée en morceaux
sur ton sein de roche.
[Note 26: Shakspeare met en opposition dans les deux répliques _good
stars_ (bonnes étoiles) et _bad friends_ (mauvais amis), ce qu'il a
fallu tâcher de rendre par l'opposition des étoiles protectrices et des
perfides protecteurs.]
[Note 27:
_You speak as if I had slain my cousins;_
_--Cousins indeed, and by their uncle cozen'd,_
_Of kingdom, comfort, etc., etc._
Vous parlez comme si j'avais tué mes cousins. _Cousins en effet, et
filoutés (cozen'd) par leur oncle, de leur royaume, de leur bonheur_,
etc., etc. Ce jeu de mots était impossible à rendre en français.]
LE ROI RICHARD.--Madame, puissé-je réussir dans mon entreprise, et dans
les généreux hasards d'une guerre sanglante, comme il est vrai que je
vous veux plus de bien, et à vous et aux vôtres, que je ne vous ai
jamais fait de mal, ni à vous, ni à vos enfants!
ÉLISABETH,--Eh! quel bien peut-on encore apercevoir sous la face du ciel
qui puisse être un bien pour moi?
LE ROI RICHARD.--L'élévation de vos enfants, noble dame.
ÉLISABETH.--Sur quelque échafaud pour y perdre leurs têtes.
LE ROI RICHARD.--Non, mais aux dignités et au faîte de la fortune, pour
y être le type souverain des gloires de la terre.
ÉLISABETH.--Flatte ma douleur d'un pareil tableau. Dis-moi, quels
honneurs, quelles dignités, quelle fortune tu peux abandonner à aucun de
mes enfants?
LE ROI RICHARD.--Tout ce que j'en possède, et moi avec, je veux le
donner à un de tes enfants. Noie donc dans l'oubli de ton âme irritée le
triste souvenir des maux que tu supposes que je t'ai faits.
ÉLISABETH.--Explique-toi donc en peu de mots, de crainte que le récit de
tes projets bienveillants ne dure plus longtemps que ta bonne volonté.
LE ROI RICHARD.--Sache donc que j'aime ta fille de toute la tendresse de
mon âme.
ÉLISABETH.--La mère de ma fille le pense ainsi du fond de son âme.
LE ROI RICHARD.--Eh bien, que pensez-vous?
ÉLISABETH.--Que tu aimes ma fille de toute la tendresse de ton âme,
comme tu aimas ses frères avec tout ce que tu as de tendresse dans
l'âme, et comme je t'en remercie avec toute la tendresse que j'ai pour
toi[28].
[Note 28: Richard a dit à Élisabeth:
_Then know that from my soul I love thy daughter._
Élisabeth lui répond:
_My daughter's mother thinks it with her soul_.
_From_, en anglais, se met après les verbes de mouvement, et peut
signifier loin de, comme _go thou from my sight_, éloigne-toi de ma vue.
Ainsi, dans le langage d'équivoque que Shakspeare durant toute cette
scène a donné à Élisabeth, _from my soul I love thy daughter_, peut
également signifier j'aime ta fille de toute mon âme, ou bien _j'aime ta
fille loin de mon âme_. C'est dans ce dernier sens que le prend
Élisabeth, et c'est sur cette équivoque que roule le dialogue, jusqu'à
ces mots de Richard: _Ne soyez pas si prompte_. Il était impossible de
le rendre en français sans s'écarter un peu du sens littéral.]
LE ROI RICHARD.--Ne soyez pas si prompte à mal interpréter mes paroles.
Oui, je veux dire que j'aime votre fille de toute mon âme, et je me
propose de la faire reine d'Angleterre.
ÉLISABETH.--Et dis-moi, quel est celui que tu te proposes de lui donner
pour roi?
LE ROI RICHARD.--Celui qui la fera reine: quel autre pourrait-ce être?
ÉLISABETH.--Qui, toi?
LE ROI RICHARD.--Moi, oui, moi-même; qu'en pensez-vous, madame?
ÉLISABETH.--Eh! comment pourras-tu lui faire ta cour?
LE ROI RICHARD.--C'est ce que je désirerais apprendre de vous, comme de
la personne la mieux instruite de ses penchants.
ÉLISABETH.--Veux-tu l'apprendre de moi?
LE ROI RICHARD.--Oui, madame; c'est le désir de mon coeur.
ÉLISABETH.--Envoie-lui, par celui qui a tué ses frères, deux coeurs
sanglants, où tu auras fait graver les noms d'_Édouard_ et d'_York_,
peut-être, en les voyant, elle pleurera: alors présente-lui un mouchoir,
comme autrefois Marguerite présenta à ton père un linge trempé dans le
sang de Rutland. Dis-lui qu'il a essuyé le sang vermeil qui coulait du
corps de ses frères chéris, et invite-la à s'en servir pour sécher les
larmes de ses yeux. Si cela ne suffit pas pour l'engager à t'aimer,
envoie-lui dans une lettre le détail de tes nobles exploits: dis-lui que
c'est toi qui as fait périr son oncle Clarence, son oncle Rivers; et que
de plus, à sa considération, tu as promptement dépêché sa bonne tante
Anne.
LE ROI RICHARD.--Vous vous moquez de moi, madame: ce n'est pas là le
moyen de gagner le coeur de votre fille.
ÉLISABETH.--Je n'en connais point d'autre, à moins que tu ne puisses
emprunter quelque autre figure, et n'être plus le Richard qui a fait
tout cela.
LE ROI RICHARD.--Dites-lui que j'ai fait tout cela par amour pour elle.
ÉLISABETH.--Vraiment, alors, elle ne peut manquer de t'aimer, après que
tu as acheté son amour au prix d'un si sanglant butin.
LE ROI RICHARD.--Écoutez: ce qui est fait ne peut se réparer. L'homme
commet quelquefois sans réflexion des actions dont ensuite il a le temps
de se repentir. Si j'ai ravi le royaume à vos fils, je veux, en
réparation, le donner à votre fille; si j'ai fait périr les fruits de
votre sein, je veux, pour ressusciter votre postérité, me donner avec
votre fille une postérité formée de votre sang. Le nom d'aïeule n'est
guère moins doux que le tendre nom de mère: ce seront également vos
enfants; plus éloignés seulement d'un degré, ils tiendront de même de
vous: ce sera votre sang; une même douleur les aura mis au monde, en y
ajoutant seulement une nuit de souffrances qu'endurera celle pour qui
vous avez subi la même peine. Vos enfants ont fait le malheur de votre
jeunesse; les miens feront la consolation de votre vieillesse. La perte
que vous regrettez n'est autre que celle d'un fils roi, et par cette
perte, votre fille va devenir reine. Je ne puis vous donner tous les
dédommagements que je voudrais, acceptez donc les offres qui sont en ma
puissance. Dorset, votre fils, qui, l'âme remplie de crainte, a porté
ses pas mécontents dans une terre étrangère, aussitôt rappelé, va se
voir porter par cette heureuse alliance aux plus hautes dignités et à la
plus brillante fortune. Le roi, qui nommera votre charmante fille son
épouse, donnera familièrement à votre Dorset le titre de frère: vous
serez encore la mère d'un roi, et tous les ravages d'un temps de malheur
seront bientôt réparés par un double trésor de jouissances. Quoi! nous
pouvons voir couler encore une foule de jours heureux. Chaque goutte des
pleurs que vous avez versés peut vous revenir changée en perle d'Orient,
et payée avec usure par les avantages d'un bonheur dix fois redoublé. Va
donc, ma mère, va trouver ta fille; enhardis, par ton expérience, sa
timide jeunesse; dispose son oreille à entendre les voeux d'un amant;
enflamme son tendre coeur du désir ambitieux de la brillante
souveraineté; révèle à la princesse la douceur de ces heures
silencieuses des joies du mariage; et, sitôt que mon bras aura châtié ce
petit rebelle, cet écervelé de Buckingham, je reviendrai couvert de
lauriers triomphants, et conduirai ta fille à la couche d'un vainqueur:
c'est à elle que je ferai hommage de mes succès et de mes conquêtes; à
elle seule appartiendra la victoire; elle sera le César du César.
ÉLISABETH.--Que pourrais-je lui dire?... Que le frère de son père
voudrait être son époux? ou lui dirai-je son oncle? ou bien celui qui a
tué ses frères et ses oncles? Sous quel titre lui annoncer tes désirs,
que Dieu, que les lois, mon honneur et son amour puissent rendre
agréable à sa tendre jeunesse?
LE ROI RICHARD.--Montrez-lui cette alliance donnant la paix à la belle
Angleterre.
ÉLISABETH.--Mais elle l'achèterait aux dépens de ses troubles éternels.
LE ROI RICHARD.--Dites-lui que le roi, qui pourrait commander, la
supplie.
ÉLISABETH.--De consentir à ce que défend le Roi des rois.
LE ROI RICHARD.--Dites-lui qu'elle sera une grande et puissante reine.
ÉLISABETH.--Pour en déplorer le titre comme fait sa mère.
LE ROI RICHARD.--Dites-lui que je l'aimerai toujours.
ÉLISABETH.--Mais combien de temps ce mot toujours conservera-t-il
quelque valeur?
LE ROI RICHARD.--Autant que durera sa belle vie, et toujours aussi
tendre.
ÉLISABETH.--Mais sincèrement, combien durera sa douce vie[29]?
[Note 29:
_Sweetly in force unto her fair life end;_
_--But how long fairly shall her sweet life last?_
Ce sont des oppositions qu'il faut renoncer à rendre en français.]
LE ROI RICHARD.--Aussi longtemps que le ciel et la nature la
prolongeront.
ÉLISABETH.--Aussi longtemps que l'enfer et Richard le trouveront bon.
LE ROI RICHARD.--Dites-lui que moi, son souverain, je suis son humble
sujet.
ÉLISABETH.--Mais elle, votre sujette, abhorre une pareille souveraineté.
LE ROI RICHARD.--Employez votre éloquence en ma faveur.
ÉLISABETH.--Une proposition honnête réussit mieux exposée simplement.
LE ROI RICHARD.--Eh bien, annoncez-lui simplement l'offre de mon amour.
ÉLISABETH.--Dire simplement ce qui n'est pas honnête, cela est par trop
grossier.
LE ROI RICHARD.--Vos raisonnements sont superficiels et par trop
recherchés.
ÉLISABETH.--Oh! non, mes raisons sont trop profondes et trop
naturelles[30]. Mes pauvres enfants sont trop profondément et trop
réellement ensevelis dans leurs tombeaux.
[Note 30:
_Your reasons are too shallow and too quick._
_--Oh no! my reasons are too deep and dead._
]
LE ROI RICHARD.--Ne touchez point cette corde, madame; cela est passé.
ÉLISABETH.--Je la toucherai tant qu'il restera dans mon coeur une corde
sensible.
LE ROI RICHARD.--Oui, par mon saint George, par ma jarretière, par ma
couronne....
ÉLISABETH.--Tu as profané l'un, déshonoré l'autre, usurpé la troisième.
LE ROI RICHARD.--Je jure....
ÉLISABETH.--Sur rien, ce n'est point là un serment: ton saint George
profané a perdu sa sainte dignité; ta jarretière ternie est dépouillée
de sa vertu chevaleresque; ta couronne usurpée est déshonorée dans sa
gloire: si tu veux faire un serment qui te lie et que je croie, jure
donc par quelque chose que tu n'aies pas outragé.
LE ROI RICHARD.--Eh bien, par l'univers....
ÉLISABETH.--Il est plein de tes odieux forfaits.
LE ROI RICHARD.--Par la mort de mon père.
ÉLISABETH.--Ta vie l'a déshonorée.
LE ROI RICHARD.--Par moi-même.
ÉLISABETH.--Tu t'es avili toi-même.
LE ROI RICHARD.--Enfin, par le nom de Dieu.
ÉLISABETH.--Dieu a été le plus offensé de tous. Si tu avais craint de
violer un serment fait au nom de Dieu, l'union que le roi ton frère
avait formée n'aurait pas été rompue ni mon frère égorgé. Si tu avais
craint de violer un serment fait au nom de Dieu, cet or, signe du
pouvoir, qui entoure maintenant ta tête, aurait décoré le jeune front de
mon enfant; et je verrais ici vivants les deux princes qui, maintenant,
tendres camarades couchés ensemble dans la poussière du tombeau[31],
sont par la violation de ta foi devenus la proie des vers. Par quoi
peux-tu jurer aujourd'hui?
[Note 31:
_Too deep and dead poor infants in their graves._
Encore des oppositions impossibles à rendre tout à fait, même en
s'écartant un peu du sens littéral.]
LE ROI RICHARD.--Par l'avenir.
ÉLISABETH.--Tu l'as outragé dans le passé, et moi-même j'ai encore bien
des larmes à verser dans l'avenir pour le passé rempli de tes crimes.
Les enfants dont tu as massacré les parents passent une jeunesse sans
conseils et sans guides qu'ils déploreront dans la suite de l'âge; les
parents dont tu as égorgé les enfants vivent aujourd'hui, plantes
stériles et desséchées, pour passer leur vieillesse dans les pleurs. Ne
jure point par l'avenir; tu en as abusé avant de pouvoir en user, par le
mauvais usage que tu as fait du passé.
LE ROI RICHARD.--Comme il est vrai que je désire prospérer, je veux tout
réparer, et puissé-je à ce seul prix réussir dans l'entreprise
dangereuse que je vais tenter contre mes ennemis en armes! Que je sois
moi-même l'artisan de ma ruine! Que le ciel et la fortune ne m'accordent
plus un instant de bonheur! Jour, refuse-moi ta lumière; nuit,
refuse-moi ton doux repos: que tous les astres propices deviennent
contraires à mes desseins si ce n'est pas avec l'amour le plus pur, le
dévouement le plus vertueux et les pensées les plus saintes, que
j'adresse mes voeux à ta belle et noble fille: c'est en elle qu'est
placé mon bonheur et le tien. Sans elle, je vois tomber sur moi, sur
vous, sur elle-même, sur l'Angleterre et sur une foule d'âmes
chrétiennes, la mort, la désolation, la ruine et la destruction. Tous
ces désastres ne peuvent être prévenus que par cet hymen: ainsi donc,
chère mère (car c'est le nom qu'il faut que je vous donne), plaidez
auprès d'elle la cause de mon amour; parlez-lui de ce que je serai, et
non pas de ce que j'ai été; ne lui parlez pas de mon mérite présent,
mais de celui que je veux acquérir. Insistez sur les nécessités de
l'État et des temps, et ne mettez pas de maussades obstacles à de grands
projets.
ÉLISABETH.--Me laisserai-je donc tenter ainsi par ce démon?
LE ROI RICHARD.--Oui, si ce démon vous tente pour le bien.
ÉLISABETH.--Faudra-t-il m'oublier moi-même, pour me revoir ce que
j'étais?
LE ROI RICHARD.--Oui, si le souvenir de ce que vous êtes vous nuit à
vous-même.
ÉLISABETH.--Mais tu as assassiné mes fils.