William Shakespear

Henri VI (1/3)
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(Il sort.)

LE FILS.--Mon père, ne vous inquiétez pas: je n'irai pas vous déranger
si je puis les découvrir.

(Les lords Salisbury et Talbot, sir Guillaume Glansdale, sir Thomas
Gargrave et autres paraissent sur la plate-forme d'une tour.)

SALISBURY.--Talbot, ma vie, ma joie, de retour ici! Et comment t'a-t-on
traité tant que tu as été prisonnier? Et par quels moyens as-tu obtenu
d'être relâché? Fais-moi ce récit, je t'en conjure, ici sur le plateau
de cette tour.

TALBOT.--Le duc de Bedford avait un prisonnier qu'on appelait le brave
seigneur Ponton de Saintrailles: j'ai été échangé contre lui. Mais
auparavant ils avaient voulu, par mépris, me troquer contre un homme
d'armes bien plus ignoble: moi, je l'ai refusé avec dédain et colère, et
j'ai demandé la mort plutôt que d'être estimé à si vil prix. Enfin j'ai
été racheté comme je le désirais.... Mais, oh! la pensée du traître
Fastolffe me déchire le coeur: je l'exécuterais de mes propres mains, si
je le tenais en ce moment en ma puissance.

SALISBURY.--Mais tu ne me dis pas comment tu as été traité.

TALBOT.--Accablé de brocards, d'insultes et d'épithètes ignominieuses.
Ils m'ont exposé sur la place publique d'un marché, pour servir de
spectacle à tout le peuple: «Voilà, disaient-ils, la terreur des
Français, l'épouvantail qui effraye nos enfants.» Alors je me suis
dégagé des officiers qui me conduisaient, et avec mes ongles j'arrachais
les pierres du pavé, pour les lancer aux spectateurs de mon opprobre.
Mon air menaçant a fait fuir les autres. Personne n'osait approcher,
craignant une mort soudaine. Ils ne me croyaient pas assez en sûreté
dans des murs de fer. Telle était la terreur que mon nom avait répandue
parmi eux, qu'ils s'imaginaient que je pourrais briser des barres
d'acier, et mettre en pièces des poteaux de diamant. Aussi avais-je une
garde des fusiliers les plus adroits qui se promenaient à toute minute
autour de moi; et si je bougeais seulement de mon lit, aussitôt ils me
couchaient en joue, prêts à me tirer au coeur.

SALISBURY.--Je suis au supplice d'entendre les tourments que tu as
essuyés; mais nous en serons bien vengés. Maintenant c'est l'heure du
souper à Orléans: ici, au travers de cette grille, je peux compter
chaque homme, et voir comment les Français fortifient leurs remparts.
Allons les observer: cette vue te récréera. Sir Thomas Gargrave, et
vous, sir Guillaume Glansdale, je veux savoir positivement votre avis
sur le lieu où il nous convient le mieux de diriger notre batterie.

GARGRAVE.--Je pense que c'est à la porte du nord, car c'est là que se
tiennent les nobles.

GLANSDALE.--Et moi, ici, au boulevard du pont.

TALBOT.--Autant que je puis voir, il faut affamer cette ville, et
l'affaiblir de plus en plus par de légères escarmouches.

(Un coup de canon part des remparts de la ville; Salisbury et Gargrave
tombent.)

SALISBURY.--O Dieu, aie pitié de nous, misérables pécheurs!

GARGRAVE.--O Dieu, aie pitié de moi, malheureux que je suis!

TALBOT.--Quel est ce coup qui vient si soudainement traverser nos
projets?--Parle, Salisbury.... si tu peux parler encore. Quelle est ta
blessure, modèle de tous les guerriers? Oh! un de tes yeux et ta joue
emportés! Tour maudite! Maudite et fatale main, qui as machiné ce coup
terrible! Salisbury, vainqueur dans treize batailles! lui qui forma
Henri V à la guerre! Tant que sonnait une trompette, ou que battait un
tambour, son épée ne cessait de frapper sur le champ de
bataille.--Respires-tu encore, Salisbury? Si tu n'as pas de voix, il te
reste du moins un oeil que tu peux lever vers le Ciel, pour implorer sa
miséricorde. Le soleil embrasse l'univers d'un seul regard. Ciel, ne
fais grâce à aucun mortel, si Salisbury ne l'obtient pas de
toi.--Enlevez son corps: je vais vous aider à l'ensevelir. Et toi,
Gargrave, respires-tu encore? Parle à Talbot: regarde-le.--Salisbury,
console ton âme par cette pensée: tu ne mourras point tant que.... Il me
fait signe de la main, et me sourit comme s'il me disait: «Quand je ne
serai plus, souviens-toi de me venger sur les Français.--Plantagenet, je
te le promets: comme Néron, je jouerai du luth en contemplant l'incendie
de leurs villes. (_Un coup de tonnerre, ensuite une alarme._) Quel est
ce tumulte? Que signifie ce vacarme dans les cieux? D'où viennent cette
alarme et ce bruit?

(Entre un messager.)

LE MESSAGER.--Milord, milord: les Français ont rassemblé leurs troupes.
Le dauphin, avec une certaine Jeanne la Pucelle..., une sainte
prophétesse qui vient de se manifester tout nouvellement, arrive à la
tête d'une grande armée pour faire lever le siége.

(Ici Salisbury pousse un gémissement.)

TALBOT.--Écoutez, écoulez, comme gémit Salisbury mourant! son coeur
souffre de ne pouvoir se venger. Français, je serai pour vous un
Salisbury! Pucelle, ou non Pucelle, dauphin ou chien de mer, j'écraserai
vos coeurs sous les pieds de mon cheval. Portez Salisbury dans sa tente;
et, après, voyons jusqu'où va l'audace de ces lâches Français.

(Une alarme. Ils sortent emportant les deux morts.)




SCÈNE V

Devant une des portes d'Orléans.

_Alarmes. Escarmouches._ TALBOT _poursuit le DAUPHIN et le chasse devant
lui; alors paraît_ LA PUCELLE, _chassant les Anglais devant elle.
Ensuite rentre_ TALBOT.


TALBOT.--Où est ma force, mon intrépidité, ma valeur? Nos Anglais se
retirent: je ne puis les arrêter. Une femme, vêtue en guerrier, les
chasse devant elle. (_Entre la Pucelle._) La voici, la voici qui
s'avance.--Je veux me mesurer avec toi: démon mâle ou femelle, je veux
te conjurer: je saurai te tirer du sang[11]; tu n'es qu'une sorcière: je
vais livrer dans l'instant ton âme au maître que tu sers.

[Note 11: On croyait alors que lorsqu'on pouvait faire couler le
sang d'une sorcière, on était hors de l'atteinte de son pouvoir.]

LA PUCELLE.--Viens, viens; c'est à moi seule qu'il est réservé de ternir
ta gloire.

(Ils combattent.)

TALBOT.--Ciel! peux-tu souffrir que l'enfer l'emporte? Plutôt que de
renoncer à châtier cette insolente créature, les élans de mon courage
feront éclater ma poitrine; et, dans ma fureur, j'arracherai de mes
épaules ces bras impuissants.

LA PUCELLE.--Adieu, Talbot, ton heure n'est pas encore venue: en
attendant, il faut que j'aille ravitailler Orléans.--Essaye de me
vaincre, si tu peux: je me ris de ta force; va, va plutôt rafraîchir tes
soldats affamés, aider Salisbury à faire son testament. Cette journée
est à nous, et bien d'autres qui vont la suivre.

(Elle entre dans Orléans avec les soldats.)

TALBOT.--Mes pensées tourbillonnent comme la roue d'un potier. Je ne
sais où je suis, ni ce que je fais. Une sorcière, par la peur qu'elle
répand, et non par sa force, comme Annibal, pousse devant elle nos
troupes, et triomphe comme il lui plaît. Ainsi on voit les abeilles fuir
de leurs ruches devant la fumée, et les colombes chassées de leurs
asiles par une mauvaise odeur. Ils nous appelaient des _dogues anglais_,
à cause de notre acharnement; aujourd'hui, timides comme de petits
chiens, nous fuyons en poussant des cris. _(Une courte alarme_.)
Écoutez-moi, concitoyens, ou recommencez le combat, ou arrachez les
lions de l'écusson d'Angleterre: mettez-y des moutons au lieu de lions;
renoncez à votre patrie. Non, le mouton ne fuit pas devant le loup, ni
le cheval ou le boeuf devant le léopard, aussi timidement que vous
devant ces esclaves que vous avez tant de fois vaincus. _(Une autre
escarmouche_.) Ils ne le feront pas.--Retirez-vous dans vos
retranchements: vous avez tous conspiré la mort le Salisbury, car nul de
vous ne veut frapper un seul coup pour le venger.--La Pucelle est entrée
dans Orléans malgré nous et tous nos efforts. Oh! je voudrais mourir
avec Salisbury! La honte me forcera de cacher ma tête.

(Il sort.)

(Alarme, bruit de trompettes, retraite.)




SCÈNE VI

LA PUCELLE, CHARLES, RENÉ, ALENÇON, _et des soldats paraissent sur les
remparts_.


LA PUCELLE.--Arborons nos étendards déployés sur les murs. Orléans est
délivré des loups anglais. Ainsi Jeanne la Pucelle a accompli sa parole.

CHARLES.--Divine créature, fille brillante d'Astrée, de quels honneurs
assez grands te payerai-je ce succès? Tes promesses ressemblent aux
jardins d'Adonis, qui donnaient un jour des fleurs et le lendemain des
fruits. France, triomphe et réjouis-toi de ta glorieuse prophétesse. La
ville d'Orléans est regagnée: jamais bonheur plus signalé n'est échu à
notre empire.

RENÉ.--Pourquoi donc toutes les cloches de la ville n'annoncent-elles
pas notre victoire? Dauphin, commandez aux citoyens d'allumer des feux
de joie, et de célébrer des fêtes et des banquets dans les rues et les
places, pour célébrer le bonheur que Dieu vient de nous accorder.

ALENÇON.--Toute la France sera dans la joie, quand elle apprendra quel
mâle courage nous avons montré.

CHARLES.--C'est à Jeanne, et non à nous, que ce beau triomphe est dû. En
reconnaissance, je veux partager ma couronne avec elle; tous les
prêtres, tous les religieux de mon royaume chanteront en choeur ses
immortelles louanges. Je veux lui élever une pyramide plus magnifique
que ne fut jamais celle de la Rhodope de Memphis. En mémoire d'elle,
quand elle sera morte, ses cendres, enfermées dans une urne plus
précieuse que le coffre aux riches diamants de Darius, seront portées
aux fêtes solennelles devant les rois et les reines de France. Ce ne
sera plus saint Denis que nous invoquerons; Jeanne la Pucelle sera
désormais la patronne de la France. Entrons, et après ce beau jour de
victoire, allons nous réjouir dans un banquet royal.

(Fanfare. Ils sortent.)

FIN DU PREMIER ACTE.




                             ACTE DEUXIÈME




SCÈNE I

France.--Devant Orléans.

_Entre_ UN SERGENT _français, avec_ DEUX SENTINELLES.


LE SERGENT.--Camarades, à vos postes, et soyez vigilants. Si vous
entendez quelque bruit, si vous apercevez quelque ennemi près des
remparts, donnez-nous-en avis au corps de garde par quelque signal.

LES SENTINELLES.--Sergent, vous serez averti. (_Le sergent sort._) Ainsi
les pauvres subalternes, tandis que les autres dorment tranquilles sur
leurs lits, sont contraints de veiller au milieu des ténèbres, par le
froid et la pluie!

(Entrent Talbot, Bedford, le duc de Bourgogne et les troupes, munis
d'échelles d'assaut. Leurs tambours battent une marche sourde.)

TALBOT.--Lord régent, et vous, duc redouté dont l'alliance nous donne
l'amitié des provinces d'Artois, de Flandre et de Picardie, pendant
cette nuit favorable, les Français sont sans défense, après avoir bu et
banqueté tout le jour. Saisissons cette occasion: elle est faite pour
nous venger de leur fraude, oeuvre de perfidie et d'une sorcellerie
diabolique.

BEDFORD.--Lâche roi! Quel outrage il fait à sa renommée en désespérant
ainsi de la vigueur de son bras, et en se liguant avec des sorcières et
des suppôts d'enfer!

LE DUC DE BOURGOGNE.--Les traîtres n'ont jamais d'autre alliance. Mais
quelle est donc cette Pucelle qu'on dit si chaste?

TALBOT.--Une jeune fille, dit-on.

BEDFORD.--Une jeune fille! et si guerrière!

LE DUC DE BOURGOGNE.--Prions Dieu que d'ici à peu de temps elle ne
prouve pas qu'elle est un homme, si elle continue, comme elle a
commencé, à porter l'armure sous l'étendard des Français!

TALBOT.--Eh bien, qu'ils commercent, qu'ils complotent avec les esprits
infernaux! Dieu est notre forteresse; en son nom victorieux,
déterminons-nous à escalader leurs remparts.

BEDFORD.--Monte, brave Talbot, nous te suivrons.

TALBOT.--Non pas tous ensemble: il vaut bien mieux, à mon avis, que nous
entrions par divers côtés à la fois: si quelqu'un de nous vient à
échouer, les autres pourront tenir encore contre les ennemis.

BEDFORD.--D'accord. Je vais monter par cet angle, là-bas.

LE DUC DE BOURGOGNE.--Et moi, par celui-ci.

TALBOT.--Et Talbot montera par ici, ou y trouvera son tombeau. Allons,
Salisbury; c'est pour toi et pour le droit de Henri d'Angleterre; cette
nuit va montrer combien je vous suis dévoué à tous les deux.

(Les Anglais escaladent les murailles en criant: Saint-George! Talbot!)

UNE SENTINELLE, _à l'intérieur_.--Aux armes! aux armes! L'ennemi livre
l'assaut.

(Les Français accourent et sautent à demi-vêtus sur les murs. Le Bâtard,
Alençon, René, arrivent par différents côtés, les uns habillés et armés,
et les autres en désordre.)

ALENÇON.--Quoi donc, mes seigneurs, à demi nus!

LE BATARD.--A demi nus? oui; et bien joyeux d'avoir échappé si
heureusement!

RENÉ.--Il était temps, je crois, de s'éveiller et de quitter nos lits;
l'alarme retentissait à la porte de nos chambres.

ALENÇON.--De tous les exploits que j'ai vus, depuis que je fais la
guerre, jamais je n'ai ouï parler d'une entreprise plus hasardeuse et
plus désespérée que cet assaut.

LE BATARD.--Je crois que ce Talbot est un démon des enfers.

RENÉ.--Si ce n'est pas l'enfer, à coup sûr, c'est le ciel qui le
seconde.

ALENÇON.--Voici Charles qui vient. Je suis étonné de sa diligence.

(Entrent Charles et la Pucelle.)

LE BATARD, _avec ironie_.--Bon! la divine Jeanne était sa garde.

CHARLES, _à la Pucelle_.--Est-ce là ton art, trompeuse dame? N'as-tu
commencé de nous flatter d'abord par un léger succès, que pour nous
exposer après à une perte dix fois plus grande?

LA PUCELLE.--Pourquoi Charles est-il exigeant avec son amie?
Prétendez-vous que ma puissance soit toujours la même? Dois-je
l'emporter soit que je veille, soit que je dorme? ou rejetterez-vous sur
moi toutes les fautes? Imprévoyants soldats, si vous aviez fait bonne
garde, ce désastre soudain ne serait jamais arrivé.

CHARLES.--Duc d'Alençon, c'est votre faute, à vous, qui commandiez la
garde de nuit, de n'avoir pas été plus attentif à cet important emploi.

ALENÇON.--Si tous vos quartiers avaient été aussi soigneusement veillés
que celui dont j'avais l'inspection, nous n'aurions pas été si
honteusement surpris.

LE BATARD.--Le mien était en sûreté.

RENÉ.--Et le mien aussi, mon prince.

CHARLES.--Pour moi, j'ai passé la plus grande partie de cette nuit dans
le quartier de la Pucelle et dans le mien, à errer de garde en garde, et
à relever les sentinelles: comment donc les ennemis ont-ils pu entrer?
par quel côté ont-ils pénétré le premier?

LA PUCELLE.--Ne demandez plus, seigneur, comment et par où. Il est
certain qu'ils ont trouvé quelque partie faiblement gardée, où la brèche
a été ouverte. Et maintenant il ne nous reste que la ressource de
rallier nos soldats épars, et d'établir de nouvelles plates-formes, pour
inquiéter les Anglais.

(Une alarme. Entre un soldat anglais criant: _Talbot! Talbot!_ Le roi,
les ducs et la Pucelle fuient, laissant derrière eux une partie de leurs
habits.)

LE SOLDAT.--J'aurai bien la hardiesse de prendre ce qu'ils ont laissé.
Le cri de _Talbot_ me sert d'épée. Me voilà chargé de dépouilles, sans
avoir employé d'autre arme que son nom. (Il sort.)




SCÈNE II

Orléans.--Dans la ville.

_Entrent_ TALBOT, BEDFORD, LE DUC DE BOURGOGNE, UN CAPITAINE _et
autres_.


BEDFORD.--Le jour commence à percer, et la nuit fuit en repliant le noir
manteau dont elle couvrait la terre. Cessons ici notre chaude poursuite,
et faisons sonner la retraite.

(On sonne la retraite.)

TALBOT.--Qu'on apporte le corps du vieux Salisbury et qu'on le dépose au
milieu de la place publique, dans le centre même de cette ville
maudite.--Me voilà donc acquitté du voeu que j'avais fait à son âme.
Pour chaque goutte de sang qu'il a perdue, cinq Français au moins sont
morts cette nuit, et afin que les siècles futurs sachent quel désastre a
produit sa vengeance, je veux ériger dans leur principal temple une
tombe où sera enterré son corps: sur sa tombe, et de telle sorte que
chacun le puisse lire, sera gravé le récit du sac d'Orléans, par quelle
trahison est arrivée sa mort déplorable, et quelle terreur il inspirait
à la France.--Mais je songe, seigneurs, que dans notre sanglant carnage
nous n'avons pas rencontré l'altesse du dauphin, ni son nouveau
champion, la vaillante Jeanne d'Arc, ni aucun de ses perfides alliés.

BEDFORD.--On croit, lord Talbot, qu'au commencement du combat, arrachés
tout d'un coup à leurs lits paresseux, et au milieu des pelotons de gens
armés, ils ont sauté par-dessus les murailles pour chercher un asile
dans la plaine.

LE DUC DE BOURGOGNE.--Moi-même, autant que j'ai pu distinguer à travers
la fumée et les noires vapeurs de la nuit, je suis sûr d'avoir effrayé
le dauphin et sa compagne, comme ils accouraient tous deux les bras
enlacés, ainsi qu'un couple de tendres tourterelles, qui ne peuvent
vivre séparées ni le jour ni la nuit.--Quand nous aurons mis ordre à
tout ici, nous marcherons sur leurs traces avec toutes nos troupes.

(Entre un messager.)

LE MESSAGER.--Salut à vous tous, milords! Quel est celui, dans cette
noble réunion, que vous nommez le belliqueux Talbot, célèbre par ses
exploits si vantés dans tout le royaume de France?

TALBOT.--Voici Talbot; qui veut lui parler?

LE MESSAGER.--Une vertueuse dame, la comtesse d'Auvergne, admirant avec
respect ta renommée, te supplie par moi, illustre seigneur, de lui
accorder la faveur de visiter l'humble château où elle réside, afin
qu'elle puisse se vanter d'avoir vu l'homme dont la gloire remplit
l'univers de son éclat.

LE DUC DE BOURGOGNE.--En est-il donc ainsi? Allons, je vois que nos
guerres deviendront un gai et paisible passe-temps, si les dames
demandent qu'on aille ainsi les visiter.--Vous ne pouvez honnêtement,
milord, dédaigner sa gracieuse requête.

TALBOT.--Ne me croyez plus désormais; car ce qu'un peuple entier
d'orateurs n'auraient jamais pu obtenir de moi avec toute leur
éloquence, la politesse d'une femme l'emporte. Ainsi, dites-lui que je
lui rends grâces, et que, soumis et respectueux, j'irai lui faire ma
cour. Vos Seigneuries ne me tiendront-elles pas compagnie?

BEDFORD.--Non certes: ce serait plus que n'exige la politesse; et j'ai
ouï dire que les hôtes qui ne sont pas priés ne sont jamais mieux venus
que lorsqu'ils s'en vont.

TALBOT.--Allons, j'irai donc seul, puisqu'il n'y a pas moyen de s'en
défendre; je veux faire l'essai de la courtoisie de cette
dame.--Capitaine, approchez. _(Il lui parle à l'oreille.)_ Vous devinez
mes intentions?

LE CAPITAINE.--Oui, milord, et je m'y conformerai.




SCÈNE III

(Cour du château de la comtesse d'Auvergne.)

LA COMTESSE, _suivie du_ CONCIERGE _de son château_.


LA COMTESSE.--Concierge, souviens-toi de ce dont je t'ai chargé; et,
quand tu l'auras fait, apporte-moi les clefs.

LE CONCIERGE.--Je le ferai, madame.

(Il sort.)

LA COMTESSE.--Le plan est dressé. Si tout réussit, je serai aussi
fameuse par cet exploit que la Scythe Thomyris par la mort de Cyrus.--On
fait un grand bruit de ce redoutable chevalier et de ses merveilleuses
prouesses. Je serais bien aise que le témoignage de mes yeux concourût
avec celui de mes oreilles pour porter mon jugement sur ses hauts faits.

(Entrent le messager et Talbot.)

LE MESSAGER.--Madame, conformément à votre désir exprimé par mon
message, le lord Talbot vient vous voir.

LA COMTESSE.--Il est le bienvenu.--Quoi! est-ce lui?

LE MESSAGER.--Madame, lui-même.

LA COMTESSE.--Est-ce là le fléau de la France? Est-ce là ce Talbot si
redouté dans l'Europe, et dont le nom sert aux mères pour faire taire
leurs enfants? Je vois à présent combien les récits sont fabuleux et
trompeurs; je m'attendais à voir un Hercule, un second Hector, à
l'aspect farouche, d'une vaste et forte stature. Eh! c'est un enfant, un
nain ridicule; il ne se peut pas que cet avorton faible et ridé frappe
ses ennemis d'une si grande terreur.

TALBOT.--Madame, j'ai pris la hardiesse de vous importuner; mais puisque
Votre Seigneurie n'est pas libre, je choisirai quelque autre temps pour
vous faire ma visite.

LA COMTESSE.--Que prétend-il? Allez lui demander où il va.

LE MESSAGER.--Daignez rester, milord Talbot: ma maîtresse désire savoir
la cause de votre brusque départ.

TALBOT.--Hé mais, c'est parce que je vois qu'elle est dans l'erreur: je
vais lui prouver que Talbot est ici.

(Rentre le concierge avec des clefs.)

LA COMTESSE.--Si tu es Talbot, tu es donc prisonnier.

TALBOT.--Prisonnier? Et de qui?

LA COMTESSE.--Le mien, lord altéré de sang: et voilà pourquoi je t'ai
attiré chez moi. Depuis longtemps ton ombre est ma prisonnière, car ton
portrait est pendu dans ma galerie. Aujourd'hui l'original subira le
même sort, et j'enchaînerai tes bras et tes jambes à toi, qui, depuis
tant d'années, as tyranniquement opprimé, ravagé ma patrie, égorgé nos
citoyens, et envoyé dans les fers nos enfants et nos maris.

TALBOT.--Ha, ha, ha!

LA COMTESSE.--Tu ris, misérable! Va, ta joie se changera bientôt en
gémissements.

TALBOT.--Je ris de votre folie, de croire que vous ayez en votre
possession autre chose que l'ombre de Talbot pour objet de vengeance.

LA COMTESSE.--Quoi! n'es-tu pas l'homme?

TALBOT.--Oui, sans doute.

LA COMTESSE.--Eh bien, j'en possède donc l'original.

TALBOT.--Non, non: je ne suis que l'ombre de moi-même. Vous êtes déçue,
madame; vous n'avez ici que l'ombre de Talbot: ce que vous voyez n'est
qu'un frêle et chétif individu de l'espèce humaine. Je vous dis, madame,
que si Talbot tout entier était ici, vous le verriez d'une grandeur et
d'une étendue si immense, que votre appartement ne suffirait pas pour le
contenir.

LA COMTESSE.--C'est un marchand d'énigmes: il est ici et il n'est point
ici: comment ces contradictions peuvent-elles se concilier?

TALBOT.--Je vais vous le montrer dans l'instant. (_Il donne un coup de
sifflet: on entend des tambours; aussitôt suit une décharge
d'artillerie. Les portes sont forcées; entre une troupe de soldats_.)
Qu'en dites-vous, madame? Reconnaissez-vous à présent que Talbot n'est
que l'ombre de lui-même? (_Montrant ses soldats_.) Voilà sa substance,
ses muscles, ses bras, sa force avec laquelle il courbe sous le joug vos
têtes rebelles, rase vos cités, renverse vos places, et les change en un
moment en solitudes désolées.

LA COMTESSE.--Victorieux Talbot! pardonne mon outrage. Je vois que tu
n'es pas moins grand que ne te peint la renommée, et que tu es bien plus
grand que ne l'annonce ta stature. Que ma présomption ne provoque pas
ton courroux! Je me reproche de ne t'avoir pas reçu avec le respect qui
t'est dû.

TALBOT.--Ne vous effrayez point, belle dame; et ne vous méprenez pas sur
l'âme de Talbot, comme vous vous êtes méprise sur son apparence
extérieure. Ce que vous avez fait ne m'a point offensé: et je ne vous
demande d'autre satisfaction, que de nous permettre, de votre plein gré,
de goûter votre vin et de voir quelles douceurs vous avez à nous offrir,
car l'appétit des soldats les sert toujours à merveille.

LA COMTESSE.--De tout mon coeur. Et croyez que je me trouve honorée de
fêter un si grand guerrier dans ma maison.

(Ils sortent.)




SCÈNE IV

(Londres.--Le jardin du Temple.)

_Entrent_ LES COMTES DE SOMERSET, DE SUFFOLK ET DE WARWICK, RICHARD
PLANTAGENET, VERNON _et un autre avocat_.


PLANTAGENET.--Nobles lords, et vous gentilshommes, que signifie ce
silence? Personne n'ose-t-il donc rendre hommage à la vérité?

SUFFOLK.--Nous faisions trop de bruit dans la salle du Temple: le jardin
nous convient mieux.

PLANTAGENET.--Dites donc, en un mot, si j'ai soutenu la vérité, et si
l'obstiné Somerset n'était pas dans l'erreur.

SUFFOLK.--Sur ma foi, je fus toujours un disciple paresseux en matière
de lois; jamais je n'ai pu plier ma volonté à la loi: en revanche je
plie la loi à ma volonté.

SOMERSET.--Jugez donc entre nous deux, vous, lord Warwick.

WARWICK.--Demandez-moi, entre deux faucons, quel est celui qui vole le
plus haut; entre deux dogues, celui qui a la plus large gueule; entre
deux lames, quelle est la mieux trempée; entre deux chevaux, quel est
celui qui a la plus belle encolure; entre deux jeunes filles, quelle est
celle dont l'oeil est le plus riant: j'ai là-dessus quelques légères
connaissances, assez peut-être pour porter un jugement; mais quant à ces
fines et subtiles équivoques de la loi, sur ma foi, je ne m'y entends
nullement, pas plus qu'un choucas.

PLANTAGENET.--Bah! c'est un adroit subterfuge pour éviter de parler. La
vérité paraît si nue, si visible de mon côté, que l'oeil le moins
perçant peut l'apercevoir.

SOMERSET.--Et elle se manifeste de mon côté si claire et si brillante,
que ses rayons se feraient sentir à l'oeil même de l'aveugle.

PLANTAGENET.--Puisque votre langue est enchaînée, et qu'il vous répugne
tant de parler, déclarez vos pensées par des signes muets. Que celui qui
est né vrai gentilhomme, et tient à l'honneur de sa naissance, s'il
pense que j'ai plaidé la cause de la vérité, arrache avec moi une rose
blanche de cet églantier.

SOMERSET.--Que celui qui n'est pas un lâche, ni un flatteur, et qui ose
se ranger du parti de la vérité, arrache avec moi de cette épine une
rose rouge.

WARWICK.--Je n'aime point les couleurs, et dédaignant de colorer mes
intentions par une basse et insinuante flatterie, j'arrache cette rose
blanche avec Plantagenet.

SUFFOLK.--Et moi cette rose rouge avec le jeune Somerset, et j'ajoute
que je pense qu'il a le bon droit pour lui.

VERNON.--Arrêtez, lords et gentilshommes; et ne cueillez plus de roses
avant d'avoir décidé que celui des deux qui aura le moins de roses
cueillies de son côté cédera à l'autre, et reconnaîtra la justice de son
opinion.

SOMERSET.--Sage Vernon, c'est bien dit; si c'est moi qui ai le moins de
roses, j'y souscris en silence.

PLANTAGENET.--Et moi aussi.

VERNON.--Eh bien, pour rendre hommage à la bonne cause et à son
évidence, je cueille ce bouton pâle et vierge, et donne mon suffrage au
parti de la rose blanche.

SOMERSET.--Ne vous piquez pas le doigt en la cueillant, de peur que
votre sang ne teigne en rouge la rose blanche, et que vous ne veniez à
mon avis, fort contre votre gré.

VERNON.--Si je saigne pour mon opinion, milord, elle se chargera de
guérir ma blessure et me maintiendra du côté où je suis présentement.

SOMERSET.--Fort bien, fort bien: allons, qui encore?

L'AVOCAT, _à Somerset_.--Si mon étude n'est pas vaine, si mes livres ne
sont pas faux, le système que vous avez embrassé est une erreur; et,
comme preuve, j'arrache aussi une rose blanche.

PLANTAGENET.--Eh bien, Somerset, où est maintenant votre argument?

SOMERSET.--Ici, dans le fourreau, où il se propose de teindre votre rose
blanche en rouge de sang.

PLANTAGENET.--En attendant, vos joues contrefont nos roses, car elles
pâlissent de crainte, pour attester que la vérité est à nous.

SOMERSET.--Non, Plantagenet, ce n'est pas de crainte, mais de colère de
voir tes joues rougir de honte pour contrefaire nos roses; tandis que ta
langue refuse de confesser ton erreur.

PLANTAGENET.--Somerset, ta rose n'a-t-elle pas un ver qui la ronge?

SOMERSET.--Plantagenet, ta rose n'a-t-elle pas une épine?

PLANTAGENET.--Oui, une épine aiguë et piquante, propre à défendre la
vérité; tandis que ton ver rongeur détruit son mensonge.

SOMERSET.--Eh bien, je trouverai des amis qui porteront mes roses
sanglantes et qui soutiendront la vérité de ce que j'ai avancé, tandis
que le fourbe Plantagenet n'osera pas se montrer.

PLANTAGENET.--Par ce jeune bouton qui est dans ma main, je te méprise,
toi et ton parti, maussade enfant.

SUFFOLK.--Plantagenet, ne dirige pas tes mépris de ce côté.

PLANTAGENET.--Présomptueux Pole, je le veux ainsi, et je te brave ainsi
que lui.

SUFFOLK.--C'est dans ton sang que j'en serai vengé.

SOMERSET.--Cesse, cesse, noble Guillaume Pole: nous honorons trop ce
paysan, en conversant avec lui.

WARWICK.--Par le ciel, tu lui fais injure, Somerset. Son aïeul était
Lionel duc de Clarence, troisième fils d'Édouard III, roi d'Angleterre.
Sort-il, d'une souche si antique, des roturiers sans armoiries?

PLANTAGENET.--Il se fie au privilége de ce lieu[12]: autrement, son
lâche coeur n'aurait pas osé se permettre ce langage.

[Note 12: Il ne paraît pas qu'à cette époque le Temple, où se font
encore les études de droit, eût aucun privilége analogue au droit
d'asile; peut-être ce lieu en avait-il été investi dans des temps
antérieurs, lorsque les Templiers l'habitaient.]

SOMERSET.--Par celui qui m'a créé, je soutiendrai mes paroles dans tous
les coins de la chrétienté. Richard, le comte de Cambridge, ton père,
n'a-t-il pas été exécuté sous le règne du feu roi, pour crime de
trahison? Et sa trahison ne t'a-t-elle pas entaché, souillé et dégradé
de ton ancienne noblesse? Son crime vit encore dans ton sang, et jusqu'à
ce que tu sois réhabilité, non, tu n'es qu'un roturier.

PLANTAGENET.--Mon père fut accusé et non convaincu: il fut condamné à
mourir pour crime de trahison; mais il ne fut point un traître. Et ce
que je dis ici, je le prouverai contre de plus illustres adversaires que
Somerset, si le temps dans son cours amène et mûrit à mon gré
l'occasion. Ton partisan Pole, et toi, vous serez notés dans ma mémoire,
et je vous châtierai un jour pour cet injurieux préjugé:
souvenez-vous-en bien, et tenez-vous pour avertis.

SOMERSET.--Soit: tu nous trouveras toujours prêts à te répondre, et
reconnais-nous à ces couleurs pour tes ennemis: mes amis les porteront
en dépit de toi.

PLANTAGENET.--Et j'en jure par mon âme, nous porterons à jamais, moi et
mon parti, cette rose pâle de courroux, en symbole de ma haine qui ne
s'éteindra que dans ton sang. Ou cette fleur se flétrira avec moi dans
ma tombe, ou elle fleurira avec moi jusqu'au degré d'élévation qui
m'appartient.

SUFFOLK.--Poursuis ta route, et trouve ta ruine dans ton ambition;
adieu, jusqu'à la première occasion de te rejoindre.

(Il sort.)

SOMERSET.--Je te suis, Pole.--Adieu, ambitieux Richard.

PLANTAGENET.--Comme on me brave! Et je suis forcé de l'endurer!

WARWICK.--Cette tache, qu'ils reprochent à votre maison, sera effacée
dans le prochain parlement, convoqué pour régler un accord entre
Winchester et Glocester. Et si vous n'êtes pas ce jour-là créé duc
d'York, je ne veux plus m'appeler Warwick. En attendant, en témoignage
de mon affection pour vous contre l'orgueilleux Somerset et Guillaume
Pole, je veux porter cette rose qui me déclare de votre parti. Et je
prédis ici que cette querelle des roses blanches et des roses rouges,
née dans le jardin du Temple, et qui a déjà formé une faction,
précipitera des milliers d'hommes dans les ombres du tombeau.

PLANTAGENET.--Sage Vernon, je vous dois beaucoup, d'avoir cueilli une
rose en faveur de mon parti.

VERNON.--Et je la porterai toujours pour sa défense.

L'AVOCAT.--Et moi aussi.

PLANTAGENET.--Je vous rends grâces, brave gentilhomme.--Allons dîner
ensemble tous quatre. J'ose dire qu'un jour viendra où cette querelle
s'abreuvera de sang.

(Il sort.)




SCÈNE V

Une salle dans l'intérieur de la Tour.

_Entre_ MORTIMER, _porté sur un siége par_ DEUX GEOLIERS.


MORTIMER.--Gardiens compatissants de mon infirme vieillesse, laissez
Mortimer mourant se reposer ici. Je souffre dans tous mes membres
endoloris par ma longue prison, comme un malheureux à peine échappé à la
torture. Je suis aussi vieux que Nestor et vieilli par un siècle de
peines, et ces cheveux blancs, messagers du trépas, annoncent la fin
d'Edmond Mortimer. Ces yeux, tels que des lampes dont l'huile est
consumée, s'obscurcissent de plus en plus, comme prêts à s'éteindre. Mes
épaules fléchissent sous le poids du chagrin, et mes bras languissants
tombent comme une vigne flétrie, dont les rameaux desséchés rampent sur
la terre. Et cependant ces pieds, dont la plante sans force ne peut plus
soutenir cette masse d'argile, semblent prendre des ailes dans le désir
de me porter au tombeau, comme s'ils comprenaient qu'il ne me reste plus
d'autre refuge. Mais, dis-moi, geôlier, mon neveu viendra-t-il?

PREMIER GEOLIER.--Milord, Richard Plantagenet viendra: nous avons envoyé
à son appartement dans le Temple, et sa réponse a été qu'il allait
venir.

MORTIMER.--C'est assez! mon âme sera donc satisfaite!--Pauvre jeune
homme! son malheur égale le mien. Depuis que Henri Monmouth a commencé
de régner (hélas! avant son élévation, je brillais à la guerre), j'ai
été confiné dans cette odieuse prison; et, depuis le même temps, Richard
est tombé dans l'obscurité, dépouillé de ses honneurs et de son
héritage. Mais aujourd'hui que l'équitable mort, cet arbitre souverain
qui termine tous les désespoirs, et délivre l'homme des misères de la
vie, va de sa main propice me faire quitter ce lieu, je voudrais que les
peines de ce jeune homme fussent aussi à leur terme et qu'il pût
recouvrer ce qu'il a perdu.

(Entre Plantagenet.)

PREMIER GEOLIER.--Milord, votre cher neveu est arrivé.

MORTIMER.--Richard Plantagenet, mon ami, est-il arrivé?

PLANTAGENET.--Oui, mon noble oncle, votre neveu Richard, si indignement
traité, et tout récemment encore si insulté, vient vers vous.

MORTIMER.--Guidez mes bras, que je puisse l'y serrer et rendre dans son
sein mon dernier soupir. Oh! dites-moi quand mes lèvres seront près de
toucher ses joues, afin que je puisse dans ma faiblesse lui donner
encore un baiser.--Et apprends-moi, cher rejeton de l'illustre tige
d'York, pourquoi tu as dit que tu avais tout récemment été insulté.

PLANTAGENET.--Commencez par appuyer sur mon bras votre corps épuisé, et
ainsi en repos, vous pourrez entendre le récit de mes douleurs.--Ce jour
même, dans une conférence sur un cas de la loi, quelques paroles ont été
échangées entre Somerset et moi, et dans la chaleur de cette discussion
il a donné carrière à sa langue, et m'a reproché la mort de mon père. Ce
reproche imprévu m'a fermé la bouche; autrement j'aurais repoussé
l'injure par l'injure. Ainsi, cher oncle, au nom de mon père, pour
l'honneur d'un vrai Plantagenet, et en considération de notre alliance,
déclarez-moi pourquoi le comte de Cambridge, mon père, a été décapité.

MORTIMER.--La même cause, mon beau neveu, qui m'a fait emprisonner et
détenir, pendant toute ma florissante jeunesse, dans une odieuse prison,
pour y languir solitaire, a été aussi la cause détestée de sa mort.

PLANTAGENET.--J'ignore tout. Expliquez-moi cette cause avec plus de
détail, car je ne peux rien deviner.

MORTIMER.--Je vais le faire, si mon souffle haletant me le permet, et si
la mort ne survient pas avant la fin de mon récit.--Henri IV, aïeul du
roi, déposa son cousin Richard, le fils d'Édouard, le premier-né et
l'héritier légitime du roi Édouard, troisième roi de cette race. Pendant
son règne, les Percy du Nord, trouvant son usurpation injuste,
s'efforcèrent de me porter au trône. La raison qui poussa ces lords
belliqueux à cette entreprise était que le jeune roi Richard ainsi
écarté, et ne laissant aucun héritier de sa génération, j'étais le
premier après lui par ma naissance et ma parenté; car je descends par ma
mère de Lionel, duc de Clarence, troisième fils du roi Édouard III;
tandis que lui, Monmouth, descend de Jean de Gaunt, qui n'est que le
quatrième de cette race héroïque. Mais écoutez: dans cette grande et
difficile entreprise, où ils tentaient de placer sur le trône l'héritier
légitime, je perdis ma liberté, et eux la vie. Longtemps après ceci,
lorsque Henri V, succédant à son père Bolingbroke, vint à régner, ton
père, le comte de Cambridge, qui descendait du fameux Edmond Langley,
duc d'York, épousa ma soeur, qui fut ta mère. De nouveau touché de ma
cruelle infortune, il leva une armée, espérant me délivrer et ceindre
mon front du diadème; mais ce généreux comte y périt comme les autres,
et fut décapité. Ainsi furent détruits les Mortimer, en qui reposait ce
titre.

PLANTAGENET.--Et vous, milord, vous êtes le dernier de leur nom?

MORTIMER.--Oui; et tu vois que je n'ai point de postérité, et que ma
voix défaillante annonce ma mort prochaine. Tu es mon héritier: je fais
des voeux pour que tu en recueilles les droits; mais sois circonspect
dans cette périlleuse affaire.

PLANTAGENET.--Vos graves conseils ont sur moi un juste empire: cependant
il me semble que l'exécution de mon père ne fut qu'un acte sanglant de
tyrannie.

MORTIMER.--Garde le silence, mon neveu, et conduis-toi avec prudence. La
maison de Lancastre est solidement établie, et, telle qu'une montagne,
n'est pas facile à ébranler.--Mais en ce moment ton oncle va quitter
cette vie, comme les princes quittent leur cour lorsqu'ils sont
rassasiés d'un long séjour dans le même lieu.

PLANTAGENET.--O mon oncle, je voudrais qu'une part de mes jeunes années
pût éloigner le terme de votre vieillesse.

MORTIMER.--Tu veux donc me faire tort, comme le meurtrier qui donne
mille coups de poignard, lorsqu'un seul peut tuer. Ne t'afflige point,
ou ne t'afflige que pour mon bien. Donne seulement des ordres pour mes
obsèques: adieu; que toutes tes espérances s'accomplissent, et que ta
vie soit heureuse dans la paix et dans la guerre!

(Il expire.)

PLANTAGENET.--Que la paix et non la guerre accompagne ton âme qui
s'enfuit! Tu as passé ton pèlerinage dans une prison, et, comme un
ermite, tu y finis tes jours.--Oui, j'enfermerai ton conseil dans mon
sein; ce que je conçois y reposera en silence.--Geôliers, emportez son
corps de ces lieux; je verrai avec moins de douleur ses obsèques que sa
triste vie.--(_Les geôliers sortent emportant le corps de Mortimer_.)
Ici s'éteint le flambeau consumé des jours de Mortimer, victime de
l'ambition de gens méprisables. Quant à l'outrage, à l'injure amère que
Somerset a reprochée à ma maison, j'espère bien l'effacer avec honneur:
et dans ce dessein, je vais hâter mes pas vers le parlement. Ou je serai
rétabli dans tous les honneurs dus à mon sang, ou je ferai de mon
malheur même l'instrument de ma fortune.

(Il sort.)

FIN DU DEUXIÈME ACTE.




                           ACTE TROISIÈME




SCÈNE I

Londres.--La salle du parlement.


_Fanfares. Entrent _LE ROI HENRI, EXETER, GLOCESTER, WINCHESTER,
WARWICK, SOMERSET, SUFFOLK ET RICHARD PLANTAGENET. _Glocester se met en
mesure de présenter un bill; Winchester le lui arrache et le déchire_.

WINCHESTER.--Humfroi de Glocester, viens-tu ici avec des écrits
soigneusement prémédités, des libelles écrits et arrangés avec art? Si
tu as à m'accuser, et que tu te proposes de me charger de quelque
imputation, parle sur-le-champ et sans préparation, comme je me propose
de répondre sur-le-champ, et par un discours sans apprêt, à ce que tu
m'opposeras.

GLOCESTER.--Prêtre présomptueux, ce lieu m'impose la patience; autrement
tu connaîtrais à quel point tu m'as outragé. Ne crois pas que, si j'ai
voulu présenter par récit le tableau de tes lâches et odieux méfaits,
j'aie rien inventé ou que je sois hors d'état de répéter de vive voix ce
qu'avait tracé ma plume. Tu n'es pas un prélat: telle est ton audacieuse
perversité, telles sont tes perfidies et ton ambitieuse soif de
discorde, que les enfants même parlent de ton orgueil. Tu es un infâme
usurier; insolent par nature, ennemi de la paix, licencieux, débauché,
plus qu'il ne convient à un homme de ton état et de ton rang. Et quant à
tes trahisons, quoi de plus notoire? Tu m'as tendu un piége pour
surprendre ma vie au pont de Londres et à la Tour; et je craindrais
bien, si l'on venait à sonder tes pensées, que le roi, ton souverain, ne
fût pas tout à fait à l'abri des jaloux complots de ton coeur ambitieux.

WINCHESTER.--Glocester, je te défie.--Milords, daignez entendre ma
réponse: si j'étais avide, pervers, ambitieux, comme il veut que je le
sois, comment serais-je si pauvre? Comment arrive-t-il que je ne cherche
pas à marcher en avant, à m'élever plus haut, et que je me renferme dans
mon état? Quant à l'esprit de dissension, qui chérit la paix plus que
moi.... à moins que je ne sois provoqué? Mais, mes dignes lords, ce
n'est pas là ce qui offense le duc, ce n'est pas là ce qui l'a irrité:
ce qui l'irrite...., c'est qu'il voudrait que nul autre ne gouvernât que
lui, que personne que lui n'approchât le roi; voilà ce qui soulève la
tempête dans son coeur, voilà ce qui lui fait exhaler ces accusations
contre moi. Mais il connaîtra que je suis aussi bien né....

GLOCESTER.--Aussi bien né? Toi, bâtard de mon aïeul!

WINCHESTER.--Ah! orgueilleux seigneur, qui es-tu, je te prie, qu'un
sujet impérieux sur le trône d'un autre?

GLOCESTER.--Prêtre insolent, ne suis-je pas le protecteur?

WINCHESTER.--Et moi, ne suis-je pas un prélat de l'Église?

GLOCESTER.--Oui, comme un proscrit se tient dans un château et s'en sert
pour protéger son brigandage.

WINCHESTER.--Insolent Glocester!

GLOCESTER.--Ta profession mérite du respect, mais non pas ta conduite.

WINCHESTER.--Rome me vengera.

GLOCESTER.--Va donc mendier le secours de Rome[13].

[Note 13: Winchester. _This Rome shall remedy._ Ce jeu de mots
entre _Rome_, Rome, et _to roam_, rôder, vagabonder, est impossible à
reproduire.]

Glocester. _Roam thither them_.

SOMERSET.--Milord, il serait de votre devoir de vous contenir.

WARWICK, _à Somerset_.--Et vous, retenez donc l'évêque dans les bornes
du sien.

SOMERSET.--Il me semble que milord devrait être respectueux, et
connaître mieux la dignité sacrée d'un prélat.

WARWICK.--Il me semble que _Sa Grandeur_ devrait être plus modeste; il
ne convient pas à un prélat de parler ainsi.

SOMERSET.--Il en a le droit, lorsque son caractère sacré est si vivement
offensé.

WARWICK.--Sacré ou profane, qu'importe? _Sa Grâce_ n'est-elle pas le
_protecteur_ du roi?

PLANTAGENET, _à part_.--Plantagenet, je le vois, doit ici garder le
silence: on pourrait lui dire: «Attendez pour parler, que vous en ayez
le droit. Votre avis téméraire doit-il se mêler aux débats des lords?»
Sans cette crainte, j'aurais déjà lancé un trait à Winchester.

LE ROI.--Glocester, et vous, Winchester, mes oncles, vous les premiers
gardiens de notre Angleterre, je voudrais vous prier, si les prières
avaient sur vous quelque empire, de réconcilier vos coeurs dans la paix
et l'amitié. Oh! quel scandale pour notre couronne que deux nobles pairs
tels que vous soient en discorde! Croyez-moi, lords, ma jeunesse peut
dire que la discorde civile est un ver funeste qui ronge le coeur de
l'État. (_On entend un grand bruit en dehors avec ces cris:_ «A bas, à
bas la livrée jaune!») Quel est ce tumulte?

WARWICK.--C'est une émeute, j'ose l'assurer, commencée par la furie des
gens de l'évêque.

(On entend encore ces cris: _Des pierres! des pierres!_)

(Entre le maire de Londres avec son escorte.)

LE MAIRE.--O mes dignes lords! ô vertueux Henri! prenez pitié de la cité
de Londres, prenez pitié de nous. Les gens de l'évêque et ceux du duc de
Glocester, malgré la défense récente de porter aucune arme, ont rempli
leurs poches de pierres, et, se rangeant en bandes ennemies, les font
pleuvoir si violemment les uns sur les autres que nombre d'hommes ont la
tête fracassée; on brise nos fenêtres le long des rues, et dans notre
alarme nous avons été forcés de fermer nos boutiques.

(Entrent, en se battant et la tête ensanglantée, les gens de Glocester
et ceux de Winchester.)

LE ROI.--Nous vous enjoignons, par l'obéissance que vous nous devez,
d'arrêter vos mains homicides et de rester en paix.--Mon oncle
Glocester, je vous en conjure, apaisez cette rixe.

UN DES GENS DU DUC.--Si l'on nous interdit les pierres, nous combattrons
avec nos dents.

UN AUTRE DU PARTI OPPOSÉ.--Faites ce qui vous plaira: nous sommes aussi
déterminés.

(Ils recommencent à se battre.)

GLOCESTER.--Hommes de ma maison, cessez cette ridicule querelle, et
mettez fin à cet étrange combat.

UN TROISIÈME DE LA SUITE DU DUC.--Milord, nous savons que Votre Grâce
est un homme juste et droit, et par votre royale naissance, vous ne le
cédez à personne qu'à Sa Majesté; aussi, avant que nous souffrions qu'un
si noble prince, un si bon père de l'État soit insulté par un
barbouilleur d'encre, nous combattrons tous, nous, nos femmes et nos
enfants, et nous consentirons plutôt à nous voir massacrés par vos
ennemis.

UN AUTRE.--Oui; et morts, on nous verra creuser encore la terre de nos
ongles furieux.

(Le combat recommence.)

GLOCESTER.--Arrêtez, arrêtez, vous dis-je! et si vous m'aimez comme vous
le dites, laissez-moi vous persuader de suspendre un instant votre
fureur.

LE ROI.--Oh! que cette discorde afflige mon âme!--Milord Winchester,
pouvez-vous voir mes soupirs et mes larmes, et ne pas ralentir votre
haine? Qui donc sera pitoyable, si vous ne l'êtes pas? Qui se montrera
l'ami de la paix, si les saints ministres de l'Église se plaisent dans
le trouble?

WARWICK.--Milord protecteur, cédez.... Cédez, Winchester; à moins que
vous ne vouliez, par votre obstination, égorger aussi votre souverain et
bouleverser le royaume. Vous voyez quels désastres, quels meurtres sont
l'ouvrage de votre inimitié! Réconciliez-vous donc si vous n'êtes pas
altérés de sang.

WINCHESTER.--Qu'il commence par se soumettre ou je ne céderai jamais.

GLOCESTER.--Ma tendre compassion pour le roi me commande de céder; sans
quoi, je verrais le coeur de ce prêtre arraché de ses entrailles, avant
qu'il pût se vanter de cet avantage sur moi.

WARWICK.--Voyez, milord Winchester, voyez; le duc a déjà banni toute
furieuse colère: son front adouci vous l'annonce. Pourquoi
paraissez-vous encore si farouche et si menaçant?

GLOCESTER.--Voilà ma main, Winchester; je te l'offre.

LE ROI.--C'est une honte, Beaufort! Je vous ai entendu prêcher que la
haine était un grave et énorme péché: ne pratiquerez-vous pas la morale
que vous enseignez? Voulez-vous être le premier à la transgresser?

WARWICK.--Bon roi! le prélat est touché.--Allons, milord Winchester,
quelle honte! apaisez-vous. Quoi! un enfant vous enseignera-t-il votre
devoir?

WINCHESTER.--Eh bien, duc de Glocester, je veux bien te céder. Je te
rends amour pour amour, et j'unis ma main à la tienne.

GLOCESTER, _à part_.--Oui, mais je crains bien que ce ne soit d'un coeur
mensonger.... _(Haut.)_ Voyez, mes amis, mes chers compatriotes: ce gage
est un signal de trêve entre nous et tous nos serviteurs; que Dieu
m'assiste, comme il est vrai que je ne dissimule rien.

WINCHESTER, _à part_.--Que Dieu m'assiste, comme ce n'est pas là mon
intention.

LE ROI.--O mon bon oncle, mon cher duc de Glocester, que vous me rendez
joyeux par cet accord de paix. (_A leurs gens_.) Allons, mes amis,
retirez-vous: ne nous troublez pas davantage; redevenez amis, à
l'exemple de vos maîtres.

UN DES GENS.--Volontiers.--Je vais chez le chirurgien.

UN AUTRE.--Et moi aussi.

UN TROISIÈME.--Et moi, je vais voir quel remède la taverne pourra me
procurer.

(Sortent les gens des deux partis, le Maire, etc.)

WARWICK.--Gracieux souverain, recevez cette requête, que nous présentons
à Votre Majesté pour la restitution des droits de Richard Plantagenet.

GLOCESTER.--J'approuve votre démarche, milord Warwick.--(_Au roi._) En
effet, cher prince, si Votre Majesté considère toutes les circonstances,
vous trouverez de grands motifs de réhabiliter Plantagenet dans ses
droits, surtout si vous songez aux événements d'Eltham, dont j'ai
entretenu Votre Majesté.

LE ROI.--Oui, ce furent autant d'actes de violence. Aussi, chers lords,
nous voulons que Richard soit rétabli dans tous les priviléges de sa
naissance.

WARWICK.--Que Richard soit rétabli dans les priviléges de sa naissance;
ainsi seront réparés les torts faits à son père.

WINCHESTER.--L'avis de l'assemblée sera celui de Winchester.

LE ROI.--Que Richard jure d'être fidèle, et je lui rendrai non-seulement
cela, mais encore tout l'héritage de la maison d'York, dont vous
descendez, Richard, en ligne directe.

RICHARD.--Votre humble sujet vous dévoue son obéissance et ses services,
jusqu'à son dernier soupir.

LE ROI.--Incline-toi donc, et mets ton genou à mes pieds; et en retour
de cet acte d'hommage ainsi accompli, je te ceindrai de la vaillante
épée d'York.--Lève-toi, Richard, comme un vrai Plantagenet; et lève-toi,
créé par nous prince et duc d'York.

RICHARD.--Que Richard prospère, et que vos ennemis succombent! et
périssent tous ceux qui cachent une seule pensée suspecte contre Votre
Majesté, comme il est vrai que mon zèle est ardent et ma soumission
sincère!

TOUS LES PAIRS.--Salut, noble prince, puissant duc d'York!

SOMERSET, _à part_.--Périsse ce vil prince, cet ignoble duc d'York!

GLOCESTER.--Maintenant l'intérêt de Votre Majesté est de traverser les
mers et de vous faire couronner en France. La présence d'un roi réveille
l'amour dans le coeur de ses sujets et de ses fidèles amis, comme elle
décourage ses ennemis.

LE ROI.--Quand Glocester a parlé, Henri n'hésite point: le conseil d'un
ami sage est la mort de beaucoup d'ennemis.

GLOCESTER.--Votre flotte est prête à faire voile.

(Tous sortent excepté Exeter.)

EXETER, _seul_.--Oui: nous pourrions bien voyager en France ou en
Angleterre, sans prévoir les événements qui nous menacent. Le feu de
cette dernière dissension, qui s'est élevée entre ces pairs, couve sous
les cendres trompeuses d'une fausse amitié, et éclatera bientôt en
flammes terribles; ainsi que les membres gangrenés se corrompent par
degrés, jusqu'à ce que la chair, les os et les nerfs tombent en
dissolution, de même se développera cette jalouse et fatale haine; et je
crains bien l'accomplissement de cette sinistre prédiction qui, du temps
de Henri V, était dans la bouche des enfants à la mamelle: _Que le Henri
né à Monmouth gagnerait tout, et que le Henri né à Windsor perdrait
tout_. Cela est si probable que le voeu d'Exeter est de finir ses jours
avant de voir ces temps désastreux.
                
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