William Shakespear

Henri VI (3/3)
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WARWICK.--Tout va donc à souhait! Braves guerriers, marchons.

(Ils sortent.)




SCÈNE II

Devant York.

_Entrent_ LE ROI HENRI, LA REINE MARGUERITE, LE PRINCE DE GALLES;
CLIFFORD, NORTHUMBERLAND, _suivis de soldats_.


MARGUERITE.--Soyez le bienvenu, mon seigneur, dans cette belle ville
d'York. Là-bas est la tête de ce mortel ennemi qui cherchait à se parer
de votre couronne. Cet objet ne réjouit-il pas votre coeur?

LE ROI.--Comme la vue des rochers réjouit celui qui craint d'y
échouer.--Cet aspect soulève mon âme. Retiens ta vengeance, ô Dieu
juste! Je n'en suis point coupable, et je n'ai pas consenti à violer mon
serment.

CLIFFORD.--Mon gracieux souverain, il faut mettre de côté cette
excessive douceur, cette dangereuse pitié. A qui le lion jette-t-il de
doux regards? ce n'est pas à l'animal qui veut usurper son antre. Quelle
est la main que lèche l'ours des forêts? ce n'est pas celle du ravisseur
qui lui enlève ses petits sous ses yeux. Qui échappe au dard homicide du
serpent caché sous l'herbe? ce n'est pas celui qui le foule sous ses
pieds; le plus vil reptile se retourne contre le pied qui l'écrase, et
la colombe se sert de son bec pour défendre sa couvée. L'ambitieux York
aspirait à ta couronne, et tu conservais ton visage bienveillant, tandis
qu'il fronçait un sourcil irrité! Lui, qui n'était que duc, voulait
faire son fils roi, et en père tendre agrandir la fortune de ses
enfants; et toi qui es roi, que le Ciel a béni d'un fils riche en
mérite, tu consentis à le déshériter! ce qui faisait voir en toi un père
sans tendresse. Les créatures privées de raison nourrissent leurs
enfants; et malgré la terreur que leur imprime l'aspect de l'homme, qui
ne les a vus, pour protéger leurs tendres petits, employer jusqu'aux
ailes qui souvent ont servi à leur fuite, pour combattre l'ennemi qui
escaladait leur nid, exposant leur propre vie pour la défense de leurs
enfants? Pour votre honneur, mon souverain, prenez exemple d'eux. Ne
serait-ce pas une chose déplorable, que ce noble enfant perdit les
droits de sa naissance par la faute de son père, et pût dire dans la
suite à son propre fils: «Ce que mon bisaïeul et mon aïeul avaient
acquis, mon insensible père l'a sottement abandonné à un étranger.» Ah!
quelle honte ce serait! Jette les yeux sur cet enfant; et que ce mâle
visage, où se lit la promesse d'une heureuse fortune, arme ton âme trop
molle de la force nécessaire pour retenir ton bien, et laisser à ton
fils ce qui t'appartient.

LE ROI.--Clifford s'est montré très-bon orateur, et ses arguments sont
pleins de force. Mais, Clifford, réponds, n'as-tu jamais ouï dire que le
bien mal acquis ne pouvait prospérer? ont-ils toujours été heureux les
fils dont le père est allé aux enfers pour avoir amassé des trésors[6]?
Je laisserai pour héritage à mon fils mes bonnes actions; et plût à Dieu
que mon père ne m'en eût pas laissé d'autre, car la possession de tout
le reste est à si haut prix, qu'il en coûte mille fois plus de peine
pour le conserver, que sa possession ne donne de plaisir. Ah! cousin
York, je voudrais que tes amis connussent combien mon coeur est navré de
voir là ta tête.

[Note 6: Allusion au proverbe anglais: _Heureux l'enfant dont le
père est allé au diable_.]

MARGUERITE.--Mon seigneur, ranimez votre courage: nos ennemis sont à
deux pas, et cette mollesse décourage vos partisans.--Vous avez promis
la chevalerie à votre brave fils; tirez votre épée, et armez-le
sur-le-champ.--Édouard, à genoux.

LE ROI.--Édouard Plantagenet, lève-toi chevalier, et retiens cette
leçon: Tire ton épée pour la justice.

LE JEUNE PRINCE.--Mon gracieux père, avec votre royale permission, je la
tirerai en héritier présomptif de la couronne, et l'emploierai dans
cette querelle jusqu'à la mort.

CLIFFORD.--C'est parler en prince bien appris.

(Entre un messager.)

LE MESSAGER.--Augustes commandants, tenez-vous prêts; Warwick s'avance à
la tête d'une armée de trente mille hommes, et il est accompagné du duc
d'York, qu'il proclame roi dans toutes les villes qu'il traverse: on
court en foule se joindre à lui. Rangez votre armée, car ils sont tout
près.

CLIFFORD.--Je désirerais que Votre Altesse voulût bien quitter le champ
de bataille; la reine est plus sûre de vaincre en votre absence.

MARGUERITE.--Oui, mon bon seigneur, laissez-nous à notre fortune.

LE ROI.--Quoi! votre fortune est aussi la mienne: je veux rester.

NORTHUMBERLAND.--Restez donc avec la résolution de combattre.

LE JEUNE PRINCE.--Mon royal père, animez donc ces nobles lords, et
inspirez le courage à ceux qui combattent pour vous défendre; tirez
votre épée, mon bon père, et criez: _saint George_!

(Entrent Édouard, Richard, George, Warwick, Norfolk, Montaigu et des
soldats.)

ÉDOUARD.--Eh bien, parjure Henri, viens-tu demander la grâce à genoux,
et placer ton diadème sur ma tête, ou courir les mortels hasards d'un
combat?

MARGUERITE.--Va gourmander tes complaisants, insolent jeune homme: te
convient-il de t'exprimer avec cette audace devant ton maître et ton roi
légitime?

ÉDOUARD.--C'est moi qui suis son roi, et c'est à lui de fléchir le
genou. Il m'a, de son libre consentement, adopté pour son héritier; mais
depuis, il a violé son serment: car j'apprends que vous (qui êtes le
véritable roi, quoique ce soit lui qui porte la couronne) vous lui avez
fait, dans un nouvel acte du parlement, effacer mon nom, pour y
substituer celui de son fils.

CLIFFORD.--Et c'est aussi la raison qui le lui a fait faire: qui doit
succéder au père, si ce n'est le fils?

RICHARD.--Vous voilà, boucher?--Oh! je ne peux parler.

CLIFFORD.--Oui, bossu, je suis ici pour te répondre, à toi, et à tous
les audacieux de ton espèce.

RICHARD.--C'est toi qui as tué le jeune Rutland. N'est-ce pas toi?

CLIFFORD.--Oui, et le vieux York aussi; et cependant je ne suis pas
encore satisfait.

RICHARD.--Au nom de Dieu, lords, donnez le signal du combat.

WARWICK.--Eh bien, que réponds-tu, Henri? Veux-tu céder la couronne?

MARGUERITE.--Quoi! qu'est-ce donc, Warwick? vous avez la langue bien
longue; osez-vous bien parler? Lorsque vous et moi nous nous sommes
mesurés à Saint-Albans, vos jambes vous ont mieux servi que vos bras.

WARWICK.--C'était alors mon tour à fuir; aujourd'hui c'est le tien.

CLIFFORD.--Tu en as dit autant avant le dernier combat, et tu n'en a pas
moins fui.

WARWICK.--Ce n'est pas votre valeur, Clifford, qui m'y a forcé.

NORTHUMBERLAND.--Et ce n'est pas votre courage qui vous a donné l'audace
de tenir ferme.

RICHARD.--Northumberland, toi, je te respecte.--Mais rompons cette
conférence.... car j'ai peine à contenir les mouvements de mon coeur,
gonflé de rage contre ce Clifford, ce cruel bourreau d'enfants.

CLIFFORD.--J'ai tué ton père: le prends-tu pour un enfant?

RICHARD.--Tu l'as assassiné en lâche, en vil traître, comme tu avais tué
notre jeune frère Rutland. Mais avant que le soleil se couche, je te
ferai maudire ton action.

LE ROI.--Finissez ces discours, milords, et écoutez-moi.

MARGUERITE.--Que ce soit donc pour les défier, ou garde le silence.

LE ROI.--Je te prie, ne donne pas des entraves à ma langue. Je suis roi,
et j'ai le privilége de parler.

CLIFFORD.--Mon souverain, la plaie qui a amené cette entrevue ne peut se
guérir par des paroles: restez donc en paix.

RICHARD.--Tire donc l'épée, bourreau. Par celui qui nous a tous créés,
je suis intimement persuadé que tout le courage de Clifford réside dans
sa langue.

ÉDOUARD.--Parle, Henri: jouirai-je de mon droit ou non? Des milliers
d'hommes ont déjeuné ce matin qui ne dîneront pas, si tu ne cèdes à
l'instant la couronne.

WARWICK.--Si tu la refuses, que leur sang retombe sur ta tête! car c'est
pour la justice qu'York se revêt de son armure.

LE JEUNE PRINCE.--Si la justice est ce que Warwick appelle de ce nom, il
n'y a plus d'injustice dans le monde, et tout dans l'univers est juste.

RICHARD.--Quel que soit ton père, c'est bien là ta mère (_montrant la
reine_); car, je le vois bien, tu as la langue de ta mère.

MARGUERITE.--Toi, tu ne ressembles ni à ton père ni à ta mère: odieux et
difforme, tu as été marqué par la destinée comme d'un signe d'infamie
qui instruit à t'éviter comme le crapaud venimeux, ou le dard redouté du
lézard.

RICHARD.--Vil plomb de Naples, caché sous l'or de l'Angleterre, toi dont
le père porte le titre de roi, comme si un canal pouvait s'appeler la
mer, ne rougis-tu pas, connaissant ton origine, de laisser ta langue
déceler la bassesse native de ton coeur?

ÉDOUARD.--Je donnerais mille couronnes d'un fouet de paille, pour faire
rentrer en elle-même cette effrontée coquine.--Hélène de Grèce était
cent fois plus belle que toi, quoique ton mari puisse être un Ménélas;
et cependant jamais le frère d'Agamemnon ne fut outragé par cette femme
perfide, comme ce roi l'a été par toi. Son père a triomphé dans le coeur
de la France; il a soumis son roi, et forcé le dauphin à fléchir devant
lui; et lui, s'il eût fait un mariage digne de sa grandeur, il eût pu
conserver jusqu'à ce jour tout l'éclat de cette gloire. Mais lorsqu'il a
admis dans son lit une mendiante, et honoré de son alliance ton pauvre
père, le soleil qui éclaira ce jour rassembla sur sa tête un orage qui a
balayé de la France tous les trophées de son père, et qui, dans notre
patrie, amassa la sédition autour de sa couronne. Et quelle autre cause
que ton orgueil a suscité ces troubles? Si tu te fusses montrée modeste,
notre titre dormirait encore; et, par pitié pour ce roi plein de
douceur, nous aurions jusqu'à d'autres temps négligé nos prétentions.

GEORGE.--Mais lorsque nous avons vu ton printemps fleurir sous nos
rayons, et ton été ne nous apporter aucun accroissement, nous avons mis
la hache dans tes racines envahissantes; et quoique son tranchant nous
ait quelquefois atteints nous-mêmes, sache cependant qu'à présent que
nous avons commencé à frapper, nous ne te quitterons plus que nous ne
t'ayons abattue, ou que notre sang brûlant n'ait arrosé ta grandeur
toujours croissante.

ÉDOUARD.--Et c'est dans cette résolution que je te défie, et ne veux
plus continuer cette conférence, puisque tu refuses à ce bon roi la
liberté de parler.--Sonnez, trompettes!--Que nos étendards sanglants se
déploient! et la victoire ou le tombeau!

MARGUERITE.--Arrête, Édouard!

ÉDOUARD.--Non, femme querelleuse, nous n'arrêterons pas un moment de
plus. Tes paroles seront payées de dix mille vies.

(Ils sortent.)




SCÈNE III

Champ de bataille entre Towton et Saxton dans la province d'York.

_Alarmes, excursions des deux partis. Entre_ WARWICK.


WARWICK.--Épuisé par les travaux, comme le sont les coureurs pour avoir
disputé le prix, il faut que je m'asseye ici pour respirer un moment,
car les coups que j'ai reçus, les coups nombreux que j'ai rendus, ont
privé de leur force les vigoureuses articulations de mes muscles, et,
malgré que j'en aie, il faut que je me repose un peu.

(Entre Édouard en courant.)

ÉDOUARD.--Souris-nous, ciel propice! ou frappe, impitoyable mort! car
l'aspect du monde devient menaçant et le soleil d'Édouard se couvre de
nuages.

WARWICK.--Eh bien, milord, quelle est notre fortune? où en sont nos
espérances?

(Entre George.)

GEORGE.--Notre fortune, c'est d'être défaits: notre espérance, un triste
désespoir. Nos rangs sont rompus, et la destruction nous poursuit. Quel
parti conseillez-vous? Où fuirons-nous?

ÉDOUARD.--La fuite est inutile: ils ont des ailes pour nous poursuivre;
et dans l'épuisement où nous sommes, nous ne pouvons éviter leur
poursuite.

(Entre Richard.)

RICHARD.--Ah! Warwick! pourquoi t'es-tu retiré du combat? La terre
altérée a bu le sang de ton frère[7], répandu par la pointe acérée de la
lance de Clifford: et dans les angoisses de la mort on l'entendait,
comme une cloche funèbre qui résonne au loin, répéter: _Warwick,
vengeance! Mon frère, venge ma mort_! C'est ainsi que, renversé sous le
ventre des coursiers ennemis, dont les pieds velus se teignaient de son
sang fumant, ce noble gentilhomme a rendu son dernier soupir.

[Note 7: Un bâtard de Salisbury, frère naturel de Warwick.]

WARWICK.--Allons, que la terre s'enivre de notre sang. Je vais tuer mon
cheval; je ne veux pas fuir. Pourquoi restons-nous ici comme de faibles
femmes, à pleurer nos pertes, tandis que l'ennemi fait rage, et à
demeurer spectateurs comme si cette tragédie n'était qu'une pièce de
théâtre, jouée par des personnages fictifs? Ici, à genoux, je fais voeu
devant le Dieu d'en haut de ne plus m'arrêter, de ne plus prendre un
instant de repos que la mort n'ait fermé mes yeux, ou que la fortune
n'ait comblé la mesure de ma vengeance.

ÉDOUARD.--O Warwick! je fléchis mon genou avec le tien, j'enchaîne mon
âme à la tienne, dans le même voeu.--Et, avant que ce genou se relève de
la froide surface de la terre, je tourne vers toi mes mains, mes yeux et
mon coeur, ô toi qui établis et renverse les rois, te conjurant, s'il
est arrêté dans tes décrets que mon corps soit la proie de mes ennemis,
de permettre que le ciel m'ouvre ses portes d'airain et accorde à mon
âme pécheresse un favorable passage.--Maintenant, lords, disons-nous
adieu, jusqu'à ce que nous nous revoyions encore, quelque part que ce
soit, au ciel ou sur la terre.

RICHARD.--Mon frère, donne-moi ta main.--Et toi, généreux Warwick,
laisse-moi te serrer dans mes bras fatigués.--Moi, qui n'ai jamais
pleuré, je me sens douloureusement attendri sur ce printemps de nos
jours que doit peut-être sitôt interrompre l'hiver.

WARWICK.--Allons, allons! Encore une fois, chers seigneurs, adieu.

GEORGE.--Retournons plutôt ensemble vers nos soldats; donnons toute
liberté de fuir à ceux qui ne voudront pas tenir, et louons comme les
colonnes de notre parti ceux qui demeureront avec nous, promettons-leur,
si nous triomphons, la récompense que les vainqueurs remportaient jadis
aux jeux olympiques. Cela pourra raffermir le courage dans leurs coeurs
abattus, car il y a encore espérance de vivre et de vaincre. Ne tardons
pas plus longtemps, marchons en toute hâte.

(Ils sortent.)




SCÈNE IV

Au même lieu. Une autre partie du champ de bataille.

_Excursions des deux partis. Entrent_ RICHARD ET CLIFFORD.


RICHARD.--Enfin, Clifford, je suis parvenu à te joindre seul. Suppose
que ce bras est pour le duc d'York, et l'autre pour Rutland, tous deux
voués à les venger, fusses-tu entouré d'un mur d'airain.

CLIFFORD.--Maintenant, Richard, que je suis seul avec toi, regarde:
voilà la main qui a frappé ton père, et voilà celle qui a tué ton frère
Rutland; et voilà le coeur qui triomphe dans la joie de leur mort, et
anime ces mains qui ont tué ton frère et ton père, à en faire autant de
toi; ainsi, défends-toi.

(Ils combattent. Warwick survient: Clifford prend la fuite.)

RICHARD.--Warwick, choisis-toi quelque autre proie: c'est moi qui veux
chasser ce loup jusqu'à la mort.

(Ils sortent.)




SCÈNE V

Une autre partie du champ de bataille.

_Alarme. Entre_ LE ROI HENRI.


LE ROI.--Ce combat offre l'aspect de celui qui se livre au matin,
lorsque l'ombre mourante le dispute à la lumière qui s'accroît, à
l'heure où le berger, soufflant dans ses doigts, ne peut dire ni qu'il
fait jour ni qu'il fait nuit. Tantôt le mouvement de la bataille se
porte ici comme une mer puissante forcée par la marée et combattue par
les vents; tantôt il se porte là, semblable à cette même mer contrainte
par les vents de se retirer; quelquefois les flots l'emportent, puis
c'est le vent; tantôt celui-ci a l'avantage, tantôt il passe de l'autre
côté; tous deux luttent pour la victoire sein contre sein, et ni l'un ni
l'autre n'est vainqueur ni vaincu, tant la balance reste en équilibre
dans cette cruelle mêlée. Je veux m'asseoir ici sur cette hauteur; et
que la victoire se décide selon la volonté de Dieu! Car ma femme
Marguerite, et Clifford aussi, m'ont forcé avec colère de me retirer du
champ de bataille, protestant tous deux qu'ils combattent plus
heureusement quand je n'y suis pas.--Je voudrais être mort si telle eût
été la volonté de Dieu! Car, qu'y a-t il dans ce monde que chagrins et
malheurs?--O Dieu! il me semble que ce serait une vie bien heureuse de
n'être qu'un simple berger, d'être assis sur une colline, comme je le
suis à présent, traçant avec justesse un cadran, et distribuant ses
heures, pour y suivre de l'oeil la course des minutes, supputant combien
il en faut pour compléter l'heure, combien d'heures composent le jour
entier, combien de jours remplissent l'année, et combien d'années peut
vivre un mortel. Et ensuite, cet espace une fois connu, faire ainsi la
distribution de mon temps; tant d'heures pour mon troupeau, tant
d'heures pour prendre mon repos, tant d'heures consacrées à la
contemplation, tant d'heures employées aux délassements, tant de jours
depuis que mes brebis sont pleines, tant de semaines avant que ces
pauvres bêtes mettent bas, tant de mois avant que je tonde leur toison:
ainsi, les minutes, les heures, les jours, les semaines, les mois et les
années, passés dans l'emploi pour lequel ils ont été destinés,
conduiraient doucement mes cheveux blanchis à un paisible tombeau. Ah!
quelle vie ce serait là! qu'elle serait douce! qu'elle serait agréable!
Le buisson de l'aubépine ne donne-t-il pas un plus doux ombrage aux
bergers veillant sur leur innocent troupeau, qu'un dais richement doré
n'en donne aux rois, qui craignent sans cesse la perfidie de leurs
sujets? Oh! oui, plus doux, mille fois plus doux! Et enfin, le repas
grossier qui nourrit le berger, la fraîche et légère boisson qu'il tire
de sa bouteille de cuir, son sommeil accoutumé sous l'ombrage d'un arbre
brillant de verdure, biens dont il jouit dans la sécurité d'une douce
paix, sont bien au-dessus des délicatesses qui environnent un prince, de
ses mets éclatant dans l'or de ses coupes, du lit somptueux où repose
son corps qu'assiègent les soucis, la défiance et la trahison.

(Alarme. Entre un fils qui a tué son père et qui traîne son cadavre.)

LE FILS.--C'est un mauvais vent que celui qui ne profite à
personne.--Cet homme que j'ai tué dans un combat que nous nous sommes
livré tous deux, pourrait avoir sur lui quelques couronnes; et moi, qui
aurai en ce moment le bonheur de les lui prendre, peut-être avant la
nuit les céderai-je avec ma vie à quelque autre, comme ce mort va me les
céder. Mais, quel est cet homme?--O Dieu! c'est le visage de mon père
que j'ai tué sans le connaître dans la mêlée! ô jours affreux qui
enfantent de pareils événements! Moi, j'ai été pressé à Londres où était
le roi; et mon père, qui était au service du comte de Warwick, pressé
par son maître, s'est trouvé dans le parti d'York; et moi, qui ai reçu
de lui la vie, c'est ma main qui l'a privé de la sienne!--Pardonnez-moi,
mon Dieu! Je ne savais pas ce que je faisais! Et toi, mon père, pardon!
Je ne t'ai pas reconnu. Mes larmes laveront ces plaies sanglantes; et je
ne prononcerai plus une parole avant de les avoir laissées couler à leur
plaisir.

LE ROI.--O spectacle de pitié! O jours sanglants! lorsque les lions sont
en guerre, et combattent pour se disputer un antre, les pauvres
innocents agneaux sont victimes de leur inimitié.--Pleure, malheureux,
je te seconderai, larme pour larme, et, semblables à la guerre civile,
que nos yeux soient aveuglés de larmes, et que nos coeurs éclatent
surchargés de maux!

(Entre un père qui a tué son fils, portant le corps dans ses bras.)

LE PÈRE.--Toi qui t'es si opiniâtrement défendu contre moi, donne-moi
ton or, si tu en as; car je l'ai bien acheté au prix de cent
coups.--Mais voyons.--Sont-ce là les traits de mon ennemi? Ah! non, non,
non, c'est mon fils unique!--O mon enfant! s'il te reste encore quelque
souffle de vie, lève les yeux sur moi, et vois, vois quelle ondée
excitée par les orageux tourbillons de mon coeur se répand sur tes
blessures, dont la vue tue mes yeux et mon coeur. Quelles méprises
cruelles, meurtrières, coupables, désordonnées, contre nature, engendre
chaque jour cette guerre mortelle! O Dieu! prends pitié de ce temps
misérable! O mon fils! ton père t'a donné le jour trop tôt, et t'a trop
récemment ôté la vie.

LE ROI.--Malheurs sur malheurs! douleurs qui surpassent les douleurs
ordinaires! Oh! que mon trépas pût mettre fin à ces lamentables scènes!
O miséricorde, miséricorde! ciel pitoyable, miséricorde! Je vois sur son
visage les fatales enseignes de nos deux maisons en querelle, la rose
rouge et la rose blanche: son sang vermeil ressemble parfaitement à
l'une; ses joues pâles me présentent l'image de l'autre. Que l'une de
vous se flétrisse donc, et que l'autre fleurisse! tant que vous vous
combattrez, des milliers de vies vont se flétrir.

LE FILS.--Comme ma mère va m'en dire sur la mort de mon père, sans
pouvoir jamais s'apaiser!

LE PÈRE.--Quelle mer de larmes va répandre ma femme sur le meurtre de
son fils, sans pouvoir jamais se consoler!

LE ROI.--Comme le pays, en voyant ces malheurs, va prendre en haine son
roi sans pouvoir en revenir!

LE FILS.--Fut-il jamais un fils aussi affligé de la mort de son père?

LE PÈRE.--Fut-il jamais un père qui déplorât autant la mort de son fils?

LE ROI.--Fut-il jamais un roi si malheureux des maux de ses sujets?
Votre douleur est grande, mais la mienne est dix fois plus grande
encore.

LE FILS.--Je veux t'emporter ailleurs, où je puisse te pleurer tout mon
content.

(Il sort, emportant le corps.)

LE PÈRE.--Ces bras te serviront de drap mortuaire, et mon coeur, cher
enfant, sera ton tombeau; car jamais ton image ne sortira de mon coeur;
les soupirs de ma poitrine seront la cloche de ta sépulture, et ton père
te rendra de tels devoirs funèbres, qu'il pleurera ta perte, lui qui
n'en a pas d'autre que toi, autant que Priam pleura celle de tous ses
malheureux fils. Je vais t'emporter d'ici, et combatte qui voudra; car
j'ai porté le coup mortel où je ne le devais pas.

(Il sort, emportant le corps.)

LE ROI.--Coeurs désolés et que le malheur accable, vous laissez ici un
roi encore plus malheureux que vous.

(Alarmes, excursions. La reine Marguerite, le prince de Galles et
Exeter.)

LE PRINCE DE GALLES.--Fuyez, mon père, fuyez! tous nos amis sont
dispersés, et Warwick tempête comme un taureau irrité. Sauvons-nous;
c'est nous que la mort poursuit.

MARGUERITE.--Montez à cheval, milord, et courez à toute bride vers
Berwick. Édouard et Richard, comme une couple de lévriers qui voient de
loin fuir le lièvre timide, sont sur nos épaules, les yeux enflammés et
étincelants de rage; leur main furieuse serre un fer sanglant;
hâtons-nous donc de quitter ces lieux.

EXETER.--Fuyons; la vengeance les accompagne.--Ne perdez pas le temps en
représentations, faites diligence, ou bien suivez-moi, je vais partir
devant.

LE ROI.--Non, emmenez-moi avec vous, mon cher Exeter: non pas que je
craigne de rester ici; mais j'aime à aller où le veut la reine. Allons,
partons.

(Ils sortent.)




SCÈNE VI

_Bruyante alarme. Entre_ CLIFFORD _blessé_.


CLIFFORD.--C'est ici que le flambeau de ma vie va s'éteindre; ici qu'il
va mourir, ce flambeau qui, tant qu'il a duré, a éclairé les pas du roi
Henri! O Lancastre! je m'effraye de ta chute, bien plus que de la
séparation de mon âme et de mon corps. Par mon zèle et par la crainte,
je t'avais attaché bien des amis; mais maintenant que je tombe, ton
parti sans consistance va se dissoudre, et l'affaiblissement de Henri va
augmenter la force du superbe York. Le peuple grossier se rassemble
comme en été le font les mouches, et où volent les mouches, si ce n'est
vers le soleil? Et qui brille maintenant, sinon les ennemis de Henri? O
Phébus! si tu n'avais jamais consenti que Phaéton gouvernât tes fougueux
coursiers, jamais ton char enflammé n'eût embrasé la terre! Et toi,
Henri, si tu avais su régner en roi, régner comme ton aïeul et ton père
ont régné, ne donnant jamais de prise à la maison d'York, on ne l'eût
pas vu s'élever, ce nuage de mouches d'été. Et moi, non plus que dix
mille autres, n'aurions pas laissé notre mort à pleurer à nos veuves! Et
toi, tu posséderais aujourd'hui en paix ta couronne! car qui fait
croître les mauvaises herbes, sinon la douceur de l'air? qui enhardit
les brigands, sinon l'excès de la clémence?--Mais les plaintes sont
superflues, et mes blessures sont incurables. Point de chemin pour fuir,
point de force pour aider à la fuite. L'ennemi est inexorable, il n'aura
nulle pitié; et de sa part je n'ai pas mérité de pitié. L'air est entré
dans mes blessures mortelles, une plus abondante effusion de sang me
fait défaillir.--Venez, York et Richard, et Warwick et tous les autres:
j'ai percé le coeur de vos pères, venez percer le mien.

(Il s'évanouit.)

(Alarmes et retraite. Entrent Édouard, George, Richard, Montaigu,
Warwick, et une partie de l'armée.)

ÉDOUARD.--Respirons maintenant, milords; notre bonne fortune nous permet
un instant de repos, et de ses paisibles regards adoucit le front
menaçant de la guerre. Un détachement poursuit cette reine sanguinaire,
qui conduit le tranquille Henri, tout roi qu'il est comme une voile,
enflée par un vent impétueux, conduit avec puissance un large navire à
travers les flots qui le combattent.--Mais pensez-vous, lords, que
Clifford ait fui avec eux?

WARWICK.--Non: il est impossible qu'il ait échappé. Votre frère Richard,
je le dirai, quoiqu'il soit ici présent, l'a marqué pour le tombeau; et
quelque part qu'il puisse être, il est sûrement mort.

(Clifford pousse un gémissement et meurt.)

ÉDOUARD.--Quelle est l'âme qui vient de prendre de nous ce triste congé?

RICHARD.--C'est un gémissement semblable à celui de la mort au moment où
l'âme et le corps se séparent.

ÉDOUARD.--Voyez qui c'est; et à présent que la bataille est finie, ami
ou ennemi, qu'on le traite avec douceur.

RICHARD.--Révoque cet ordre de clémence; car c'est Clifford, qui, non
content d'avoir, en abattant Rutland, coupé la branche dont les feuilles
commençaient à se développer, a enfoncé son couteau meurtrier jusque
dans la racine d'où s'élevait gracieusement cette tendre tige, a égorgé
notre auguste père le duc d'York.

WARWICK.--Allez; qu'on ôte la tête élevée sur les portes d'York, la tête
de votre père, que Clifford y a fait mettre, et que la sienne l'y
remplace: il faut lui rendre la pareille.

ÉDOUARD.--Qu'on m'apporte cet oiseau de mauvais augure pour ma maison,
qui n'a jamais fait entendre à nous et aux nôtres que des chants de
mort. Enfin la mort étouffe ses menaçants et sinistres accents, et cette
bouche qui ne prédisait que le malheur a perdu la parole.

(On apporte le corps de Clifford.)

WARWICK.--Je crois qu'il n'a plus l'usage de ses sens.--Réponds,
Clifford: connais-tu celui qui te parle?--Le nuage épais de la mort
obscurcit en lui les rayons de la vie: il ne nous voit point, il
n'entend point ce que nous lui disons.

RICHARD.--Oh! que ne peut-il nous voir et nous entendre! Mais peut-être
en est-il ainsi, et n'est-ce qu'une feinte habile pour se soustraire aux
insultes qu'il a fait subir à notre père au moment de sa mort.

GEORGE.--Si tu le crois, tourmente-le de tes mots piquants.

RICHARD.--Clifford, demande grâce, pour ne pas l'obtenir.

ÉDOUARD.--Clifford, repens-toi, pour te repentir en vain.

WARWICK.--Clifford, cherche des excuses pour tes offenses.

GEORGE.--Tandis que nous cherchons des tourments pour t'en punir.

RICHARD.--Tu aimas York, et je suis le fils d'York.

ÉDOUARD.--Tu sentis la pitié pour Rutland, j'en aurai pour toi.

GEORGE.--Où est le général Marguerite pour vous défendre maintenant?

WARWICK.--Ils t'insultent, Clifford: réponds-leur par tes imprécations
familières.

RICHARD.--Quoi! pas une imprécation? Allons, tout va mal, quand Clifford
ne peut pas garder une seule imprécation pour ses amis. A cela je
reconnais qu'il est mort; et, j'en jure par mon âme, s'il ne fallait que
le sacrifice de ma main droite pour te racheter deux heures de vie, où
je pusse, au gré de ma haine, t'accabler de mes outrages, je la
couperais; et du sang qui en sortirait, j'étoufferais l'infâme dont la
soif insatiable n'a pu être assouvie par celui d'York et du jeune
Rutland.

WARWICK.--Oui, mais il est mort. Coupez la tête du traître, et élevez-la
à la place où est celle de votre père. (_A Édouard_.) A présent,
marchons en triomphe vers Londres, pour t'y voir couronner roi de
l'Angleterre. De là Warwick fendra les mers de France, et ira demander
la princesse _Bonne_ pour ton épouse. Par ce noeud, les deux pays seront
unis l'un à l'autre; et quand tu auras la France pour amie, tu ne
craindras plus les ennemis maintenant dispersés, qui espèrent se relever
encore; car bien que leur dard ne puisse plus blesser à mort, cependant
attends-toi à les entendre encore bourdonner et importuner tes oreilles.
Je veux d'abord te voir couronner; et ensuite, si c'est le bon plaisir
de mon seigneur, je traverserai les mers de la Bretagne, pour conclure
ce mariage.

ÉDOUARD.--Qu'il en soit, cher Warwick, ainsi que tu le voudras; car
c'est toi dont les épaules vont soutenir mon trône, et jamais je
n'entreprendrai la chose que tu n'auras pas conseillée ou
consentie.--Richard, je vais te créer duc de Glocester; et toi, George,
duc de Clarence.--Warwick, comme nous-même, tu feras et déferas à ton
gré.

RICHARD.--Que je sois plutôt duc de Clarence, et George duc de
Glocester; car le duché de Glocester est trop fatal.

WARWICK.--Allons donc, cette remarque est d'un enfant.--Richard, sois
duc de Glocester.--Maintenant, marchons vers Londres, pour vous voir
prendre possession de tous ces honneurs.

FIN DU SECOND ACTE.




                            ACTE TROISIÈME




SCÈNE I

Une forêt de chasse dans le nord de l'Angleterre.

_Entrent_ DEUX GARDES-CHASSE _armés d'arbalètes_.


PREMIER GARDE-CHASSE.--Il faut nous cacher dans cet épais bocage, car
bientôt le daim viendra au travers de la clairière; et nous resterons à
l'affût sous le couvert, pour choisir des yeux le plus beau du troupeau.

SECOND GARDE-CHASSE.--Moi, je resterai sur la hauteur et ainsi nous
pourrons tirer tous deux.

PREMIER GARDE-CHASSE.--Cela ne se peut pas: le bruit de ton arbalète
effarouchera le troupeau, et mon coup sera perdu: restons ici tous les
deux, et visons le meilleur de la troupe; et, pour passer le temps sans
ennui, je te conterai ce qui m'est arrivé un jour, à cette même place où
nous allons nous poster aujourd'hui.

SECOND GARDE-CHASSE.--Je vois venir un homme: demeurons jusqu'à ce qu'il
soit passé.

(Entre le roi Henri déguisé, un livre de prières à la main.)

LE ROI.--Je me suis dérobé de l'Écosse par pure tendresse pour ma
patrie, et pour la saluer encore de mes regards avides de la revoir.
Non, Henri! Henri! cette terre n'est plus à toi: ta place est remplie,
ton sceptre est arraché de tes mains, et le baume qui te consacra est
effacé. Nul genou fléchi ne reconnaîtra ton empire, d'humbles
solliciteurs ne se presseront plus sur tes pas pour t'exposer leurs
droits: nul homme n'aura recours à toi pour obtenir justice; car,
comment pourrais-je assister les autres, moi qui ne peux pas m'aider
moi-même?

PREMIER GARDE-CHASSE.--Hé! voici un daim dont la peau sera bien payée au
garde-chasse: c'est le ci-devant roi[8]; saisissons-nous de lui.

[Note 8: The quondam king.]

LE ROI.--Acceptons avec résignation ces cruelles adversités; car les
sages disent que c'est le meilleur parti.

SECOND GARDE-CHASSE.--Que tardons-nous? Mettons la main sur lui.

PREMIER GARDE-CHASSE.--Attends encore: écoutons-le parler un moment.

LE ROI.--La reine et mon fils sont allés en France implorer des secours;
et, suivant ce que j'apprends, le tout-puissant Warwick y est allé aussi
demander la soeur du roi de France, pour épouse d'Édouard. Si cette
nouvelle est vraie, pauvre reine, et toi, mon fils, vous avez perdu vos
peines; car Warwick est un adroit orateur, et Louis un prince facile à
gagner par des paroles éloquentes: ainsi, ce qui va arriver, c'est que
Marguerite pourra d'abord intéresser le roi; car c'est une femme bien
faite pour exciter la compassion; ses soupirs porteront une atteinte au
coeur du prince: ses larmes pénétreraient un coeur de marbre, le tigre
s'adoucirait à la vue de son affliction, et Néron serait touché de pitié
s'il entendait, s'il voyait ses plaintes et ses larmes amères. Oui, mais
elle vient pour demander, et Warwick pour donner. Elle est à la gauche
du roi, implorant du secours pour Henri; et Warwick à la droite,
demandant une épouse pour Édouard. Elle pleure, elle dit que son Henri
est déposé. Warwick sourit, et annonce que son Édouard est couronné, à
la fin, pauvre malheureuse, la douleur lui ôte la force de parler!
tandis que Warwick expose les titres d'Édouard, pallie ses injustices,
accumule de puissants arguments, et finit par détacher, d'elle le roi
qui promet sa soeur, et tout ce qu'on voudra, à l'appui du roi Édouard
et de son trône. O Marguerite! voilà ce qui va t'arriver. Et toi, pauvre
créature, tu seras rejetée parce que tu es venue délaissée.

SECOND GARDE-CHASSE.--Dis; qui es-tu, toi, qui parles de rois et de
reines?

LE ROI.--Plus que je ne parais, et moins que je ne devais être par ma
naissance. Je suis un homme du moins, car je ne puis être moins. Les
hommes peuvent parler des rois; pourquoi ne le pourrais-je?

SECOND GARDE-CHASSE.--Oui; mais tu parles comme si tu étais toi-même un
roi.

LE ROI.--Eh bien! je le suis: en pensée, c'est tout ce qu'il faut.

SECOND GARDE-CHASSE.--Mais si tu es un roi, où est ta couronne?

LE ROI.--Ma couronne est dans mon coeur, et non pas sur ma tête. Elle
n'est point ornée de diamants ni de pierres venues de l'Inde. On ne la
voit point: ma couronne s'appelle contentement; c'est une couronne que
les rois possèdent rarement.

SECOND GARDE-CHASSE.--Eh bien! si vous êtes un roi couronné de
contentement, votre couronne, le contentement et vous, voudrez bien
trouver votre contentement à nous suivre; car, comme nous présumons que
vous êtes ce roi que le roi Édouard a déposé, comme nous sommes ses
sujets, et que nous lui avons juré obéissance, nous vous arrêtons comme
son ennemi.

LE ROI.--Mais n'avez-vous jamais fait de serment que vous ayez ensuite
violé?

SECOND GARDE-CHASSE.--Non, jamais un serment de cette espèce, et nous ne
commencerons pas aujourd'hui.

LE ROI.--Où habitiez-vous lorsque j'étais roi d'Angleterre?

SECOND GARDE-CHASSE.--Ici dans ce pays, où nous demeurons aujourd'hui.

LE ROI.--Je fus sacré roi à l'âge de neuf mois. Mon père et mon
grand-père furent rois, et vous avez juré d'être mes fidèles sujets;
répondez à présent: n'avez-vous pas violé vos serments?

PREMIER GARDE-CHASSE.--Non, car nous n'avons pu être vos sujets
qu'autant que vous étiez roi.

LE ROI.--Eh quoi, suis-je mort? Ne suis-je pas un homme en vie? Ah!
pauvres gens, vous ne savez pas ce que vous jurez! Voyez, comme d'un
souffle j'écarte cette plume de mon visage, et comme l'air me la
renvoie; obéissant à mon haleine, quand elle sort de ma bouche, cédant à
un autre souffle quand il se fait sentir, et toujours maîtrisée par le
vent le plus fort: telle est votre légèreté, hommes vulgaires. Mais ne
violez pas vos serments: mes douces représentations ne tendent point à
vous rendre coupables de ce péché. Allez où vous voudrez, le roi se
laissera commander. Soyez rois, ordonnez, et j'obéirai.

PREMIER GARDE-CHASSE.--Nous sommes les fidèles sujets du roi, du roi
Édouard.

LE ROI.--Et vous redeviendriez de même les sujets de Henri, si Henri
était à la place où est le roi Édouard.

PREMIER GARDE-CHASSE.--Nous vous sommons, au nom de Dieu et du roi, de
venir avec nous devant nos officiers.

LE ROI.--Au nom de Dieu, je suis prêt à vous suivre; que le nom de votre
roi soit obéi! Que votre roi accomplisse la volonté de Dieu, et moi je
me soumets humblement à sa volonté.

(Ils sortent.)




SCÈNE II

A Londres, un appartement dans le palais.

_Entrent_ LE ROI ÉDOUARD, RICHARD, DUC DE GLOCESTER, CLARENCE ET LADY
GREY.


LE ROI ÉDOUARD.--Mon frère Glocester, le mari de cette dame, sir John
Grey, a été tué à la bataille de Saint-Albans. Ses terres ont ensuite
été confisquées par le vainqueur. La demande de sa veuve aujourd'hui,
c'est de rentrer en possession de ces terres. Nous ne pouvons en bonne
justice les lui refuser, car c'est pour la querelle de la maison
d'York[9] que ce brave gentilhomme a perdu la vie.

[Note 9: Ce fut au contraire pour la cause de la maison de Lancastre
que sir John Grey combattit à la seconde bataille de Saint-Albans, où il
fut tué. Ses biens avaient été saisis par Édouard lui-même, après la
bataille de Towton. Ce fait est rapporté conformément à l'histoire dans
_Richard III_.]

GLOCESTER.--Votre Grandeur fera très-bien de lui accorder sa requête: il
serait honteux de la refuser.

LE ROI ÉDOUARD.--Oui, honteux.--Mais cependant je veux différer encore
un moment.

GLOCESTER, _à part, à Clarence_.--Oui: en est-il ainsi? Je vois que la
dame aura quelque chose à accorder avant que le roi lui accorde son
humble demande.

CLARENCE, _à part_.--Il n'est pas novice; comme il sait prendre le vent!

GLOCESTER, _à part_.--Silence!

LE ROI ÉDOUARD.--Veuve, nous examinerons votre requête. Revenez dans
quelque temps savoir nos intentions.

LADY GREY.--Très-gracieux seigneur, je ne puis supporter de délais:
qu'il plaise à Votre Majesté de me donner à présent sa décision; et,
quel que puisse être votre bon plaisir, je m'en contenterai.

GLOCESTER, _à part_.--Vraiment, veuve? je vous garantis bien que vous
aurez toutes vos terres, si ce qui lui plaira vous plaît
aussi.--Combattez plus serré, ou, sur ma parole, vous attraperez quelque
coup.

CLARENCE, _à part_.--Je ne crains rien pour elle, à moins d'une chute.

GLOCESTER, _à part_.--Dieu l'en préserve! car il prendrait son avantage.

LE ROI ÉDOUARD.--Dis-moi, veuve, combien as-tu d'enfants?

CLARENCE, _à part_.--Je crois qu'il a intention de lui demander un
enfant.

GLOCESTER, _à part_.--Allons donc; je veux être fustigé s'il ne lui en
donne plutôt deux.

LADY GREY.--Trois, mon gracieux seigneur.

GLOCESTER, _à part._--Vous en aurez quatre, si vous voulez vous laisser
gouverner par lui.

LE ROI ÉDOUARD.--Ce serait pitié qu'ils perdissent le patrimoine de leur
père.

LADY GREY.--Laissez-vous donc attendrir, auguste souverain, et
accordez-moi cette grâce.

LE ROI ÉDOUARD.--Lords, retirez-vous à l'écart: je veux éprouver le
jugement de cette veuve.

GLOCESTER.--Libre à vous; car vous en aurez toute liberté jusqu'à ce que
la jeunesse prenne la liberté de vous quitter, et ne vous laisse plus
que la liberté des béquilles.

LE ROI ÉDOUARD.--A présent, dites-moi, madame, aimez-vous vos enfants?

LADY GREY.--Oui; aussi chèrement que moi-même.

LE ROI ÉDOUARD.--Et ne feriez-vous pas beaucoup pour leur bien?

LADY GREY.--Pour leur bien, je saurais supporter quelque mal.

LE ROI ÉDOUARD.--Travaillez donc; regagnez les terres de votre mari pour
le bien de vos enfants.

LADY GREY.--C'est pour cela que je suis venue trouver Votre Majesté.

LE ROI ÉDOUARD.--Je vous dirai le moyen de rentrer dans la possession de
ces biens.

LADY GREY.--Ce sera m'attacher pour toujours au service de Votre
Majesté.

LE ROI ÉDOUARD.--Et quel genre de service puis-je attendre de toi si je
te les donne?

LADY GREY.--Tout ce que vous commanderez, et qui sera en mon pouvoir.

LE ROI ÉDOUARD.--Vous allez faire des objections à ce que je vais vous
proposer.

LADY GREY.--Non, mon gracieux seigneur, à moins que la chose ne me soit
impossible.

LE ROI ÉDOUARD.--Tu en feras, quoique tu puisses faire ce que j'ai envie
de te demander.

LADY GREY.--Certainement alors je ferai ce que me commandera Votre
Grâce.

GLOCESTER, _à part._--Il la presse vivement; à force de pluie le marbre
finit par s'user.

CLARENCE, _à part._--Il est rouge comme le feu: il faudra bien que la
cire finisse par se fondre.

LADY GREY.--Eh bien! qui arrête Votre Majesté? Ne me fera-elle point
connaître ma tâche?

LE ROI ÉDOUARD.--C'est une tâche aisée; il ne s'agit que d'aimer un roi.

LADY GREY.--Cela est bien simple, puisque je suis votre sujette.

LE ROI ÉDOUARD.--Eh bien, je te donne de grand coeur les terres de ton
mari.

LADY GREY.--Je prends congé de Votre Majesté, en lui rendant mes humbles
grâces.

GLOCESTER, _à part._--Le marché est conclu: elle le ratifie par une
révérence.

LE ROI ÉDOUARD.--Non, demeure: ce que j'entends, ce sont les fruits de
l'amour.

LADY GREY.--Et ce sont aussi les fruits de l'amour que j'entends, mon
bien-aimé souverain.

LE ROI ÉDOUARD.--Oui; mais je crains bien que ce ne soit dans un autre
sens. Quel amour crois-tu que je sollicite de toi, avec tant d'ardeur?

LADY GREY.--Mon amour jusqu'à la mort, ma reconnaissance, mes prières;
cet amour, en un mot, que peut demander la vertu, et que la vertu peut
accorder.

LE ROI ÉDOUARD.--Non, sur ma foi, ce n'est pas d'un tel amour que
j'entends parler.

LADY GREY.--Ce que vous entendez n'est donc pas ce que je croyais?

LE ROI ÉDOUARD.--Mais à présent vous devez entrevoir ce que j'ai dans
l'âme.

LADY GREY.--Jamais mon âme n'accordera ce qui fait le but de vos désirs,
s'il est vrai que j'aie touché le but.

LE ROI ÉDOUARD.--Pour te parler sans détour, j'aspire à ton lit[10].

[Note 10:

         To tell thee plain, I aim to lie with thee.
         --To tell you plain, I had rather lie in prison.]

LADY GREY.--Pour vous répondre sans détour, j'aimerais mieux coucher en
prison.

LE ROI ÉDOUARD.--En ce cas, tu n'auras pas les terres de ton mari.

LADY GREY.--Eh bien, mon honneur sera mon douaire; car je ne les
rachèterai pas à ce prix.

LE ROI ÉDOUARD.--Tu fais par là grand tort à tes enfants.

LADY GREY.--Par là, Votre Majesté fait tort en même temps à eux et à
moi. Mais, puissant seigneur, ce désir folâtre ne s'accorde guère avec
la tristesse de ma requête; veuillez me congédier avec un oui ou un non.

LE ROI ÉDOUARD.--Oui, si tu dis oui à ma requête; non, si tu dis non à
ma demande.

LADY GREY.--En ce cas, non, mon seigneur; et je n'ai rien à vous
demander.

GLOCESTER, _à part_.--La veuve ne le goûte pas: elle fronce le sourcil.

CLARENCE, _à l'écart_.--C'est le galant le plus gauche de toute la
chrétienté.

LE ROI ÉDOUARD, _à part_.--Ses regards annoncent qu'elle est remplie de
vertu; ses discours décèlent un esprit incomparable. Ses perfections
réclament un trône; de façon ou d'autre, elle est faite pour un roi;
elle sera ou ma maîtresse, ou reine de mon royaume. (_Haut_.) Que
dirais-tu si le roi Édouard te choisissait pour reine?

LADY GREY.--Cela est plus facile à dire qu'à faire, mon gracieux
seigneur. Je suis une sujette faite pour souffrir vos plaisanteries,
mais nullement faite pour devenir souveraine.

LE ROI ÉDOUARD.--Aimable veuve, je te jure, par ma grandeur, que je n'en
dis pas plus que je n'ai dessein de faire. Il faut que tu sois à moi.

LADY GREY.--Et c'est beaucoup plus que je ne puis consentir: je sais que
je suis trop peu de chose pour que vous me fassiez reine; et cependant
de trop bon lieu pour être votre concubine.

LE ROI ÉDOUARD.--C'est une mauvaise chicane que tu me fais; je veux dire
que tu seras reine.

LADY GREY.--Il serait désagréable à Votre Grâce d'entendre mes enfants
vous appeler leur père.

LE ROI ÉDOUARD.--Pas plus que d'entendre mes filles t'appeler leur mère.
Tu es veuve, et tu as quelques enfants: et, par la mère de Dieu! moi,
quoique garçon, j'en ai quelques-uns aussi. Et vraiment, c'est un
bonheur d'être père de plusieurs enfants. Ne me réplique plus, car tu
seras ma femme.

GLOCESTER, _à part_.--Le saint père a achevé sa confession.

CLARENCE, _à part_.--Il ne s'est fait confesseur que pour séduire la
pénitente.

LE ROI ÉDOUARD.--Mes frères, vous cherchez à deviner ce que nous avons
pu nous dire?

GLOCESTER.--Cela ne plaît pas à la veuve, car elle a l'air triste.

LE ROI ÉDOUARD.--Vous seriez bien surpris si nous allions nous marier?

CLARENCE.--A qui, seigneur?

LE ROI ÉDOUARD.--Eh mais, ensemble, Clarence.

GLOCESTER.--On en aurait au moins pour dix jours à s'étonner.

CLARENCE.--Ce serait un jour de plus que ne dure d'ordinaire un
étonnement[11].

[Note 11: Allusion au proverbe anglais: _un étonnement ne dure pas
plus de neuf jours_.]

GLOCESTER.--Mais aussi l'étonnement serait-il des plus grands.

LE ROI ÉDOUARD.--Fort bien, plaisantez, mes frères. Je puis vous dire à
tous deux que sa requête pour les biens de son mari lui est accordée.

(Entre un lord.)

LE LORD.--Mon gracieux seigneur, Henri, votre ennemi, est pris, et amené
prisonnier à la porte de votre palais.

LE ROI ÉDOUARD.--Faites-le conduire à la Tour.--Et nous, mes frères,
allons interroger l'homme qui l'a pris, pour apprendre les circonstances
de cet événement. Allez, veuve.--Lords, traitez-la honorablement.

(Sortent le roi, lady Grey, Clarence et le lord.)

RICHARD.--Oui, Édouard traitera les dames honorablement.--Que n'est-il
épuisé jusqu'à la moelle des os, et hors d'état de voir sortir de ses
reins aucun rejeton capable de fonder des espérances, et de m'empêcher
d'arriver à ce temps heureux auquel j'aspire! Et cependant, quand même
le titre du voluptueux Édouard serait enseveli sous la terre, il reste
encore, entre le désir de mon âme et moi, Clarence, Henri, et son fils
le jeune Édouard, et toute la race inconnue qui peut encore sortir de
leur sein, pour remplir le trône avant que je parvienne à m'y placer;
fâcheuse perspective pour mes projets! Ainsi, je ne fais que rêver la
royauté; comme un homme qui, placé sur le sommet d'un promontoire, porte
sa vue sur le rivage éloigné qu'il voudrait fouler sous ses pas,
désirant que son pied pût suivre ses yeux, maudissant la mer qui l'en
sépare, et parlant de la mettre à sec pour s'ouvrir un passage. Voilà
comme je désire la couronne, à cette distance, m'irritant contre les
obstacles qui m'en séparent; et de même, me flattant de succès
impossibles, je me dis que je les renverserai. Mon oeil est trop
perçant, mon coeur trop présomptueux, si ma main et mes forces ne
peuvent pas y répondre.--Mais s'il est une fois dit qu'il n'y ait point
de royaume à espérer pour Richard, alors quel autre bien le monde
peut-il m'offrir? Je chercherai mon paradis dans les bras d'une femme,
j'ornerai mon corps d'une parure élégante, et je captiverai par mes
paroles et mes regards le coeur des jeunes beautés? O pensée cruelle!
ressource plus impossible pour moi que de me procurer vingt couronnes
brillantes! Quoi! l'amour m'a renoncé dans le sein même de ma mère; et
pour m'exclure à jamais de son doux empire, il a suborné la fragile
nature, et l'a engagée à rétrécir mon bras amaigri comme un arbrisseau
desséché, à placer sur mon dos une odieuse éminence, où s'assied la
difformité pour insulter à mon corps; à former mes jambes d'une inégale
longueur, faisant de moi un tout sans aucune proportion, une espèce de
chaos semblable au petit que l'ourse n'a pas encore léché, et qui
n'apporte en naissant aucun trait de sa mère? Suis-je un homme fait pour
être aimé? Oh! quelle absurde erreur que de nourrir une pareille
pensée!--Eh bien, puisque ce monde ne m'offre aucun plaisir que celui de
commander, de gouverner, de dominer ceux dont la figure est plus
heureuse que la mienne, mon ciel à moi sera de rêver à la couronne et de
regarder, tant que je vivrai, ce monde comme un enfer pour moi, jusqu'à
ce que ma tête, que porte ce tronc contrefait soit ceinte d'une
brillante couronne... Et cependant je ne sais comment atteindre cette
couronne: tant de vies s'interposent entre elle et moi!... Et moi, comme
un voyageur perdu dans un bois épineux, brisant les épines, déchiré par
elles, cherchant un chemin, et s'écartant du chemin, sans savoir comment
parvenir aux lieux découverts, mais travaillant en désespéré pour en
retrouver la route, je me tourmente sans relâche pour saisir la couronne
d'Angleterre. Je m'affranchirai de ce tourment, je me frayerai un chemin
avec une hache sanglante. Eh quoi! ne sais-je pas sourire, et égorger en
souriant, me récrier de joie sur ce qui me met le chagrin au coeur,
mouiller mes joues de larmes artificieuses, et accommoder mes traits à
toutes les circonstances? Je saurai submerger plus de nautoniers que la
sirène, tuer de mes regards plus d'hommes que le basilic; je puis
prêcher aussi bien que Nestor, tromper avec plus d'art qu'Ulysse, et,
comme un autre Sinon, je gagnerai une autre Troie; je possède plus de
couleurs que le caméléon; je puis pour mes intérêts changer de plus de
formes que Protée, et faire la leçon au sanguinaire Machiavel. Je puis
tout cela, et je pourrais gagner une couronne! Allons donc; fut-elle
encore plus loin, je m'en emparerai.

(Il sort.)




SCÈNE III

En France.--Un appartement dans le palais.

_Fanfares. Entrent_ LE ROI DE FRANCE, LA PRINCESSE BONNE, _suite_, LE
ROI _monte sur son trône, et ensuite entrent_ LA REINE MARGUERITE, LE
PRINCE ÉDOUARD _son fils_, ET LE COMTE D'OXFORD.


LE ROI LOUIS, _se levant_.--Belle reine d'Angleterre, illustre
Marguerite, assieds-toi avec nous: il ne convient pas à ton rang ni à ta
naissance que tu sois debout, tandis que Louis est assis.

MARGUERITE.--Non, puissant roi de France: Marguerite doit maintenant
baisser pavillon, et apprendre à obéir quand un roi commande. J'étais,
je l'avoue, dans des jours plus heureux, la reine de la grande Albion;
mais aujourd'hui la fortune contraire a foulé aux pieds mon titre, et
m'a laissée avec ignominie sur la poussière, où il faut que je prenne
une place conforme à ma fortune, et me conforme moi-même à cette humble
situation.
                
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